Prost - FISA: la paix des braves
Le 19 mars 1993, soit quatre jours après le GP d'Afrique du Sud, Alain Prost se rend à Paris pour comparaître devant le Conseil mondial de la FISA. Assisté de son avocat, Me Dominique Dumas, il se défend des accusations portées par Max Mosley qui estime que le champion français, par ses multiples attaques envers la FISA et la FOCA, a porté atteinte à l'image de la F1. Prost encourt une épreuve de suspension. Son avocat plaide sur le fond l'irrecevabilité des accusations car, à l'époque où son client a tenu les propos incriminés, il ne possédait pas de licence officielle.
Finalement, le bon sens l'emporte, et Prost sort de l'audience blanchi. La fédération ne pouvait en effet le sanctionner: c'eût été une pure manipulation du championnat du monde. A l'issue de ce sommet, le champion français tient une conférence de presse en compagnie de Max Mosley, Bernie Ecclestone et Frank Williams. Tous proclament une réconciliation générale. Prost surtout est soulagé: cette comparution était pour lui comme une épée de Damoclès. « Même sur le podium de Kyalami, je ne pensais qu'à ça », avoue-t-il à Renaud de Laborderie. Maintenant, il se concentre sur le GP du Brésil, pays où il est peu populaire (Senna oblige), mais où il a déjà triomphé six fois.
Senna la Diva
Durant une bonne dizaine de jours, Ayrton Senna entretient le flou autour de sa participation au GP du Brésil, ce qui paralyse la billetterie du circuit d'Interlagos. Quel intérêt auraient en effet les Paulistes à se rendre à cet événement si leur idole ne s'y présente pas ? Le maire de São Paulo, Paulo Maluf, pressé par Bernie Ecclestone, sonde les intentions du champion en interrogeant ses agents Fabio Machado et Julian Jakobi. En vain: les deux hommes sont muets comme des carpes. Senna continue en effet de négocier avec Ron Dennis. Il accepte de s'engager pour un an avec McLaren à condition de disposer d'un moteur Ford ultra-compétitif. De son côté, Dennis lui propose un engagement de principe pour deux saisons. Entre ces deux extrêmes, le vide. Les deux parties refusent d'évoquer un juste milieu
Finalement, la situation se décante le mardi 23 mars. Senna et Dennis conviennent de poursuivre leurs discussions après l'étape brésilienne. En attendant, le Brésilien accepte de s'engager pour cette course, moyennant une prime de 750 000 dollars, somme égale à celle touchée pour le GP d'Afrique du Sud. Cela n'empêche pas les rumeurs d'aller bon train. Selon certaines personnes « bien informées », Senna aurait paraphé un contrat d'un an moyennant 15 millions de dollars. « Laissez Ayrton tranquille ! Il court. C'est acquis ! » tonne Machado, agacé.
Briatore - Dennis: conflit pour un V8
Le paddock d'Interlagos découvre Steve Parker, récemment promu directeur du programme F1 de Ford. Le nouveau venu est immédiatement cornaqué par Flavio Briatore qui tient à conserver son partenariat privilégié avec la firme de Détroit, et s'inquiète des prétentions de McLaren qui aimerait être traitée à l'égal de Benetton. Parker est tout à fait sur cette ligne et l'exprime en termes peu diplomatiques: « Le contrat Benetton-Ford est celui d'une équipe officielle. Avec McLaren, c'est différent. Bien sûr, Ford accepte une concurrence interne des voitures et de moteurs avec des pétroliers différents. Hormis cela, il me paraît impossible d'étudier une fourniture égalitaire entre Benetton et McLaren, au moins en raison des plages de développement propres de chaque écurie. » Et lorsqu'on lui réplique que McLaren possède tout de même un cador comme Senna dans sa manche, il réplique que Benetton a Schumacher, aussi doué et plus jeune que le Brésilien...
