L'ascension d'un surdoué

C'est le samedi 31 août 2024, second jour du Grand Prix d'Italie à Monza, que Mercedes officialise le recrutement d'Andrea Kimi Antonelli pour 2025. Une nouvelle qui n'en est pas une, puisque huit jours tôt à Zandvoort Toto Wolff avait déjà révélé avoir choisir le jeune Italien. Ce dernier est donc jeté dans le grand bain de la F1 à seulement 18 ans, au plus haut niveau, dans un « top team », à l'issue d'une ascension-éclair de trois ans depuis le karting.


Retour en arrière, le 1er février 2024. Ce jour-là, Ferrari annonce à la surprise générale le recrutement de Lewis Hamilton pour la saison 2025. Le septuple champion du monde, bientôt quadragénaire, quittera donc Mercedes après douze saisons de collaboration ô combien fructueuse. Ce départ provoque un séisme dans le petit monde de la F1. Quelques mois plus tôt, Hamilton avait signé un nouveau contrat pour deux saisons avec l'Étoile, et tout le monde le voyait finir sa glorieuse carrière dans cette écurie. Toto Wolff est pris de court. Il n'imaginait pas que son pilote et ami le quitterait aussi brusquement. Mais, en bon manager, il ne manque pas de solutions. « Voilà le bon moment pour tenter quelque chose d'audacieux », lâche-t-il à la presse. Huis mois plus tard, lors du GP d'Italie, l'Autrichien affirme qu'il avait choisi de titulariser Andrea Kimi Antonelli « cinq minutes après l'annonce du départ d'Hamilton ». Les choses furent évidemment un peu plus complexes.


Tout d'abord, qui est ce jeune homme dont les bouclettes ne sont pas sans rappeler un certain Ayrton Senna ? Fils de Marco Antonelli, ancien pilote du GT et propriétaire du team AKM Motorsport, il est né à Bologne en 2006 et doit évidemment son deuxième prénom à Kimi Räikkönen. « Appelez-moi Andrea, Andrea Kimi ou Kimi, comme vous voulez. Mes amis m'appellent Kimi ! » sourit-il. Antonelli commence le karting dès l'age de 6 ans et progresse dans les différentes catégories avec l'aide son père et des Minardi père et fils, Giancarlo et Giovanni. En 2017, il croise lors d'une épreuve à Adria Gwen Lagrue, responsable du programme « junior » de Mercedes. Ce dernier est impressionné par l'application, la patience, la précision, en dehors comme derrière le volant, d'un jeune garçon très pondéré pour son âge. « Cela en faisait un candidat évident au plus haut niveau », témoigne le Français qui convainc alors Mercedes de le prendre sous son aile.


En 2019, à 13 ans, Antonelli passe en catégorie Junior, chez Kart Republic, une équipe dirigée par Dino Chiesa, très estimé dans le monde du karting. Il termine vice-champion dès sa première année, puis dispute le Mondial en Finlande, où il est victime d'un sérieux accident dont il sort avec une fracture ouverte tibia-péroné. Antonelli récupère cependant très vite et passe aussitôt dans la catégorie supérieure OK, où il se frotte aux adultes avec bonheur puisqu'il remporte deux titres consécutifs de champion d'Europe, en 2020 et 2021. À la fin de cette dernière saison, Mercedes décide de lui faire faire l'impasse sur le championnat du monde de karting, et l'envoie faire ses premières classes en monoplace. Antonelli dispute les dernières manches du championnat d'Italie de Formule 4 avec Prema, la meilleure équipe de la discipline. « C'était risqué, car on le jetait directement dans le grand bain sans préparation », se remémore Lagrue. Mais le Bolonais fait de nouveau la preuve de sa capacité d'adaptation en grimpant sur le podium au bout de trois meetings !


La saison suivante, en 2022, Antonelli écrase la concurrence. Après un premier week-end calamiteux à Imola, il remporte 13 des 20 manches du championnat d'Italie et décroche la couronne dès sa première saison complète en monoplace ! Il s'adjuge en même temps avec la même aisance le titre de champion d'Allemagne de F4. Dans le même temps, l'adolescent fait montre d'une telle passion qu'il se rend par ses propres moyens aux 24 heures du Mans pour encourager son équipe Prema qui faisait alors ses débuts dans la Sarthe. « Même si j'ai la chance de faire de la F1 un jour, pourquoi ne pas disputer aussi le Mans en même temps ? Regardez Alonso, il a gagné les deux ! » remarque-t-il avec pertinence. En fin de saison, il se distingue encore lors des FIA Motorsport Games, regroupant des pilotes de F4 sur le circuit Paul-Ricard. Victime d'une fracture du poignet lors des essais qualificatifs, il remporte pourtant à une main la course qualificative du lendemain...


