Grève et politiquement correct: bienvenue en France !
Le Grand Prix de France se présente alors que le pays est secoué par une grève des chauffeurs routiers qui protestent contre l'instauration du permis de conduire à points. Pour les syndicalistes, cette épreuve ultra-médiatisée tombe à point nommé puisqu'elle leur permet de frapper un grand coup dans le fief du Premier ministre Pierre Bérégovoy, maire de Nevers. Les plus acharnés menacent de bloquer l'accès au circuit de Magny-Cours. La menace est réelle car la Nièvre est facile à isoler. Jean-Marie Balestre, Jean Glavany, Philippe Gurdjian et l'hôte de Matignon lui-même se font des cheveux blancs. Heureusement, les « modérés » l'emportent sur les « enragés ». Le Grand Prix ne sera pas saboté. Pour autant, le réseau routier français demeure parsemé de barrages filtrants. Afin de venir en aide aux écuries et aux fournisseurs, Gurdjian leur indique des « voies de dégagement », ainsi qu'un numéro de téléphone indiquant l'état des routes. Ce qui n'empêche pas les désagréments. Les camions rejoignent Magny-Cours au prix d'un long périple. Celui de Yamaha est ainsi bloqué Dordive. Une citerne Agip est cernée par des routiers à Valence. Le camion BP n'arrive que vendredi matin, ce qui retarde la préparation des Lotus. Certains sont plus débrouillards ou plus chanceux: les transporteurs de McLaren effectuent un long détour par la Champagne, tandis que ceux de Ferrari bénéficient d'une escorte policière ! Bernie Ecclestone se tient fiévreusement au courant de la situation: « Je n'avais encore jamais vu ça... » soupire-t-il.
Finalement, jeudi 2 juillet au soir, tout le monde est au rendez-vous, excepté... Andrea Moda. Les deux transporteurs de l'équipe italienne ont été arraisonnés par des grévistes qui les soupçonnent d'être des véhicules Ferrari camouflés en noir. Andrea Sassetti déclare forfait. Il peut invoquer le cas de force majeure, mais il commet l'erreur de prévenir Ecclestone et non les autorités officielles. Il écope ainsi d'une amende de 400 000 dollars. Effrayés par un tel amateurisme, ses (rares) commanditaires se retirent aussitôt. L'absence des Andrea Moda permettra au moins de faire l'impasse sur les pré-qualifications...
La trop fameuse (fumeuse ?) loi Évin n'en finit pas de faire des ravages. Quelques jours avant le GP de France, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) sollicite du tribunal de Quimper, réputé sévère sur ces questions, un jugement en référé contre l'utilisation du matériel publicitaire des cigarettiers. Ceux-ci doivent donc remballer leurs casquettes, leurs autocollants et donner congé à leurs hôtesses. Plus grave, le CNCT demande qu'au cours de sa retransmission télévisée TF1 ne montre pas d'image où apparaîtrait le nom d'un fabricant de tabac ! Les réalisateurs s'étranglent. Patrick Le Lay, le président de la chaîne privée, envisage d'annuler purement et simplement la retransmission. Finalement, il accepte de diffuser la course mais donne pour consigne de limiter les vues qui pourraient déclencher un procès. Les pro-cigarrettiers peuvent compter sur le soutien inattendu d'un membre du gouvernement, le débonnaire ministre du Budget Michel Charasse, qui se fait filmer et photographier en arborant des autocollants Gitanes Blondes...
Réglementation 1993: polémiques autour des pneus et de l'essence
Le conseil mondial de la FISA a finalement entériné la plupart des réformes prônées par Max Mosley et Bernie Ecclestone: refonte des horaires des essais lors des Grands Prix, introduction d'une voiture de sécurité, diminution de la largeur hors-tous des monoplaces, réduction des appuis aérodynamiques etc. La mesure la plus litigieuse proposée par Ecclestone, à savoir le retour des ravitaillements en course, a été (provisoirement) abandonnée.
