Les cachotteries d'Ayrton Senna
Cette fois, Ayrton Senna n'a pas entretenu le suspense sur sa venue à Barcelone. Il semble être parvenu à un accord avec Ron Dennis pour disputer toute la saison avec McLaren, même si nous en ignorons les termes. Son agent Julian Jakobi délivre néanmoins quelques vagues précisions: « Ayrton n'a rien signé de durable avec Dennis. Quelques détails flottent en suspens. Néanmoins notre accord de principe - qui ne porte que sur cette seule saison - est fondé sur le fait qu'avec deux victoires Ayrton a assez bien étalonné sa valeur de pilote pour mériter de la part de l'écurie un traitement conforme à sa valeur. » Donc « Magic » a obtenu une rémunération substantielle, qui s'élève selon son ami Lionel Froissart à un million de dollars par Grand Prix.
Jakobi est aussi aperçu en compagnie de Frank Williams et de Patrick Head. Rien ne filtre de leur entretien. Mais, depuis fin avril, le contact est rétabli entre Senna et l'écurie Williams. Le champion brésilien désire plus que jamais piloter la monoplace bleue et jaune, la meilleure du plateau. Et par chance, c'est Frank Williams himself qui est venu le « relancer » après sa victoire de Donington. Depuis, Senna, Jakobi, Williams et Head se sont rencontrés à plusieurs reprises en Angleterre. Mais pour le moment, un nuage opaque enveloppe ces approches. L'équipe anglaise n'est en effet pas certaine du soutien de Renault qui ne jure que par Alain Prost. Que deviendrait le Français dans l'hypothèse d'une arrivée de Senna à Didcot ? La cohabitation entre eux semble impossible. Prost l'a fermement repoussée fin 1992. Mais Senna fonde ses espérances sur un coup de fil que lui a adressé son rival l'été dernier, dans le plus grand secret: « Ayrton, je ne bloque rien pour 1994... » a lâché Prost, laissant entendre qu'il n'irait peut-être pas au bout de son contrat de deux ans...
Sur un plan plus léger, Senna est harcelé par les journalistes, non en raison de ces tractations, mais parce qu'un top model de 28 ans a récemment déclaré dans la presse du cœur attendre un enfant de lui ! Comme ce n'est pas la première fois qu'on lui attribue une paternité imaginaire, il préfère répondre par l'ironie: « Moi, un enfant ? C'est possible... Combien sont-ils déjà ? Deux, cinq, dix ? Qui peut savoir ? Bon, si c'est un garçon, on l'appellera Alain... »
Règlement 1994: Mosley en minorité
Le règlement technique de 1994 est toujours inconnu et ne sera visiblement pas fixé avant le Conseil mondial fédéral de juin. Ce retard irrite bon nombre d'écuries, en particulier Ferrari qui le fait savoir par Niki Lauda. « Nous sommes en plein brouillard ! Sans un minimum de règles, il est impossible de concevoir les prochaines voitures ! » tonne l'Autrichien.
Samedi après-midi, Max Mosley et Bernie Ecclestone convoquent la FOCA pour débattre des mesures avancées. Le président de la FISA, en contradiction avec ses récentes déclarations, tient une ligne dure et condamne presque tous les dispositifs électroniques, boîte semi-automatiques comprises. Les constructeurs se divisent. Les « riches », à savoir Williams, McLaren et Ferrari, rejettent absolument les propositions de Mosley. Quelques jours plus tôt, ces trois équipes ont expédié une télécopie préconisant l'homologation de la suspension active, de la boîte auto et de la télémétrie jusqu'en 1995, tout en admettant des transferts technologiques entre écuries. C'est une véritable provocation à l'égard de Mosley. Mais les trois top teams ne rallient que leurs alliés et clients: Ligier, Footwork et la Scuderia Italia. Flavio Briatore conduit avec sa faconde habituelle le camp « anti-électronique », secondé par Ken Tyrrell et Eddie Jordan. Très vite, les esprits s'échauffent. La méthode employée par Mosley, qui contourne la règle de l'unanimité établie par les Accords Concorde, est perçue comme un abus de pouvoir caractérisé. « Si Mosley ne retire pas son projet, j'irai devant la Cour de justice de Lausanne ! La FISA ne peut introduire ce règlement en violant l'Accord Concorde ! » s'exclame Ron Dennis. Flavio Briatore, trop heureux de pouvoir se mesurer à son nouvel ennemi, lui réplique en sortant les « vieux dossiers »: « Si on maintient la suspension active, c'est tout l'ensemble des modifications introduites par Mosley de façon illégale qui doit sauter... à commencer par l'engagement de Williams au championnat du monde ! C'est moi alors qui irai à Lausanne demander son exclusion ! » Williams et Dennis, piqués au vif, échangent alors des propos peu amènes avec l'Italien. Mosley tape du poing sur la table pour les interrompre, en menaçant de bannir tout l'électronique comme il l'envisageait à l'origine. Ecclestone, lui, se tient coi, laisse son compère s'égosiller et compte les points...