Cet incident perturbe néanmoins sa préparation pour la saison 2023 de FRECA, la discipline intermédiaire entre la F4 et la F3. Pendant que ses collègues découvrent leur nouvelle monoplace, la Tatuus T-138, il se faire opérer du poignet et suit une rééducation. Ce qui ne l'empêche pas de remporter la série de présaison disputée au Moyen-Orient. Puis, toujours avec Prema, Antonelli domine la saison de FRECA et décroche le titre avec une belle avance sur son principal rival, le Norvégien Martinius Stenshorne. Il est le premier néophyte à triompher dans cette catégorie depuis Lando Norris en 2016. Alors, au lieu de grimper à l'étage supérieur, la Formule 3, l'Italien atterrit directement en Formule 2 pour 2024, sur les conseils express de Mercedes qui nourrit désormais pour lui les plus hautes ambitions. « On a fait le choix volontaire de le mettre directement en Formule 2, en accélérant le processus de formation, assure Gwen Lagrue. On préférait le confronter au défi de l'antichambre de la F1, plutôt que de le mettre dans des conditions optimales en F3, où la marche aurait été moins haute. Le mettre en difficulté cette année nous a permis de voir à quel point son leadership et sa maturité étaient déjà développés. »


Un pari sur l'avenir

On en est là début 2024, lorsque Toto Wolff cherche un successeur à Lewis Hamilton. Il explore d'abord les pistes menant à Fernando Alonso, Carlos Sainz, voire Lando Norris, avant d'envisager plus sérieusement d'attirer Max Verstappen, alors en froid avec Christian Horner et l'encadrement de l'équipe Red Bull. Les multiples clauses parsemant le contrat du Néerlandais autorisent cet espoir. Reste que l'affaire est complexe tant d'un point de vue financier (Verstappen réclamant évidemment un salaire astronomique) que sportif (les promesses de Mercedes concernant son nouveau moteur hybride 2026 seront-elles tenues ?). Voilà pourquoi le constructeur allemand cible en priorité la formation de son jeune espoir Kimi Antonelli. La décision de le promouvoir mûrit lentement au cours de la saison, comme l'explique Gwen Lagrue: « Au moment de l'annonce du départ d'Hamilton, il y avait encore pas mal d'inconnues autour de Kimi, de sa capacité à devenir pilote de F1 en 2025, car il n'avait pas encore commencé la F2, et son expérience en monoplace était faible. On a dressé une liste élargie de noms à ce moment-là. Elle s'est réduite progressivement. D'abord parce qu'on n'avait pas forcément envie d'aller plus loin avec tel ou tel pilote, puis parce qu'on s'est dit que Antonelli était notre meilleur choix sur du moyen-long terme. »


Au printemps, Mercedes accélère le programme de formation de son poulain en le conviant à des essais privés à Imola. Mais dans le même temps surgissent quelques doutes suite à ses débuts difficiles en F2. Certes, ce commencement laborieux n'est pas uniquement de son fait. L'écurie Prema peine à s'adapter au nouveau modèle de F2 et ne domine plus comme jadis. Mais Antonelli montre aussi quelques faiblesses, notamment dans la gestion des pneus. Ce qui ne l'empêche pas de mettre sous l'éteignoir son équipier Ollie Bearman, pourtant auteur d'un intérim tonitruant en F1 avec Ferrari à Djeddah. Reste qu'au début de l'été, Toto Wolff doute quelque peu. Ne vaudrait-il pas mieux offrir à Antonelli une saison de F2 supplémentaire, pour parfaire son talent ? Début juillet, à Silverstone, l'Italien a la bonne idée de remporter la course sprint, avant de triompher quinze jours plus tard lors de la manche principale en Hongrie. Les négociations avec Max Verstappen s'enlisant dans les sables, Wolff prend alors la décision de miser sur Antonelli pour 2025 et obtient l'aval du directoire de Mercedes-Benz. L'officialisation de son engagement a lieu le 31 août à Monza.


