La famille Barichello est originaire de la Vénétie en Italie, du petit village de Castel di Godego. Dans la première moitié du XXème siècle, Pietro Barichello part à l'aventure et s'installe au Brésil. Il double à cette occasion le r de son patronyme qui devient Barrichello. Pietro a un fils, Rubens Senior, qui est garagiste et possède sa boutique à proximité du circuit d'Interlagos, à São Paulo. Le 23 mai 1972 nait son fils Rubens Gonçalves. Un an plus tard, le premier Grand Prix du Brésil de Formule 1 inscrit au championnat du monde se déroule à Interlagos. C'est le grand champion brésilien Emerson Fittipaldi qui l'emporte. Le jeune Rubens, dit Rubinho pour le distinguer de son père, grandit donc au sein du monde de l'automobile. Sa passion précoce pour ce sport se développe grâce à la proximité du circuit d'Interlagos.
Le jeune Rubens ne rate aucune des courses qui se disputent sur ce tracé. De plus, sa famille maternelle est elle-même très impliquée dans le sport, son oncle Darcio possédant une écurie de Formule 3. A l'âge de six ans, son grand-père maternel lui offre son premier karting. Le petit Rubinho rêve alors de courir, mais Rubens Senior préférerait voir son fils poursuivre d'abord de sérieuses études. Pour sa première course, Rubinho termine troisième. Il est deuxième à l'épreuve suivante, puis triomphe dès sa troisième course. Des débuts impressionnants qui finissent de convaincre son père que, décidément, son fils est fait pour la compétition automobile.
Le karting
Ce n'est toutefois qu'à l'âge de neuf ans, en 1981, que le jeune Rubens participe à ses premières compétitions en karting. Pendant huit ans, il va se construire un impressionnant palmarès, remportant à cinq reprises le championnat du Brésil. En 1986, il est sacré champion d'Amérique du Sud.
L'année suivante, Barrichello, qui a maintenant quinze ans, tente de s'inscrire au championnat du monde de Karting, qui se déroule à Jesolo en Italie. Il trouve comme commanditaire son idole, qui sera bientôt celle du peuple brésilien tout entier: Ayrton Senna. Jamais Barrichello ne cessera de témoigner son admiration au champion brésilien qui, quelques années plus tard, prendra complètement sous son aile le jeune Pauliste. En attendant, celui-ci finit septième de ce championnat du monde 1987 et, après une dernière saison de kart, s'apprête à passer à la monoplace.
La monoplace
En 1989, Barrichello fait ses débuts dans le championnat brésilien de Formule Ford, et réalise de brillantes performances puisqu'il finit la saison quatrième. Cette même-année, il part pour la première fois en Europe afin d'effectuer des tests pour deux équipes de Formule Opel. Pour sa première sortie, il bat le record de la piste. Les Britanniques sont impressionnés et, comme Fittipaldi, Piquet, Senna et d'autres avant lui, le petit Brésilien s'installe en Grande-Bretagne pour la saison 1990.
Cette année-là, Rubens est engagé par l'écurie Draco pour disputer les GM Lotus Euroseries. Un souci toutefois: il n'a pas atteint au début de la saison les dix-huit ans réglementaires l'autorisant à courir. Il s'en sort toutefois avec ruse, en présentant aux officiels la carte d'identité de son père qui, non seulement possède le même prénom, mais de plus est né également un 23 mai ! Sa saison se déroule on ne peut mieux. Il remporte six des onze épreuves et s'adjuge haut la main le titre dans cette catégorie.
En 1991, Barrichello est engagé par Dick Bennett, le directeur de la prestigieuse équipe West Surrey Racing. Rubens court cette saison-là dans le très relevé championnat de F3 britannique. Il a pour rivaux des compatriotes qui feront parler d'eux comme Gil de Ferran ou Pedro Diniz. Mais son principal adversaire est le jeune Écossais David Coulthard. Barrichello et Coulthard, deux hommes à la carrière presque parallèles qui se retrouveront plus tard aux mêmes moments dans les rôles ingrats de porteurs d'eau. Pour l'instant, le Brésilien triomphe à quatre reprises et s'adjuge la couronne avec huit points d'avance sur Coulthard. Il rejoint au palmarès de la F3 britannique son idole Senna, mais aussi Nelson Piquet. A dix-neuf ans, sa réputation est faite, et plusieurs équipes de Formule 1 commencent à s'intéresser à lui. Mais pour 1992, il décide de franchir la dernière étape avant la catégorie reine: la Formule 3000.
Cependant, Rubinho va quelque peu s'emmêler les pinceaux dans son choix d'écurie. Au lieu de s'engager avec des teams prestigieux comme Pacific, Jordan ou Paul Stewart Racing, il signe dans la petite écurie italienne Il Barone Rampante, fondée par Giuseppe Cipriani. Si le nom de cette équipe est amusant, être son pilote l'est moins. Le moteur Judd Zytek qu'elle utilise est en effet inférieur au Ford ou au Mugen Honda utilisés par les grandes équipes. Malgré tout, les hommes de Cipriani font du bon travail et le Pauliste obtient trois podiums lors des trois premières courses, dont deux secondes places à Silverstone et Barcelone, où il finit derrière son équipier Andrea Montermini. A la mi-saison, le Judd Zytek est remplacé par un Ford Cosworth qui lui permet de terminer toutes les courses dans les points. Il ne peut cependant pas lutter pour le titre et finit troisième au général, derrière les Italiens Luca Badoer et Montermini, passé chez Forti Corse en cours de saison.
A la fin de cette saison 1992, Barrichello, qui a maintenant vingt ans, est désormais reconnu comme un grand espoir du sport automobile. Il est mûr pour accéder à la Formule 1.
La Formule 1 avec Jordan
C'est ainsi que Rubens trouve grâce aux yeux d'Eddie Jordan, dont l'équipe vient de boucler avec difficulté sa deuxième saison en Formule 1. En effet, après une première année satisfaisante, l'écurie irlandaise a beaucoup souffert en 1992, finissant dernière classée avec un tout petit point. Jordan n'est toutefois pas pour autant une équipe de fond de grille et apparaît comme un bon tremplin à un jeune pilote prometteur. Ainsi Barrichello décroche son premier contrat en Formule 1 pour la saison 1993. A ses côtés Jordan aligne le vieillissant Ivan Capelli, qui vient de se faire sèchement éjecter de la Scuderia Ferrari. Rubinho fait ses premiers pas dans la catégorie reine lors d'essais privés en janvier et découvre la Jordan 193, qui est meilleure que sa devancière, en partie grâce au moteur Hart, bien supérieur au poussif Yamaha qui avait propulsé les voitures irlandaises en 92.
Il fait ses débuts lors du Grand Prix d'Afrique du Sud le 14 mars 1993. Qui aurait alors pensé que ce petit Brésilien débuterait une carrière de plus de trois cents Grand Prix ? Ayrton Senna est pour sa part ravi de voir son poulain arrivé si tôt à ce stade, et ne cesse de l'aider à s'intégrer dans le monde rugueux de la F1. Pour son premier week-end de course, le Pauliste se qualifie quatorzième, devant Capelli, et abandonne au trente-et-unième tour sur une casse de la boîte de vitesse, alors qu'il était un étonnant septième. Deux semaines plus tard, il connait son premier Grand Prix du Brésil, sur ce fameux circuit d'Interlagos qu'il connaît par cœur. Il abandonne toutefois rapidement, à nouveau à cause de sa boîte. C'est le début d'une longue malédiction sur cette piste...
Mais c'est lors de la course suivante, le Grand Prix d'Europe à Donington, que le talent de Barrichello éclate aux yeux du monde. Pour la postérité, cette épreuve reste dans les annales pour l'exceptionnelle domination exercée par Magic Senna sous le déluge britannique. Mais son poulain n'est pas en reste. Parti douzième, il est quatrième à l'issue du premier tour et va produire une véritable démonstration dans ces conditions dantesques, luttant pour le podium avec les Williams-Renault de Prost et de Hill. A six tours du but, il est troisième à la suite d'un énième arrêt d'Alain Prost, lorsque sa Jordan se met à hoqueter puis s'arrête sur le bas-côté, suite à un problème de pression d'essence. Le Brésilien est très déçu, mais sa réputation de jeune prodige est établie.