En revanche, la fédération a tenu bon sur un point très contesté: la réduction de la largeur des pneumatiques de 18 à 15 pouces. Goodyear met pourtant en garde contre les conséquences d'un tel changement: « Cela va à l'encontre de la sécurité », explique Barry Griffin, le responsable des relations extérieures de la firme d'Akron. « Une F1 de plus de 700 chevaux avec des pneus de 15 pouces sera sous-chaussée. Trois pouces de moins représentent une perte de plus de 20 % de la zone de contact pneu/sol. En outre, les appuis vont diminuer, tout comme la largeur hors-tout de l'auto. Faute d'adhérence, les pilotes auront beaucoup de mal à maîtriser leurs freinages, dérives et accélérations. Les risques d'accident vont se multiplier. » En fait, Goodyear est surtout agacée par la nécessité de refaire tous ses moules, d'où de nouveaux investissements très lourds.
Reste en suspens la question du carburant unique défendue par Max Mosley. Début juillet, Alain Guillon, président d'Elf-France, déterre la hache de guerre en dénonçant les dénonciations sournoises lancées contre son entreprise, accusée de ne pas produire une essence à usage commercial. Le front des pétroliers se fissure à nouveau, car seule Agip se range du côté des Français. « Deux groupes se défient », explique Guillon. « Shell, Mobil, BP et Sasol préfèrent la publicité directe. Nous et Agip optons pour la recherche. » En marge du GP de France, les responsables d'Elf et Agip multiplient les conciliables avec MM. Balestre, Mosley et Ecclestone. Rien n'en sortira. Lorsque Guillon demande que soit préservé « un espace de liberté » pour les pétroliers, il renforce la suspicion et l'hostilité de tous ceux que l'hégémonie des Williams-Renault-Elf agace. Et cela fait du monde...
Présentation de l'épreuve
Mouvements sociaux obligent, ce second GP de France à Magny-Cours ne fera pas le plein de spectateurs, d'autant plus qu'une fausse rumeur d'annulation a couru quelques jours plus tôt. Philippe Gurdjian pourra tout de même se targuer de 70 000 visiteurs (contre 100 000 en 1991), ce qui est un chiffre honorable dans ce contexte. A signaler enfin que le tracé nivernais est retouché, avec la suppression de la chicane qui suivait l'épingle d'Adélaïde.
Vainqueur ici l'an passé, Nigel Mansell souhaite reprendre sa marche en avant après deux courses difficiles. Bien évidemment, il peut compter sur le plein soutien de Renault qui désire s'imposer en terre française. La colonie tricolore est orpheline d'Alain Prost qui se contente (très provisoirement...) de son poste de consultant pour TF1. Jean Alesi, nouveau chouchou du public, espère placer sa Ferrari sur le podium. Les autres Français, Érik Comas, Bertrand Gachot (qui court sous licence belge), Olivier Grouillard et Paul Belmondo ont bien sûr des ambitions beaucoup plus modestes.
Les McLaren-Honda reçoivent ici quelques nouveautés au niveau du moteur, de la prise d'air et du fond plat... Malgré les succès de Senna à Monaco et de Berger à Montréal, les hommes de Ron Dennis n'ont pas ici de grandes ambitions. Shell apporte un carburant inédit qui ne fonctionne qu'après que Honda a trifouillé son électronique.
Avec seulement deux points au compteur, la Scuderia Italia est l'une des grosses déceptions de cette première partie de saison. La Dallara 192 souffre d'une très mauvaise tenue de route et d'un V12 Ferrari à court de développement. Nigel Cowperthwaite apporte des retouches au niveau de la suspension, de la direction et des extracteurs. Lehto et Martini ne s'en montrent pas satisfaits.