Rien ne sort de cette foire d'empoigne. Certaines idées de bon sens, comme celle de créer un marché unique interne pour certains dispositifs électroniques, s'évaporent dans le brouhaha. « Nous sommes en état d'intox permanente », conclut Dany Hindenoch. « Le financement des écuries est le seul vrai problème qui nous concerne tous, mais on se garde bien de l'aborder. » En effet, comment assurer la survie des plus petites structures, ou éviter de créer une Formule 1 « à deux vitesses », en laissant proliférer des systèmes « high-tech » que seuls les mastodontes de la discipline pourront et sauront développer ? Ces préoccupations ne sont évidemment pas celles des grands constructeurs, comme en témoigne Louis Schweitzer, le président de Renault: « Je ne comprends pas au nom de quel strict processus la F1 se priverait de l'ABS ou des dispositifs électroniques que les constructeurs adoptent maintenant sur des modèles de grande série. » Il admet cependant que 90% des écuries de F1 ne font que de la compétition et ne sont pas des multinationales de l'automobile tournées vers la vente de berlines de luxe...
Présentation de l'épreuve
Avec un misérable point inscrit en quatre épreuves (par Gerhard Berger à Kyalami), Ferrari vit le pire début de saison depuis son entrée en F1, en 1950. Les hommes de Sante Ghedini font profil bas, même si beaucoup peinent à cacher leur mauvaise humeur. « Je n'ai jamais conduit une voiture aussi mauvaise ! » grogne ainsi Berger. Giancarlo Minardi raconte tout faraud cette anecdote: « Luca di Montezemolo m'a reçu à Maranello. Nous avons procédé à un vaste tour d'horizon, lui à son niveau, moi au mien. En me raccompagnant, il m'a demandé: « As-tu une recette, mon cher Giancarlo, pour marquer des points ? » » Minardi s'esclaffe, bien qu'au fond il soit désolé des malheurs de cette marque qu'il admire profondément. En fait, Ferrari attend avec impatience l'arrivée de Jean Todt. « Nous avons besoin d'un directeur qui soit un authentique coordinateur des énergies et des intelligences qui pullulent à Maranello », énonce Niki Lauda, qui évidemment s'exprime à dessein.
Giancarlo Baccini, l'attaché de presse de Ferrari, officialise le renouvellement du contrat de Jean Alesi pour deux saisons, 1994 et 1995. Le Français sera en outre désormais placé sur un pied d'égalité avec Berger qui ne justifie guère son statut de n°1 officieux. Voilà une grande preuve de confiance entre l'Avignonnais et son équipe, et ce en dépit des résultats calamiteux de ce début de saison. « Pour aimer Ferrari, je ne crois pas être masochiste », confie Alesi avec malice.
La fameuse réunion tripartite de Londres entre Flavio Briatore, Ron Dennis et Steve Parker, annoncée à Imola, a été reportée puis définitivement annulée. Le patron de Benetton a en effet déclaré qu'il n'y avait rien à négocier: « McLaren ne recevra le moteur Ford VII que lorsque nous aurons le Ford VIII, et nous n'avons pas besoin de la technologie TAG. » Voilà qui est clair. Parker prie Briatore et Dennis de ne pas rallumer l'incendie à ce sujet. Mais, on l'a vu, les deux hommes trouvent quand même le moyen de s'écharper autour du futur règlement...