Durant toute la saison 1993, son pilotage vif mais solide fait l'admiration des observateurs, même si le manque de puissance de la Jordan-Hart l'empêche de jouer les points. Au Grand Prix de France néanmoins, il se qualifie huitième, et tient le point de la sixième place quand, dans le dernier tour, il s'écarte pour permettre à Senna de lui prendre un tour. Or le coéquipier de celui-ci, Michael Andretti, qui était en embuscade, en profite pour lui chiper sa place. Une boulette qui fait la colère d'Eddie Jordan, un point valant un million de dollars, ce qui n'est pas négligeable pour une petite équipe comme la sienne.
Mais dans l'ensemble, Barrichello fait une très belle saison. Il domine largement ses coéquipiers successifs. Capelli ayant jeté l'éponge après deux épreuves, il est suppléé par le vétéran belge Thierry Boutsen, dont il fait du petit bois. Après les intermèdes Apicella et Naspetti, il voit débarquer en toute fin de saison le fougueux Nord-Irlandais Eddie Irvine, un autre jeune loup aux dents longues. Lors de l'avant-dernière course à Suzuka, disputée elle aussi sous la pluie, il décroche la cinquième place et ses deux premiers points en carrière, juste devant Irvine, qui bouchonne Senna avant de recevoir le poing du triple champion du monde dans la figure.
Finalement, Rubens boucle sa première saison avec seulement deux points certes, mais ce résultat modeste ne cache pas les belles qualités dont il a fait preuve. Avec Schumacher, Häkkinen et Wendlinger, il est considéré comme un des futurs grands de la discipline, et certains au Brésil commencent à voir en lui le successeur d'Ayrton Senna.
Pour 1994, Barrichello rempile avec Eddie Jordan. Un choix qui est assez risqué car l'écurie est alors au bord de la faillite. Malgré tout, la 194 semble très prometteuse et Rubens peut espérer inscrire de gros points. Pour la première course au Brésil, il finit à une superbe quatrième place. Lors du deuxième Grand Prix à Aïda, tandis que Senna est percuté dès le départ par Larini, il profite des malheurs des hommes de tête pour amener sa Jordan à la troisième place et signer ainsi son premier podium. Ce début de saison est d'autant plus magnifique qu'il pointe alors à la deuxième place du classement général ! Eddie Jordan, qui craignait un mois avant de voir son écurie disparaître, est aux anges et la presse brésilienne chante les louanges du petit Pauliste de vingt-deux ans. C'est alors que ce dernier va être frappé par les deux plus grandes tragédies de sa carrière lors du Grand Prix suivant, celui de Saint-Marin à Imola.
Le vendredi 29 avril 1994, lors des essais libres du matin, Rubens est en piste sur sa Jordan lorsqu'à l'entrée de la chicane rapide de la Variante Bassa, il perd soudainement le contrôle de sa machine, peut-être à cause d'une crevaison. La Jordan décolle sur le vibreur, escalade les rails avant de s'écraser avec une violence inouïe contre les murs de pneus. Propulsée dans les airs, la monoplace fait un tonneau avant de s'immobiliser sur le dos, complètement détruite. Les secours dirigés par le professeur Sid Watkins se précipitent pour venir en aide au jeune pilote qui git inconscient dans sa voiture. Barrichello est évacué et transféré à l'hôpital du circuit. On craint le pire tandis qu'Ayrton Senna part aux nouvelles de son jeune protégé. Au bout de quelques minutes d'angoisse, le triple champion du monde revient avec des nouvelles rassurantes: Barrichello ne souffre que de blessures superficielles.
Et effectivement dès le lendemain, il fait son retour dans le paddock, le bras en écharpe, accompagné par Senna. Le jeune Brésilien apparaît comme un miraculé, et les observateurs s'esbaudissent devant la grande sécurité offerte par les Formules 1 modernes. Mais dès l'après-midi de ce 30 avril, la Camarde, qui a épargné Barrichello, emporte l'Autrichien Roland Ratzenberger, tué sur le coup dans un choc effroyable dans le virage Gilles Villeneuve. Comme tous ses collègues Rubinho est choqué par ce premier décès en F1 depuis huit ans. Le lendemain 1er mai, il est évidemment forfait pour la course. C'est donc en spectateur qu'il assiste à l'accident et à la mort de son maître Ayrton Senna.
La disparition de Senna marque un tournant dans la vie et la carrière de Rubens Barrichello. Touché à l'extrême, il aurait pu abandonner le sport automobile, mais désormais, tous les Brésiliens vont avoir le regard tourné vers lui. Il apparaît en effet comme l'héritier naturel de feu Magic Senna, et le public va attendre de lui des performances comparables au champion disparu. A vingt-deux ans, il se retrouve donc avec une immense pression sur les épaules...
Lors de la suite de cette saison 1994, Barrichello va se montrer digne des espérances placées en lui. Il récolte en effet régulièrement des points, tout en dominant ses équipiers Eddie Irvine et Andrea de Cesaris. Il réalise sa plus belle performance au Grand Prix de Belgique. Alors que les séances de qualification se sont déroulées sous la pluie, le soleil fait sa réapparition à la fin de la dernière séance du samedi. Il sort des stands en pneus slicks et signe une étonnante pole position, sa première en carrière. Il devient également le plus jeune poleman de l'histoire, record battu en 2003 par Fernando Alonso au Grand Prix de Hongrie.
En course toutefois, le Brésilien ne peut rien faire contre la Benetton de Schumacher et la Williams de Hill, et il abandonne sur une sortie de piste. Sa fin de saison est très brillante, puisqu'il rapporte trois quatrièmes places de Monza, Estoril et Adélaïde. Il boucle sa saison à la sixième place du général, avec dix-neuf points au compteur. Un très beau résultat pour une saison très éprouvante. C'est donc avec le statut de grand espoir qu'il aborde la saison suivante, toujours chez Jordan. En effet, McLaren a songé un temps à l'engager, mais l'affaire ne s'est pas concrétisée.
Pour 1995, Eddie Jordan a réussi ce qu'il croit être une excellente opération en obtenant le moteur V10 Peugeot. Les médias brésiliens attendent quant à eux des miracles de la part de Rubens, qui pourtant déclare refuser le statut d'héritier de Senna. Mais il joue en fait la carte de l'ambiguïté. Il avoue avoir déjà ressenti la présence d'Ayrton lorsqu'il est au volant. Surtout, pour le Grand Prix du Brésil, il redécore son casque de manière à intégrer les couleurs du triple champion du monde... le tout en proclamant que Jordan peut viser la victoire.
Cette saison va se révéler très décevante. Tout d'abord parce que la 195 est médiocre et que le moteur Peugeot confirme tout le mal que McLaren, qui l'a supporté toute l'année 1994, pensait de lui. La fiabilité de sa machine est aléatoire et Rubinho abandonne dix fois en dix-sept courses. Mais surtout ses performances générales sont faibles, tandis que son coéquipier Eddie Irvine se met de plus en plus en valeur. Le Nord-Irlandais en vient effectivement à dominer le Pauliste en qualifications et parfois même en course ! La presse brésilienne commence à gronder.
Pour justifier ses contreperformances, Rubens invoque la suppression de la pédale d'embrayage. En effet en 1995 la Jordan ne possède désormais plus que deux pédales, ce qui permet aux pilotes de freiner du pied gauche. Or le Brésilien a gardé sa vieille habitude du karting de garder le pied légèrement appuyé sur le frein, même dans les lignes droites ! Une explication que ne convainc pas grand monde. Toutefois, à partir du Canada l'équipe transfère la pédale de frein à droite, et les résultats de Rubinho s'améliorent. Lors de ce Grand Prix du Canada, les favoris abandonnent en cascade, ce qui permet à Jean Alesi de remporter la course devant les deux Jordan de Rubens et d'Irvine. Un podium inattendu qui n'a guère de suite. Il ne rentre en effet plus qu'à trois reprises dans les points, avec deux sixièmes places en France puis en Belgique, et une quatrième position au Nürburgring. A Silverstone, il s'accroche stupidement dans le dernier tour avec Mark Blundell alors qu'il était cinquième...
A Suzuka, sous la pluie, il commet une grosse maladresse en sortant de la piste alors qu'il tente de dépasser Irvine... Toutefois, il n'est également pas épargné par la malchance. Au Grand Prix d'Espagne, il tient le point de la sixième place avant que son embrayage ne faiblisse, ce qui permet à Panis de le passer dans le dernier tour. A Hockenheim et à Budapest, deux tracés pourtant très différents, il occupe la troisième place en course quand son V10 Peugeot rend l'âme.