A l'inverse, les Footwork, propulsées par l'excellent V10 Honda préparé par Mugen, sont une des bonnes surprises de ce championnat. Le vétéran Michele Alboreto a déjà inscrit cinq points et en plus a terminé toutes les épreuves. Hélas, Aguri Suzuki est beaucoup moins à son aise et a loupé deux fois sa qualification, au Mexique et au Canada. Une nouvelle suspension avant sur la FA13 l'aidera peut-être à retrouver ses sensations. Enfin, chez Fondmetal, Chiesa reçoit à son tour la GR02 et souhaite pouvoir se qualifier à son volant.
March enregistre l'arrivée d'un nouveau sponsor, les papiers à cigarette Rizla+, qui déjà sponsorisait les March F1 au début des années 80. Toujours dans cette équipe, Paul Belmondo bénéficie d'un sursis jusqu'au GP d'Allemagne. Lui aussi menacé chez Tyrrell, Olivier Grouillard sauve son volant grâce au soutien de la chaîne de télévision Eurosport. Larrousse arbore désormais sur ses flancs le logo des huiles Igol. Enfin, John Macdonald change le look des Brabham: leur livrée bleue et blanche laisse place à un mariage de mauve et de bleu foncé.
Peugeot vient de triompher au Mans avec sa 905 pilotée par l'équipage Derek Warwick - Mark Blundell - Yannick Dalmas. Suite à ce succès, des rumeurs indiquent que la marque au lion préparerait son entrée en Formule 1 à l'horizon 1994, comme motoriste voire comme constructeur. Jean Todt, le directeur de Peugeot Sport, dément formellement ces assertions.
Christian Fittipaldi accidenté
Samedi, Christian Fittipaldi est victime d'une violente sortie et heurte un mur de béton en marche arrière. Le jeune Brésilien sort seul de son habitacle, mais se plaint d'une très vive douleur à la nuque. Il est héliporté vers l'hôpital de Nevers. L'examen médical révèle qu'il souffre d'une fêlure de la cinquième vertèbre, ce qui est peut-être une conséquence d'une ancienne blessure. Heureusement, la colonne vertébrale n'est pas touchée.
Fittipaldi est en tout cas forfait pour le Grand Prix et astreint à quarante jours de convalescence. Minardi va donc devoir lui trouve un remplaçant pour les courses de l'été. Les noms d'Alex Zanardi et du Brésilien Maurizio Sandro Sala circulent.
Essais et qualifications
Équipées du V10 Renault RS4, les Williams accaparent aisément la première ligne de la grille. Mansell rencontre quelques soucis électroniques, mais il décroche sans peine sa septième pole de la saison (1'13''864''') au volant de son mulet. Il relègue Patrese à cinq dixièmes. Les McLaren-Honda (Senna 3ème, Berger 4ème) rencontrent des problèmes d'adhérence et rendent une seconde et demie aux Williams. Cela pique. La tenue de route des Benetton-Ford (Schumacher 5ème, Brundle 7ème) est perfectible, tout comme celle des Ferrari (Alesi 6ème, Capelli 8ème). En dépit d'un survirage persistant, les Ligier-Renault (Boutsen 9ème, Comas 10ème) sont très en verve à domicile. Hélas, Comas détruit sa monoplace vendredi dans un choc avec Berger. Les Lotus-Ford (Häkkinen 11ème, Herbert 12ème) sont performantes malgré quelques bris de suspensions.
Les Venturi-Lamborghini de l'écurie Larrousse (Gachot 13ème, Katayama 18ème) se montrent à leur avantage. Les Footwork-Mugen ne sont pas épargnées par les soucis. Alboreto (14ème) heurte un mur et Suzuki (15ème) manque de grip. Morbidelli (16ème) se dit un peu plus satisfait de sa Minardi M192. Fittipaldi est éliminé par sa blessure. Les Dallara-Ferrari modifiées de Lehto (17ème) et de Martini (25ème) ne tiennent toujours pas la route. Les Tyrrell-Ilmor (de Cesaris 19ème, Grouillard 22ème) subissent trop de pannes pour briller. Chez Jordan-Yamaha, Modena (20ème) s'affirme content de son châssis, contrairement à Gugelmin (24ème) qui se débat alternativement avec du survirage et du sous-virage. Les March-Ilmor sont à court de développement. Wendlinger (21ème) se sauve malgré une violente sortie le samedi qui le contraint à faire un saut à l'hôpital. Belmondo reste à quai. Tarquini (23ème) et Chiesa (26ème) qualifient les deux nouvelles Fondmetal. Les Brabham-Judd de van de Poele et de Hill concèdent au moins six secondes aux meilleurs et sont bien entendu éliminées.