En misant sur Antonelli, Mercedes privilégie avant tout une stratégie à long terme, ce qui explique aussi pourquoi les hypothèses Sainz et Alonso furent vite balayées. « On savait depuis un moment que Hamilton allait partir un jour ou l'autre, donc cela fait un moment que nous préparons l'après, explique Gwen Lagrue. Nous avons été pris par surprise malgré tout, car son départ est intervenu un an plus tôt que prévu. Mais c'est un mal pour un bien. On est encore dans un cycle d'expérimentation, avec une alternance de week-ends où l'on gagne, et d'autres où nous sommes en retrait. On ne redomine pas en F1 pour le moment. Notre réflexion sur Kimi était la suivante: avec ce niveau de performance, nous ne prenons pas un énorme risque en mettant un néophyte dans la voiture en 2025 afin qu'il soit en mesure d'être excellent en 2026. En outre, nous avons un George Russell à son apogée, capable d'être un leader et de gagner des courses. Si l'on avait eu à se décider uniquement pour 2025, peut-être aurions-nous pu explorer d'autres scenarii. Nous pensions qu'Andrea sera bon tout de suite, mais le véritable objectif est de s'assurer que l'on soit capable de se battre pour le titre au cours des dix prochaines années. »


Quant aux doutes concernant son niveau ou sa maturité, ils sont balayés par ceux qui le côtoient au jour le jour en F2. René Rosin, directeur de Prema, se dit très impressionné par Antonelli. Guillaume Capietto, directeur technique, est aussi persuadé de son potentiel: « En termes de talent, de capacité d'adaptation aux conditions et à la voiture, il est très fort, sans doute de la trempe d'un Hamilton ou d'un Verstappen. Le plus bluffant chez lui est sa capacité à sortir un excellent chrono, quel que soit l'équilibre du bolide. En F2 aujourd'hui, il est moins aguerri que Leclerc ou Gasly à leur époque. Il a moins d'expérience dans des voitures puissantes, avec une forte dégradation des pneus. Il a une capacité de concentration encore perfectible. En début de saison, il perdait parfois un peu le fil lors de longs briefings techniques. Il doit encore gagner en maturité, ce qui est normal à son âge. Mais ce n'est qu'une question de temps. Mercedes le prépare très bien. Une deuxième saison de F2 l'aurait sans doute emmené au même niveau qu'un Leclerc de ce point de vue, j'en suis sûr. » Capietto salue aussi son excellent état d'esprit: « C'est un garçon agréable, qui n'a pas la grosse tête. Humainement, c'est quelqu'un de bien. »


Le tout jeune adulte (il fête ses 18 ans le 25 août 2024) aborde ce grand défi avec une grande humilité. D'abord, il refuse de se considérer comme le successeur de Sir Lewis Hamilton : « Il n'est pas possible de le remplacer. Il est une grande figure du sport auto, et je ne veux pas être considéré comme son remplaçant. Je suis simplement le prochain pilote Mercedes. » En outre, un mois plus tôt, Antonelli reconnaissait même ignorer s'il avait déjà le niveau pour la F1: « Je ne sais pas si je serais prêt, pour être honnête. J'apprends encore beaucoup de choses en F2, et il est certain que je fais encore pas mal d'erreurs. Je ne fais pas encore tout correctement. Fin août, à Monza, alors que Mercedes annonce son engagement, il fait bien sûr montre de plus d'assurance: «  Ces dernières semaines, j'ai effectué des essais avec d'anciennes F1 et j'ai constaté des progrès majeurs. Je me sens beaucoup mieux dans la voiture, et je suis meilleur sur les longs relais. Bien sûr, j'ai encore beaucoup à apprendre. » En effet: invité à grimper dans la W15 de George Russell pour les premiers essais du Grand Prix d'Italie, Antonelli finit dans le mur de la Parabolica au bout de quelques minutes ! Après avoir, il est vrai, effectué des chronos tout à fait satisfaisants...


Toto Wolff a donc privilégié le long terme en promouvant sans attendre Andrea Kimi Antonelli. Sans doute a-t-il encore en mémoire sa frilosité à l'égard de Max Verstappen, qu'il avait dédaigné voici dix ans... En tout avec, il se félicite d'aligner en 2025 avec Russell et Antonelli une paire de pilotes entièrement issue de la filière jeunesse de Mercedes. « Notre association de pilotes 2025 combine expérience, talent, jeunesse et vitesse brute », se félicite le manager autrichien. « Avec George et Kimi, notre nouvelle équipe est parfaite pour ouvrir le prochain chapitre de notre histoire. Il témoigne également de la force de notre programme junior et de notre confiance dans nos talents. » Toutefois, Wolff affirme dans le même temps qu'il n'a pas renoncé à l'idée d'engager Max Verstappen, peut-être même dès 2026, année de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation technique. Russell comme Antonelli doivent ainsi se méfier: le Batave pourrait fort bien débarquer un jour ou l'autre dans l'une des Flèches d'Argent...


Sources :

- Jérémy Satis, « Andrea Kimi Antonelli » et « L'étoile filante », Auto Hebdo n°2477, 4 septembre 2024

- nextgen-auto.com

Tony