Le jeudi 28 juillet, à la veille des premiers essais du Grand Prix de Hongrie, Sebastian Vettel publie sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle il annonce son retrait de la Formule 1 à l'issue de cette saison 2022. Le quadruple champion du monde ne surprend pas grand-monde, tant son esprit s'éloignait de la compétition ces derniers mois. En effet, il semblait avoir de plus en plus de mal à concilier ses convictions écologistes avec une activité professionnelle pour le moins polluante. Une foule de détracteurs taxaient d'hypocrisie le pilote allemand, si soucieux de réduire au minimum son « empreinte carbone » et celles de ses concitoyens, tout en multipliant les voyages en avion pour rejoindre chaque Grand Prix. Du reste, la Formule 1, malgré l'adoption des groupes propulseurs hybrides en 2014, n'est toujours pas assez « verte » pour cet adepte du « zéro CO2 ».

 

Toutefois, ces considérations politico-écologiques n'ont sans doute pas primé dans sa décision. A 35 ans, après seize saisons de F1 et près de 300 Grands Prix disputés, Sebastian Vettel a tout simplement fait le tour de la question. Déjà lors de son éviction par Ferrari en 2020, il avait songé à se retirer, avant de répondre favorablement aux avances de Lawrence Stroll qui entendait transformer la modeste officine de Silverstone (ex-Racing Point, ex-Force India, ex-Jordan) en nouveau « top team » sous la prestigieuse étiquette d'Aston Martin. Le milliardaire canadien possède les moyens de ses ambitions et a déjà dépensé des dizaines de millions d'euros pour construire une nouvelle usine et renforcer le staff technique. Mais après une saison 2021 fort médiocre, Vettel a eu la désagréable surprise de constater que son écurie avait raté la révolution technologique de 2022: l'AMR22 est une machine globalement ratée, dont le développement est presque interrompu au bénéfice de la monoplace de 2023. Bref, l'Allemand a compris qu'il lui faudrait patienter de longues années avant de peut-être retrouver les sommets et n'a plus la patience ni la motivation pour entreprendre une telle ascension. Dans ces conditions, raccrocher est sans doute la solution la plus raisonnable. Selon son père Norbert Vettel, c'est après s'être traîné en queue de peloton trois semaines plus tôt lors du GP d'Autriche que l'ancien champion aurait arrêté sa décision.

 

Toutefois, Sebastian Vettel avait bel et bien entamé des discussions au printemps avec Lawrence Stroll en vue d'une prolongation de contrat. Le propriétaire d'Aston Martin aurait même sorti le chéquier pour le retenir: un salaire annuel de 25 millions d'euros en 2023, soit le double de ce qu'il touchera en 2022. Vettel a-t-il bel et bien repoussé une offre aussi mirobolante ? Ou a-t-il été « doublé » par son vieux rival Fernando Alonso ? Celui-ci, se voyant à terme mis sur la touche par Alpine, a fait savoir au printemps à Stroll qu'il se considérait comme libre pour 2023, et ce dernier a peut-être considéré que l'Espagnol ferait un leader plus motivé et plus talentueux que Vettel, pourtant son cadet de six ans. En outre, selon certains bruits parus dans la presse, la prolongation de Vettel aurait coûté plus cher à Aston Martin que le recrutement d'Alonso qui réclamait certes 30 millions d'euros, mais versés sur deux ans (2023-2024)...

 

Au final, que restera-t-il de Sebastian Vettel ? Premier joyau découvert par Red Bull et le Dr. Helmut Marko, celui qui était surnommé à la fin des années 2000 « Baby Schumi » a connu une ascension météorique avec la firme au taureau rouge, battant tous les records de précocité: première victoire à 21 ans en 2008, plus jeune champion du monde à 23 ans en 2010. Suivit une fantastique série de quatre couronnes mondiales glanées entre 2010 et 2013 grâce aux fantastiques monoplaces conçues par Adrian Newey, à la cavalerie Renault et bien sûr à ce jeune champion sympathique, intelligent, fin metteur au point, dont l'habileté et la constance de métronome rappelaient ses glorieux aînés Jim Clark et Alain Prost.

 

Fin 2013, à seulement 26 ans, Vettel était déjà quadruple champion du monde et, avec 39 victoires et 45 poles positions, semblait en passe de battre très jeune et très tôt tous les records de la discipline. Ce privilège échut finalement à son principal adversaire Lewis Hamilton. Après avoir tout gagné chez Red Bull, Vettel chaussa en 2015 les bottines rouges de son idole Michael Schumacher dans l'espoir de conduire comme ce dernier la Scuderia Ferrari au pinacle de la Formule 1. Las, cette association longue de six ans fut marquée du signe de l'échec, avant de se muer en fiasco retentissant. Errements technologiques, révolutions de palais, fautes stratégiques, malchance, tout se ligua pour empêcher Vettel de décrocher au moins un cinquième titre mondial avec Ferrari. Il passa pourtant près de ce bonheur en 2017, puis surtout en 2018, mais ce fut lui qui pécha. En effet, pour une raison bien mystérieuse, le champion allemand, tout au long de sa carrière, et singulièrement chez Ferrari, n'a jamais pu combler une faille psychologique qui le faisait systématiquement commettre les pires erreurs au pire moment. On le vit ainsi en 2018, à Hockenheim, sous la pluie, se sortir tout seul alors qu'il menait la course et le championnat du monde...

 

Ses deux dernières saisons à Maranello, au cours desquelles il fut confronté, puis sacrifié au jeune et ambitieux Charles Leclerc, ne furent qu'une longue descente aux enfers. En 2020, Vettel reçut de Mattia Binotto une offre humiliante: un salaire considérablement réduit et un statut de porteur d'eau voué au service de Leclerc. Une humiliation sans précédent pour un multiple champion du monde. Du rouge, l'Allemand passa au vert, mais ces années 2021 - 2022 chez Aston Martin, dans l'anonymat du peloton, n'ont rien ajouté à sa gloire. Pire encore, il prit à peine la mesure de son médiocre coéquipier, le jeune Lance Stroll. Jamais, dans l'histoire de la F1, un pilote doté d'un tel palmarès (le troisième ou le quatrième de l'histoire de la discipline) n'était tombé si bas dans la hiérarchie. On peut même avancer, avec un peu de cynisme, que Lawrence Stroll a davantage acheté le nom de Sebastian Vettel, très porteur auprès des commanditaires, que l'ex-champion dont l'heure de gloire était manifestement passée depuis très longtemps.

 

Néanmoins, on gardera en mémoire ces quatre titres mondiaux remportés haut la main avec Red Bull et Renault, ainsi que le souvenir d'un garçon certes un peu indéchiffrable, pudique, psychologiquement fragile, mais aussi souriant, abordable, doté d'un solide sens de l'humour et d'une réelle élégance: n'a-t-il pas pris sous aile Mick Schumacher, le fils de son malheureux héros, l'entourant de prévenances et de conseils, au point d'avoir tenté, en vain, d'en faire son successeur chez Aston Martin ?

Tony