Les employés du team Williams ont une mauvaise surprise à leur arrivée en Catalogne: les réservations de leurs chambres à l'hôtel Ciutat de Granollers n'ont pas été validées ! Seuls Alain Prost et Damon Hill sont logés.. Patrick Head, toujours très nerveux, tempête et s'emporte contre le personnel. Finalement, flanqué du team manager Ian Harrison, il déniche des chambres pour ses hommes. Frank Williams ironise sur l'impulsivité de son compère: « Patrick contrôle tout. Il déteste les impondérables. Il n'accepte même pas ceux d'une course. Alors si on l'embête pour une histoire d'hôtel... »
Ron Dennis met la pression sur Michael Andretti qui n'a terminé aucun de ses quatre premiers Grands Prix de F1. Mika Häkkinen est dans les starting blocks pour le remplacer, même si officiellement son baquet n'est pas en danger. En tout cas, Andretti peut compter sur le soutien d'Ayrton Senna qui se montre très prévenant envers lui et lui prodigue beaucoup de conseils. On n'avait jamais vu le Brésilien si gentil pour un équipier. Les cyniques avancent que Senna fait preuve de bienveillance parce qu'il a compris que l'Américain joufflu ne le menacera en rien...
Alain Prost a testé un nouvel accélérateur électronique durant trois jours d'essais à Imola. Mais après s'être concerté avec Patrick Head et son ingénieur David Brown, il estime inutile de l'utiliser à Barcelone. Peut-être à Monaco... Chez Ferrari, Berger se concentre sur la mise au point de la nouvelle suspension active munie de vérins dotés de ressorts à gaz. Il l'a éprouvée de manière intensive avec Nicola Larini à Fiorano. Alesi se contente de l'ancienne version jugée plus fiable mais peu efficace. Les Jordan sont équipées de nouvelles suspensions arrière tandis que Boutsen reçoit enfin un châssis adapté à son mètre quatre-vingt. Les flancs des Minardi se parent de nouveaux déflecteurs aérodynamiques. Les Lola-Ferrari reçoivent une grande quantité d'éléments inédits: suspensions, aileron arrière, fond plat, pour améliorer leur équilibre. Enfin, Tyrrell reporte encore une fois la sortie de la 021 et prolonge la carrière de la 020 qui, au fond, n'a été conçue qu'en 1990...
Essais et qualifications
L'asphalte du circuit de Catalogne se dégrade au fil du temps et se couvre de petites bosses. Du coup, les monoplaces équipées de suspensions actives jouissent ici d'un avantage incomparable sur les autres. Les Williams-Renault sont intouchables. Vendredi, lors de la première séance officielle, Prost domine les débats. Mais le lendemain, Hill se met en vedette et occupe longtemps le haut de la feuille des temps. Prost doit se transcender pour décrocher une splendide pole position (1'17''809''', nouveau record), la vingt-cinquième de sa carrière, cinq dixièmes devant un Hill très accrocheur. Senna (3ème) est à nouveau le plus rapide des V8 Ford, mais rend deux secondes à Prost. Andretti (7ème) a beaucoup de peine à régler son châssis. Les Benetton manquent de grip. Schumacher (4ème), très mécontent, concède huit dixièmes à Senna et devance de justesse son collègue Patrese (5ème), enfin épargné par la déveine. Les Sauber (Wendlinger 6ème, Lehto 9ème) sont toujours aussi efficaces. Les Ferrari connaissent un vendredi catastrophique, avant de s'améliorer le lendemain. Alesi (8ème) devance Berger (11ème). Tous deux sont affectés par un gros survirage dans les courbes rapides.