Finalement, Rubens finit la saison avec onze points, soit un de plus seulement que son équipier. Eddie Jordan et les Brésiliens font la grimace. Au Grand Prix du Portugal, il subit un même un contrôle antidopage positif, une première dans l'histoire de la F1. Heureusement pour lui, il parvient à se justifier et l'affaire n'a pas de suite, mais son image est encore écornée. Pourtant une belle récompense semble un moment attendre le jeune pilote à la fin de la saison: un baquet chez Ferrari, aux côtés de Michael Schumacher. Mais finalement Jean Todt, le patron de la Scuderia, décide d'engager... Eddie Irvine ! Le rendez-vous de Rubens avec les Rouges aura lieu plus tard...
On peut songer à ce qu'aurait été son destin s'il avait rejoint Ferrari dès 1996. Sans doute serait-il déjà devenu le porteur d'eau de Schumacher et ses performances auraient été proches de celles réalisées par Irvine. En 1999, lors de la blessure de l'Allemand, Rubens aurait sans doute comme l'Irlandais reprit le flambeau et peut-être gagné le titre contre Häkkinen... Mais peut-être que, lassé par le favoritisme de la Scuderia, aurait-il déjà rejoint un autre top team, McLaren ou Williams... Cessons de rêver.
Fin 1995 le choix d'Irvine apparaît comme un camouflet pour le Brésilien, qui continue donc, faute de mieux, l'aventure avec Jordan. Il déclare avoir refusé de devenir le porteur d'eau de Schumacher. Une version contestable, même si l'Allemand a eu des commentaires peu amènes sur le jeune Brésilien, l'accusant de ne pas savoir régler une voiture. Toutefois, grâce à son sponsor personnel, la filiale brésilienne de Marlboro, Rubens pouvait espérer un volant chez McLaren ou Benetton... Mais aucun contact n'aboutit.
En 1996, Jordan et Barrichello espèrent remettre l'écurie sur le chemin du succès. Mais la 196 n'est pas meilleure que sa devancière. Cette voiture manque de grip et le moteur Peugeot est définitivement une usine à gaz. Sa saison commence pourtant sous de bons auspices. Au Grand Prix du Brésil, il signe une superbe deuxième place en qualifications, à la grande joie du public pauliste. En course, sous la pluie, il tient une bonne quatrième place, lorsqu'au cinquante-neuvième tour il sort bêtement de la piste et se plante dans les graviers....
Il se rattrape en grappillant huit points lors des trois courses suivantes, mais commet une nouvelle bourde à Monaco, en tapant le rail dès le premier tour, surpris par l'humidité de la piste. La deuxième partie de la saison est plus difficile encore, la Jordan perdant en performance et en fiabilité. Rubinho ne se démonte pas, et obtient encore quelques points, notamment une quatrième place à Silverstone. Son coéquipier, le vétéran Martin Brundle, n'est pas une menace et il le domine tranquillement. Mais rien n'y fait, après quatre saisons de Formule 1, l'enthousiasme des débuts est retombé, Barrichello a déçu Eddie Jordan, qui ne veut pas entendre parler de lui pour 1997.
Au Grand Prix du Portugal, il présente son remplaçant en la personne de Ralf Schumacher, frère de l'autre. Rubens finit la saison à la huitième place du général, avec quatorze points. Son avenir en Formule 1 s'inscrit alors en pointillés. Il commence à prendre des contacts avec l'IndyCar, où on lui propose de rejoindre ses nombreux compatriotes qui, rejetés par la F1, ont trouvé outre-Atlantique le moyen de reconstruire une carrière. A vingt-quatre ans, l'ex-successeur de Senna va-t-il déjà se retrouver au placard américain ?
Avec Jackie Stewart
Heureusement pour lui, il trouve un point de chute avec la nouvelle écurie Stewart-Ford, que se préparent à lancer Jackie et Paul Stewart en 1997. Ceux-ci cherchent un pilote assez expérimenté et rapide afin de tirer cette jeune équipe vers le haut. Barrichello correspond au profil et peut ainsi poursuivre sa carrière en Formule 1.
Lorsqu'il débarque chez Stewart début 1997, Barrichello entame un nouveau chapitre de sa jeune carrière. En deux ans, il est passé du statut de jeune prodige à celui d'espoir déçu, et a impérativement besoin de rebondir. Malgré sa jeunesse, l'écurie Stewart est pour cela un bon tremplin. L'équipe est sérieuse et solidement soutenue par Ford, qui envisage à terme d'en faire son écurie officielle en Formule 1. Les essais hivernaux sont cependant inquiétants: si la SF01 possède un bon potentiel, le moteur Ford Cosworth a toujours cassé avant d'avoir couvert la distance d'un Grand Prix. Et effectivement, cette première saison va être en demi-teinte. Si Barrichello parvient à tirer de belles performances de sa machine, cette dernière est si peu fiable qu'il ne voit le drapeau à damiers qu'à deux reprises en dix-sept départs !
Au cours de l'été, il subit sept pannes consécutives, sur des problèmes de moteur et de boîte. Toutefois, il est souvent bien placé au moment de ses abandons et domine très largement son coéquipier Jan Magnussen, pourtant présenté comme un futur champion du monde par Jackie Stewart. Il est souvent brillant en qualifications, comme en Argentine où il est cinquième sur la grille. Trois courses surtout marquent sa saison. Au Grand Prix de Monaco disputé sur une piste humide, et malgré une voiture réglée pour le sec, il va éviter tous les pièges, profitant de la vélocité de pneus Bridgestone sous la pluie, pour amener la Stewart à la deuxième place dès le sixième tour, derrière Michael Schumacher. Il conserve sa position jusqu'à l'arrivée, offrant à l'équipe ses premiers points et son premier podium, les seuls de la saison.
Fin septembre, au Grand Prix d'Autriche, il est en début d'épreuve un étonnant deuxième derrière le non moins étonnant leader Jarno Trulli sur sa Prost. Retombé à la septième place, il sort de la piste à sept tours du but. On peut enfin noter sa performance lors du Grand Prix d'Europe au Nürburgring, où il est troisième à la régulière avant d'abandonner sur un problème de transmission.
Finalement, si le bilan de 1997 est fort maigre, Barrichello en sort grandi. Il s'est reconstruit un statut de pilote de pointe en devenant le fer de lance de cette prometteuse écurie Stewart. Jackie et Paul renouvellent bien sûr son contrat pour l'année suivante. Sur le plan personnel, Rubens épouse cette année-là Silvana de laquelle il aura deux enfants, Eduardo et Fernando.
Malheureusement la saison 1998 ne va pas confirmer l'élan de 1997. Le talent de Rubens n'est ici pas en cause, mais la nouvelle SF2 ne va poser que des problèmes à Paul Stewart et aux dirigeants de Ford. La boîte de vitesse est le talon d'Achille de la machine, au point qu'au premier Grand Prix en Australie, Barrichello reste scotché sur la grille... Comme la saison précédente, le Brésilien ne peut donc espérer réaliser que quelques coups d'éclats lorsque la fiabilité est au rendez-vous. En Espagne, il finit bon cinquième à la régulière, performance qu'il réédite au Canada. Ce seront hélas ses quatre seuls points de la saison.
En Autriche, il se qualifie à une brillante cinquième place, mais ses freins lâchent au bout de sept tours. La récolte de ce championnat 98 est donc bien maigre, mais à nouveau Rubens en sort renforcé. Ses erreurs en course sont désormais rares et il est l'incontestable leader de l'équipe, laminant Magnussen puis Jos Verstappen, qui remplace à la mi-saison le décevant Danois.
A la fin de l'année, la moribonde écurie Williams propose au Pauliste un volant pour 1999. Il a le flair de refuser: l'équipe de Sir Franck patauge dans une période de transition en attendant l'arrivée de BMW tandis que Stewart possède un réel potentiel, qui ne demande qu'à être démontré, une fois les soucis de fiabilité résolus. C'est ainsi qu'il décide de poursuivre l'aventure avec l'écurie au tartan.
Et effectivement, en 1999, la SF3 marque un réel bond dans les performances de Stewart. Très rapide, cette monoplace n'est dépassée en performance que par les McLaren, les Ferrari, et dans une moindre mesure les Jordan. Le hic est hélas sa fiabilité hasardeuse, et notamment celle du V10 Ford, qui va faire perdre beaucoup de points à l'équipe. Mais l'ensemble reste satisfaisant et Barrichello se régale au volant de cette monoplace. A domicile à Interlagos, il se qualifie troisième sur la grille et prend la tête au premier virage. Le Brésilien va mener le début de course devant ses fans déchaînés, mais au quarante-deuxième tour son moteur rend l'âme...
