En ce printemps 1996, le projet de refondation de l'équipe Ligier, baptisé « Écurie France » et encouragé par le gouvernement français, piétine devant le manque d'enthousiasme des grandes entreprises nationales impliquées dans le sport automobile, Renault et PSA en tête. Il est vrai qu'un contexte économique plus que morose pour l'industrie automobile n'encourage pas des investissements qu'il faut bien qualifier d'hasardeux. C'est alors qu'intervient Alain Prost. Officiellement, le quadruple champion du monde retraité se consacre à son rôle de consultant et d'essayeur de luxe pour McLaren-Mercedes et ne réfléchit qu'à la façon d'améliorer la MP4/11 que pilotent Mika Häkkinen et David Coulthard. En réalité, il surveille de près l'avancement du « dossier Ligier » et accueille volontiers les sollicitations venant du plus haut de sommet de l'État. Sa vieille proximité avec le président de la république Jacques Chirac n'est un secret pour personne. « J'habitais encore à Saint-Chamond que, déjà, Jacques Chirac s'intéressait personnellement à moi », confie-t-il à son ami Jean Todt.

 

L'intérêt d'Alain Prost pour Ligier remonte à loin. Dès l'hiver 1991-1992, après son licenciement par Ferrari, il songea à racheter l'écurie de Magny-Cours avant de se heurter à l'opposition de Guy Ligier et de se lancer dans la conquête d'une dernière couronne mondiale avec Williams-Renault. En 1994, après la chute de Cyril de Rouvre, il se plaça un temps parmi les repreneurs potentiels, comptant sur un éventuel soutien de Renault... qui ne vint jamais. Mais le Forézien n'a jamais abandonné son rêve de devenir patron d'une véritable « équipe nationale de Formule 1 ». Début 1996, il sait que Flavio Briatore cherche manifestement à se débarrasser d'une écurie à la dérive, qui lui coûte bien plus qu'elle ne lui rapporte. Il sait aussi que le gouvernement français envisage une « renationalisation » de celle-ci, avec le concours financier de grands groupes tricolores. Le ministre des Sports Guy Drut mène ainsi des pourparlers avancés avec la chaîne de télévision de Canal Plus. Prost suit attentivement ces tractations, mais guette un signe de l'Élysée pour entrer dans la danse. Début mai, Jacques Chirac se décide à le mettre en relation avec Guy Drut. Les deux hommes déjeunent ensemble dans le célèbre restaurant parisien Chez Edgard et ont ensuite plusieurs entretiens rapprochés afin d'élaborer une stratégie commune.

 

Toutefois, Alain Prost ne veut pas se lancer à l'aveuglette dans pareille aventure. Il exige un soutien politique et médiatique complet et un budget solide, capable de mener à terme l' « Écurie France » au sommet de la Formule 1. Il faut donc convaincre les décideurs sportifs et économiques. La victoire-surprise d'Olivier Panis à Monaco, le 19 mai, sert ses desseins. La France se reprend de passion pour la Formule 1. Comme l'écrit le journaliste Renaud de Laborderie, « cet accès de fièvre valorise l'éventuelle arrivée d'Alain Prost à la tête d'une écurie à dominante tricolore. » Quelques grands noms de l'automobile français se réveillent. Certes, il n'est pas question de compter sur Renault qui s'apprête à officialiser son retrait de la F1. Mais la piste Peugeot reprend consistance lorsque Jacques Calvet, président de PSA, affirme être ouvert à un nouveau partenariat pour 1998. Le patron du groupe sochalien impose néanmoins de sévères conditions: être le seul motoriste français du plateau, miser sur de grands pilotes nationaux, recevoir le soutien d'un grand pétrolier français, bénéficier de pneus Michelin, et surtout constituer un budget consistant. Prost comprend alors qu'il devra convaincre beaucoup de monde pour satisfaire ces exigences. Un premier signal positif lui vient néanmoins de Clermont-Ferrand. Pierre Dupasquier, directeur de l'antenne compétition de Michelin, déclare que « l'arrivée de Bridgestone en Formule 1 met Michelin en état d'alerte, sur la ligne de départ de la F1. » En ce qui concerne le pétrolier, ce ne pourra être que Total, déjà partenaire de Peugeot, puisqu'Elf va également son retrait d'ici quelques jours.

 

En juin 1996, Alain Prost s'entend avec Guy Drut pour organiser le rachat complet de Ligier. Après quoi, Prost exige d'avoir les coudées franches, d'être seul maître à bord. Il veut assurer lui-même le recrutement d'ingénieurs de renom (il songe notamment à Bernard Dudot) et table sur un budget de 400 à 500 millions de francs, avec un engagement de ses partenaires financiers pour quatre ans. Il souhaite aussi s'entourer d'un cercle de fidèles, comprenant notamment son avocat Jean-Charles Roguet, capable de le soutenir dans les négociations extra-sportives et le montage juridique de « son » écurie. Le 1er juin, à l'occasion du GP d'Espagne à Barcelone, Alain Prost fait état de l'avancement de son projet à Guy Ligier. Le « vieux », qui sait pertinemment dans quelle détresse se trouve l'équipe qui porte son nom, saignée à blanc par les « plans de restructuration » de Tom Walkinshaw, ne peut que l'approuver. Après tout, il s'agit de la survie de l'œuvre de sa vie...

 

Sources:

- Renaud de Laborderie, Le Livre d'or de la Formule 1 1996, Solar, 1996.

- Sport Auto (Juin 1996).

Tony