Le retour de Honda en tant que constructeur à part entière est un serpent de mer qui agite la Formule 1 depuis 1992, date du retrait de la firme japonaise, qui avait alors dominé la discipline pendant près de dix ans en tant que motoriste. Nobuhiko Kawamoto, P-DG de Honda, qui avait lui-même participé comme ingénieur à la première excursion de la marque en F1, dans les années 60, a initié plusieurs projets mort-nés. La marque japonaise conserve pourtant une semi-présence peu discrète en F1 avec le motoriste Mugen, dirigé par Hirotoshi Honda, fournisseur de Ligier, puis de Jordan. Si, officiellement, Mugen est une société privée, chacun sait qu'elle prépare et entretient des moteurs conçus par des ingénieurs de Honda. Mais l'objectif du président Kawamoto est bien un retour complet dans la discipline, avec une équipe 100 % Honda, châssis et moteur. Une cellule d'ingénieurs s'active à Wako dans cette perspective. Dès 1993 est bâtie une RC101 qui n'a jamais pu rouler en Grand Prix en raison des profonds bouleversements de la réglementation techniques entre 1993 et 1995. En 1996, une nouvelle tentative est esquissée via Dome, une écurie japonaise qui prévoit son entrée en F1 en 1997 avec des moteurs Mugen-Honda. Mais là encore, le projet capote.
Début 1997, le président Kawamoto envisage à nouveau de créer une équipe d'usine 100 % Honda. Cette idée germe d'autant mieux que Toyota, le grand rival national, prépare également son entrée officielle en F1 à l'horizon 2001-2002. Honda, qui représente victorieusement le Japon en F1 depuis trois décennies, ne peut être en reste. Reste à déterminer si cette nouvelle entité sera créée ex nihilo ou s'appuiera sur une structure préexistante. Ce choix reste en suspens durant plusieurs mois, mais le processus d'investissement est enclenché. Les ingénieurs de la cellule de veille de Wako sont envoyés en Grande-Bretagne pour se perfectionner. « Notre retour en Formule 1 est destiné, en interne, à rééquilibrer un esprit de haute compétitivité chez tous nos techniciens, ceux des châssis comme ceux des moteurs », explique Kawamoto. « En externe, Honda doit se situer, globalement, au niveau des meilleurs constructeurs mondiaux. » Il convient cependant de ne pas brûler les étapes. D'abord, Honda doit perfectionner sa motorisation. D'où le partenariat exclusif signé entre Mugen, son « faux-nez », et Jordan Grand Prix pour 1998. La collaboration entre le team de Silverstone et les motoristes nippons doit permettre à Honda de disposer du meilleur V10 possible en prévision de son retour officiel. C'est aussi le sens des pourparlers engagés avec British American Racing, la nouvelle écurie fondée par Craig Pollock sur les décombres de Tyrrell. Début 1998, Honda espère fournir à BAR des V10 Mugen rebaptisés Acura - du nom de sa filiale de luxe. Hélas, Pollock préférera se tourner vers Supertec...
En mars 1998, Nobuhiko Kawamoto annonce la création de Honda Racing Developments, sorte de prélude à la future écurie Honda officielle. Sa direction est confiée à Satoru Nakajima, qui fut le pilote-phare du constructeur japonais dans les années 1980. Le célèbre ingénieur Harvey Postlethwaite, qui officie encore pour quelques mois chez Tyrrell, sera directeur technique tandis que la conception des châssis est dévolue à la firme italienne Dallara. Un grand cigarettier - on évoque Camel ou Imperial Tobacco - financerait l'entreprise. Les débuts en Grand Prix sont prévus dès 1999. Néanmoins, personne ne sait encore si Honda va se lancer seule ou reprendre une écurie préexistante. Au cours du printemps 1998, bruissent des rumeurs de rachat de Benetton, tandis qu'Eddie Jordan, le nouveau partenaire de Mugen, laisse entendre qu'il serait prêt à vendre son écurie à Honda. Mais l'Irlandais affiche de telles prétentions financières (le chiffre de 100 millions de dollars est avancé) qu'il décourage ses interlocuteurs.
En juillet, Nobuhiko Kawamoto prend sa retraite et cède la présidence de la Honda Motor Company à Hiroyuki Yoshino. Ce nouvel administrateur est acquis au principe d'un retour à la F1 mais, moins passionné que son prédécesseur, n'entend pas se lancer dans des dépenses somptuaires. Aussi, un mois plus tard, il réunit Satoru Nakajima, Harvey Postlethwaite et Gian Paolo Dallara à l'usine Honda de Cricklade en Angleterre, pour faire le point sur le projet « Honda-Honda ». Tous conviennent que rien n'est prêt: ni le financement, ni l'organisation, ni l'infrastructure, encore moins la monoplace. En ce qui concerne la motorisation, Hirotoshi Honda, très soucieux de l'autonomie de Mugen, rechigne à l'idée de se faire « avaler » par la maison-mère. En conséquence, le président Yoshino décide sagement de reporter à l'an 2000 l'entrée en F1. Bernie Ecclestone, qui avait pourtant inscrit Honda sur les tablettes de la FOCA pour 1999, se montre par bonheur accommodant. Le constructeur japonais ne paiera pas d'amende pour ce forfait.
Au cours de l'automne 1998, Eddie Jordan esquisse une dernière manœuvre via Johnny Pute, son homme de confiance, mandaté au Japon. Il propose désormais à Honda un partenariat technique exclusif, sur le modèle des alliances Williams-Honda (1983-1987) et McLaren-Honda (1988-1992) de jadis. Jordan met pour cela en avant son futur duo de pilotes composé du champion du monde Damon Hill et de l'excellent Heinz-Harald Frentzen, et titille la fibre nationaliste nippone en promettant une synergie avec Bridgestone, ce en quoi il s'avance beaucoup. Wako répond par une offre plus ambitieuse: acquérir 60 % de Jordan Grand Prix en échange de 60 millions de dollars. Eddie Jordan, qui décidément ne souhaite plus se séparer de son équipe, refuse.
Le 29 septembre 1998, au Salon de l'Automobile de Paris, Hiroyuki Yoshino retrouve son directeur général Takeo Fukui, le président de Honda Europe Minoru Harada, et le Suisse Claude Sage, vieux partenaire de la marque. Ils entérinent le lancement d'une équipe 100 % Honda, fondée ex nihilo. Ex nihilo, ou presque, car Harvey Postlethwaite va apporter avec lui pas moins de 60 employés de feue Tyrrell Racing, non conservés par BAR. Parmi eux se trouvent le directeur financier George Koopman, le directeur sportif Steve Nielsen et l'ingénieur Rupert Manwaring. Postlethwaite et Dallara lancent ensuite la conception de la Honda RA099, un prototype destiné à rouler en essais privés durant toute l'année 1999, avant un lancement « dans le grand bain » en l'an 2000. Jos Verstappen, sans volant pour la saison 1999, sera le pilote de développement. Le projet paraît lancé sur des rails solides. En apparence seulement...
Sources:
- Renaud de Laborderie, Le Livre d'Or de la Formule 1 1998, Paris, Solar, 1998
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Honda_RA099
Tony