Le Grand Prix
Mansell réalise le meilleur chrono du warm-up devant un Alesi très motivé. Le Français vise la troisième marche du podium derrière les Williams. A noter que, par prudence, ces dernières retrouvent pour cette course le V10 Renault RS3C.
Les tribunes du circuit de Magny-Cours sont remplies par des amateurs obstinés. Aux barrages des chauffeurs routiers se sont en effet ajouté les traditionnels embouteillages sur la RN7, au nord de Nevers. La météo n'est pas au beau fixe. Le ciel est très chargé et Météo France annonce des averses durant le Grand Prix.
Départ: Patrese grille la politesse à Mansell et s'empare du commandant. Derrière les Williams se trouvent Berger, Senna, Schumacher et Brundle.
1er tour: Schumacher manque totalement son freinage à l'épingle d'Adélaïde. Il harponne violemment Senna et l'expédie en tête-à-queue. Plus loin, Suzuki heurte Gachot qui se met à l'équerre et sème la panique dans le peloton. Gugelmin s'accroche avec Chiesa et Grouillard brise sa calandre contre la March de Wendlinger. L'Autrichien part en glissade, escalade les vibreurs et touche Modena. Senna et Gachot demeurent sur le carreau, tandis que Schumacher, Grouillard, Chiesa et Gugelmin rejoignent tant bien que mal les stands. Patrese mène devant Mansell, Berger, Brundle, Alesi, Häkkinen, Boutsen, Comas, Herbert et Capelli.
2e: Schumacher et Grouillard passent par la pit-lane pour remplacer leurs museaux puis repartent avec un tour de retard. Les dégâts sont en revanche trop importants pour Chiesa et Gugelmin qui mettent pied à terre. Senna regagne les stands à pied, furieux contre Schumacher.
3e: Mansell met la pression sur Patrese. Il commet dans la portion sinueuse une petite faute qui permet à Berger de revenir dans ses échappements. Boutsen et Comas, sur les deux Ligier, s'expliquent pour la septième place.
4e: On signale quelques gouttes de pluie. Mansell refait son retard sur Patrese.
5e: Les Williams sèment Berger, relégué à quatre secondes. Brundle est dans la boîte de l'Autrichien.
6e: Patrese mène devant Mansell (0.7s.), Berger (4.7s.), Brundle (5.7s.), Alesi (8.1s.), Häkkinen (10.5s.), Boutsen (13s.) et Comas (13.7s.).
7e: Mansell talonne Patrese mais ne parvient pas à porter d'estocade. Tarquini est éliminé par la rupture de son câble d'accélérateur. C'est son huitième abandon en autant de courses cette saison.
8e: Schumacher se retrouve dans le derrière de Capelli. Il finit par se dédoubler, signe du piètre niveau de la Ferrari.
9e: Patrese résiste à Mansell et abaisse le record du tour (1'19''287'''). Une demi-seconde sépare les deux compères.
11e: Patrese et Mansell prennent un tour à Grouillard. Berger se gare dans la pelouse, moteur fumant. Les deux McLaren-Honda sont out.
12e: Les Williams comptent dix secondes de marge sur Brundle. Quatrième, Alesi est sous la pression d'un Häkkinen très entreprenant.
