Après Imola
Gerhard Berger, der alte Löwe aux affaires
Suite aux drames d'Imola, alors que brutalement ressurgit la question de la sécurité et que le fossé se creuse entre le pouvoir sportif et les pilotes, les regards se tournent, unanimes, vers Gerhard Berger. Ayrton Senna disparu, Alain Prost à la retraite, le grand Autrichien devient de facto, par son âge (34 ans), son expérience (150 Grands Prix) et son palmarès (huit victoires), le chef de file de ses collègues. On espère le voir prendre la tête d'un nouveau syndicat des pilotes capable de peser sur les débats politico-sportifs. Sa bonhomme et son charisme emportent l'adhésion de tous. « Je ne connais pas d'ennemis à Gerhard », souligne Jean Todt. Et pourtant, en ce début mai, Berger n'a jamais été aussi proche d'une retraite anticipée. Déjà, fin 1993, après ses terrifiants accidents de Monza et Estoril, l'idée de raccrocher l'avait effleuré. Ces jours-ci, il a perdu coup sur coup deux de ses meilleurs amis, Ayrton Senna et Roland Ratzenberger. Seul parmi ses pairs, il s'est rendu à leurs obsèques respectives, à 24 heures d'intervalle, en dépit du décalage horaire. Plus d'un sortirait brisé de telles épreuves.
Mais Berger puise au fond de ses ressources morales et physiques le courage de continuer. Tout d'abord parce qu'il a conscience de ses énormes responsabilités. Mais aussi pour lui-même, pour Ferrari, pour ses mécaniciens et ingénieurs. Pour Roland et pour Ayrton. Comme le souligne Renaud de Laborderie, « Berger a besoin de la Formule 1 et la réciproque est tout aussi vraie. » Le mercredi 11 mai, Berger tient une conférence de presse à Monte-Carlo, dans le salon Empire de l'hôtel Hermitage. Il balaie toutes les spéculations quant à son avenir: « Après une dizaine d'années de F1, je suis toujours un jeune pilote. La F1 est ma vie. Renoncer ? Pourquoi ? J'aime tellement la course que je ne peux pas renoncer au plaisir unique de piloter [...] J'ai vu Ayrton sur son lit de mort, mais je l'ai aussi vu au cours des trois saisons que nous avons passées ensemble chez McLaren. Se confronter aux autres et à lui-même au volant, c'est ce qu'il aimait le plus au monde. Il en est de même pour moi. »
Présentation de l'épreuve
Flavio Briatore enfile à Monte-Carlo une deuxième casquette: celle de propriétaire de Ligier. Son offre de rachat a finalement été retenue par les autorités politiques et judiciaires françaises. Le groupe Benetton emporte la mise pour 50 millions de francs, une bagatelle comparée aux 250 millions de F. annuellement garantis par les sponsors. Benetton prend 65% du capital, les 35% restants se répartissant entre Briatore et son acolyte Tom Walkinshaw. Briatore laisse à la tête de l'entreprise Bruno Michel, qui assurait déjà la direction depuis la mise en examen de Cyrille de Rouvre. Si l'usine demeure à Magny-Cours, le personnel sera réduit de 20%. L'avenir du staff technique emmené par Gérard Ducarouge s'inscrit en pointillé. Selon toute vraisemblance, la future Ligier sera conçue en Angleterre, dans l'énorme usine d'Enstone, sous la supervision de Frank Dernie. Enfin, si le prometteur Olivier Panis est assuré de conserver son volant grâce à Elf et Gitanes, Éric Bernard pourrait céder son baquet à Riccardo Patrese, auquel Briatore doit encore une année de contrat.
