Le marché des transferts 1999 s'annonce des plus ouverts puisque beaucoup de pilotes arrivent en fin de contrat. Parmi eux, Eddie Irvine se place très tôt au centre du jeu. Depuis sa victoire inaugurale à Melbourne, le Nord-Irlandais estime avoir changé de dimension et ne souhaite plus être le simple lieutenant de Michael Schumacher chez Ferrari, autorisé à jouer sa propre partition seulement en cas de défaillance de celui-ci. A partir du printemps, il multiplie les provocations dans la presse, s'autoproclame l'égal de Schumacher et candidat au titre mondial pour cette saison 1999. Son manager et ami Enrico Zanarini l'incite à s'émanciper et prévient Jean Todt que son client n'acceptera de poursuivre avec Ferrari que si son statut est redéfini... et son salaire nettement augmenté. De telles prétentions sont inacceptables pour Todt et surtout pour Schumacher qui tient à rester un pilote n°1 incontestable et incontesté. Irvine croit pourtant avoir une chance à saisir lorsqu'il reçoit l'appui inattendu de Giovanni Agnelli, le patriarche de Fiat. Mais, en matière de choix des pilotes, Luca di Montezemolo et Jean Todt gardent la main. Maranello n'obéit pas forcément à Turin.
En parallèle, Rubens Barrichello réactive ses contacts avec Ferrari, lesquels sont fort lointains puisqu'ils remontent au moins à 1994. En 1995, le Brésilien fut longtemps pressenti pour devenir la saison suivante le coéquipier de Michael Schumacher chez les Rouges. Mais le contact était mal passé entre Jean Todt et l'agent Geraldo Rodrigues qui s'occupait alors de l'espoir brésilien. Ces derniers avaient eu la maladresse de placer les enchères beaucoup trop haut (7 millions de dollars annuels !), si bien que Todt s'était tourné vers Eddie Irvine, le coéquipier de Barrichello chez Jordan, beaucoup plus modeste dans ses exigences. Le Brésilien en a longtemps voulu à l'Irlandais de l'avoir ainsi « doublé »... Mais Barrichello n'a jamais perdu l'espoir de rejoindre un jour la Scuderia Ferrari qui le fascine d'autant plus qu'il possède par son père des origines italiennes.
Comme quatre ans plus tôt, les ambitions d'Eddie Irvine et de Rubens Barrichello vont s'entrecroiser. Car Ford, qui vient d'acquérir Stewart GP, désire recruter pour 2000 un pilote de premier plan qui sera la « locomotive » de l'écurie, bientôt rebaptisée Jaguar Racing. Et visiblement Barrichello ne correspond pas à cette définition. Jac Nasser, le nouveau président de Ford, charge Jackie Stewart et Martin Whitaker de dénicher la perle rare. Eddie Irvine est la cible prioritaire du duo. Les premiers contacts entre Stewart et l'Irlandais sont établis à Montréal. Mais d'autres pistes sont explorées. Fin juin, David Coulthard se rend à Milton Keynes pour un entretien avec Paul Stewart, son compatriote écossais et ancien camarade de Formule 3000. Il ne s'agit néanmoins que d'un simple échange de vues. Coulthard bénéficie chez McLaren-Mercedes de la meilleure voiture du peloton et sait qu'il prendrait un gros risque en ralliant un projet dont les contours sont encore un peu flous. Du reste, Ron Dennis surveille de près son pilote et lui a proposé un renouvellement de contrat.
Mais les dirigeants de Ford ne manquent pas d'ambitions. En particulier Wolfgang Reitzle, la cheville ouvrière de la transformation de Stewart GP en Jaguar Racing. Cet ancien ponte de BMW, devenu le stratège du Groupe Ford, trouve que les Stewart père et fils jouent « petits bras » en sondant Irvine et Coulthard. Lui vise carrément l'autre pilote McLaren, le champion du monde en titre Mika Häkkinen. Keke Rosberg, le manager du Finlandais, reçoit fin juin une offre mirobolante que certains évaluent à 50 millions de dollars sur trois ans. Toutefois, et à l'instar de Coulthard, Häkkinen n'envisage pas de quitter McLaren, sa seconde famille. Aussi, Ford revient très vite à la piste Irvine. Épaulé par Enrico Zanarini, celui-ci arrache un contrat pluriannuel agrémenté d'un mirifique salaire de 10 millions de dollars, soit beaucoup plus que ce lui offrait Ferrari ces dernières années. En 2000, Irvine jouira ainsi peu ou prou de la même rémunération que les champions du monde Jacques Villeneuve et Mika Häkkinen. Pas mal pour un pilote qui n'a, à cette date, remporté qu'un seul Grand Prix...
