Schumacher à pied pour deux Grands Prix

Les deux semaines qui séparent les Grands Prix de Belgique et d'Italie sont le théâtre d'un véritable marathon judiciaire. Le mardi 30 août 1994, Michael Schumacher est ainsi convoqué à Paris par le tribunal d'appel de la FIA qui doit statuer sur la suspension de deux courses que lui a infligée le dernier Conseil mondial, suite à son refus d'obtempérer au drapeau noir à Silverstone. Moins de quarante-huit heures plus tôt, l'Allemand a perdu sur tapis vert sa remarquable victoire de Spa-Francorchamps. Il débarque donc dans la capitale française passablement tendu et irrité. Willi Weber, son manager, a réuni deux avocats pour plaider sa cause. Mais leur argumentaire est des plus contestables: Schumacher assure toujours qu'il n'a pas vu le drapeau noir et « a mal saisi le sens du chiffre 5 à lui brandi. » Sacré Michael ! Était-il concentré sur son pilotage au point d'oublier son numéro ? Sans surprise, les quatre juges du tribunal d'appel confirment la sanction délivrée par le précédent Conseil mondial. Schumacher ne disputera pas les deux prochains Grands Prix, à Monza et à Estoril. « J'ai pourtant dit la vérité ! » maugrée-t-il en s'en retournant.

 

Affaire du sabot: Damon Hill touche du bois

Une semaine plus tard, le siège de l'Automobile Club de France accueille un nouveau Conseil mondial de la FIA. Cette fois, les invités vedettes sont Flavio Briatore, venu plaider la cause de Benetton dans les affaires de la valve d'essence d'Hockenheim et du sabot de Spa, et Ron Dennis, accusé d'avoir maquillé des aides électroniques au pilotage dans les logiciels de McLaren.

 

La première affaire traitée est celle du GP de Belgique. La fédération résume les arguments avancés le 26 août, au soir de la course, par Ross Brawn, le concepteur de la Benetton B194, et Joan Villadelprat, le team manager de Benetton Formula. Rappelons que le « skid » de la voiture de Schumacher était trop usé sur plus de 70 cm à l'avant du fond plat et n'affichait qu'une épaisseur de 7,4 mm, au lieu des 10 mm réglementaires. Pour expliquer cela, Brawn et Villadelprat arguent que Schumacher aurait été victime d'un problème technique lors de son premier passage aux stands, ce dont les temps au tour qui ont suivis témoignent. En outre, la planche aurait été endommagée dans la pirouette exécutée par le pilote allemand sur un trottoir, au 19ème tour. Ils soulignent enfin que la deuxième Benetton de Jos Verstappen, réglée comme celle de Schumacher, ne présentait aucune anomalie, ce qui prouverait qu'un incident imprévu est bien cause de la déformation incriminée. Toutefois, les commissaires techniques, appelés à la barre, rappellent, dessins et photos à l'appui, que le tête-à-queue a laissé sur le bois des traces transversales, vers l'arrière du fond plat, alors que l'usure suspecte se situe à l'avant, avec des marques longitudinales. Par ailleurs, Brawn et Villadelprat sont incapables de spécifier la nature du problème technique qui aurait frappé la n°5 au point d'altérer le fond plat. En conséquence, la FIA entérine la disqualification de Schumacher. Damon Hill est déclaré vainqueur définitif du GP de Belgique. Comme le Conseil mondial n'a rien ajouté ni retranché à la décision des commissaires, aucun appel n'est possible.

 

Affaire du filtre: Briatore innocenté...

Vient ensuite le cas de l'incendie de la Benetton de Verstappen à Hockenheim. Ce dossier est beaucoup plus délicat. Selon la société française Intertechnique qui a conçu les appareils de ravitaillement, cet incident a été provoqué par l'absence d'un filtre à carburant pourtant considéré comme obligatoire. Flavio Briatore soutient que d'autres écuries se sont passées de cet élément et qu'il avait reçu l'aval du délégué technique de la FIA, Charlie Whiting. Mais la fédération réplique que seul Intertechnique avait autorité pour délivrer ce passe-droit. Donc, en trafiquant son système de ravitaillement afin d'accroître le débit d'essence et ainsi réduire la durée de l'opération, Benetton s'est rendue coupable de tricherie avérée. Et pourtant, Briatore sort du Conseil mondial entièrement blanchi ! George Carman, son brillant avocat, a en effet produit une plaidoirie remarquable reposant sur trois points: 1) Benetton n'a pas cherché à dissimuler le retrait de cet élément puisqu'elle en a averti Whiting ; 2) Le filtre a pu être retiré par un salarié de l'écurie sans que ses chefs n'en soient avertis ; 3) Contrairement à ses allégations, Intertechnique a pu donner à un autre concurrent l'autorisation d'enlever son filtre.

