Alain Prost limogé !
En comparant la direction de sa Ferrari 643 à celle d'un camion au soir du Grand Prix du Japon, Alain Prost a sans le savoir scellé son destin. Cette déclaration, amplement relayée et déformée par la presse, devient le prétexte tant attendu par Maranello pour rompre son contrat. Les juristes de Fiat sont formels: il y a matière à licencier sans craindre une sanction judiciaire. Aussi, le mardi 29 octobre, la Scuderia annonce par un communiqué très sec qu'elle met fin à son rapport de collaboration avec M. Prost pour les saisons 1991 et 1992. Le triple champion du monde, le détenteur du record de nombre de victoires en Formule 1, est licencié comme un malpropre. L'intéressé apprend la nouvelle à Port Douglas, sur la côte de l'Océan Pacifique, par la voix de son avocat Me Jean-Charles Roguet. Incrédule, Prost envisage aussitôt de contre-attaquer en justice et s'entretient pour cela avec Julian Jakobi. De longues procédures s'annoncent. Mais sur le plan sportif, Prost est dans la nasse: il est à pied pour le GP d'Australie... et pour la saison 1992 !
Ainsi, la collaboration entre Alain Prost et Ferrari s'achève de la pire des façons. Pouvait-il en être autrement ? Moins que l'échec des 642 et 643, c'est la gestion sportive aberrante de la Scuderia et les incessantes intrigues politiques qui ont dégoûté le Français. Par ailleurs, celui-ci a voulu s'immiscer dans la direction de l'équipe et s'est heurté à l'orgueil et aux intérêts des huiles du « parti italien ». Prost a rapidement compris qu'il n'aurait jamais les coudées franches dans cette lourde structure au mode de gestion archaïque qu'est la Scuderia Ferrari. La belle série de l'été 90 et l'espoir de coiffer la couronne mondiale dissipés, ce partenariat improbable n'a pas manqué de se disloquer.
Quelques jours après son licenciement, Prost est contacté par Patrick Faure, le président de Renault Sport. Ce dernier met à profit cette opportunité pour tenter de donner vie à de ses projets les plus ambitieux: renouer le lien Prost - Renault, brutalement rompu fin 1983. Certes, le Forézien pourrait intégrer prochainement le système Ligier-Renault, si l'équipe de Magny-Cours lui donne de solides garanties. Mais Faure lui explique que la route de Boulogne-Billancourt ne passe pas forcément par la case bleue. Prost serait à moyen terme une recrue de choix pour le trio Williams-Renault-Elf. Sans doute pas pour 1992 (Mansell et Patrese ont des contrats en béton), mais pour 1993. Prost ne dit pas non. Faure doit cependant vaincre les réticences de Frank Williams qui a certes une grande estime pour le talent du Français, mais n'apprécie pas les pilotes qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, ce qui, pour lui, comprend tout ce qui se passe en dehors du cockpit...
Présentation de l'épreuve
Le classement mondial des pilotes est bouclé: Senna est champion du monde, Mansell et Patrese complètent le podium. En revanche, le titre des constructeurs reste disputé entre McLaren-Honda (132 points) et Williams-Renault (121 pts). L'intervalle de onze longueurs ne laisse cependant que peu de place au suspens. Il contraint en tout cas Williams à la victoire. La troisième marche du podium reviendra à Ferrari (55 pts) qui devance nettement Benetton-Ford (37 pts). Enfin, selon toute vraisemblance, la jeune écurie Jordan achèvera sa première année au cinquième rang, une jolie performance.
Ferrari réserve décidément bien des surprises en cette fin de saison. Ainsi, ce n'est pas Ivan Capelli qui est choisi pour piloter la n°27 à Adélaïde, mais Gianni Morbidelli, qui possède sur son compatriote l'avantage d'avoir déjà conduit la monoplace rouge en tant que pilote d'essais. Cela libère une place chez Minardi qui est récupérée par Roberto Moreno. Le Carioca connaît donc ainsi sa troisième écurie de la saison, après Benetton et Jordan. Enfin, Gérard Larrousse recrute Bertrand Gachot pour remplacer Éric Bernard, blessé au Japon et rapatrié vers la France. Le Franco-Belge doit cet engagement au soutien de Marlboro et d'un commanditaire nippon. Pour Gachot, il s'agit avant tout de reprendre contact avec la Formule 1. Après ses deux mois d'emprisonnement, sa condition physique est perfectible et il a peu de chances de se qualifier.