Ces déclarations attisent la rivalité grandissante entre McLaren et Benetton. Le virevoltant Briatore en rajoute dans la provocation: « Lorsque j'ai épousé (sic) Ford, je me suis marié avec un moteur dont personne ne voulait. Maintenant, on s'aperçoit qu'il est intéressant ! Je refuse toute perspective de surenchère. La F1 n'est pas l'aviation. Il faut laisser la course aux pilotes. » Dennis réplique par des arguments techniques: « Avec TAG Electronics, le moteur Ford pourrait gagner 25 % de puissance... à condition que nous recevions la version modernisée du V8. » Parker ne répond pas au patron de McLaren. Du reste, Ford n'a pas une marge de manœuvre infinie: c'est Cosworth qui, contractuellement, peut seul décider de fournir ou non le V8 dernier cri à une seconde équipe. Or Dennis n'est pas dans les petits papiers du motoriste britannique. « Tant pis pour Ron, il a déjà utilisé son joker ! » plaisante Briatore.
Présentation de l'épreuve
L'avenir du GP du Brésil est débattu ce week-end par Bernie Ecclestone et Paulo Maluf, le maire de São Paulo. Le président de la FOCA accepte de prolonger le contrat d'Interlagos jusqu'en 1999, à condition que d'importants travaux d'infrastructures soient menés. La participation de la municipalité pauliste à cette rénovation s'élèverait à huit millions de dollars. Pour le moment, M. Maluf fait la sourdre oreille... En effet, sa ville n'est pas en bonne santé financière et les retombées de l'édition 1993 demeurent longtemps suspendues à l'éventuel engagement de Senna.
Dans l'ombre de Magic, les jeunes pousses paulistes Christian Fittipaldi et Rubens Barrichello se livrent à un duel de prestige. Les deux espoirs jouent en outre de leurs origines sociales très opposées. Fittipaldi est né dans le riche district résidentiel de Morumbi tandis que « Rubinho » vient du quartier populaire d'Interlagos, qui a donné son nom au circuit automobile. Tous deux souhaitent un jour succéder à Senna dans le cœur des Brésiliens. Le chemin paraît encore long, mais ils peuvent compter sur la bienveillance de l'Idole. Senna entretient de bonnes relations avec Christian Fittipaldi, neveu de son ami Emerson. Mais il se prend surtout d'affection pour le jeune Barrichello auquel il prodigue moult conseils.
Ken Marrable n'est pas parvenu à trouver un repreneur pour le team March qui doit donc déclarer forfait pour le reste du championnat. Le constructeur créé par Max Mosley, Alan Rees, Graham Coaker et Robin Herd en 1969 disparaît donc sans fleurs ni couronne. A cette occasion, la FISA revoit encore une fois les règles de qualifications et fixe le nombre de monoplaces autorisées à prendre le départ à 24. Mais une pétition circule au Brésil et amène les commissaires sportifs à accepter un compromis à 25 partants. Enfin, comme voulu par Bernie Ecclestone, les qualifications se déroulent dorénavant en deux séances d'une heure chacune, au cours desquelles les coureurs ne peuvent parcourir plus de douze tours.
Après March, c'est Larrousse qui a bien failli disparaître entre Kyalami et São Paulo. L'écurie française n'avait en effet pas reçu l'enveloppe de 54 millions de francs qu'elle avait demandé au gouvernement dans le cadre du fonds compensatoire, dit « fonds tabac ». Par bonheur, quelques jours avant Interlagos, elle perçoit de la part du ministre des Sports Frédérique Bredin une allocation de... 30 millions de francs. « Cette somme va nous permettre de survivre, non de vivre », grommelle Philippe Alliot. Larrousse et Alliot, déçus, multiplient les appels du pied à destination du futur gouvernement de droite qui doit prendre ses fonctions dans les prochains jours.