Michael Schumacher arrive à Monte-Carlo avec un capital de trente points sur trente possibles. Senna disparu, le jeune Allemand a semble-t-il la voie dégagée vers la couronne mondiale. Mais il n'y songe guère pour le moment. Il est en effet très ébranlé par la mort du Brésilien, au point d'avoir songé à tout laisser tomber. « Après Imola, je n'étais pas certain de pouvoir me réinstaller pleinement dans la peau d'un coureur automobile », confie-t-il à Sport Auto. « Et si je ne parvenais pas à retrouver la plénitude de mes moyens, j'étais décidé à mettre un terme à ma carrière de pilote. Mais, dès que je me suis installé dans ma monoplace pour des essais à Silverstone, une semaine avant Monaco, j'ai retrouvé tous mes automatismes. »
Williams-Renault n'engage ce week-end qu'une seule monoplace pour rendre hommage à Ayrton Senna. Damon Hill fait soudain l'objet de toute l'attention d'une équipe meurtrie et devient de ce fait son leader. Nombreux sont ceux qui estiment que cette tâche sera bien trop lourde pour lui. C'est notamment le cas de Frank Williams lui-même... Par ailleurs, tous les mécaniciens de l'écurie arborent un crêpe noir et le drapeau brésilien surmonte le stand. Néanmoins le deuil et la tristesse ont leurs limites: le baquet de la n°2 est si convoité que Frank Williams affirme avoir reçu des offres de services d'une bonne douzaine de pilotes ! Le patron de Didcot souhaite cependant remplacer le champion disparu par Riccardo Patrese, qui a déjà piloté pour lui de 1987 à 1992, mais l'Italien n'a pas envie de revenir en F1 dans ces conditions. Le poste devrait donc tout simplement revenir au jeune essayeur David Coulthard.
Simtek n'aligne également qu'une voiture, au sommet de laquelle David Brabham fait peindre un « For Roland ». Si Jean-Marc Gounon devrait remplacer Roland Ratzenberger à partir du GP de France, l'intérim pourrait être exercé à Barcelone et Montréal par l'Italien Andrea Montermini ou l'Allemand Marco Werner.
Jean Alesi fait son retour au volant de la Ferrari n°27 après sa convalescence. Il n'est toutefois pas en pleine possession de ses moyens car son dos le fait encore souffrir. D'autre part, le Français de Maranello entretenait les meilleurs rapports avec Senna et sa mort brutale l'a durement affecté.
En dépit des drames, les staffs techniques travaillent à plein temps et apportent sur le Rocher de nombreuses retouches aux différentes machines. Williams pourvoie ainsi les roues de sa FW16 d'accéléromètres chargés d'enregistrer les performances du châssis. Benetton comme Williams arborent depuis Imola des dérives latérales anti-vortex derrière les roues arrière, destinées à éviter les remous aérodynamiques autour du cockpit. La McLaren-Peugeot dispose pour la première fois d'une direction assistée. La sélection des vitesses est en outre facilitée par un nouveau bouton permettant de descendre deux rapports d'un coup. La Tyrrell 022 est développée par Jean-Claude Migeot qui rajoute de petites ailettes à l'arrière, devant les roues, ainsi qu'un nouvel extracteur. En outre, Blundell et Katayama utilisent dorénavant un changement automatique de rapports, via un bouton poussoir. Minardi retouche les freins et les suspensions de sa vieille M193, en attendant le nouveau modèle. Sauber renonce provisoirement à la distribution pneumatique proposée par Ilmor: son fabricant est en effet le fournisseur de Ferrari qui, on s'en souvient, a rencontré au Brésil de graves soucis avec le joint torique. Comme ceux-ci n'ont pas été élucidées, Peter Sauber privilégie la fiabilité. La Sauber-Mercedes est ici munie d'une carrosserie plus fine ainsi que d'une boîte refroidie par un échangeur thermique, et non plus un radiateur.
Dramatique accident pour Karl Wendlinger
Toujours chez Sauber, le discret et secret Karl Wendlinger aborde ce GP de Monaco avec une certaine anxiété. En effet, s'il a empoché quatre points lors des trois premiers Grands Prix, il a aussi été à chaque fois dominé en qualifications par son nouvel équipier Heinz-Harald Frentzen, son vieux compère du Mercedes Junior Team. Aussi doit-il redresser la barre. Jeudi matin, à 11h27, à quelques instants du terme de la première séance d'essais libres, Wendlinger tente d'établir un chrono de référence. Il sort du tunnel à 280 km/h, pied au plancher et arrive sur la chicane du port. Hélas, au moment où il presse la pédale de frein, sa Sauber-Mercedes se dérobe, tressaute sur une bosse et frotte le rail par l'avant-droit. Devenue incontrôlable, elle part en travers toutes roues bloquées et tape de son côté droit les glissières de sécurité. La tête du grand Karl, qui dépasse largement du cockpit, heurte les containers placés devant les glissières.