La situation financière des petites équipes est passablement dégradée en cette fin d'année, et il est probable que le plateau 1992 sera plus clairsemé. Ce Grand Prix sera ainsi le dernier du Modena Team de Carlo Patrucco qui n'a plus le sou. Lamborghini ne bougera pas le petit doigt pour sauver cette structure semi-officielle qu'elle n'a au fond jamais désirée. Chez Brabham, c'est aussi la débandade: Dennis Nursey, le représentant de Middlebridge, a donné congé aux mécaniciens à compter du retour en Europe. Presque tous les ingénieurs ont quitté le navire, y compris le premier d'entre eux, Sergio Rinland. Pourtant Nursey affirme que l'équipe sera au départ de la saison 92 avec comme pilotes Éric van de Poele et le très inconnu Japonais Akihiko Nakaya. L'avenir n'est pas plus rose pour Fondmetal: Gabriele Rumi serait las de payer sans résultat et envisagerait de liquider ou de vendre son écurie, ex-Osella.
Enfin, Tyrrell elle-même pourrait disparaître. Le team d'Ockham n'a ni sponsor, ni motoriste, ni pilote pour 1992. Ken Tyrrell serait prêt à vendre son affaire pour neuf millions dollars, tout en conservant par-devers lui les installations les plus modernes (soufflerie, centre de fabrication de carbone etc.). Il est question d'une alliance avec le Paul Stewart Racing, l'écurie de Formule 3000 appartenant au fils de Jackie Stewart. En tout cas, Ken Tyrrell, son fils Bob, et Rupert Manwaring, le team manager se démènent pour dénicher un partenaire.
La défaite de Nigel Mansell à Suzuka a suscité dans la presse des commentaires acerbes à son égard. Le Britannique s'est vu qualifié au mieux d'« éternel perdant », au pire de « balourd ». Peu de monde accrédite ses explications embarrassées consécutives à sa sortie de route. Frank Williams lui-même, pourtant très indulgent à son égard, paraît exaspéré. Cet échec, après ceux de 1986 et 1987, paraît sonner le glas de ses ambitions mondiales. « Il faudra qu'un jour Williams fasse le distinguo entre ceux qui ont remporté trois titres mondiaux et celui qui en a perdu trois... » lâche Nelson Piquet, toujours acide. Mansell balaie ces critiques avec mépris: il est certain de disposer en 1992 d'une Williams-Renault excellente, bourrée de gadgets électroniques, avec laquelle il en remontrera avec ses détracteurs.
Car justement, l'équipe de Didcot apporte en Australie un châssis FW14 doté d'une « suspension active », une lointaine évolution du système « réactif » éprouvé en 1987. Ce dispositif commandé par un logiciel préprogrammé permet d'anticiper les dénivellations et les aspérités d'une piste, et donc de parfaire la motricité. Sa conception est l'œuvre de Paddy Lowe, le jeune chef du département électronique. Pour l'heure, cette suspension active est encore en phase de test. Elle n'apparaîtra qu'aux essais libres, avant d'être plus amplement expérimentée durant l'intersaison par Nigel Mansell, Riccardo Patrese et l'essayeur Damon Hill.
Essais et qualifications
Les Brabham-Yamaha et les Footwork-Ford se sortent des pré-qualifications. Tarquini fracasse sa Fomet contre un mur et passe à la trappe, tout comme Hattori qui découvrait ce tracé avec sa Coloni.