McLaren et Benetton n'utilisent pas leur anti-patinage ce week-end car il semblerait que ce système fragilise le V8 Ford-Cosworth. McLaren a ainsi récemment cassé trois blocs en essais privés à Silverstone. Cette absence est un vrai handicap sur ce tracé bosselé d'Interlagos. Par ailleurs, suite à la défaillance de suspension active qui a frappé Senna à Kyalami, McLaren et TAG ont mis en place un nouveau logiciel chargé de pallier à ce type de « bogue ». Après une première sortie désastreuse en Afrique du Sud, la Lola-BMS de la Scuderia Italia a été profondément remaniée, avec une nouvelle géométrie de suspension et un nouvel aileron arrière. Enfin Lotus compte une recrue: l'expérimenté Trevor Foster, ancien mécanicien chez Shadow et Tyrrell, auteur d'un long parcours en F2 et F3000, notamment avec Eddie Jordan, est nommé directeur sportif.
Essais et qualifications
Les Williams-Renault dominent plus nettement la concurrence qu'à Kyalami. Prost s'empare sans peine de la pole position (1'15''866''') avec près d'une seconde d'avance sur Hill (2ème) qui progresse régulièrement. Senna (3ème) rend près de deux secondes au poleman et se plaint du manque de puissance du V8 Ford. Pour compenser, il enlève de l'appui à sa McLaren qui devient instable en courbe. Andretti (5ème) se rapproche de son chef de file. Chez Benetton-Ford, Schumacher (4ème) fait de gros efforts pour maintenir son rang tandis que Patrese (6ème) passe son temps à chercher une bonne adhérence. La Sauber est délicate à régler, mais une fois trouvé le bon équilibre, Lehto (7ème) et Wendlinger (8ème) se mettent en valeur.
Chez Ferrari, Alesi (9ème) rencontre des soucis techniques et Berger (13ème) se qualifie avec le mulet de son équipier, après une sortie due à une défaillance de suspension active. La Ligier-Renault est peu à son aise sur le revêtement bosselé d'Interlagos et est affectée d'un gros sous-virage. Blundell (10ème) fait mieux que son aîné Brundle (16ème). Les Larrousse (Alliot 11ème, Comas 17ème) sont véloces grâce au V12 Lamborghini, mais peu stables en courbe à cause de la perte d'appuis. Herbert met sa Lotus sur le douzième rang, trois places devant Zanardi (15ème) qui apprend le circuit. Barrichello (14ème) fait parler la poudre au volant de sa Jordan-Hart, et ce malgré une grave panne de boîte survenue le vendredi. Totalement perdu, Capelli concède plus de deux secondes à son équipier et rate la qualification. Les Footwork-Mugen (Warwick 18ème, Suzuki 19ème) n'ont pas un bon comportement routier. Pas de chance chez Tyrrell: Katayama (22ème) exécute quelques figures et de Cesaris (23ème) rencontre samedi une panne de moteur. La suspension hydraulique des Minardi n'aime pas du tout les bosses. Fittipaldi (20ème) et Barbazza (24ème) sont très mal placés. Badoer (21ème) est satisfait des progrès apportés à la Lola-BMS, alors qu'Alboreto (25ème) rencontre des problèmes d'assiette et de boîte.
Le Grand Prix
Dimanche matin, le warm-up se déroule sur une piste détrempée par une averse. Les pilotes sortent peu mais peaufinent leurs réglages en vue d'une course qui pourrait se dérouler sur le mouillé. L'après-midi, le départ est donné sous un ciel voilé. L'asphalte est parfaitement sec, mais le taux d'humidité est élevé. Il fait chaud et l'orage menace. Dans les tribunes, on ne compte que 32 000 spectateurs. Les tergiversations de Senna ont découragé bon nombre d'amateurs. Mais les présents, toujours très exaltés, bourdonnent comme si les gradins étaient bondés, afin d'encourager le Dieu Senna, mais aussi les deux « petits jeunes », Barrichello et Fittipaldi Junior.
Tour de formation: Badoer cale son moteur et devra s'élancer depuis la dernière place sur la grille.