 

Si la première assertion apparaît raisonnable, les deux autres semblent sorties d'un cerveau... imaginatif. Ainsi, qui imaginerait un mécanicien décider, de son propre chef, sans en référer à quiconque, de traficoter la pompe à carburant ? En second lieu, Intertechnique a toujours affirmé que le filtre était indispensable à la bonne circulation de l'essence de la pompe au réservoir. Et pourtant: quelques jours avant ce Conseil mondial, Gérard Larrousse s'est soudain souvenu avoir reçu de la société stéphanoise une télécopie lui expliquant, dessins à l'appui, comment ôter ledit le filtre et remettre en place les joints adéquats ! Cette lettre, qui remonte au mois de mai, tombe à point nommé pour discréditer Intertechnique. Petit détail: Benetton fournit à Larrousse ses boîtes de vitesses...

 

... Walkinshaw paie la note

Finalement, la FIA reconnaît que Benetton « n'avait pas l'intention de violer le règlement » et abandonne donc ses poursuites. En fait, Max Mosley, Bernie Ecclestone et Flavio Briatore sont tombés d'accord pour faire porter le chapeau à un « lampiste » (« junior employee » dans le texte anglais) qui aurait démonté le filtre pour accélérer l'écoulement de l'essence sans prévenir ses supérieurs. Personne ne croit à cette fable, mais il était inenvisageable de condamner Benetton pour tricherie: entraver sa domination pour relancer le championnat du monde, d'accord, mais l'exclure de la compétition et ainsi tuer tout suspens, pas question ! Encore une fois, les intérêts politiques et économiques de la FIA et de la FOCA l'emportent sur l'éthique sportive. Toutefois, la fédération désigne un coupable qui n'a rien d'une « petite main » : Tom Walkinshaw, le copropriétaire et directeur technique de Benetton est nommément désigné comme ayant, sinon ordonné, du moins couvert cette opération, et écope de cinq ans de retrait de licence ! Fautif ou non, l'Écossais paie surtout son passé sulfureux: jadis, lorsqu'il faisait courir les Jaguar XJR en Groupe C, il s'était déjà illustré par des interprétations très spécieuses des régalements. Sa carrière en F1 semble donc finie et son départ de Benetton imminent. Briatore aurait donc trahi, « vendu » son compère ? Que nenni ! Mosley garde par-devers lui la grâce de Walkinshaw et celui-ci s'est trouvé un beau point de chute: son autre écurie, Ligier-Gitanes !

 

McLaren : le gang des gaffeurs

A l'issue du GP de Saint-Marin du 1er mai, Charlie Whiting avait procédé à la saisie des logiciels de trois voitures, la Ferrari de Gerhard Berger, la Benetton-Ford de Michael Schumacher et la McLaren-Peugeot de Mika Häkkinen, afin de détecter l'éventuelle présence d'aides électroniques au pilotage illégales. Ferrari fut immédiatement relaxée, alors que Benetton, accusée de tricherie par le laboratoire chargé de l'enquête, LDRA, a été blanchie fin juillet par la FIA, faute de flagrant délit. Le cas de McLaren restait en suspens car Ron Dennis refusait de donner les codes-sources permettant à LDRA de mener son investigation, en invoquant le secret industriel. Toutefois, les experts sont parvenus à contourner cette difficulté et délivrent fin août à la FIA un rapport démontrant que McLaren utilisait une boîte de vitesses dotée d'un « système de montée de rapports entièrement automatique » qui enfreignait le règlement technique. Ainsi, lorsqu'il paraît devant le Conseil mondial, Dennis s'attend à voir la foudre s'abattre sur son écurie.

 

Mais Max Mosley, grand seigneur, doute que McLaren ait bien eu l'intention de tricher. En effet, Dennis prétend que son staff technique n'a pas bien interprété les normes technologiques adoptées en août 1993 interdisant les boîtes automatiques. Les ingénieurs de McLaren, dont la candeur est proverbiale, pensaient qu'une transmission entièrement automatique contrôlée par un système semi-automatique ne tombait pas sous le coup de la loi ! Comme c'est stupide !... Mosley, magnanime, ordonne là aussi la relaxe, vue la bonne foi aveuglante des inculpés... Dennis, penaud, promet que désormais, il lira le manuel d'instruction jusqu'au bout ! La comédie s'achève là. Bien sûr, pas plus que de celle de Benetton, le championnat du monde ne pouvait se passer de la présence de McLaren !

 

Pour conclure, la FIA se fend d'une note à l'adresse des constructeurs, dévoilée à la veille du GP d'Italie: dorénavant, toute écurie qui laissera traîner sur ses systèmes de gestion électronique des « caractéristiques suspectes (sic) », mêmes désactivées, seront passibles de poursuites. Quant à McLaren, elle est sommée de désinstaller son système de montée automatique des rapports pour Monza, mais pourra conserver son pendant pour les rétrogradages jusqu'à Estoril. C'est ce qu'on appelle une sévérité mesurée...

Tony