Les essais qualificatifs du vendredi se déroulent sur piste sèche, tandis que ceux du samedi sont perturbés par une violente averse. Les pilotes ne peuvent prendre la piste que dans le dernier quart d'heure de cette séance. Senna réalise la soixantième pole position de sa carrière (1'14''041'''), en réussissant l'exploit d'améliorer son chrono samedi après-midi, malgré un fort trafic. Bien qu'affaibli par une grippe intestinale, Berger accompagne son équipier en première ligne, en lui concédant trois dixièmes. Les Williams-Renault (Mansell 3ème, Patrese 4ème) sont en seconde ligne, nettement dominées par les McLaren. Les Benetton-Ford suivent sur la troisième rangée. Pour une fois, Piquet (5ème) devance Schumacher (6ème) qui a effectué un tête-à-queue. Les Ferrari (Alesi 7ème, Morbidelli 8ème) sont instables et se trouvent donc reléguées en quatrième ligne.
Les Pirelli tendres sont efficaces sur piste sèche. Modena en profite pour se classer neuvième avec sa Tyrrell-Honda. Il détruit cependant un châssis contre un mur. Comme d'habitude, Nakajima est à la peine sur les tracés urbains et n'est que vingt-quatrième. Belle performance de Martini, dixième avec la Minardi. Moreno est mal installé dans son cockpit et se contente du dix-huitième temps. Les Dallara rencontrent beaucoup de soucis lors des séances libres: deux accidents pour Lehto, un incendie et une douleur au coude pour Pirro. Heureusement, les essais officiels se déroulent sans encombre. Le Finlandais se qualifie onzième, l'Italien treizième. Chez Jordan, de Cesaris (12ème) rencontre du survirage et Zanardi (16ème) plie sa coque et doit finir ses essais sur le mulet. Gugelmin (14ème) est content de sa Leyton House, contrairement à Wendlinger (26ème) qui se plaint de sa position de conduite et ne peut éviter un accident. Pour la seconde fois seulement cette saison, les deux Footwork (Alboreto 15ème, Caffi 23ème) acquièrent leurs places sur la grille. Blundell est 17ème pour sa dernière sortie avec la Brabham-Yamaha. Brundle restera au garage à cause d'une fuite de liquide de frein survenu au plus mauvais moment: samedi sur piste sèche.
Bel exploit de Larini, 19ème chrono pour la dernière apparition de la Lambo. Son collègue van de Poele, handicapé par des soucis d'amortisseurs, ne peut se qualifier. Les Ligier ont un comportement routier catastrophique et cassent plusieurs moteurs Lamborghini. Les qualifications de Boutsen (20ème) et de Comas (22ème) tiennent du miracle. Herbert (21ème) et Häkkinen (25ème) sauvent leurs Lotus malgré quelques touchettes. Enfin, rude fin de saison pour le team Larrousse: ni Suzuki (sortie de route) ni Gachot (à court d'entraînement) ne seront au départ du Grand Prix.
Le Grand Prix
Dimanche 3 novembre, une mini-tornade menace Adélaïde. L'aéroport est fermé et, si le warm-up du matin se déroule sur piste sèche, tout le monde se prépare au déluge. Celui-ci éclate au tout début de l'après-midi. Le circuit est rapidement inondé, surtout dans les lignes droites où le drainage s'effectue avec peine. De profonds sillons creusés par la circulation urbaine retiennent l'eau. Bref, la situation est encore pire qu'en 1989. On s'attend à une annulation de l'épreuve ou à une fronde des pilotes. Mais curieusement, la direction de course ne prend pas d'initiative et aucun pilote ne refuse de prendre le départ. Comme en 1989, Bernie Ecclestone a donné ses consignes: priorité à la télévision, pas question d'annuler ! Ayrton Senna demande néanmoins à Roland Bruynseraede et à Tim Schenken, le directeur de course, de tout arrêter au moindre signe de sa part.
Bien évidemment, tous les pilotes s'élancent en pneus rainurés. Schumacher prend le mulet Benetton, réglé pour piste sèche, à cause d'un souci d'alimentation sur sa voiture de course.