Herbert (10ème) offre à Lotus sa meilleure position sur la grille depuis le début de la saison. Zanardi (15ème) rencontre lui de nouvelles coupures de moteur. Comme à Donington, la Ligier-Renault manque d'appuis. Blundell (12ème) s'en tire mieux que Brundle (16ème). A noter que nos deux « Dupondt » d'outre-Manche ont attrapé la grippe ! Après un vendredi calamiteux, Alliot (13ème) et Comas (14ème) parviennent samedi à dénicher les bons réglages sur leurs Larrousse-Lamborghini. La Footwork-Mugen progresse mais rencontre encore quelques problèmes de fiabilité, d'où les positions médiocres de Warwick (16ème) et de Suzuki (19ème). Les Jordan-Hart (Barrichello 17ème, Boutsen 21ème) subissent du survirage. Les Minardi (Fittipaldi 20ème, Barbazza 25ème) peinent à cause de leur Cosworth asthmatique et surtout d'un déséquilibre sur les bosses. Tout va mal chez Tyrrell: Katayama (23ème) se bat avec une adhérence très précaire et de Cesaris (24ème) se sauve de justesse après avoir cassé sa boîte vendredi. Badoer (22ème) met beaucoup d'appuis sur sa désastreuse Lola-Ferrari et se sauve ainsi, contrairement à Alboreto (26ème), non-qualifié pour la seconde fois consécutive.
Senna n'est pas content à l'issue de ces qualifications. Il ne se satisfait même plus de devancer la Benetton-Ford de Schumacher. « A quoi cela sert d'être le meilleur des Ford ? » s'exclame-t-il. « Mon moteur a nettement moins de chevaux que le Renault des Williams. Je ne peux pas recommencer des miracles sur commande. Sans une bonne averse, je n'ai aucun espoir. » Prost quant à lui n'apprécie pas du tout le revêtement bosselé. Secoué par les vibrations, il souffre de la nuque et s'en remet aux mains expertes de l'ostéopathe Pierre Baleydier.
Le Grand Prix
Aucune surprise lors de l'échauffement du dimanche matin: les Williams survolent les débats et collent une seconde et demie aux McLaren et aux Benetton. La course s'annonce très ennuyeuse. Quelques gouttes de pluie tombent sur le circuit une demi-heure avant le coup d'envoi, mais très vite le vent balaie les nuages. Il aura donc fallu attendre le cinquième Grand Prix de la saison pour voir une course disputée sur le sec.
Grille de départ: Herbert subit une panne électronique au niveau de sa suspension active et doit s'élancer depuis la dernière place.
Départ: Dysfonctionnement des feux: le coup d'envoi est donné à l'orange clignotant, ce qui perturbe certains pilotes. Prost prend de nouveau un départ moyen, cette fois à cause d'un problème de boîte. Hill s'empare des commandes. Senna tente de se faufiler entre les Williams. Il se place dans le sillage de Hill et prend l'intérieur au premier virage, mais Prost garde sa ligne à l'extérieur et reste deuxième. Suivent les Benetton de Schumacher et Patrese.
1er tour: Hill mène devant Prost, Senna, Schumacher, Patrese, Andretti, Alesi, Lehto, Berger et Alliot. Wendlinger a pris un mauvais envol et n'est qu'onzième. Katayama sort de la piste à l'avant-dernier virage mais parvient à reprendre sa route en traversant les graviers.
2e: Hill et Prost s'échappent aisément devant Senna. Comas dépasse Wendlinger. Herbert regagne son garage pour renoncer puisque sa suspension active est hors d'usage. Katayama fait vérifier sa Tyrrell après sa sortie et reste immobilisé un bon quart d'heure.
3e: Hill compte une seconde d'avance sur Prost, deux secondes sur Senna et cinq secondes sur Schumacher.
5e: Les positions se figent: Hill, Prost, Senna et Schumacher caracolent en tête, Patrese et Andretti se battent pour la cinquième place, puis Alesi emmène un groupe d'excités comprenant Lehto, Berger, Alliot, Comas, Wendlinger, Zanardi, Barrichello et Blundell.
7e: Prost est maintenant plus rapide que Hill et le menace. Senna est quelque peu distancé. Wendlinger et Zanardi luttent furieusement pour la 12ème place. L'Italien met deux roues dans l'herbe au premier freinage.
8e: Prost est désormais dans les roues de son équipier. Schumacher ne peut suivre Senna car sa boîte semi-auto lui joue des tours en rétrogradant du troisième au premier rapport sans passer par le second.
9e: Hill mène devant Prost (0.4s.), Senna (3s.), Schumacher (6s.), Patrese (13.4s.) et Andretti (16.4s.).
10e: Prost est collé au train arrière de son équipier, prêt à l'attaquer. Patrese a semé Andretti. Alesi et Lehto distancent le peloton. Berger est aux prises avec les étonnantes Larrousse d'Alliot et de Comas.