Les secours sont instantanément sur place, de même qu'Érik Comas, qui suivait de peu la Sauber. Dans un premier temps, Wendlinger, conscient, tente de s'extraire de son habitacle. Mais hélas, il perd rapidement ses esprits. Les médecins s'affairent autour du malheureux Autrichien. Médicalisé sur place, il est transporté par une ambulance vers l'hôpital Princesse-Grace de Monte Carlo. Dans le paddock, c'est la consternation. Le cauchemar continue...
Les premiers bulletins de santé ne laissent aucun doute sur la gravité de la situation. Certes, Karl Wendlinger ne souffre d'aucune fracture du crâne, d'aucune lésion au rachis cervical, d'aucun choc corporel. Mais un scanner détecte un très grave traumatisme crânien avec des œdèmes cérébraux. L'Autrichien est plongé dans le coma, sous assistance respiratoire. Dans l'après-midi, il est transféré à l'hôpital Saint-Roch de Nice et admis au service de réanimation. Sa fiancée Sophie l'accompagne, ainsi que Diego Tomasini, le responsable marketing de Mercedes, qui a l'avantage de parler français et peut ainsi échanger avec les médecins. A 16h45, le professeur Grimaud, responsable du service de réanimation, annonce que Karl Wendlinger est entre la vie et la mort. Il peut succomber à son traumatisme crânien dans les 48 heures. S'il franchit cette étape, tous les espoirs sont permis. L'angoisse est à son comble.
On ne saura pas ce qui a provoqué cet accident. André de Cortanze, le directeur technique de Sauber, révèle que la télémétrie n'a rien décelé d'anormal, excepté que Wendlinger a freiné treize mètres plus tard que les autres concurrents. Devant l'absence de données substantielles, de Cortanze interdit à Frentzen de reprendre la piste. Une fois connue la gravité de l'état de Wendlinger, Peter Sauber décide très dignement de retirer ses voitures pour le reste du week-end. Une décision saluée par Mercedes qui craint plus tout de voir son image écornée par une nouvelle catastrophe. Le Mans 1955 est encore dans les mémoires...
Mosley le révolutionnaire
L'accident de Wendlinger agit comme une réplique du séisme d'Imola. Cette fois, la coupe est pleine. La Formule 1 semble maudite. « Arrêtez tout ! » éructe le quotidien L'Équipe, le vendredi 13 mai. Les dirigeants sportifs sont mis au pied du mur. Max Mosley comprend enfin que les mesurettes annoncées après le GP de Saint-Marin sont insuffisantes. Aussi, vendredi après-midi, il tient une conférence de presse en compagnie de Bernie Ecclestone et Michel Boeri pour annoncer des réformes draconiennes. Celles-ci seront étalées dans le temps: les premières entreront en vigueur dès le GP d'Espagne, d'autres suivront au Canada, en Allemagne, puis enfin en 1995.
Mosley part du postulat que les voitures actuelles sont dangereuses et n'incrimine donc pas les circuits. Il met l'accent sur la réduction de l'appui aérodynamique. Il impose pour Barcelone la diminution de la taille des extracteurs et le relèvement des ailerons avant. Il avance à Hockenheim les dispositions qui devaient entrer en vigueur en 1995 (fond plat en escalier, réduction de la hauteur et de la largeur des ailerons etc.). Puis, la saison prochaine, les appuis devront baisser de 50 % ! Les aérodynamiciens s'étranglent... Le président de la FIA insiste aussi sur la sécurité de la tête des pilotes, manifestement insuffisante comme l'a mis en lumière l'accident de Wendlinger. Des protections latérales et des structures déformables devront être installées dès le GP du Canada. Mosley n'y va pas de main morte et préconise d'autres mesures, toujours pour Montréal: augmentation de 25 kg du poids minimum, suppression de la boîte à air du moteur, allongement de l'ouverture du cockpit etc. Pour 1995, il envisage aussi de couper les ailes des motoristes en imposant une limitation de puissance à 600 chevaux, et ce au moyen d'un débitmètre.