Tour de formation: Les concurrents font preuve d'une extrême circonspection et s'aperçoivent que de larges flaques parsèment le bitume. La pluie tombe drue, et l'on peut craindre de terribles accidents...
Départ: Senna et Berger s'envolent bien et conservent leurs positions. Mansell est troisième, suivi par les Benetton de Piquet et Schumacher. Patrese patine à l'accélération et se retrouve septième.
1er tour: Les conditions météorologiques sont apocalyptiques. La visibilité est nulle. L'eau ruisselle sur Brabham Straight, où la plupart des pilotes demeurent en quatrième, voire en troisième vitesse. Schumacher attaque pourtant Piquet à cet endroit, mais en vain. Morbidelli dépasse Patrese. Senna mène devant Berger, Mansell, Piquet, Schumacher, Alesi, Morbidelli, Patrese, Pirro et Modena.
2e: Senna compte trois secondes d'avance sur Berger, menacé par Mansell. Schumacher déborde Piquet au premier virage.
3e: Berger exécute un demi-tête-à-queue et reprend la piste derrière Mansell. Schumacher essaie de doubler l'Autrichien au bout de Brabham Straight mais sans résultat. Nakajima heurte Boutsen à l'arrière et endommage sa calandre. Il rejoint les stands pour réparer.
4e: Mansell fend les flots et revient à une seconde de Senna. Suivent Berger (8s.), Schumacher (8.8s.), Piquet (11.8s.), Alesi (12.6s.), Morbidelli (17s.), Patrese (18s.), Pirro (21s.) et de Cesaris (22s.).
5e: Mansell demeure dans le sillage de Senna tout en laissant un intervalle pour ne pas être aveuglé par les projections d'eau. Schumacher fait un tête-à-queue en suivant Berger. Il se relance entre Piquet et Alesi. Nakajima quitte la route à la première chicane et cette fois doit abandonner.
6e: Piquet effectue un 360° et se retrouve sous la menace de Schumacher. Celui-ci tente de le déborder dans Brabham Straight, par la gauche, puis par la droite. A cet instant, l'Allemand perd le contrôle de sa voiture qui se met à l'équerre et vient emboutir la Ferrari d'Alesi qui tentait d'avaler les deux Benetton ! Les deux pilotes percutent le mur de béton. Ils sont indemnes mais leurs bolides restent sur la piste. Quelques secondes plus tard, Larini part en aquaplanage au même endroit et heurte la Ferrari d'Alesi qui heureusement venait de quitter son cockpit. Patrese dépasse Morbidelli.
7e: Scène de carnage sur Brabham Straight: la Lamborghini de Larini et la Ferrari d'Alesi sont en travers de la piste. Les commissaires déploient les drapeaux jaunes pour permettre leur évacuation. Mansell attaque Senna à cet endroit avant de lever le pied. Boutsen met pied à terre: un de ses triangles de suspension a été endommagé lors du choc avec Nakajima. Wendlinger passe par son garage pour faire examiner son moteur qui coupe par intermittence. Il est renvoyé en piste.
8e: Senna mène devant Mansell (2.7s.), Berger (5.7s.), Piquet (19.3s.), Patrese (30.4s.), Morbidelli (32.8s.), Pirro (38s.), de Cesaris (40s.), Modena (43s.) et Gugelmin (45s.). Un véhicule officiel intervient dans la grande ligne droite pour tracter les trois monoplaces accidentées.
9e: L'averse ne faiblit pas. Senna rencontre les premiers retardataires. Mansell le laisse filer pour l'instant.
10e: Mansell comble à nouveau son retard sur le leader. Martini part dans une embardée sur Brabham Straight et heurte de face le muret intérieur avant de rebondir vers la piste. L'Italien s'arrête sur le bas-côté, près de l'épave de la Ferrari d'Alesi. Caffi, qui suivait de près son compatriote, l'évite au prix d'un freinage appuyé.
11e: Caffi gêne Senna. Il est difficile aux retardataires de s'écarter car chaque changement de trajectoire peut s'achever en aquaplanage.