13e: Patrese est en tête devant Mansell (0.7s.), Brundle (11.9s.), Alesi (16s.), Häkkinen (17.1s.), Boutsen (21.1s.), Comas (22s.), Herbert (24s.), Capelli (30s.) et Alboreto (35s.).
15e: Häkkinen grossit dans les rétroviseurs d'Alesi.
16e: Mansell tente de faire l'extérieur à Patrese avant l'épingle d'Adélaïde mais il lui manque quelques mètres pour s'imposer. A la réaccélération, il « croise » son équipier qui lui coupe la trajectoire. Les deux Williams abordent roue contre roue le court droit qui suit. Bien qu'il soit mieux placé à l'intérieur, Mansell lève prudemment le pied pour éviter une collision. Häkkinen prend l'avantage sur Alesi.
17e: Il pleut désormais sur Magny-Cours. Les pilotes baissent leur rythme, excepté Alesi qui pourchasse Häkkinen.
18e: L'averse redouble. Patrese prend un seconde d'avance sur Mansell. Alesi attaque Häkkinen à l'épingle, sans succès. Le Finlandais est ensuite bouchonné par Grouillard, et l'Avignonnais le surprend au freinage de la dernière chicane.
19e: La piste devient très glissante: déjà Modena et Grouillard se sont fait piéger. La direction de course brandit le drapeau rouge, estimant que les conditions météorologiques compromettent la sécurité de l'épreuve.
Les pilotes s'immobilisent devant les stands. Roland Bruynseraede annonce une interruption d'une vingtaine de minutes, le temps que l'averse cesse. Le classement, arrêté au 18ème tour, est le suivant: Patrese premier devant Mansell (0.9s.), Brundle (21.9s.), Alesi (31.1s.), Häkkinen (31.8s.), Boutsen (36.4s.), Comas (37.4s.), Herbert (38.5s.), Capelli (43.2s.), Alboreto (48.9s.), Suzuki (51.6s.), Morbidelli (55.4s.), Katayama (1m. 01s.), Modena (1m. 10s.), Martini (1m. 21s.), Wendlinger (1m. 24s.), Lehto (1m. 27s.), de Cesaris (1m. 29s.), Grouillard (-1t.) et Schumacher (-1t.). La course est amputée de trois boucles et repartira à compter du 19ème tour. Le classement final sera établi par addition des temps.
Frank Williams et Patrick Head n'ont pas du tout apprécié la résistance opiniâtre que Riccardo Patrese a opposée à Nigel Mansell. Dans leur esprit, la conquête des titres mondiaux prévaut désormais sur toute autre considération. Head prend Patrese à part pour lui laver la tête: « Tu es libre de défendre tes chances, à condition que ce ne soit pas au détriment de l'équipe ! » Le pauvre Italien comprend le message: il doit laisser Mansell gagner... Pendant ce temps-là, Ayrton Senna rend visite à Michael Schumacher et lui expose sa façon de penser. Le jeune Allemand se contente d'écouter les récriminations de son aîné d'un air narquois. Excédé, Senna tourne les talons. « Mais enfin, pour qui se prend-il ? » éructe le Brésilien. Sermonné par Flavio Briatore, Schumacher acceptera de présenter ses excuses un peu plus tard.
La pluie a cessé et le soleil point même à l'horizon. La piste sèche rapidement. Après vingt-cinq minutes de battement, Bruynseraede relance le peloton pour un second tour de formation. Les pilotes s'aperçoivent que l'humidité a pratiquement disparu et gardent leurs pneus slicks. Katayama cale son moteur et devra parti derrière tout le monde.
Second départ: Grouillard démarre deux bonnes secondes avant le feu vert et sème ainsi une certaine confusion. Martini met aussi les gaz trop tôt. Patrese reste premier devant Mansell, Brundle, Alesi et Häkkinen.
19ème: Dans la ligne droite menant à Adélaïde, Patrese adresse un signe de la main à Mansell pour le laisser passer. L'Anglais ne se fait pas prier et s'empare du commandement. Au freinage de l'épingle, Schumacher heurte la roue arrière-gauche de la Jordan de Modena, décolle et atterrit en marche arrière dans l'échappatoire. Cette fois, le jeune Allemand n'ira pas plus loin.