Ces annonces suscitent un tollé chez les constructeurs qui sont ainsi sommés de réviser complètement leurs bolides en quelques jours. « C'est impossible à réaliser ! » décrète Jean-Pierre Jabouille. Non seulement les équipes n'auront probablement pas le temps d'adapter leurs machines, mais en plus ces réformes n'ont fait l'objet d'aucune étude et d'aucune concertation. D'autre part, les team managers affirment que Mosley fait fausse route en s'en prenant à la puissance des bolides. Selon eux, les récents drames sont dus aux infrastructures défaillantes de certains circuits dotés de revêtements et de systèmes de sécurité inadéquats. Mosley ne veut rien entendre: « Dans la mesure où les constructeurs n'ont rien d'autre à proposer, nous imposons nos propres décisions. La FIA devait prendre ses responsabilités. J'espère que personne n'agira contre nous via une action juridique... Quand bien même, après tout ! Nous nous défendrons et iront au bout de notre raisonnement. »
Les directeurs d'équipes se réunissent pendant ce temps-là au Yacht Club pour formuler leurs propres propositions. Rien de concret n'émerge de leurs discussions, exceptée une limitation à 60 km/h de la vitesse dans les stands. Le souvenir de la roue perdue par Michele Alboreto à Imola fait frémir: quelles seraient les conséquences si cette mésaventure devait se reproduire sur le Rocher, où les stands exigus sont agglutinés les uns contre les autres ? Michel Boeri, président de l'ACM, sort de sa réserve pour demander la prohibition des ravitaillements en carburant, selon lui inutiles et dangereux. Il règle aussi ses comptes avec Bernie Ecclestone qui depuis plusieurs années verrouille l'accès à la pit-lane, au détriment du public. « Quand un sport perd sa notion de convivialité, il se dénature tout seul. A quand les chiens policiers ? » s'emporte Boeri. Mosley et Ecclestone l'entendent mais ne l'écoutent pas.
Lauda et Berger ressuscitent le GPDA
Toujours vendredi, les pilotes se réunissent au siège de l'Automobile Club de Monaco afin d'entériner la résurrection du GPDA. Outre les 25 engagés, on note la présence de Niki Lauda, Riccardo Patrese, Bruno Giacomelli, Derek Warwick, Philippe Alliot et Alessandro Zanardi. Pour l'heure, les participants cherchent moins à faire des propositions qu'à mettre en forme leur nouveau syndicat. « Nous ne sommes pas assez costauds pour nous défendre seuls, il faut à notre tête quelqu'un de l'extérieur », énonce Jean Alesi, qui songe à son ami Alain Prost. Michel Alboreto prend également la parole en faveur du quadruple champion du monde. Mais celui-ci est loin de faire l'unanimité, d'autant plus que son élection à la présidence du GPDA serait sans doute perçue comme une provocation par la FIA. Finalement, Niki Lauda réunit l'ensemble des suffrages. Appuyé par Gerhard Berger et en sous-main par Jean Todt, l'Autrichien jouit d'une incontestable légitimité de combattant en faveur de la sécurité des pilotes. Du reste, il avait déjà convenu avec Senna à Imola de remettre sur pied le GPDA. Il est flanqué de trois codirecteurs: son ami Berger, Michael Schumacher, leader du championnat du monde, et Christian Fittipaldi qui sera le porte-voix des « sans-grades ».
Au cours de la conférence de presse qui suit la réunion, Lauda demande que la FIA associe immédiatement le GPDA à ses réflexions autour des réformes réglementaires. Mosley s'empresse de lui donner satisfaction. Par ailleurs, les pilotes vont envoyer des délégués pour inspecter les circuits dont les infrastructures laissent à désirer. Martin Brundle est ainsi missionné pour enquêter sur le circuit Gilles-Villeneuve, à Montréal, qu'ils fouleront le mois prochain.
Essais et qualifications
Schumacher casse son moteur jeudi, ce qui ne l'empêche pas de s'emparer du meilleur chrono en seulement six tours. Le surlendemain, il domine les débats et réalise la première pole position de sa carrière en pulvérisant le record établi par Mansell en 1992 (1'18''560''' contre 1'19''945'''). En revanche, c'est la bérézina pour son collègue Lehto qui souffre encore de ses vertèbres et tape le rail jeudi. Il se classe 17ème... Les McLaren-Peugeot impressionnent sur le Rocher. Häkkinen se déchaîne et se hisse au deuxième rang, à neuf dixièmes de Schumacher. Brundle détenait cette seconde place jeudi soir, mais il est victime d'une touchette samedi, ainsi que d'une panne de son différentiel électronique. Il recule en huitième position. Les Ferrari (Berger 3ème, Alesi 5ème) se positionnent en outsiders malgré un déficit de motricité. Très ébranlé par les récents événements, Hill (4ème) est en outre aux prises avec une Williams très survireuse. Les Arrows-Ford (Fittipaldi 6ème, Morbidelli 7ème) se montrent une fois de plus très compétitives mais menacées par une boîte capricieuse.