Départ: Bon envol de Prost, suivi par Hill et Senna. A l'entrée du S, le Brésilien plonge à l'intérieur et double l'Anglais de Williams. Alesi démarre excellemment et se retrouve quatrième devant Schumacher et Lehto. Surpris par un mouvement de Lehto, Andretti se rabat devant Berger et les deux voitures entrent en contact. La McLaren part en vrille, quitte la piste et s'écrase contre le mur de pneumatiques. Elle s'élève dans les airs, puis retombe juste à côté de la Ferrari de Berger qui l'a suivie dans son embardée.
1er tour: Prost mène devant Senna, Hill, Alesi, Schumacher, Lehto, Patrese, Wendlinger, Alliot et Herbert. A Subida dos Boxes, Barbazza percute Brundle et l'envoie contre le rail de sûreté. Les deux pilotes sont out.
2e: Schumacher déborde Alesi sur la ligne de chronométrage. Quelques mètres plus loin, les drapeaux jaunes sont agités pour retirer les monoplaces de Berger et d'Andretti. On agite également le drapeau blanc: une ambulance est présente pour évacuer Andretti qui se plaint de douleurs dorsales.
3e: Prost compte trois secondes d'avance sur Senna, six sur Hill et sept sur Schumacher. Patrese est au ralenti à cause d'une fuite au radiateur de fluide hydraulique qui alimente sa suspension active. Il regagne les stands pour renoncer.
4e: Prost est le plus rapide en piste avec des chronos en 1'23''5''', alors que Senna ne fait pas mieux qu'1'24''.
5e: Hill et Schumacher se rapprochent de Senna qui n'est pas content de l'équilibre de sa McLaren.
6e: Prost possède cinq secondes d'avance sur le trio Senna - Hill - Schumacher. Plus loin, Alesi et Lehto bataillent pour la cinquième place.
8e: Prost est en tête devant Senna (6.2s.), Hill (6.8s.), Schumacher (7.7s.), Alesi (21.2s.), Lehto (21.6s.), Wendlinger (22.8s.), Alliot (28s.), Herbert (29s.), Blundell (30s.), Zanardi (31s.) et Barrichello (32s.).
10e: Hill est sur les talons de Senna mais ne rencontre pas d'opportunité de dépassement. Comas écope de dix secondes de pénalité pour avoir doublé Warwick sous régime de drapeaux jaunes.
11e: Juste avant le S, Hill se décale à l'intérieur et double Senna sans coup férir. Voici les deux Williams en tête. Schumacher met aussitôt la pression sur Senna.
12e: Prost compte huit secondes d'avance sur Hill. Schumacher évolue juste derrière Senna. Alesi est en bagarre avec les deux Sauber. Comas fait halte aux stands pour subir sa pénalité.
14e: Dix secondes entre Prost et Hill. Alesi offre une résistance désespérée aux attaques de Lehto. Dans la ligne droite principale, il change brutalement de trajectoire et manque de perdre le contrôle de sa Ferrari à haute vitesse.
15e: Lehto dépasse Alesi avant le premier S. Barrichello se gare en bord de piste avant la grande montée, à cause d'une panne de boîte de vitesses. Le drapeau jaune est agité pour permettre l'évacuation de la Jordan-Hart.
16e: Poursuivi par Schumacher, Senna prend un tour à Comas dans la courbe de Junção, où le drapeau jaune est agité pour évacuer la Jordan de Barrichello.
17e: Prost compte une dizaine de secondes d'avance sur son équipier. Schumacher est toujours dans la même seconde que Senna.
18e: Le ciel devient de plus en plus menaçant et quelques gouttes de pluie apparaissent. Alesi subit les attaques de Wendlinger. Fittipaldi double Warwick devant les grandes tribunes. Les supporteurs paulistes s'enflamment.
19e: Prost mène devant Hill (8.8s.), Senna (12.6s.), Schumacher (12.8s.), Lehto (40.1s.), Alesi (46.8s.), Wendlinger (47s.), Alliot (53.5s.), Herbert (54s.) et Blundell (54.4s.).
20e: Schumacher est gêné par Alboreto et perd du temps sur Senna. Wendlinger déborde Alesi dans la ligne droite principale, mais le Français conserve l'ascendant au premier freinage.