12e: La pluie redouble et la visibilité est encore amoindrie. Caffi s'écarte devant Senna et Mansell. Patrese navigue en cinquième position avec beaucoup de difficultés car un débris d'aileron s'est logé sous le museau de sa Williams.
13e: Senna précède Mansell (0.8s.), Berger (7.8s.), Piquet (26.2s.), Patrese (43.7s.), Morbidelli (46s.), Pirro (48s.) et de Cesaris (53s.).
14e: Berger achève le meilleur de la course: 1'41''141'''. Gugelmin sort de la route dans le virage qui précède l'entrée des stands et heurte le mur rudement, sans dommage corporel heureusement.
15e: Mansell demeure sur les talons de Senna. Berger se rapproche des deux leaders.
16e: L'averse est telle que le circuit est plongé dans une semi-obscurité. Même à la télévision il est quasi impossible de distinguer les voitures. Mansell perd le contrôle de sa Williams sur Flinders Street et heurte le mur par l'arrière. Sonné par le choc, l'Anglais reste dans son habitacle. Alboreto glisse un peu plus loin et se retrouve en travers de la piste. Modena exécute un 360°. Berger part en tête-à-queue dans la courbe Malthouse et parvient à repartir. Mais quelques secondes plus tard, il quitte de nouveau la piste et cette fois touche les protections. La confusion est totale. Patrese a laissé passer Morbidelli et Pirro.
17e: A l'entame de ce tour, Senna adresse le signal prévu à Tim Schenken. Il est impossible aux pilotes de continuer à piloter, tous roulent au pas. Une ambulance entre sur le circuit pour porter secours à Mansell. Le drapeau rouge est agité.
A cet instant, Senna est premier devant Piquet, Morbidelli, de Cesaris, Zanardi et Modena. Tous se rangent sur la grille de départ. Bruynseraede et Schenken décident dans un premier temps de relancer la course après dix minutes de pause. Mais la pluie ne cesse pas, et cette fois les pilotes se rebellent, Ayrton Senna et Riccardo Patrese en tête. Les directeurs sportifs eux sont eux partagés. « Un second départ serait pure folie », assène Ron Dennis qui, depuis l'abandon de Mansell, sait que son équipe a remporté le titre constructeurs. A contrario, Claudio Lombardi, Flavio Briatore, Eddie Jordan et Guy Ligier, alléchés à l'idée d'encaisser des gros points (capitaux pour la répartition des droits TV...), plaident pour le redémarrage. Les officiels tergiversent et consultent la météo australienne qui ne promet aucune amélioration. Par bonheur, Ecclestone a quitté les lieux, et n'est donc pas là pour exercer une pression néfaste.
Finalement, après une heure d'attente, Bruynseraede et Schenken décident de stopper définitivement le Grand Prix. Le classement pris en compte sera celui du 14ème tour et la moitié des points sera distribuée, conformément au règlement. « C'est dommage, commente Jordan, nous voulions que Zanardi reparte en ski nautique, tiré par de Cesaris... »
Ayrton Senna est déclaré vainqueur devant Mansell et Berger. Piquet se classe quatrième pour ce qui était sans doute son dernier Grand Prix. Patrese hérite d'une méritante cinquième place. Morbidelli, sixième, inscrit son premier demi-point en F1. Pirro, de Cesaris, Zanardi, Modena, Herbert, Lehto, Alboreto, Gugelmin, Caffi, Moreno, Blundell, Comas, Häkkinen et Wendlinger sont aussi classés. McLaren-Honda remporte le championnat mondial des constructeurs pour la quatrième année de rang.
Après la course
Ayrton Senna et Gerhard Berger sablent seuls le champagne. Nigel Mansell se trouve en effet à l'hôpital de campagne pour subir des examens. Il souffre d'une cheville, mais rien de grave. L'Anglais profite dans la soirée d'une accalmie pour sauter dans le premier avion à destination de l'Angleterre. Pendant ce temps-là, Williams et Renault digèrent cette double défaite aux championnats mondiaux. Patrick Head et Bernard Dudot échangeant un regard entendu: seuls une fiabilité déficiente et un Senna hors norme les ont vaincus en 1991. 1992 sera l'année Williams-Renault... Du moins n'en doutent-ils pas.