Les vieilles Minardi-Ford (Martini 9ème, Alboreto 12ème) font bonne figure bien qu'elles utilisent encore une boîte manuelle, un vrai handicap sur ce tracé. Les Tyrrell-Yamaha (Blundell 10ème, Katayama 11ème) peuvent viser les points. Comas a hissé sa Larrousse au quatrième rang de la première séance libre et pouvait fonder de grands espoirs pour les qualifications. Las, une violente sortie à la Rascasse l'après-midi, puis une panne de boîte le samedi le relèguent au treizième rang. Beretta (18ème) se montre rapide pour sa course nationale. Chez Jordan, de Cesaris (14ème) précède Barrichello (15ème) qui a pris un terrible coup au moral avec la mort de Senna. Herbert (16ème) compense par l'attaque la complète absence de motricité de sa Lotus. Lamy (20ème) est moins flamboyant. Privées de développement, les Ligier-Renault (Panis 20ème, Bernard 21ème) sont doucement mais sûrement attirées vers les bas-fonds du peloton. Brabham et sa Simtek (22èmes) progressent et ne concèdent plus que quelques dixièmes aux Ligier. Enfin, les Pacific n'ont aucun grip et sont frappées par plusieurs ruptures du moteur Ilmor. Seul le faible nombre de participants permet à Gachot (23ème) et Belmondo (24ème) de prendre place sur la grille.
Le Grand Prix
La traditionnelle épreuve de Formule 3 est remportée par l'Italien Giancarlo Fisichella sur une Dallara-Opel de RC Motorsport. Il précède les Allemands Jörg Müller et Sascha Maassen. A noter qu'à la 14ème place on retrouve un certain Ralf Schumacher, le petit frère de Michael.
Sans surprise, Schumacher réalise le meilleur chrono du warm-up devant Häkkinen, Hill et Brundle. Dimanche après-midi, deux drapeaux brésilien et autrichien sont peints au niveau de la première ligne de la grille. Une demi-heure avant le départ, les pilotes se retrouvent à cet endroit pour respecter une minute de silence en mémoire de Roland Ratzenberger et Ayrton Senna. Christian Fittipaldi et Rubens Barrichello, particulièrement émus, tiennent les deux bouts d'une oriflamme flanqué du portrait de Senna et de ces mots « Adeus Ayrton ». Puis la course reprend ses droits, mais c'est d'un cœur lourd que les coureurs s'installent dans leurs habitacles. Ils songent également à Karl Wendlinger qui lutte toujours contre la mort à l'hôpital de Nice. Les derniers bulletins de santé, 72 heures après l'accident, soulignent que l'Autrichien demeure dans un état très grave mais stable.
Les ingénieurs se penchent sur les stratégies. La majorité des équipes table sur une course avec deux ravitaillements. Les premiers arrêts doivent avoir lieu autour du vingtième tour, les seconds autour du cinquantième.
Départ: Schumacher conserve l'avantage devant Häkkinen, Hill et les deux Ferrari. Alors qu'Häkkinen s'apprête à prendre la corde au premier virage, Hill l'harponne avec sa roue avant-droite. La McLaren se met à l'équerre, tape les glissières et atterrit dans l'échappatoire. Au même instant, Martini percute Morbidelli et tous deux finissent contre le rail interne.
1er tour: Häkkinen, Morbidelli et Martini sont « out ». Hill s'immobilise dans la descente vers Mirabeau, train avant ouvert. Schumacher s'échappe et précède Berger de près de quatre secondes. Suivent Alesi, Fittipaldi, Brundle, Blundell, Katayama, Alboreto, Comas et de Cesaris.
2e: Alesi est en difficulté puisqu'il concède déjà quatre secondes à son équipier. L'étonnant Fittipaldi est sur ses talons.
3e: Schumacher possède près de six secondes d'avance sur Berger.
4e: Schumacher tourne deux secondes au tour plus vite que Berger et se dirige vers une tranquille promenade.