21e: Schumacher est revenu juste derrière Senna et se fait plus menaçant que jamais.
22e: Prost devance Hill (9.1s.), Senna (14.2s.), Schumacher (14.6s.), Lehto (42.3s.), Alesi (52s.) et Wendlinger (52.6s.). Katayama effectue une pirouette sans conséquence.
24e: Prost améliore le record du tour (1'21''780'''). Senna reçoit une pénalité pour avoir doublé Comas sous drapeau jaune. Il entre aux stands pour observer un « stop-and-go » de dix secondes et repart quatrième. Suzuki et Katayama remplacent leurs pneus.
25e: Prost et Hill sont séparés par dix secondes. Wendlinger prend enfin l'avantage sur Alesi.
26e: L'orage tropical qui menaçait éclate et une forte pluie s'abat sur São Paulo.
27e: Toute la partie haute du tracé est déjà humide. Le drapeau rayé jaune et rouge est agité. Wendlinger fait un tête-à-queue et laisse filer Alesi. En fin de tour, Senna entre dans les stands pour chausser des pneus rainurés (7s.), puis repart derrière Lehto. Herbert l'imite.
28e: L'averse redouble. Interlagos se noie sous le déluge. Hill et Alliot prennent des pneus pluie. Dans la ligne droite principale, Suzuki perd le contrôle de sa Footwork et la fracasse contre le mur des stands. Cinq secondes plus tard, Katayama part en aquaplanage au même endroit et heurte les glissières. Les deux Japonais sont indemnes mais la piste est jonchée de débris. Les conditions sont si difficiles que la direction de course fait intervenir cette nouveauté venue des USA: la voiture de sécurité.
29e: Toute la piste est maintenant détrempée, en particulier dans le premier secteur où la visibilité est nulle. Prost veut entrer aux stands pour changer de pneus, mais sa radio fonctionne mal. Il comprend que son équipier est à son garage et reste dehors un tour de plus. Lehto, Alesi et Blundell sont aux stands pour chausser des pneus pluie. Ils sont suivis par Zanardi, Comas, Warwick, de Cesaris, Alboreto et Badoer.
30e: Fittipaldi glisse dans la descente du premier virage et se retrouve à contre-sens sur la piste. Quelques secondes plus tard, un peu en amont, Prost roule sur un débris et part en tête-à-queue au freinage. La Williams percute l'arrière de la Minardi de Fittipaldi et s'échoue dans les graviers. C'est l'abandon pour les deux pilotes. Hill est en tête. Schumacher entre aux stands pour prendre des gommes striées. Il repart troisième. Wendlinger change tardivement de gommes et chute au classement.
31e: La voiture de sécurité, une Fiat Tempra conduite par Charlie Whiting, entre sur le circuit. Tous les participants doivent ralentir et les dépassements sont interdits. Or Alesi double Lehto et Herbert par inadvertance... Senna fait une petite excursion dans le gazon à la sortie du S, sans dommage pour lui.
32e: Les voitures se rangent peu à peu derrière la voiture de sécurité. Hill mène devant Senna, Schumacher, Alesi, Herbert, Lehto, Zanardi, Alliot, Blundell, Warwick, Badoer, Wendlinger, de Cesaris, Comas et Alboreto. Warwick est intercalé entre Hill et Senna.
33e: La pluie s'est arrêtée, mais les autos détruites de Suzuki et de Katayama sont toujours en place. Les voitures restantes sont toutes regroupées derrière le Pace Car.
35e: Les bolides accidentées ont été évacués. Pendant ce temps-là, Andretti est héliporté vers l'hôpital de São Paulo pour passer des examens de contrôle suite à son accident du départ.
36e: Le soleil fait son apparition et sèche très rapidement l'asphalte.
37e: La voiture de sécurité s'efface et la course reprend. Pour la première fois dans l'histoire de la F1, un départ lancé est donné. Le bitume est toujours humide dans la partie élevée du tracé, mais est presque sec dans les autres secteurs. Hill conserve l'avantage devant Senna qui se défait aussitôt de Warwick. Schumacher met plus de temps à doubler l'Anglais. Lehto déborde Zanardi. Herbert chausse le premier les slicks.