La déception est grande pour Rubinho, mais il va se rattraper par la suite. Déjà il avait inscrit deux points en Australie, et il finit troisième à Imola à la régulière. Au Grand Prix de France, il réédite sa performance du Grand Prix de Belgique 1994: il profite de la pluie qui s'abat lors des qualifications pour décrocher une étonnante pole position. Le dimanche, des averses s'abattent à nouveau sur le circuit nivernais et Rubens va mener une course fantastique, repoussant tant bien que mal les attaques successives de Coulthard, Häkkinen et Schumacher. Les susnommés rencontrant chacun des problèmes, il mène la majeure partie de la course et l'aurait emporté s'il n'avait été dépassé dans les dernières boucles par Frentzen, puis Häkkinen.
Toujours bien qualifié, il termine ensuite cinquième à Budapest et quatrième à Monza. De plus, il domine très largement son nouvel équipier, le vétéran Johnny Herbert. Mais, cruelle ironie, c'est le Britannique qui va apporter à Stewart sa première victoire au Nürburgring, après une course dantesque. Lors de cette course où les conditions climatiques sont très changeantes, Rubens effectue des erreurs dans ses choix de pneumatiques, ce qui permet à son équipier de lui passer devant et de se retrouver en tête. Il doit se contenter de la troisième place, après avoir harcelé sans succès Trulli et sa Prost dans les derniers kilomètres. Si le triomphe revient à Herbert, Barrichello peut être fier: ce succès est en partie le sien, lui qui depuis trois saisons s'est démené pour améliorer la Stewart.
Après une dernière cinquième place en Malaisie, il finit septième de ce championnat 1999, avec vingt-et-un points. Il est ainsi pour beaucoup dans la quatrième place finale de Stewart au classement des constructeurs.
Avec Ferrari et Schumacher
Pour la saison 2000, Ford a décidé de racheter l'écurie et de la renommer Jaguar. Mais Rubens ne sera pas de la partie. A vingt-sept ans, désormais reconnu de nouveau comme l'un des tout meilleurs pilotes de Formule 1, sa carrière prend un nouvel envol. La Scuderia Ferrari lui propose à nouveau un volant aux côtés de Schumacher, comme en 1995, et cette fois-ci le Pauliste accepte la proposition de Jean Todt. Mais cette étrange collaboration qui va durer six ans interpelle les observateurs très rapidement. Barrichello signe en effet comme « n°1 bis », un statut incongru qui implicitement le cantonne d'ores et déjà dans le rôle de lieutenant de Schumacher.
Sur le papier, il accepte cet état de fait instauré par Todt et son adjoint Ross Brawn: Michael Schumacher est l'incontestable leader de Ferrari et son équipier, qu'il se nomme Irvine ou Barrichello, n'est que son bras-droit, son faire-valoir diraient les mauvaises langues. Un poste qui serait peu enviable si la Scuderia n'était pas la meilleure écurie du monde à l'aube des années 2000. Barrichello va donc se retrouver pris dans une sorte de piège qu'il a lui-même accepté. Pilote de l'écurie dominant la Formule 1, il est condamné à subir la domination de Schumacher et se voit interdire toute possibilité de devenir champion du monde...à moins d'une absence de l'Allemand, qui ne se produira pas.
Soyons justes: Barrichello, mêmes à armes égales, est un pilote inférieur à Schumacher, qui l'aurait dominé quoiqu'il advienne. Mais il démontre pendant ces six années qu'il est bien capable de battre épisodiquement le Kaiser et parfois de manière assez nette. Doit-on le plaindre pour autant ? Il a été brimé certes, mais l'a accepté et au final en a tiré bénéfice, en matière comptable tout du moins. Avec Ferrari, il a été deux fois vice-champions du monde, remporté neuf victoires, signé onze pôles et cinquante-cinq podiums, un joli palmarès. Todt a sacrifié l'éthique sportive sur l'autel de la réussite et de la performance à tout crin. C'est une politique très contestable mais qui a sa logique.
Une fois parti de chez Ferrari, Barrichello s'est répandu en commentaires peu amènes sur le Scuderia et le rôle qu'on lui a fait jouer, oubliant ses années de silence. L'histoire le jugera mais, malgré ou à cause de ses tardives critiques, Rubens Barrichello ne peut passer ni pour un ingrat crachant dans la soupe, ni pour un martyr. La réalité, comme souvent, se situe entre les deux...
Début 2000, Barrichello arrive dans une Scuderia en pleine renaissance. En 1999, l'écurie a remporté pour la première fois depuis 1983 le titre constructeur, et compte sur Schumacher pour lui offrir ce titre pilotes qu'elle attend depuis 1979. Rubens a surtout comme objectif personnel de remporter cette première victoire en F1 qu'il attend toujours. Sa première course à Melbourne se déroule idéalement. Il finit second derrière Schumacher tandis que les deux McLaren de Coulthard et d'Häkkinen ont abandonné.
Cette saison va en effet se résumer à un mano à mano entre les Rouges et les Gris. Toutefois, si chez McLaren les deux pilotes sont traités de manière égale, tous les efforts de Ferrari sont concentrés sur le Kaiser. Cela n'empêche pas Rubens de briller. Si lors de son Grand Prix au Brésil il abandonne une nouvelle fois sur une casse moteur, il multiplie les podiums et apporte ainsi de précieux points à l'équipe. Il est en effet troisième à Barcelone et Magny-Cours, second à Monaco et Montréal. A Silverstone, il signe sa troisième pole position et aurait probablement gagné s'il n'avait dû renoncer au trente-cinquième tour sur une panne hydraulique. En Autriche, il se fait bêtement percuter au départ, mais remonte ensuite jusqu'à la troisième place.
Puis vient le Grand Prix d'Allemagne, le 30 juillet à Hockenheim. La course s'annonce cauchemardesque pour Rubinho qui ne s'est qualifié qu'en dix-huitième position ! Une contre-performance rarissime. Et pourtant le dimanche, il remonte comme une fusée vers le haut de peloton. Dixième dès la fin du premier tour, il est troisième derrière les McLaren lorsque la pluie fait son apparition à dix boucles du but. Häkkinen et Coulthard rentrent aux stands pour changer de pneus, le laissant seul en tête. Et à la surprise générale, le Pauliste ne s'arrête pas, l'averse étant moins intense que prévue. A vingt-huit ans et après cent-vingt-quatre Grand Prix disputés, un record, Rubens Barrichello remporte enfin sa première victoire. Ses larmes de joie sur le podium font plaisir à voir, et nul doute qu'il a songé à ce moment-là à Senna, son maître disparu. De plus, il n'a alors plus dix points de retard sur Schumacher, alors fragile leader du championnat...
Mais il ne rêve pas longtemps: sa fin de saison est assez terne, et il se contente d'aider Schumacher à remporter le titre. Il signe pour cela encore deux podiums, et au soir du dernier Grand Prix en Malaisie, peut célébrer avec toute l'équipe la victoire finale aux championnats pilotes et constructeurs. Il finit lui-même quatrième du championnat, avec une victoire et soixante-deux points, son meilleur résultat en carrière. Mais il lui faut se rendre à l'évidence: il est que le lieutenant de Schumacher...
La saison 2001 marque le début de l'hégémonie de Ferrari sur la Formule 1. En effet, la Scuderia entame cette-année-là une période de quatre années de domination quasi-absolue, du fait du déclin de McLaren et des nombreuses failles du tandem Williams-BMW. Barrichello accumule un nombre impressionnant de podiums (dix en dix-sept courses), mais on ne peut pas dire que son année soit bonne.
Ainsi Schumacher le domine de plus en plus facilement. Il se trouve également pris dans incidents de courses, comme au Brésil, où il est percuté dès le premier virage par Ralf Schumacher et abandonne une nouvelle fois devant son public, ou au Canada, où il s'accroche bêtement avec Juan-Pablo Montoya. Mais surtout, Barrichello va connaître au Grand Prix d'Autriche une première mesure vexatoire de la part de la Scuderia. Deuxième à l'aube du dernier tour devant Schumacher, Todt lui donne l'ordre de céder sa place à l'Allemand dans le dernier virage. Une décision très contestable, certes justifiée par le fait que Schumacher est alors menacé au championnat par Coulthard, mais qui irrite profondément le Brésilien. Ce dernier ne se doute pas encore de ce qui l'attend l'année suivante sur ce circuit de Zeltweg.