6e: Schumacher boucle son tour en 1'22''235''' alors que Berger ne fait pas mieux qu'1'24''. Alesi emmène Fittipaldi et Brundle.
7e: De Cesaris prend la neuvième place à Comas.
8e: Schumacher devance Berger (13.6s.), Alesi (22.2s.), Fittipaldi (23s.), Brundle (24.3s.), Blundell (28s.), Katayama (38s.), Alboreto (39s.) et de Cesaris (42s.). Vient ensuite un train comprenant Comas, Herbert, Barrichello, Beretta, Lehto et Panis.
10e: Schumacher compte quatorze secondes de marge sur Berger.
11e: Le leader prend déjà un tour aux Pacific que Gachot et Belmondo ont bien du mérite à maintenir sur le circuit.
13e: Schumacher accroît encore de quelques dixièmes son ascendant sur Berger. Alesi surveille Fittipaldi dans ses rétroviseurs.
14e: Schumacher précède Berger (14.3s.), Alesi (26.8s.), Fittipaldi (28.5s.), Brundle (30.7s.) et Blundell (35s.).
15e: Alesi décramponne peu à peu Fittipaldi. Barrichello, Beretta et Lehto se battent pour la douzième position.
16e: Alboreto et de Cesaris ont doublé Katayama. Les deux vétérans italiens luttent dorénavant pour la septième place.
18e: Schumacher prend un tour à son équipier Lehto qui klaxonnait derrière Beretta.
20e: Schumacher est bloqué derrière Beretta qui croit avoir à faire à Lehto. L'Allemand dépasse difficilement le Monégasque à la sortie du tunnel. Barrichello s'écarte quant à lui sans histoire sur le boulevard Albert Ier. Brundle ouvre le bal des ravitaillement (8s.). Il ne perd qu'une place au profit de Blundell et ressort juste devant Alboreto.
21e: Schumacher mène devant Berger (13.7s.), Alesi (30.3s.), Fittipaldi (34.8s.), Blundell (45s.), Brundle (1m.), Alboreto (1m. 02s.), de Cesaris (1m. 09s.), Katayama (1m. 19s.) et Comas (-1t.).
23e: Schumacher effectue son premier pit-stop (11s.). Il reste premier puisque Berger ravitaille également à sa suite. L'Autrichien se retrouve derrière Fittipaldi.
25e: Schumacher devance Alesi (6.2s.), Fittipaldi (11.2s.), Berger (13.4s.), Blundell (20s.), Brundle (35s.), Alboreto (55s.), de Cesaris (57s.) et Katayama (1m. 10s.). Puis vient un peloton très compact comprenant Comas, Herbert, Barrichello, Beretta et Lehto.
27e: Berger se lance aux trousses de Fittipaldi. Arrêt aux stands de Lehto.
28e: Arrêts simultanés de Katayama et Barrichello. Tyrrell met vingt secondes à ravitailler le Japonais. Le Brésilien ne repart pas du tout: son moteur Hart reste muet suite à un problème électronique.
30e: Schumacher précède Alesi (10.7s.), Fittipaldi (15s.), Berger (15.7s.), Blundell (27s.) et Brundle (29s.).
32e: Berger est dans les échappements de Fittipaldi. Il se rapproche sous le tunnel grâce à la puissance de son V12, mais l'Arrows est mieux équilibrée que la Ferrari. Blundell observe un long ravitaillement (15s.) et reprend la piste derrière de Cesaris. Arrêt aussi pour Beretta.
33e: Alesi et Fittipaldi ravitaillent tous deux en dix secondes. Ils ressortent derrière Berger et Brundle. Celui-ci est donc le grand bénéficiaire de ces premiers arrêts.
35e: Schumacher conclut le meilleur tour de la journée (1'21''076'''). Il mène devant Berger (23.4s.), Brundle (39.5s.), Alesi (47.3s.), Fittipaldi (48.7s.) et de Cesaris (1m. 01s.). Ravitaillements d'Alboreto et de Panis.
36e: A cause d'une mauvaise répartition de freinage, Bernard bloque ses roues arrière à la chicane du port et exécute un tête-à-queue. Il cale et doit abandonner.
37e: De Cesaris, Herbert et Brabham effectuent leurs ravitaillements.
39e: Schumacher devance Berger (28.2s.), Brundle (37.8s.), Alesi (1m. 02s.), Fittipaldi (1m. 03s.), Blundell (1m. 20s.), de Cesaris (-1t.), Alboreto (-1t.), Comas (-1t.) et Lehto (-1t.).