38e: Hill devance Senna (1.5s.), Schumacher (4.7s.), Alesi (9.7s.), Lehto (13s.), Zanardi (17s.), Alliot (18s.), Blundell (19s.) et Herbert (40s.).
39e: Senna se rapproche de Hill. Comas et Badoer se bagarrent férocement pour la treizième place. Zanardi passe en slicks.
40e: La piste est encore mouillée de la montée vers les stands à la courbe du lac. Sur le reste du parcours, la trajectoire est sèche. Une seconde et demie sépare Hill de Senna.
41e: Senna et Schumacher entrent aux stands pour mettre des pneus pour le sec. Senna repart troisième derrière Alesi. L'arrêt de Schumacher prend plus de temps car le cric chargé de lever la Benetton retombe. Lehto, Wendlinger, Comas, Warwick, de Cesaris, Alboreto et Badoer chaussent aussi des pneus slicks. A la fin de ce tour, Hill regagne le stand Williams.
42e: Alesi est leader. Hill met des slicks (6.4s.) et ressort devant Senna, lequel est suivi par Alliot. A Ferradura, l'inexpérimenté Britannique, surpris par ses pneus froids, laisse une porte ouverte. Senna s'y engouffre sans hésiter et s'empare ainsi du commandement virtuel. Puis le Brésilien déborde Alesi qui regagne les pits pour mettre des pneus lisses. Schumacher reçoit une pénalité pour dépassement sous drapeaux jaunes. Il entre aux stands pour effectuer un « stop-and-go » de dix secondes. Blundell stoppe chez Ligier pour monter des slicks.
43e: Explosion de joie dans les tribunes au premier passage de Senna en tête de la course. Herbert dépasse Alliot.
44e: Senna mène devant Hill (2.2s.), Herbert (11s.), Lehto (27.5s.), Alesi (32.5s.), Blundell (40s.) et Zanardi (58s.). Alliot s'arrête au stand Larrousse pour monter des slicks. L'opération est un peu longue à cause d'un écrou grippé, mais le Français repart en huitième position devant Schumacher.
45e: La trajectoire s'assèche de plus en plus au sommet du circuit. Hill se rapproche de Senna.
46e: Alesi reçoit une double pénalité de vingt secondes pour avoir dépassé Herbert et Lehto sous drapeaux jaunes. Il s'arrête pour subir sa punition et chute ainsi au neuvième rang.
47e: Hill revient juste derrière Senna et semble en mesure de le doubler.
49e: Senna distance un peu Hill au gré du trafic et améliore le record du tracé (1'21''752'''). Herbert est troisième, à vingt secondes du leader. Schumacher prend la septième place à Alliot.
50e: La piste est complètement asséchée. Senna prend tous les risques et repousse Hill à deux secondes. Schumacher poursuit sa remontée et se débarrasse de Zanardi. De Cesaris renonce suite à une coupure électrique sur son moteur Yamaha.
51e: Hill répond à Senna (1'21''171'''). Une seconde les sépare. Alesi est frappé par un nouveau « stop-and-go » de dix secondes, cette fois pour avoir doublé l'attardé Comas avant que le drapeau vert soit agité.
52e: Senna est leader devant Hill (1.3s.), Herbert (25.6s.), Lehto (48.2s.), Blundell (48.7s.), Schumacher (1m. 05s.), Zanardi (1m. 10s.), Alliot (1m. 13s.), Alesi (-1t.) et Warwick (-1t.).
53e: Hill perd quelques dixièmes derrière Comas et Alliot. Lehto abandonne suite à une panne électronique sur sa Sauber.
55e: Senna est décidément plus prompt que Hill à se débarrasser des retardataires et gagne ainsi de précieux dixièmes. Schumacher tourne en 1'20'' et remonte sur Blundell.
56e: Senna compte deux secondes et demie d'avance sur Hill. Herbert est à trente-deux secondes du duo de tête.