En fin de saison, après le Grand Prix de Hongrie, Schumacher et Ferrari sont assurés des deux titres, et Todt lui permet alors de jouer sa propre carte afin de devenir vice-champion du monde. Mais il ne parvient pas à revenir sur Coulthard, alors second au général. Au Grand Prix des Etats-Unis, avant-dernière course, il lutte pour la victoire avec Häkkinen. Dans les derniers tours, il tente de revenir sur le Finlandais mais son V10 Ferrari le lâche finalement. Une panne rare chez Ferrari, qui l'oblige à se contenter de la troisième place au classement final. Un résultat très correct, mais obtenu avec moins de points qu'en 2000. Surtout, avec une F2001 ultra-dominatrice, Rubens n'a pas gagné une course, ni même signé une pole, ce qui fait grincer les critiques. Les points seuls de Schumacher auraient permis à Ferrari de remporter le titre constructeur...
Pour 2002, Barrichello n'a plus d'illusion sur le second rôle auquel le destinent Todt, Brawn et Schumacher. Au moins espère-il profiter de la domination exercée par Ferrari pour étoffer son palmarès, ce qu'il n'a pas su faire en 2001. En début de saison hélas, la malchance le frappe durement.
En Australie, il signe un belle pole, mais se fait percuter au départ par Ralf Schumacher, dont la Williams décolle au-dessus de sa Ferrari avant de créer un gigantesque carambolage. Rubens peut s'estimer toutefois heureux: une roue de la Williams a heurté son casque, heureusement sans gravité. En Malaisie, il aurait pu l'emporter sans une casse moteur. Au Brésil, il subit une nouvelle avanie de son équipe. Schumacher bénéficie en effet pour cette course de la nouvelle F2002 tandis que lui-même doit se contenter de la F2001. Cela ne l'empêche pas, grâce à une stratégie agressive à trois arrêts, de se retrouver en tête au bout de quelques tours, mais un problème hydraulique l'oblige à abandonner... Trois courses et zéro point au compteur, il peut croire à l'existence de son chat noir.
A Imola, il reçoit sa F2002 et assure le doublé derrière Michael. La supériorité écrasante de cette machine lui permet d'espérer retrouver les sommets. A Barcelone cependant, il ne prend même pas le départ, à cause d'un souci électrique... Il n'en faut pas plus aux détracteurs de Ferrari pour accuser la Scuderia de négliger sa seconde voiture. Puis vient le Grand Prix d'Autriche à Spielberg.
Avant cette épreuve, le président de Ferrari Luca di Montezemolo annonce le prolongement du contrat de Rubens jusqu'à fin 2004. La Scuderia n'a en effet aucune raison de se séparer d'un lieutenant dont la fidélité n'est plus à prouver... du moins le croit-on alors. Au cours de ce week-end autrichien, Barrichello est performant comme jamais. Il signe le meilleur temps de trois des quatre séances d'essais et décroche la pole. En course, rien ne peut l'arrêter et il mène sans problème jusqu'au dernier tour devant Schumacher. Cette démonstration prouve l'écrasante supériorité de la F2002. Schumacher, qui compte déjà vingt-et-un points d'avance sur Montoya, n'aura pas grand mal à être sacré.
Mais dans les dernières boucles, Rubens ralentit et voit l'Allemand fondre sur lui. Un affreux doute apparaît dans l'esprit des spectateurs: et si la Scuderia demandait un nouveau sacrifice à Barrichello ? Cela paraît inconcevable. Et pourtant, dans les derniers mètres Brawn lui ordonne de s'effacer. Mortifié, il s'exécute et laisse passer Schumacher sur la ligne d'arrivée ! La stupeur s'empare du public et des téléspectateurs. Par ce geste antisportif inouï, Todt et Brawn ruinent pour longtemps la réputation de Ferrari. En sortant de sa voiture, Schumacher tombe dans les bras de Barrichello, comme pour le consoler. Sur le podium, le ridicule continue: sous les sifflets du public, le quadruple champion du monde cède sa place sur la première marche à Rubens, qui y monte tout penaud tandis que l'on joue l'hymne allemand... Un geste probablement sincère, mais qui peut être aussi interprété comme un « foutage de gueule »...
La polémique dure des semaines. Pour les uns, Ferrari a pris une décision dure mais logique, en songeant tout d'abord à la « lutte » pour le titre pilotes. Mais la majorité des observateurs est outré, non seulement par l'acte en lui-même, mais par le culot monstre dont Todt a fait preuve en organisant ce tour de passe-passe inique sur la lignée d'arrivée. Barrichello reçoit à l'occasion une auréole de martyr, mais la mérite-il ? Le Brésilien, comme Arnoux au Grand Prix de France 1982, aurait pu refuser de se plier aux ordres et garder une victoire méritée. Ses relations avec son équipe en auraient été très détériorées, mais il aurait acquis le respect du monde sportif. Au lieu de cela, il a décidé d'obéir et ainsi ne peut être considéré au mieux que comme une victime consentante, au pire comme un complice...
La suite de la saison 2002 est hantée par le souvenir de Zeltweg. Schumacher rapidement assuré du sacre, Rubens peut profiter des miettes que lui laisse Ferrari pour décrocher sans se forcer le titre de vice-champion du monde. Cela ne va pas sans quelques polémiques. A Magny-Cours, comme à Barcelone, sa machine tombe en panne dès le tour de formation, une mésaventure qui n'arrivera jamais à son équipier. Mais dans l'ensemble, sa fin de saison est excellente. Au Nürburgring, il passe en un tour de la quatrième à la première place et remporte sa deuxième victoire devant Schumacher. Le titre étant acquis, Todt et Brawn n'avaient aucune raison de favoriser de nouveau Michael. Barrichello bat ainsi à quelques reprises son équipier.
En Hongrie, il signe la pole et la victoire devant l'Allemand. Il fait une nouvelle démonstration à Monza qui lui permet de triompher devant les tifosi. Toutefois, Schumacher rétablit parfois la hiérarchie de manière cruelle, comme dans son « jardin » de Spa où il largue complétement son coéquipier durant tout le week-end. Ceci donne la cruelle impression que si Rubens gagne des courses, c'est uniquement parce que Michael le veut bien...
L'année se termine par une dernière péripétie, celle-ci burlesque. A Indianapolis, Schumacher domine la course devant le Pauliste, mais décide de triompher avec une belle « photo finish » sur le brickyard. Il ralentit ainsi dans les derniers mètres pour attendre Barrichello, mais les deux exécutent si mal leur parade qu'ils franchissent en même temps la ligne d'arrivée. Et ainsi, pour onze millièmes, Rubinho remporte une victoire imméritée. Juste réparation de Spielberg disent certains... Sur le podium, les deux hommes se congratulent, rigolards, épilogue ridicule d'une saison lénifiante pimentée seulement par les scandales ferraristes. A trente ans, Barrichello est sacré vice-champion du monde avec quatre succès, cinq deuxièmes places derrière Schumacher, et pile moitié moins de points que le nouveau quintuple champion du monde.
Pour Barrichello, 2003 marque ses dix ans en Formule 1 et sa quatrième saison avec Ferrari. Désormais, du fait de son statut d'écuyer du Kaiser Michael, sa notoriété dépasse le cadre de la F1. Lui qui rêvait de devenir le nouveau Senna se voit désormais affublé de méchants surnoms raillant sa soumission à la maison Ferrari. Pourquoi alors rester chez les Rouges ? Sans doute a-t-il cru comme tant d'autres que Schumacher prendrait sa retraite fin 2004, et qu'alors Ferrari le récompenserait de sa fidélité en le faisant pilote n°1.
Cette saison 2003 est épique car marquée par le renouveau de la concurrence contre la Scuderia Ferrari. Cette année marque en effet l'un des points culminants de la « guerre des pneus » entre Bridgestone, manufacturier de Ferrari, et le clan Michelin avec McLaren, Williams et Renault. La domination de Ferrari s'en trouve fragilisée et, dans ces conditions, Schumacher surnage bien plus facilement que Barrichello. La saison du Brésilien est en dents de scie, marquée par de nombreux incidents.