11e: Dans la ligne droite principale, Prost prend l'aspiration de Hill et le dépasse sans rencontrer de résistance.
12e: Prost creuse l'écart sur ses poursuivants. Le pneu arrière-droit de Brundle déchape au virage Elf et expédie la Ligier dans le bac à sable. C'est fini pour l'Anglais qui devait souffrir depuis plusieurs tours d'une crevaison lente ayant échappé à son ordinateur.
13e: Les drapeaux jaunes sont agités dans le premier secteur pendant que l'on évacue la Ligier de Brundle.
15e: Prost double les premiers retardataires, à savoir les deux Minardi et la Tyrrell de de Cesaris.
16e: Prost devance Hill (2s.), Senna (8.2s.), Schumacher (11.1s.), Patrese (21s.), Andretti (28.6s.), Alesi (45s.) et Lehto (46s.).
18e: Prost trace son chemin dans le trafic, ce qui ne l'empêche pas d'améliorer régulièrement le record du tour. Hill ne se laisse pas distancer par son chef de file.
20e: Hill tourne en 1'24''140''' et comble son retard sur le leader. Alesi et Lehto sont en lutte pour la septième position.
21e: Prost précède Hill (1.8s.), Senna (11.7s.), Schumacher (22.4s.), Patrese (33.7s.), Andretti (38.1s.), Alesi (55.5s.), Lehto (56.9s.), Berger (1m. 13s.) et Alliot (1m. 15s.).
22e: Warwick bloque Prost sur toute une boucle avant de s'effacer. Hill revient sur les talons du Français.
24e: Les deux Williams sont engluées dans le trafic. Prost ne parvient pas à semer son équipier. Reparti avec plus de dix tours de retard, Katayama quitte la route au virage « Würth ». Cette fois-ci le petit Japonais est contraint à l'abandon.
25e: Prost se défait de Wendlinger au passage de la ligne. Blotti dans son aileron, Hill tente de faire l'extérieur mais il lui manque quelques mètres pour s'imposer. Cela prouve qu'aucune consigne n'est donnée à Damon.
26e: Prost et Hill roulent de concert, quinze secondes devant Senna qui guette un éventuel souci technique sur les Williams.
27e: Prost se plaint d'une mauvaise tenue de route due à une roue mal fixée. Warwick part en tête-à-queue à Würth, mais évite la sortie de route et peut reprendre la course.
28e: Alliot abandonne avec une transmission cassée. Senna se fait peur lorsque Comas, ignorant ses rétroviseurs, lui claque la porte au nez au premier virage. L'insolent petit Français sera maté un peu plus loin.
29e: Prost et Hill se battent à coups de records du tour. L'Anglais est le premier à rouler en 1'22''.
30e: Prost est leader devant Hill (0.5s.), Senna (16s.), Schumacher (23s.), Patrese (46s.), Andretti (53s.), Alesi (1m. 11s.) Lehto (1m. 13s.) et Berger (1m. 20s.). Wendlinger prend la dixième place à Comas.
31e: La nouvelle suspension active abîme les gommes de la Ferrari de Berger. L'Autrichien doit chausser des enveloppes neuves et chute au quinzième rang.
33e: Hill est toujours dans les échappements de Prost. Tous deux prennent un second tour aux voitures les plus lentes.
35e: Prost mène devant Hill (0.3s.), Senna (18.9s.), Schumacher (24.4s.), Patrese (48.5s.), Andretti (58.4s.), Alesi (-1t.), Lehto (-1t.), Wendlinger (-1t.), Comas (-1t.), Zanardi (-1t.) et Barrichello (-1t.).
36e: Hill se montre encore dans les rétroviseurs de Prost au bout de la longue accélération.
38e: Prost et Hill abaissent alternativement le record de tour à chaque passage. Schumacher chausse des pneus frais et reprend la piste sous le nez de son collègue Patrese.
39e: Prost est premier devant Hill (0.4s.), Senna (23s.), Schumacher (1m. 07s.), Patrese (1m. 08s.), Andretti (1m. 13s.), Alesi (-1t.), Lehto (-1t.), Wendlinger (-1t.), Comas (-1t.), Zanardi (-1t.) et Barrichello (-1t.).