Pendant ce temps-là, Ferrari recherche le successeur du Nord-Irlandais. La carte Barrichello est la première sous la main de Jean Todt. Mais la presse - notamment française - s'emballe autour d'une alternative nommée Jean Alesi. En effet, l'Avignonnais se morfond chez Sauber et se prend à rêver d'un retour à ses vieilles amours italiennes. Ses liens d'amitié avec Jean Todt et Michael Schumacher rendent cette hypothèse plausible. Alesi rencontre Luca di Montezemolo début juin, sans se cacher de Peter Sauber. Mais il se nourrit d'illusions. A 35 ans, il ne peut absolument pas représenter l'avenir de Ferrari. A contrario, Rubens Barrichello se présente comme le pivot d'une vaste stratégie marketing à destination du Brésil et plus largement de l'Amérique du Sud. Cette idée est à la fois soulevée par Bernie Ecclestone, qui constate que l'intérêt pour la F1 décroit sur ce contient, et par Philip Morris (Marlboro), le principal sponsor de la Scuderia Ferrari et du pilote pauliste. Fiat y ajoute son grain de sel: Barrichello serait un atout formidable pour pénétrer le marché automobile brésilien.
Au seuil de l'été, Luca di Montezemolo et Jean Todt ont fait leur choix. Bernie Ecclestone se charge lui-même de faciliter les tractations entre Ferrari d'une part, Rubens Barrichello et son agent Frederico Della Noce d'autre part. Le Brésilien signe un contrat d'un an renouvelable pour un salaire estimé à 5,5 millions de dollars. En outre, il obtient un statut de pilote « numéro un bis », qui ne signifie pas grand-chose, si ce n'est qu'il ne sera pas forcément tenu de s'effacer inconditionnellement derrière Michael Schumacher en tout circonstance. Jean Todt, qui estime Barrichello humainement et sportivement, accède à cette faveur qui en réalité ne lui coûte pas grand-chose. Cette clause ménage l'amour-propre de sa recrue. Excellent pilote, Barrichello pourrait certes donner du fil à retordre à son futur coéquipier. Cependant l'exemple d'Eddie Irvine, astreint pendant quatre ans au rôle de faire-valoir, devrait le mettre en garde contre ce qui l'attend chez Ferrari. Mais, à 27 ans, après déjà sept saisons complètes de Formule 1, toujours en quête de sa première victoire, « Rubinho » ne peut pas laisser passer cette chance unique de conduire pour la firme automobile la plus prestigieuse du monde. Irvine et Barrichello s'apprêtent donc à échanger à leurs baquets.
La route de Maranello lui étant définitivement fermée, Jean Alesi se montre attentif aux avances de son ancien équipier mais toujours ami Alain Prost. Le patron de l'écurie française se prépare en effet à renouveler son tandem de pilotes pour 2000. Il est déjà certain de perdre Olivier Panis, atterré par les piètres performances de l'association Prost-Peugeot. Le Grenoblois sort d'une saison 1998 fort douloureuse. Pas tout à fait remis de son terrible accident, il pilotait selon ses propres termes avec un « frein à main mental » et n'a retrouvé ses véritables sensations qu'en 1999, une fois que les dernières broches ont été retirées de ses jambes. Hélas, le matériel ne suit pas, l'AP02 est presque aussi mauvaise que l'AP01, et Panis traîne son désarroi course après course. Ses rapports avec Alain Prost sont au plus bas. « Ils ne se comprennent plus », lâche un membre de l'écurie. Avec son nouveau manager Keke Rosberg, Panis lorgne dorénavant vers Arrows qui sera propulsée en 2000 par les blocs français Renault-Supertec. Quant à Alain Prost, il envisageait de réorganiser son équipe autour du jeune et brillant Jarno Trulli. Mais celui-ci est très courtisé, notamment par Eddie Jordan qui cherche un successeur à Damon Hill. Prost aimerait retenir l'Italien, mais qu'a-t-il à lui offrir ? Il ne peut pas invoquer le soutien de Peugeot, puisqu'il ignore si son partenaire motoriste est prêt à prolonger leur partenariat au-delà de 2000. C'est pourquoi Prost contacte son ami Jean Alesi, l'homme de tous les défis...
Sources:
- Sport Auto, août 1999
- Renaud de Laborderie, Le Livre d'Or de la Formule 1 1999, Solar, 1999
Tony