En Australie, il glisse sur la piste humide et tape le rail, il accroche Alonso au départ au Canada, fait un tête-à-queue dès le deuxième tour du Grand Prix de France, est pris dans le terrible carambolage du départ à Hockenheim. Surtout, au Grand Prix de Hongrie, alors que Ferrari est en difficulté, il voit sa roue arrière-gauche se détacher dans la ligne droite principale ! La F2003 finit sa course folle dans le mur, sans gravité pour Rubens, mais à nouveau on s'interroge sur le soin porté à la Ferrari n°2. En dehors de cela, il assure comme toujours un nombre conséquent de podiums et de points, mais jamais il ne parvient à signer un doublé derrière Schumacher.
Le Grand Prix du Brésil est comme chaque année un motif de déception. Sous le déluge d'Interlagos, Rubens signe la pole position. Son début de course, toujours sous une pluie battante, est difficile, mais au quarante-sixième tour il apparaît en tête. Dans les tribunes, le public est debout et s'attend à fêter la victoire de son héros local. Las, un tour plus tard, il s'arrête... en panne d'essence ! La déception est incroyable car jamais il n'a été aussi proche d'une victoire à domicile.
Son exploit, il le réalise finalement au Grand Prix de Grande-Bretagne. Parti là-aussi en pôle, il réalise un mauvais départ mais remonte peu à peu, jusqu'à reprendre la tête à Kimi Räikkönen suite un à fabuleux dépassement par l'extérieur dans le terrifiant virage de Bridge. Il gagne ainsi sa sixième course, qui n'efface pas une saison bien terne, même si en fin d'année il se débrouille plutôt mieux que Schumacher en qualifications. Lors des deux dernières courses, Rubens va pourtant sauver la mise à son équipier, fragile leader du championnat. La première fois involontairement, à Indianapolis, où il se fait heurter au deuxième tour par Montoya. Tandis qu'il met pied à terre, le Colombien est frappé d'une dure sanction qui lui fait perdre toute chance de titre.
Avant la dernière manche au Japon, Schumacher n'a besoin que d'un point pour être sacré devant Räikkönen. Mais l'Allemand ne se qualifie que quatorzième tandis que son équipier signe sa troisième pole de la saison. Schumacher loupe complètement son début de course et se retrouve hors des points. Rubens tient par conséquent pendant longtemps son sort ses mains puisque, en tête de la course devant Räikkönen, la moindre défaillance de sa part signifierait le sacre du Finlandais. En fin de course, Michael arrache en fin le point de la huitième place, ce qui permet à la Scuderia de respirer. Barrichello remporte une belle victoire qui offre les titres pilotes et constructeurs à son écurie.
Ainsi, malgré les revers et brimades, il a démontré en cette année 2003 périlleuse pour Ferrari que l'on peut compter sur lui pour sauver les meubles si Schumacher vient à faillir. Il reste que le bilan est décevant: quatrième seulement au général
En 2004, Ferrari va retrouver son hégémonie quelque peu perdue en 2003. Si la F2003 a déçu, la F2004 est une arme encore plus redoutable que l'invincible F2002. Le scénario en place depuis quatre ans maintenant va donc se répéter: à Schumacher de dominer le début de saison pour s'emparer rapidement du titre, à Rubens d'assurer les doublés avant de s'émanciper en fin d'année. Et ainsi, « Schumi » va remporter douze des treize premières courses, ce qui ne laisse pas beaucoup de chances à son équipier pour briller. Celui-ci déçoit car, comme en 2001, il est assez régulièrement ridiculisé par un Kaiser plus en forme que jamais.
Certes, il assure toujours d'implacables doublés (sept en treize manches), mais finit parfois très loin de son leader: en Malaisie, il n'est que quatrième après une excursion hors-piste, à Imola il est sixième à la régulière, avec une monoplace ultra-dominatrice entre les mains. En revanche, on ne peut pas l'accuser de manquer de fiabilité, puisqu'il faut attendre l'avant-dernière course au Japon pour le voir renoncer en course, sur un bête accrochage avec son ami Coulthard. Ce n'est qu'à la neuvième manche à Indianapolis que Rubinho se réveille en signant la pole, mais le lendemain, Schumacher le dépose lors d'un re-start et gagne à nouveau.
Il doit ensuite attendre le Grand Prix d'Italie à Monza pour retrouver la pole, réalisée à 260,395 km/h de moyenne, ce qui est un nouveau record de rapidité. En course, il est un temps relégué au neuvième rang à la suite d'une erreur dans le choix des pneus, mais il remonte comme un boulet de canon sur les leaders, avec Schumacher collé à ses basques, et gagne son deuxième Grand Prix d'Italie. Quinze jours plus tard, il récidive lors du premier Grand Prix de Chine, où il signe la pole et la victoire. Assuré du titre de vice-champion, Barrichello aurait aimé finir la saison sur un triomphe à Interlagos. A nouveau premier sur la grille de départ, il passe à côté de sa course et finit troisième. Un résultat décevant, mais qui est tout de même sa première arrivée lors de son Grand Prix national depuis... 1994 !
Vice-champion du monde pour la deuxième fois de sa carrière avec cent-quatorze points, Rubens, qui approche des 200 Grand Prix en carrière, resigne jusqu'en 2006 avec Ferrari. Le Grand Prix d'Autriche 2002 semble bien loin en cette fin 2004, et il semble qu'à trente-deux ans il se soit fait à l'idée d'être l'éternel porteur d'eau d'un Schumacher sacré pour la cinquième fois consécutive.
Cinq ans après l'arrivée de Rubinho chez les Rouges, rien ne semble pouvoir entraver l'hégémonie de la Scuderia et de Schumacher, sacrés cinq fois de suite. Et puis soudainement, en 2005, tout s'écroule, la faute en partie à Bridgestone qui s'est mal adapté à la nouvelle règle interdisant de changer de pneus en course. Cette saison est dominée par les écuries chaussées de Michelin tandis que les Ferrari sont condamnées à faire de la figuration.
Dans ces conditions difficiles, Barrichello ne peut faire mieux que quelques places d'honneur. Deuxième de la première course à Melbourne, il connaît ensuite une longue série noire, ses pneus finissant souvent les courses en lambeaux. A Saint-Marin, il fait les frais du manque de fiabilité de la F2005, ce qui est son premier abandon sur un problème technique depuis deux ans. De plus, ses relations avec Schumacher commencent à se dégrader sérieusement. Le ton entre les deux hommes, qui était jusqu'ici cordial sans plus, commence à monter après que Schumacher a dépassé « au chausse-pied » son équipier à la sortie du tunnel de Monaco, dans le dernier tour du Grand Prix, pour une misérable septième place.
L'Allemand surprend également le Brésilien à le dominer parfois franchement, comme au Nürburgring où il finit cinquième alors que Barrichello est troisième. Au Canada, Rubens réalise un bel exploit: parti vingtième, il termine troisième derrière son équipier.
Puis vient ce fameux Grand Prix des Etats-Unis à Indianapolis marqué par le forfait de toutes les écuries chaussées en Michelin, suite à la défaillance d'un pneu de Ralf Schumacher aux essais. Les Ferrari dominent naturellement cette parodie de Grand Prix devant leurs seuls adversaires, les faibles Jordan et Minardi. Seulement, la Scuderia loupe le premier arrêt de Michael, ce qui permet à Barrichello de prendre la tête au 27ème tour. Vingt boucles plus loin, le Pauliste s'arrête et, surprise, ressort au même niveau que l'Allemand qui au premier virage garde sa ligne comme si son équipier n'existait pas. Celui-ci doit couper dans l'herbe pour éviter un accrochage stupide, et termine bien sagement deuxième. C'est le dix-huitième et dernier doublé Schumacher-Barrichello, le dernier podium du Brésilien chez Ferrari. Un doublé ridicule du fait des circonstances, sifflé par le public américain furieux du camouflet infligé par Michelin.
La fin de la saison est un calvaire, avec seulement trois entrées dans les points en dix courses. Barrichello a de toute façon la tête ailleurs et envisage de quitter Ferrari. Jean Todt ne le retient pas, son baquet étant déjà promis à un autre Brésilien, le jeune Felipe Massa, dont le manager est un certain Nicolas Todt, fils de Jean. Il prend langue avec l'écurie BAR-Honda, en passe d'être complètement rachetée par le constructeur japonais, et annonce son transfert en août 2005. C'est sur une piteuse huitième place au général que se termine la collaboration, pourtant très fructueuse, de l'enfant de São Paulo avec Ferrari.