20e: De gros nuages noirs se pressent à nouveau dans le ciel nivernais. Mansell devance Patrese, Brundle, Alesi, Häkkinen, Boutsen, Comas, Herbert, Capelli et Alboreto.
21e: Mansell s'échappe devant Patrese et prend la tête au classement officiel. Capelli dépasse Herbert. Alors qu'il retient Suzuki, Grouillard aperçoit un commissaire brandissant le drapeau noir et blanc accompagné de son numéro. Il reçoit une pénalité de dix secondes pour avoir volé une départ. Interloqué, « Mermoz » décélère brutalement et surprend Suzuki. Le Japonais monte sur ses freins pour éviter la Tyrrell et atterrit dans un bac à sable.
22e: Mansell abaisse le record du tour à chaque passage. Grouillard observe son « stop-and-go » pendant que le pauvre Suzuki abandonne...
23e: Mansell tourne en 1'18''515'''. Alesi est au contact de Brundle. Le ciel est de plus en plus chargé.
25e: Le classement officiel est le suivant: Mansell premier devant Patrese (3.8s.), Brundle (29.5s.), Alesi (40.3s.), Häkkinen (43.9s.), Boutsen (51.4s.), Comas (53s.). Capelli (59s.) et Herbert (1m.). Modena abandonne, moteur cassé.
27e: Mansell est une seconde au tour plus rapide qu'un Patrese démotivé. Alesi évolue dans le sillage de Brundle, même si officiellement plus de dix secondes les séparent.
28e: Alesi harcèle Brundle dont le moteur coupe parfois bizarrement dans les virages à droite. Les Ligier de Boutsen et de Comas roulent de concert. Le Français aimerait aller chercher la sixième place que détient le Belge.
30e: Mansell compte sept secondes d'avance sur Patrese.
32e: Brundle maintient Alesi à distance tandis que Comas voit revenir un Capelli très incisif.
33e: Martini écope d'un « stop-and-go » de dix secondes pour avoir anticipé le second départ. Wendlinger renonce en panne de boîte de vitesses.
34e: Mansell rencontre des attardés mais garde un large avantage sur son équipier.
35e: Mansell est en tête devant Patrese (10.1s.), Brundle (39.5s.), Alesi (50.6s.), Häkkinen (57.4s.), Boutsen (1m. 08s.), Comas (1m. 10s.), Capelli (1m. 17s.), Herbert (1m. 28s.), Alboreto (1m. 37s.) et Morbidelli (1m. 47s.).
37e: Mansell signe le tour le plus rapide de la course (1'17''070''').
38e: Capelli renonce une nouvelle fois. Un panache de fumée bleue s'échappe de son moteur, ce que Sante Ghedini qualifiera de « panne électronique »...
40e: Mansell précède Patrese (14.3s.), Brundle (47.6s.), Alesi (55.7s.), Häkkinen (1m. 01s.), Boutsen (1m. 14s.), Comas (1m. 16s.), Herbert (1m. 37s.), Alboreto (1m. 50s.), Morbidelli (1m. 58s.), Katayama (-1t.) et de Cesaris (-1t.).
42e: Mansell poursuit sa ronde solitaire et porte son avance sur Patrese à quinze secondes.
43e: Le moteur de Brundle se tait pendant quelques instants, ce qui permet à Alesi et Häkkinen de le doubler. Au classement officiel, Brundle cède la troisième place à Alesi pour quelques centièmes.
44e: Mansell devance Patrese (14.3s.), Alesi (54s.), Brundle (54.3s.), Häkkinen (1m. 01s.), Boutsen (1m. 14s.) et Comas (1m. 16s.).
45e: Une nouvelle averse tombe sur Magny-Cours. Les parapluies s'ouvrent dans les tribunes.