40e: Comas ravitaille et peine à repartir à cause d'un embrayage défaillant. Katayama se gare avant Sainte-Dévote avec une boîte de vitesses en rideau.
42e: Alors qu'il vient de franchir la ligne, Blundell voit son moteur partir en fumée. Il s'arrête dans l'échappatoire de Sainte-Dévote. Schumacher, qui suivait la Tyrrell, est surpris par les projections d'huile. Il glisse au freinage et évite de justesse les barrières de sécurité. Quelques instants plus tard, Berger dérape à son tour sur le lubrifiant répandu et tire tout droit dans l'échappatoire. Il se redresse et repart juste devant Brundle qui lui fait ensuite l'extérieur dans la descente vers Mirabeau. L'Anglais est second.
43e: Schumacher devance Brundle de trente secondes. Alesi garde toujours un œil sur un Fittipaldi menaçant. Ravitaillements pour Lamy et Gachot.
44e: Brundle a déjà plus de trois secondes d'avance sur Berger. Belmondo, vaillant dernier, s'arrête à son stand pour ravitailler mais l'opération s'éternise.
45e: Brundle observe son second ravitaillement (10s.). Il ressort derrière Berger mais largement devant Alesi.
46e: Schumacher devance Berger (39.6s.), Brundle (49s.), Alesi (1m. 08s.), Fittipaldi (1m. 10s.), de Cesaris (-1t.), Alboreto (-1t.), Lehto (-1t.), Herbert (-1t.) et Beretta (-1t.).
47e: Alesi est bouchonné par Belmondo et Brabham. Il tente de faire l'intérieur à l'Australien à l'épingle du Loews, mais celui-ci lui coupe la trajectoire. Le Français endommage sa calandre contre la Simtek. Il regagne les stands pour ravitailler et changer son aileron.
48e: Fittipaldi rejoint son box avec une boîte de vitesses hors d'usage. Brabham renonce aussi car son train arrière a été faussé par son contact avec Alesi. Belmondo ressent des crampes dans la jambe droite et souffre lors des freinages. Il fait halte au stand Pacific pour souffler quelques instants, puis repart avec sept tours de retard.
49e: Schumacher effectue son second ravitaillement (9.3s.) et reprend sa route en toute quiétude, douze secondes devant Berger.
51e: Berger fait halte au stand Ferrari pour son second arrêt (8.3s.) et cède la deuxième place à Brundle. Lamy ravitaille aussi.
52e: Schumacher mène devant Brundle (28.6s.), Berger (31.5s.), de Cesaris (-1t.), Alesi (-1t.), Alboreto (-1t.), Lehto (-1t.) et Herbert (-1t.).
54e: Lehto passe pour la seconde fois par le stand Benetton (8.2s.). Il demeure septième car Herbert ravitaille aussi sur ces entrefaites.
56e: Gachot met pied à terre, boîte de vitesses cassée.
57e: Schumacher jouit d'une confortable marge de trente-sept secondes sur Brundle. Alesi n'est qu'à deux secondes de de Cesaris et lorgne sur la quatrième place.
60e: Schumacher est premier devant Brundle (35.7s.), Berger (43.8s.), de Cesaris (-1t.), Alesi (-1t.), Alboreto (-1t.), Lehto (-1t.), Herbert (-2t.), Beretta (-2t.) et Panis (-2t.).
62e: Beretta, très en verve, harcèle Herbert pour le gain de la huitième place. Belmondo, dernier à neuf tours (!), a trop mal à sa jambe droite et préfère renoncer avant de finir contre un rail.
63e: Schumacher devance Brundle (33s.) et Berger (42s.). Alesi souffre de ses vertèbres et de la piètre tenue de route de sa Ferrari. Il concède maintenant quatre secondes à de Cesaris.
64e: Berger bute sur Alboreto et perd ainsi beaucoup de temps. Lamy subit une fuite au lockheed arrière-gauche de sa Lotus. Il passe par les stands pour réparer.
66e: Berger s'est défait avec peine d'Alboreto. Alesi est revenu à moins de deux secondes de de Cesaris. Beretta passe devant Herbert.