Avec Honda
Début 2006, lorsque Barrichello débarque chez Honda, c'est une toute nouvelle aventure qui commence. A trente-quatre ans et avec deux-cent-quinze Grands Prix dans les jambes, il est désormais un vétéran de la discipline. Ses ambitions sont grandes: il veut décrocher le titre avec Honda. Il est vrai qu'enfin, pour la première fois depuis six ans, il va pouvoir courir pour lui-même et non pour un coéquipier tout-puissant. L'écurie dirigée par Nick Fry et son ami l'ancien pilote Gil de Ferran semble sur une voie ascendante, même s'il doit se méfier de son équipier, le très rapide Jenson Button.
Sa saison va hélas être médiocre. La Honda RA106 n'est pas une mauvaise voiture, mais elle est inconstante et manque de fiabilité. Mais il y a pire pour Barrichello, qui cette année-là est complétement dominé par Button. Le Pauliste semble éteint après ses six années chez Ferrari, si bien que certains commencent déjà à gloser sur son âge... Le début de saison est particulièrement catastrophique pour lui puisqu'il n'inscrit que deux points lors des quatre premières courses tandis que Button lutte pour la victoire. Après un début d'été marqué par trois casses moteur, il assiste à la victoire de son coéquipier en Hongrie sous la pluie. Il finit quatrième de cette course qu'il aurait pu remporter avec une meilleure stratégie.
La fin de saison est certes plus satisfaisante: il marque des points quasiment à chaque course. Lors de la dernière manche à Interlagos, Felipe Massa devient le premier Brésilien a triompher devant son public depuis Senna en 1993. Un honneur promis maintes fois à Barrichello, qui conclut dans l'indifférence cette saison à la septième place, avec presque deux fois moins de points que son équipier. Pour la première fois depuis huit ans, il n'est pas monté une seule fois sur le podium. Chouchou du public brésilien depuis près de dix ans, Rubinho est désormais supplanté dans leur cœur par Massa.
Les objectifs de Honda sont élevés pour la saison 2007: le duo Button-Barrichello doit ramener des victoires. Rubens, dont la carrière est sur la pente descendante, a surtout besoin de reprendre l'avantage sur son équipier. Beaucoup de journalistes estiment qu'en cas d'échec le Brésilien, qui entame sa quinzième saison en F1, serait bon pour la retraite. Hélas, si Honda a beaucoup soigné sa nouvelle livrée « écologiste », la RA107 est une véritable brouette. Très lente, peu fiable, la monoplace anglo-japonaise fait dégringoler ses pilotes en fond de grille, derrière les monoplaces de l'écurie B Super Aguri ! Dans ces conditions, même avec sa grande expérience, Rubens ne peut rien tirer de cette machine.
Il va passer toute son année dans le fond du peloton sans jamais pouvoir en sortir, au contraire de Button qui parvient à grappiller quelques points. Pour égayer un peu cette saison, il teste des versions de son casque ne laissant apparaître les couleurs qu'à haute température... Après le Grand Prix du Japon, il est menacé de recevoir une pénalité pour avoir doublé sous drapeaux jaunes. En réponse il supplie les commissaires de l'exclure jusqu'à la fin de la saison pour abréger son calvaire ! Une plaisanterie qui montre bien le discrédit dans lequel est tombé Honda. Après une dernière couse au Brésil qui se solde par une casse moteur, le bilan est tragique: pour la première fois de sa carrière Rubens finit la saison sans avoir inscrit de point. Il n'a pas pu faire mieux que neuvième à Silverstone. Dans ces conditions, et malgré des circonstances atténuantes assez importantes, son avenir en F1 semble inexistant.
Lors de l'hiver, il est un temps question chez Honda de le « rétrograder » chez Super Aguri. Une humiliation qu'il évite finalement: il est confirmé pour 2008, l'année de la dernière chance.
Pour 2008, les buts de Honda, Button et Barrichello sont simples: il s'agit de faire mieux qu'en 2007, ce qui s'annonce peu difficile. L'écurie japonaise possède un nouvel atout en la personne de son nouveau dirigeant, une vieille connaissance de Rubens: Ross Brawn, l'ancien directeur technique de Benetton et Ferrari. Même s'il peut lui tenir rigueur du Grand Prix d'Autriche 2002, l'arrivée de l'ingénieur britannique est une bonne chose pour lui. Brawn connait en effet son immense expérience et pense qu'il ne peut être qu'un atout pour une équipe en pleine reconstruction.
Hélas, Brawn est arrivé trop tard pour élaborer la RA108, qui se révèle, dès les premiers essais, aussi désastreuse que sa devancière. Côté performances, 2008 va donc être le triste prolongement de 2007, à ceci près que cette fois, Barrichello s'en tire mieux que Button. En effet, lorsque les conditions sont difficiles le Pauliste parvient à tirer son épingle du jeu. Sous la pluie monégasque, il termine sixième et inscrit ses premiers points depuis un an et demi. Surtout, sous le déluge britannique de Silverstone, il signe une performance qui n'est pas sans rappeler ce fameux Grand Prix à Donington qui l'a révélé. Qualifié seulement seizième, il opère une superbe remontée grâce à une audacieuse stratégie de Brawn, et amène sa Honda à la troisième place, une performance assez exceptionnelle vu le très faible niveau de cette machine.
Malheureusement, la fin de saison voit un retour à la normalité, c'est-à-dire aux courses anonymes en queue de peloton. Un événement important toutefois: au Grand Prix du Canada, Rubens fête son deux-cent-cinquante-septième Grand Prix en carrière, battant ainsi le record de Riccardo Patrese. Cette performance du vétéran du paddock est saluée par ses pairs, mais dans la coulisse, beaucoup pensent qu'on ne le reverra pas l'année suivante.
Et effectivement, à l'issue d'un triste dernier Grand Prix au Brésil terminé à une piteuse quinzième place, et malgré un score final honorable vu les circonstances (treize points inscrits), les journalistes sont persuadés d'avoir assisté à la dernière course de Barrichello. Ironie de l'histoire, Honda songe à faire appel pour le remplacer à Bruno Senna, le neveu du grand Ayrton, son idole !
Rubens ressent en cette fin de saison 2008 l'ambiance d'une fin d'époque... Felipe Massa, qui a failli devenir champion du monde, est la nouvelle idole du public brésilien qui a oublié son Rubinho. Lui qui a débuté contre Prost, Senna, Mansell, Patrese, se bat désormais contre des Vettel ou des Rosberg qui n'étaient que des bambins lorsqu'il a commencé sa carrière. Schumacher et Häkkinen sont à la retraite, Coulthard va les rejoindre. Jacques Villeneuve erre à la recherche d'un nouveau volant qu'il n'obtiendra jamais. Fisichella et Trulli sont finis. Toute sa génération est en passe d'être mise au placard, pourquoi s'entêter à poursuivre une carrière dont l'agonie semble bien longue ? Et pourtant Barrichello, éternel optimiste, croit encore en ses chances, est persuadé d'être au départ en 2009 et de pouvoir à nouveau réaliser de grandes performances. Les observateurs haussent les épaules. Et pourtant...
Avec Brawn
Le 5 décembre 2008, Honda annonce son retrait total de la Formule 1 du fait de la crise économique. Cette nouvelle désole évidemment Rubinho, mais aussi et surtout Ross Brawn. L'ingénieur britannique a en effet très vite abandonné la catastrophique RA108 pour se pencher sur la monoplace de la saison 2009. Profitant des changements de la réglementation, il a créé un véritable bijou, mais qui se retrouve sans écurie pour l'exploiter. Du coup, après bien des tergiversations, il rachète lui-même en mars 2009 l'ex-équipe Honda rebaptisée Brawn Grand Prix. La superbe BGP 001 pourra courir, propulsée par un V8 Mercedes. A son volant, Brawn a décidé de faire confiance à Button et à Barrichello. Depuis leurs années de collaborations chez Ferrari, il sait qu'il peut compter sur la pointe de vitesse du Pauliste. Celui-ci entame sa dix-septième saison de F1.