40e: Barbazza part en tête-à-queue en voulant doubler Badoer et s'enlise dans les graviers. De Cesaris s'arrête au ras du muret des stands suite à une coupure électrique. Au moyen d'une ouverture pratiquée dans le mur, les commissaires le poussent vers la pit-lane, d'où l'Italien rejoint son stand. Ses mécaniciens parviendront à relancer la Tyrrell en piste. Mais ce type d'assistance est illégal...
41e: Hill regagne les stands au petit trot, conséquence d'une défaillance de son V10 Renault. Il s'engouffre dans son box et les mécaniciens tirent aussitôt le rideau.
42e: Prost n'a désormais plus qu'à préserver sa mécanique pour l'emporter. Le moteur d'Alesi part en fumée et l'Avignonnais doit stopper dans l'herbe.
44e: Warwick exécute une nouvelle pirouette et change ensuite ses pneus encrassés. Wendlinger abandonne suite à une chute de pression d'essence. De Cesaris reçoit le drapeau noir pour avoir été poussé par les commissaires de course.
45e: Prost précède Senna (24s.), Schumacher (1m. 02s.), Patrese (1m. 09s.), Andretti (-1t.), Lehto (-1t.), Comas (-1t.) et Zanardi (-1t.). De Cesaris regagne les stands pour de bon.
47e: Prost se frotte à Zanardi au premier virage en lui prenant un tour, mais cela sera sans gravité. Badoer rejoint son stand pour remplacer ses pneus. Mais il ne parvient pas à relancer son moteur qui a chauffé suite à une fuite du système de refroidissement. Le jeune Italien met pied à terre.
48e: Prost est aux prises avec des retardataires. Senna revient à vingt secondes, tandis que Schumacher est désormais le plus rapide sur la piste.
50e: Prost devance Senna (19s.), Schumacher (1m. 04s.), Patrese (1m. 18s.), Andretti (-1t.) et Lehto (-1t.). Barrichello stoppe pour remplacer son aileron avant qui a perdu un flap. Le jeune Pauliste dégringole ainsi au classement.
52e: Senna change ses pneus, mais à cause d'une roue arrière-gauche récalcitrante, il ne ressort qu'au bout de quinze secondes. Il conserve toutefois sa deuxième place, quatre secondes devant Schumacher.
53e: Prost encaisse mal les aspérités du revêtement et souffre de crampes. Comme il a la situation sous contrôle, il se contente de rouler en 1'24''.
54e: Prost mène devant Senna (53s.), Schumacher (57s.), Patrese (1m. 20s.), Andretti (-1t.), Lehto (-1t.), Comas (-1t.), Zanardi (-2t.), Blundell (-2t.) et Berger (-2t.).
55e: Le moteur Ilmor de Lehto part en fumée. Le Finlandais stoppe dans le sable. Comas récupère la sixième place.
56e: Comas subit une chute de pression d'essence. Le Drômois doit laisser passer Zanardi, Blundell et Berger.
57e: Andretti fait changer ses pneus sans perdre de position. Suzuki remplace aussi ses gommes.
58e: Prost évolue derrière Patrese mais ne semble pas chercher à le doubler. Senna et Schumacher s'affrontent à distance. Chacun améliore son propre meilleur chrono.
59e: Comas achève la course à faible allure et cède une position supplémentaire à Fittipaldi. Berger pourchasse Blundell pour le gain de la septième place.
60e: Prost domine devant Senna (35.8s.), Schumacher (39s.), Patrese (1m. 26s.), Andretti (-1t.), Zanardi (-2t.), Blundell (-2t.) et Berger (-2t.)
61e: Schumacher s'empare du meilleur tour de la journée (1'20''989''') et revient à deux secondes de Senna.
62e: Zanardi casse son moteur dans la courbe de New Holland. Schumacher, qui suivait l'Italien, glisse sur l'huile répandue et met les quatre roues dans l'herbe. Il regagne péniblement la piste mais ne pourra donc pas rattraper Senna. Grâce à l'abandon de Zanardi, Blundell grimpe au sixième rang, mais Berger est sur ses pas.