67e: De Cesaris arrive derrière Beretta qui ignore les drapeaux bleus et bouchonne l'Italien. Cela permet à Alesi de combler son retard.
68e: De Cesaris klaxonne derrière Beretta qui refuse de s'écarter. Inexplicablement, la direction de course n'intervient pas.
69e: Beretta laisse enfin passer de Cesaris, avant de gêner Alesi sur un bon demi-tour.
70e: Schumacher devance Brundle de trente-quatre secondes.
71e: Alesi laisse de nouveau filer de Cesaris. Herbert abandonne pour la première fois en 1994, trahi par sa boîte de vitesses.
73e: Schumacher est premier devant Brundle (36s.), Berger (1m. 05s.), de Cesaris (-1t.), Alesi (-1t.), Alboreto (-1t.), Lehto (-1t.), Beretta (-2t.), Panis (-2t.), Comas (-3t.) et Lamy (-4t.).
75e: Schumacher prend un deuxième tour à son équipier Lehto. Berger roule à sa main en cette fin de course, près de trois secondes au tour moins vite que Brundle.
76e: Schumacher laisse finalement Lehto se dédoubler dans la montée de Beaurivage. Berger est si lent en cette fin de course qu'il est poursuivi par la Ligier de Panis !
78ème et dernier tour: Michael Schumacher remporte son quatrième Grand Prix consécutif. Brundle termine deuxième au volant de la McLaren-Peugeot. Berger se classe troisième: c'est le quatrième podium d'une Ferrari en autant de courses. Un brillant de Cesaris amène sa Jordan-Hart à une superbe quatrième place. Alesi se contente de la cinquième position. Alboreto, sixième, inscrit son premier point depuis près de deux ans. Lehto, Beretta, Panis, Comas et Lamy achèvent également cette épreuve.
Après la course: comme un parfum de fronde
La famille Grimaldi accueille les trois premiers dans la tribune officielle. Cette année, c'est le prince Albert, héritier du trône, qui remet le trophée du vainqueur à Michael Schumacher. Après les hymnes nationaux, Schumacher, Brundle et Berger saluent la foule mais ne sablent pas le champagne. Berger, visiblement très mal à l'aise, songe certainement à son ami Wendlinger qui lutte contre la mort, à l'hôpital de Nice.
Il y a peu à dire sur ce soporifique Grand Prix monégasque. Michael Schumacher compte maintenant trente points d'avance sur son poursuivant immédiat Gerhard Berger et se dirige vers une campagne mondiale triomphale. Chez Ferrari, Gerhard Berger et Jean Alesi pestent contre la mauvaise tenue de leur châssis et incriminent le travail de John Barnard. La belle seconde place de l'opiniâtre Martin Brundle resserre les liens de l'alliance McLaren-Peugeot qui commençaient justement à distendre. Enfin, après quatre épreuves, Williams-Renault pointe à la cinquième place du championnat des constructeurs avec sept malheureux points. L'écurie championne du monde, montrée du doigt pour son éventuelle responsabilité dans la mort d'Ayrton Senna, est à cran. Patrick Head passe ses nerfs sur le pauvre Damon Hill, coupable d'avoir ruiné son week-end au bout de deux cents mètres...
Dimanche soir, Flavio Briatore et Michael Schumacher sont les vedettes du gala du Grand Prix au Sporting d'Été. Ils célèbrent aussi la 170ème victoire d'un moteur Ford-Cosworth. « Lors du premier succès, en 1967 à Zandvoort avec Jim Clark, je n'étais pas né ! » s'étonne Schumacher avec candeur. Puis les sourires s'éteignent le temps de la diffusion d'un court-métrage consacré à Senna.
Le feu couvre sous la cendre. Flavio Briatore, après une nuit endiablée passée au Jimmy's, rejoint lundi matin une réunion des team managers. Son programme est simple: faire capoter le plan de réformes présenté par Max Mosley, jugé irréaliste. Il brandit la menace d'un boycott du GP d'Espagne. Frank Williams et Ron Dennis le suivent. Mais Jean Todt, Giancarlo Minardi et Ken Tyrrell refusent de rejoindre la fronde. Non qu'ils croient au bien-fondé des modifications techniques imposées. Mais ils savent qu'en cas de refus, les constructeurs s'exposent à un lynchage médiatique en règle. Lundi après-midi, ces messieurs quittent le Rocher sans s'être mis d'accord.
Tony