46e: La piste s'humidifie assez rapidement. Dans les stands, les mécaniciens préparent les gommes rainurées. Néanmoins, pour le moment, les concurrents semblent décidés à poursuivre en slicks.
47e: Häkkinen glisse dans le dernier virage et exécute une pirouette. Il se relance sous le nez de Brundle.
48e: Mansell compte vingt-cinq secondes de marge sur Patrese. Boutsen part en tête-à-queue au virage du Lycée. Privé d'embrayage, il cale son moteur. Les commissaires le poussent vers l'échappatoire. Comas récupère la sixième position. Lehto et Grouillard entrent en contact à Adélaïde. Le Toulousain repart après une figure.
49e: Mansell entre aux stands pour chausser les pneus rainurés (9s.) et reprend la piste sans avoir perdu le commandement. Brundle stoppe chez Benetton pour la même raison (7s.) et chute au cinquième rang.
50e: L'asphalte est gras et humide. Patrese chausse les Goodyear striés (9s.). Ferrari rappelle Alesi aux stands pour prendre les pneus pluie, mais l'Avignonnais demeure rapide avec ses slicks usés et préfère demeurer en piste. Katayama se range sur un bas-côté avec un moteur coupé.
51e: Morbidelli et Grouillard passent en pneus pluie.
52e: Häkkinen, Comas et Lehto observent aussi des changements de pneus.
53e: Alesi glisse dans la courbe d'Estoril. Il exécute un 360° et par bonheur parvient à redémarrer avec une voiture intacte, sans avoir perdu sa troisième place. Arrêts pneus pour Alboreto et Martini. De Cesaris, encore en slicks, s'évanouit dans un tête-à-queue dans le virage Nürburgring. Sa course s'arrête là.
54e: Mansell mène devant Patrese (29s.), Alesi (50s.), Brundle (1m. 12s.) et Häkkinen (1m. 52s.). Herbert prend les pneus pluie.
55e: L'humidité dérègle le système de freinage des Lotus. Häkkinen doit céder la cinquième place à Comas.
57e: Alesi choisit (enfin !) de rentrer aux stands pour prendre des slicks. L'opération se déroule promptement, mais le pilote cale au redémarrage. Il enclenche la première au bout de vingt secondes, et entretemps Brundle a récupéré la troisième place.
59e: La pluie est maintenant importante et le bitume est complétement détrempé. Il reste dix tours à parcourir.
60e: Mansell devance Patrese (29s.), Brundle (1m. 12s.), Alesi (1m. 31s.), Comas (2m. 04s.), Häkkinen (-1t.), Herbert (-1t.), Alboreto (-1t.), Morbidelli (-1t.), Lehto (-1t.), Martini (-2t.) et Grouillard (-2t.).
62e: Alesi revient à son garage à faible allure. Son V12 vient de serrer. Il quitte son habitacle sous l'œil consterné de ses mécaniciens.
63e: Trente secondes séparent Mansell et Patrese. Brundle exécute un tête-à-queue en sortant de la dernière chicane. Il parvient à rester sur la piste et repart.
64e: Les conditions climatiques ne s'amélioreront pas d'ici le drapeau à damiers. Les coureurs évoluent maintenant dans un semi-brouillard. Häkkinen a retrouvé une bonne répartition de freinage et se lance à la poursuite de Comas.
65e: Mansell mène devant Patrese (36s.), Brundle (1m. 19s.), Comas (-1t.), Häkkinen (-1t.), Herbert (-1t.), Alboreto (-1t.) et Morbidelli (-1t.).
67e: L'intervalle entre les Williams monte à quarante secondes. Häkkinen est dans les échappements de Comas qui subit des coupures d'allumage. Il n'aura pas besoin d'aller chercher la Ligier car il l'a en fait déjà dépassée aux temps cumulés.