64e: Prost prend enfin un tour à Patrese. Berger harcèle Blundell qui peine à maintenir sa Ligier instable sur la route. En outre, la visière du Britannique est maculée par l'huile de Zanardi...
65ème et dernier tour: Berger dépasse in extremis Blundell, épuisé par sa grippe et sa Ligier inconduisible, et qui ne voit plus où il roule !
Alain Prost remporte sa 47ème victoire en F1, la troisième de la saison 1993. Senna termine deuxième, suivi par Schumacher. Patrese se classe quatrième après une course anonyme. Andretti junior, cinquième, inscrit ses deux premiers points en F1. Berger ramène un petit point à Ferrari. Blundell échoue au septième rang. Fittipaldi, Comas, Suzuki, Boutsen, Barrichello et Warwick rejoignent aussi l'arrivée.
Après la course
Alain Prost, Ayrton Senna et Michael Schumacher se côtoient sur le podium de ce GP d'Espagne. Trois champions incarnant trois générations. Mais si Prost et Schumacher devisent gaiement, Senna fait la tête et ignore ses deux rivaux. « J'attendais des problèmes sur la voiture de Prost pour croire en mes chances », confie le Brésilien, amer. « Mais cela n'est pas venu. Je suis très fatigué... » Il est rare que le Brésilien fasse état de sa lassitude physique. Il s'envole aussitôt pour sa propriété d'Angra dos Reis.
Prost est lui perclus de crampes. Son après-midi ne fut pas une promenade de santé. « Ma voiture a été pénible à piloter et à mettre au point durant tout le week-end », explique-t-il. « Très performante d'accord, mais difficile à conduire. La piste s'est dégradée depuis l'année dernière, encore plus pour moi par rapport à 91. Les petites bosses se sont multipliées, provoquant un mauvais amortissement. Après seulement vingt tours, j'étais détruit ! Dans ce cas-là, on prend sur soi. La victoire n'en est que plus belle. » Le Français salue surtout la remarquable performance de son équipier Damon Hill: « Sans son ennui moteur, Damon m'aurait talonné jusqu'au bout, c'est sûr. Il m'a impressionné. Et moi, je ne pouvais pas aller plus vite. Sur un tour complet, j'étais plus rapide que lui, mais dans les portions bosselées il était mieux. Aurais-je résisté, tenu la distance ? Je n'en suis pas sûr. »
Hill est en effet quelque part le pilote du jour. Il a prouvé qu'il était capable de se mesurer au Professeur lui-même, en essais comme en course. Pas de doute, le fils de Graham, que d'aucuns décrivaient comme un troisième couteau inexpérimenté, est doué, intelligent, rapide. Patrick Head a eu le nez fin en le recommandant à Frank Williams. « J'avais le bon rythme, je restais parfaitement dans le sillage d'Alain », raconte l'Anglais. « En le suivant de près, je pouvais observer sa tactique. Il y avait des risques, mais mes températures moteurs étaient basses, tout marchait à la perfection. Soudain, il y a eu un bruit terrible et tout s'est arrêté. A la décharge de Renault, je dois dire qu'il s'agit du premier pépin depuis le début de la saison. Il n'y a rien de mieux qu'une vraie course pour pousser un moteur dans ses derniers retranchements et tirer les leçons d'un éventuel ennui. Mais j'aurais aimé terminer ce week-end d'une autre manière... » La victoire était en effet à sa portée. Nul doute qu'il montera sur la plus haute marche du podium d'ici la fin de la saison.
Enfin, Michael Schumacher, troisième larron du podium, a eu de la peine à garder en piste sa Benetton à la boîte capricieuse. « Je négociais tous les virages lents en 3e, en plein survirage. J'ai failli me sortir deux ou trois fois. Mais pour faire ce métier, il faut aussi savoir souffrir », glisse-t-il avec candeur.
Prost profite de cette victoire pour récupérer la première place au championnat de monde, avec 34 points contre 32 à Senna. Chez les constructeurs, Williams-Renault (46 pts) creuse l'écart sur McLaren-Ford (34 pts) et Benetton-Ford (19 pts). Avec deux unités au compteur, Ferrari occupe le huitième rang, à égalité avec... Larrousse. « Et il valait cher, ce maudit point ! » ricane Gerhard Berger, heureux d'avoir fini sixième...
Tony