Après la cérémonie officielle, Jackie Stewart interroge les deux pilotes McLaren sur les conditions météorologiques. « En 1989, c'était déjà impossible, cette fois, ce fut pire », assure Senna. « L'eau s'évacuait mal. Cette piste ne supporte pas la pluie, même fine. Les flaques sont partout, surtout là où on ne les attend pas. Les organisateurs ont eu tort de donner le départ, mais ils ne sont pas seuls en cause. Les pilotes, les team-managers, les officiels ont leur part de responsabilité. Gerhard et moi avons pris le départ en accord avec Ron Dennis, car nous savions que c'était une épreuve importante pour l'équipe. Une fois en course cependant, Ron m'a laissé seul juge. » Puis, avec Gerhard Berger, il soulève l'idée d'une renaissance du GPDA afin de permettre aux pilotes de peser sur les décisions des officiels et de faire contre-poids à l'influence de la FOCA. Il a du pain sur la planche car le responsable du Grand Prix d'Australie, Mel Hemmerling, balaie ses remarques et soutient, contre toute évidence, que « la piste était parfaite ! »
La transfiguration de Magic
Ces prises de position d'Ayrton Senna soulignent en tout cas l'évolution du personnage. En 1989, alors que déjà le circuit d'Adélaïde était noyé sous les flots, et qu'il n'avait là encore rien à gagner, il avait absolument tenu à prendre le départ, ignorant les angoisses de ses pairs. « J'ai mûri, plus sur le plan humain qu'au niveau du pilotage », avoue-t-il dans un entretien accordé à Anne Giuntini, de L'Équipe magazine. L'homme-enfant introverti, vindicatif et rancunier, s'est mué en trentenaire réfléchi, pondéré, conscient de ses hautes responsabilités. Sans perdre une once de son exceptionnel talent, bien au contraire. En 1991, Senna a réalisé une saison exemplaire, malgré un matériel loin d'être à la hauteur de ses ambitions. Pour la première fois, il a su privilégier le calcul sur le panache, refréner ses ardeurs pour emmagasiner de gros points, pendant que Nigel Mansell ne savait que gagner ou abandonner. Il a fait montre d'un sens de la mesure et de la stratégie qu'on ne lui connaissait guère. Il a appris, non pas à perdre, mais à ne pas toujours gagner, pour mieux triompher au final. Voilà un Senna « prostien », en somme. Ce qui ne l'a pas empêché de signer d'authentiques exploits: son succès à Interlagos, avec une seule vitesse dans les mains, restera dans toutes les mémoires. A n'en pas douter, Magic est au sommet de son art et, à seulement 31 ans, semble parti pour battre tous les records. Il ne déplairait pas de rejoindre son ami Juan Manuel Fangio et ses cinq couronnes inscrites au palmarès.
Senna assagi ? Ses détracteurs poussent des cris et pointent du doigt ses récentes sorties insultantes à l'égard de Nigel Mansell et de Jean-Marie Balestre. C'est oublier qu'il a su faire la paix avec Alain Prost. Par ailleurs, le 6 décembre 1991, la traditionnelle remise des titres mondiaux par la FIA, au siège de l'Automobile Club de France à Paris, réserve une grande surprise. Lorsqu'Ayrton reçoit son prix, il s'adresse ainsi au président Balestre: « Je souhaite que l'on mette un terme à tout ce qui nous a opposé par le passé. Tout est définitivement oublié aujourd'hui. » Puis, il offre un de ses somptueux casques jaunes au président de la FIA qui, ému, et faisant allusion à la foi revendiquée de son interlocuteur, lui répond: « Moi aussi, je suis inspiré par Dieu. Et Dieu a dit de pardonner ! » Balestre et Senna tombent dans les bras l'un de l'autre. Scène inouïe qui clôt magnifiquement cette splendide saison de Formule 1.
Tony