69ème et dernier tour: Nigel Mansell remporte sa sixième victoire de la saison devant son équipier Patrese. Brundle termine troisième et grimpe ainsi, à 34 ans, sur son premier podium officiel en F1 (*). Häkkinen se classe quatrième. Comas est cinquième et ramène deux point supplémentaires à Ligier. Herbert place la seconde Lotus au sixième rang. Alboreto échoue à la septième place pour la troisième fois consécutive ! Morbidelli, Lehto, Martini et Grouillard terminent aussi ce Grand Prix.
(*) Il avait achevé le GP de Détroit 1984 à la seconde place avant d'être déclassé suite au scandale Tyrrell.
Après la course
Le Premier ministre Pierre Bérégovoy remet la coupe du vainqueur à Nigel Mansell, sous les huées de la foule qui lui reproche de ne pas avoir su dégager les routes pour accéder à l'autodrome.
Mansell vient d'enlever son vingt-septième Grand Prix, ce qui lui permet de rejoindre Jackie Stewart au palmarès. Il est toutefois difficile de faire un rapprochement entre les deux pilotes, comme le rappelle Jabby Crombac dans Sport Auto, avec une pointe d'acidité: « Comparer Mansell à Stewart, c'est comparer un pilote d'instinct qui ne passe pour briller par son intelligence à un pilote, certes brillant, mais dont les succès étaient dus pour une grande part à ses qualités intellectuelles. »
Cette victoire de Mansell ne restera pas comme sa plus belle. Il ne fait aucun doute qu'après avoir résisté avec un certain brio aux assauts de son équipier avant l'interruption, Riccardo Patrese l'a laissé gagner. Le « fighting spirit » dont se réclament Frank Williams et Patrick Head a semble-t-il ses limites. Mais à l'arrivée, Patrese adopte la langue la bois: « Un nouveau doublé, super. Je suis heureux pour Nigel et pour moi. Deuxième, c'est ma place habituelle, et je m'y sens bien. » Personne ne le croit. Mansell tente de faire de l'humour: « Oui, Riccardo m'a fait signe de passer. Mais je ne sais pas pourquoi: il refuse de me le dire ! »
L'ambiance est plus que morose chez Ferrari. Harvey Postlethwaite reproche à Jean Alesi de s'être attardé en piste sous la pluie et d'avoir ainsi perdu la troisième place. « Il a raté le podium de sa faute en ne nous obéissant pas ! » affirme le technicien anglais. Alesi explose, déclare qu'il avait une meilleure appréciation des conditions de piste que ses ingénieurs et que, de toute façon, ce n'est pas de sa faute si le moteur a lâché. Excédé, l'Avignonnais quitte le circuit en hélicoptère sans s'attarder auprès de son staff.
Guy Ligier jubile: ses machines ont su briller dans leur jardin de Magny-Cours. Érik Comas affiche maintenant trois points dans son escarcelle et, sans un embrayage capricieux, Thierry Boutsen aurait eu aussi droit à sa récompense. Ce bon résultat offre un précieux bol d'air au « patron » qui a reçu quelques mises en garde de la part de ses « amis haut placés ». L'offensive Driot n'était pas un simple coup de poker, et « certains » souhaiteraient vivement que l'écurie bleue change de mains. A bon entendeur...
Drapeaux bleus ignorés, trajectoires erratiques, départ outrageusement volé... Olivier Grouillard ne s'est pas fait des amis à Magny-Cours, et plus généralement depuis le coup d'envoi de la saison. Le vilain petit canard de la colonie française se comporte en effet de façon détestable, comme s'il était seul en piste. Certains pressent Ken Tyrrell de le licencier, à l'instar de Peter Collins: « Je suis effaré de voir Grouillard conduire en F1 avec une telle attitude. Un jour, il fera mal à quelqu'un. » Mais pour le moment, fort de ses appuis financiers, le Toulousain est intouchable. Et puis au moins, Grouillard permet à son collègue Andrea de Cesaris de passer par comparaison pour un pilote irréprochable...
Tony