58e: Schumacher abaisse le record du tour à chaque passage et fond sur Blundell.
59e: Hill renonce à poursuivre Senna et se contente de sa seconde place. Le Brésilien s'échappe. Le public est debout dans les tribunes.
60e: Senna précède Hill (8.9s.), Herbert (48s.), Blundell (58.3s.), Schumacher (1m. 02s.), Zanardi (-1t.), Alliot (-1t.), Alesi (-1t.), Warwick (-2t.) et Comas (-2t.), ce dernier ayant perdu un cylindre.
61e: Schumacher réalise le meilleur tour de la course (1'20''024''').
63e: Senna a quatorze secondes d'avance sur Hill. Schumacher revient sur les talons de Blundell.
64e: Schumacher attaque Blundell dans la portion sinueuse du tracé. Le jeune Anglais, très opiniâtre, lui oppose une vive résistance.
65e: Schumacher déborde Blundell au premier virage. Il se lance maintenant à la poursuite de Herbert. Wendlinger renonce avec un moteur surchauffé. Il a en effet encrassé son radiateur lors de son excursion hors-piste.
66e: Les tribunes sont en effervescence: rien ne peut plus troubler la marche victorieuse de Senna. De son côté, Schumacher remonte à pas de géant sur Herbert.
67e: Schumacher n'est qu'à deux secondes de Herbert mais il perd un peu de temps derrière l'attardé Alesi.
68e: Senna mène devant Hill (19s.), Herbert (45s.), Schumacher (46s.), Blundell (1m.), Zanardi (-1t.), Alliot (-1t.) et Alesi (-1t.).
69e: Schumacher est dans les échappements d'Herbert. Il se fait aspirer par la Lotus dans la ligne droite suivant la Curva del Sol, se glisse à l'intérieur et tasse volontiers Herbert vers la droite. Mais l'Anglais le surprend en le « croisant » au virage suivant. Les deux voitures franchissent côte à côte l'enchaînement de Subida do Lago et Herbert conserve l'avantage.
70e: Schumacher déborde difficilement Herbert sur la ligne de chronométrage. Il donne un petit coup de frein en entamant le S pour refroidir les ardeurs de son adversaire. Le voici troisième.
71ème et dernier tour: Ayrton Senna remporte le Grand Prix du Brésil pour la deuxième fois de sa carrière. Hill finit deuxième et grimpe sur son premier podium. Schumacher termine troisième après une course difficile. Herbert obtient une excellente quatrième place pour Lotus. Blundell, cinquième, inscrit deux points supplémentaires. Zanardi se classe sixième et marque ainsi le premier point de sa carrière. Il précède Alliot, Alesi, Warwick, Comas, Alboreto et Badoer.
Bain de foule pour Magic
Ivre de joie, la foule envahit la piste pour acclamer son idole. Senna s'arrête un instant pour s'emparer d'un drapeau de la... Banco do Brasil ! Gros impair: le champion porte les couleurs de la Banco Nacional ! Ayrton récupère finalement un vrai drapeau national qu'il brandit avec fierté. Une marée humaine s'agglutine bientôt autour de la McLaren pour toucher son idole. Senna doit tout stopper. Péniblement, il parvient à dégrafer son harnais et se hisse sur son cockpit pour saluer ses fans. Mais ceux-ci, de plus en plus excités, sont prêts à se jeter sur lui pour s'emparer qui de son casque, qui de ses gants, qui de pans de sa combinaison... Il saute finalement dans la Fiat Tempra de Charlie Whiting, la « Pace car », pour réaliser un vrai tour d'honneur. Bientôt ce sont tous les véhicules officiels qui forment son escorte. Un hélicoptère se joint même à la procession !
Le podium réserve un autre grand moment puisque Senna est accueilli par Juan Manuel Fangio. Il tombe dans les bras du vieil homme, son ami et premier admirateur. L'accolade entre ces deux légendes du sport automobile conclut admirablement ce Grand Prix.