La Brawn se révèle immédiatement comme la meilleure monoplace de cette année 2009, ce qui permet à Rubens de passer du statut de ringard quasi-retraité à celui de prétendant au titre mondial. Lors du premier Grand Prix en Australie, Button et Barrichello sont premier et deuxième sur la grille. C'est dans cet ordre qu'ils franchissent la ligne d'arrivée le lendemain, au grand étonnement du paddock. Mais hélas pour Rubens, s'il redevient un pilote de premier plan, c'est bien Button qui va le mieux exploiter sa formidable machine. Le Britannique remporte ainsi six des sept premières courses tandis qu'il se contente des miettes comme à l'époque de Ferrari.
Au Grand Prix d'Espagne apparaît un premier couac. A Barcelone, le Brésilien réalise un superbe départ et mène tranquillement le début de course devant Button. Mais le Britannique ne va ravitailler que deux fois contre trois à son équipier, et gagne ainsi l'épreuve grâce à cette curieuse stratégie. Les souvenirs du Grand Prix d'Autriche 2002, des consignes de Brawn, reviennent à la mémoire de Barrichello. Furieux, il fait clairement comprendre à son équipe qu'il n'acceptera plus d'obéir aux consignes. Et effectivement, les deux pilotes vont être également traités par la suite. Mais ceci n'efface pas la réelle domination de Button. Après cet incident espagnol, Jenson est intouchable à Monaco et signe un nouveau doublé devant Rubens. Après sept courses et un abandon en Turquie, celui-ci compte vingt-six points de retard sur son rival.
L'été va marquer la fin de la domination des Brawn-Mercedes, au profit des Red Bull-Renault de Vettel et Webber. Désormais la Brawn ne va plus pouvoir viser que les places d'honneur. Dans cet exercice, c'est Barrichello qui va s'illustrer et désormais dominer son équipier. Troisième en Grande-Bretagne derrière les intouchables Red Bull, il lutte pour la victoire contre Webber en Allemagne avant qu'une mauvaise stratégie (encore) le fasse dégringoler au sixième rang. Puis vient le Grand Prix de Hongrie, où lors des essais un ressort se détache de sa Brawn pour aller se ficher dans le casque de Felipe Massa. Ce dernier est grièvement blessé et Rubens lui témoignera son amitié en portant un casque dessiné en son honneur jusqu'à son retour.
Le 23 août, au Grand Prix d'Europe couru à Valence, il lutte pour la tête de la course contre Lewis Hamilton. Il passe le Britannique dans les stands et remporte sa dixième victoire en carrière, la première depuis cinq ans ! Après un mauvais Grand Prix de Belgique, il triomphe pour la troisième fois à Monza devant son équipier, signant ainsi la dernière victoire d'une Brawn. Après ces deux succès, à quatre courses du but, le Brésilien ne compte plus que quatorze points de retard sur Button. A trente-sept ans, il peut sérieusement espérer obtenir son premier titre de champion du monde.
Mais hélas, les Red Bull vont écraser la fin du championnat, ne lui laissant que peu de points pour revenir sur son équipier. Button et Barrichello vont se neutraliser lors des deux Grand Prix suivants: à Singapour Jenson est cinquième, Rubinho sixième, à Suzuka l'Anglais est huitième, le Pauliste septième. Match nul donc, et toujours quatorze points d'écart tandis que Vettel remonte dangereusement. Tout se joue au Grand Prix du Brésil. Barrichello doit absolument y marquer de très gros points pour garder une chance d'être sacré. A l'occasion, les tribunes d'Interlagos se remplissent à nouveau de ses inconditionnels, comme aux plus belles heures des années 90 ou de l'ère Ferrari.
Et il frappe un grand coup dès le samedi en signant sous la pluie la pole position, sa première depuis 2004, tandis que Button et Vettel sont quatorzième et quinzième sur la grille. La situation apparaît idéale. Mais lors de la course rien ne fonctionne comme prévu: Webber le passe après le premier arrêt et surtout, il est victime d'une crevaison en fin de course. Il ne finit que huitième tandis que Button franchit la ligne d'arrivée cinquième et champion du monde. Le rêve est passé... Rubens n'a même pas la consolation d'être pour la troisième fois vice-champion du monde, titre que Vettel lui chipe par une victoire lors de la dernière manche disputée sur l'ultra moderne circuit d'Abou Dhabi.
Au soir de la saison 2009, les sentiments de Rubens Barrichello sont mitigés. D'un côté, il a fini troisième du championnat avec soixante-dix-sept points et deux victoires, une superbe performance alors que tout le monde le voyait en retraite un an avant. Mais de l'autre, il a eu une occasion unique, la dernière, de devenir champion du monde, et l'a laissée passer. Il peut toutefois sourire: son crédit a bien augmenté grâce à cette belle saison, et il est désormais perçu par les directeurs d'équipe comme un vétéran très solide et expérimenté. Comme il n'entre pas dans les plans de Mercedes, qui rachète Brawn Grand Prix, il va voir ailleurs et trouve sans peine un volant chez Williams.
Avec Williams
Quand Rubens débarque à Grove début 2010, l'écurie de Franck Williams est bien loin de celle de ses débuts en 1993. A l'époque, les Williams-Renault étaient les monoplaces de référence. Dix-sept ans plus tard, Williams n'est plus qu'une petite équipe de milieu de grille aux finances modestes. Heureusement le personnel est toujours aussi sérieux et compétent qu'autrefois, ce qui permet au team britannique de conserver un niveau correct. Barrichello arrive afin d'y apporter un nouveau souffle. Son équipier est le champion de GP2 en titre, l'Allemand Nico Hülkenberg, de quinze ans son cadet. Lorsqu'il prend le départ du premier Grand Prix à Bahreïn, un sentiment de déjà-vu doit l'habiter. A ses côtés sur la grille, il retrouve en effet des Lotus, disparues depuis 1994, un Senna en la personne de Bruno, le neveu d'Ayrton, et enfin son vieil ennemi Michael Schumacher, de retour chez Mercedes après un retrait de trois ans. Les années 90 sont de retour !
Le début de la saison est difficile pour les Williams-Cosworth. Rubens, qui prend facilement l'avantage sur son équipier, ne peut ramener que quelques petits points lorsque sa machine le permet. A Monaco, il tient une bonne cinquième place avant de taper le rail. A mi-saison, les améliorations apportées sur la FW32 portent leurs fruits. Il finit quatrième à Valence puis cinquième à Silverstone. Puis vient le Grand Prix de Hongrie. Dans les derniers tous de cette course, il menace la dixième place de Schumacher et donc le dernier point en jeu. A la fin du soixante-quatrième tour, à l'abord de la ligne de départ, il se colle derrière l'Allemand pour prendre l'aspiration, puis le déborde dans la ligne droite par l'intérieur, le dépasse, mais Schumacher ne l'entend pas ainsi. Il tasse dangereusement Rubens contre le mur. Le pilote Williams refuse de céder, frôle pour quelques centimètres le muret, met une roue dans l'herbe et passe finalement. Mais il est furieux de la manœuvre du septuple champion du monde. Les deux hommes sont passés à un souffle d'un terrible accrochage ! A la fin de la course, Barrichello traite Schumacher de « fou » tandis que l'Allemand fait comme si de rien n'était, avant de s'excuser piteusement. Un nouvel épisode peu glorieux impliquant ces deux hommes.
Le week-end suivant en Belgique voit deux évènements marquants pour Rubens. Tout d'abord il célèbre son trois-centième Grand Prix en carrière, un chiffre incroyable qu'il n'atteindra pourtant réellement qu'au Grand Prix de Singapour, à cause d'une erreur de calcul. Surtout il est élu à la tête du GPDA en lieu et place de Nick Heidfeld et devient ainsi le patron des pilotes. Pour l'assister il s'entoure de son ami Massa et de Vettel. Sa fin de saison est satisfaisante puisqu'il parvient à entrer régulièrement dans les points, bien que Hülkenberg se montre de plus en plus menaçant. Au Grand Prix du Brésil, c'est l'Allemand qui signe une étonnante pole position, Barrichello devant se contenter de la sixième place sur la grille.
Il finit la saison au dixième rang avec quarante-sept points, un bon résultat puisqu'il offre la sixième place au classement des constructeurs à Williams. Toutefois l'écurie britannique subit à la fin de l'année le départ de ses principaux sponsors et doit se tourner vers un pilote payant, en l'occurrence le Vénézuélien Pastor Maldonado. Hülkenberg cède donc sa place à ce pilote payant. Quant à Barrichello, par son expérience et sa solidité, il est devenu indispensable à Williams et conserve naturellement son volant.
Tony