Après la course
Senna offre également sa centième victoire à McLaren. « Ce qui s'est passé aujourd'hui démontre que nous sommes supérieurs aux Benetton » lâche Ron Dennis, acerbe. Son pilote est plus réaliste: « Sur le sec, Schumacher disposait de plus de puissance moteur que moi », affirme le Brésilien. « Je sais ce que je dois à la pluie et à la voiture de sécurité. Avec cette auto, je ne peux vaincre que dans des conditions limites. Pour lutter pour le titre mondial, j'ai besoin de beaucoup de chevaux. » Senna refuse donc de s'engager pour l'avenir. « Je connais bien Ayrton. Il est insatiable », glisse Frank Williams à l'oreille de Ron Dennis.
Alain Prost et Jean Alesi rejoignent la France dans le même avion. Le champion du monde tente d'apaiser son cadet, agacé par les multiples pénalités qui l'ont écarté de la zone des points. Mais le Forézien ne dissimule pas sa propre amertume. « Lorsque la pluie s'est abattue, j'ai emprunté la voie des stands, mais j'ai entendu un grésillement dans ma radio », raconte-t-il. « Je n'ai pas compris ce que me disait David Brown, mon ingénieur, et j'ai cru que Damon était dans les stands. Je suis resté en piste et suis parti en travers. Normalement, je pouvais récupérer cet aquaplanage, mais la Minardi était en travers un peu plus loin. Ça n'est pas passé. » Lorsqu'on lui demande s'il aurait tout de même pu vaincre Senna sur piste humide, Prost s'agace: « Si j'avais eu les pneus pluie, même en ressortant des stands derrière lui, je serais parti et il ne m'aurait pas rejoint ! »
Les observateurs saluent aussi la performance de Damon Hill, second dès son deuxième Grand Prix avec Williams. Certes, l'Anglais était encore un peu tendre pour se battre contre le grand Senna. Mais il a fait preuve de sa vélocité et de sa solidité, de son intelligence aussi en ne cherchant pas à pourchasser à tout prix le leader, au risque de glisser sur l'une des dernières plaques d'humidité. « Après mon second changement de pneus, j'ai vu que j'avais presque perdu toute mon avance sur Senna », raconte Hill. « J'ai attaqué et je pense que j'aurais pu gagner. Malheureusement, je suis arrivé dans le trafic et je me suis dit que finir second n'était pas une mauvaise place pour mon quatrième Grand Prix. »
Michael Schumacher a connu lui aussi un après-midi riche en émotions et, à l'instar de Jean Alesi, critique les pénalités qui ont été distribuées au cours de l'épreuve: « Cette troisième place vaut une victoire compte-tenu des circonstances. J'ai connu tous les problèmes aujourd'hui ! Au premier changement de roues, le lève-rapide s'est cassé, la voiture est retombée. Puis l'écrou de la roue avant-droite s'est bloqué. Puis retour au stand pour une pénalité dont le motif m'échappe encore. Le podium était vraiment inespéré. »
Ce GP du Brésil a aussi occasionné de nombreux accidents. Gerhard Berger raconte à tout le monde sa frayeur lorsqu'il a vu la McLaren de Michael Andretti s'envoler au-dessus de sa Ferrari. A quelques centimètres près, le jeune Américain lui retombait sur la tête ! Ce dernier n'est d'ailleurs heureusement pas blessé: les médecins paulistes le libèrent dans la soirée. Martin Brundle et Fabrizio Barbazza s'écharpent au sujet de leur collision du premier tour. L'Anglais accuse son adversaire de l'avoir harponné. « Quel menteur ! Si je suis arrivé sur lui, c'est que cent mètres devant il était déjà en tête-à-queue ! » se récrie l'Italien.
Cette victoire permet à Senna de prendre la première place du championnat avec seize points contre dix à Prost. Et si le championnat s'annonçait plus disputé que prévu ? Hill et l'étonnant Blundell se partagent la troisième place avec six unités chacun. Au classement des constructeurs, Williams-Renault et McLaren-Ford-Cosworth sont à égalité: seize points partout.
Tony