Escale andalouse pour la Formule 1
Le dernier Grand Prix d'Espagne a eu lieu en 1981 à Jarama, alors que le boycott des écuries « légalistes » en 1980 était encore dans toutes les mémoires. Depuis, les relations étaient mauvaises entre la FOCA et le Royal Automobile Club d'Espagne, propriétaire du circuit madrilène. Mais en cinq ans, la situation a évolué. L'Espagne a rejoint la CEE et son marché automobile est très prometteur. La télévision espagnole retransmet les courses en direct, ce qui promet de juteux bénéfices à Bernie Ecclestone. Dès lors, un nouveau Grand Prix est envisageable. Plutôt que revenir à Jarama ou à Montjuïc, Ecclestone valide le projet du circuit andalou de Jerez de la Frontera, situé à proximité de Séville. Cette initiative lancée par le maire de Jerez Pedro Pacheco Herrera doit promouvoir le tourisme dans une région où, à l'exception des immenses plages du littoral, la seule richesse est vinicole. L'événement est d'ailleurs commandité par les vins Tio Pepe. Le contrat de sept ans prévoit un partage de l'organisation entre la FOCA et le Conseil d'Andalousie.
Construit en neuf mois moyennant dix millions de dollars, le circuit laisse perplexe. Très sinueux, lent, monotone, parsemé d'embûches, il ne présente aucun intérêt au niveau du pilotage. Pire encore, la sécurité est déficiente. Dans certaines portions, l'asphalte est bordé de trous. Les protections de béton sont soit inexistantes, soit trop proches de la piste. Les pilotes sont mécontents. Pour certains, « c'est Monaco au milieu d'une prairie... » « Du caca... Les pneus vont souffrir et les pilotes s'emmerder à la queue-leu-leu...» commente René Arnoux. « Tout à l'heure, je me suis arrêté au pied d'un échafaudage protégé par cinq pneus de R4 empilés, raconte Jacques Laffite. Imaginez le choc à 220 km/h. Non, on ne vient pas sur un circuit encore en chantier. » Les infrastructures extérieures sont nulles, avec des hôtels minuscules et des parkings en terre battue ! En revanche, les stands, les tribunes et la salle de presse sont superbes.
Présentation de l'épreuve
Henri Julien, le directeur de l'ancienne écurie de Formule 2 AGS, songe depuis dix-huit mois à se lancer en Formule 1. Il a pour cela racheté un important lot de pièces, et notamment des coques en carbone, à feue Renault-Elf, et s'est associé au team italien Jolly Club. Mais les deux parties viennent de se séparer, Jolly Club lorgnant plutôt vers les Lola-Hart dont Carl Haas va prochainement se débarrasser. Le projet AGS, déjà fort avancé, va-t-il capoter ?
Au lendemain d'un pitoyable Grand Prix du Brésil, les Brabham BT55 sont restées trois jours à Rio pour déterminer l'origine de leurs nombreux problèmes. Suite à des erreurs sur les plans, des éléments de la suspension arrière ont été incorrectement usinés... Le collecteur d'admission est retouché. Des trompettes allongés sont montées afin d'améliorer les reprises du quatre cylindres à bas régime. Lotus-Renault étrenne des conduits d'admission de type « dromadaire » non encore fournis à Tyrrell et à Ligier. La Scuderia a beaucoup roulé à Fiorano pour gommer les imperfections de la toute jeune F1/86. Enzo Ferrari a accédé aux demandes de Jean-Claude Migeot et lancé la construction d'une soufflerie à tapis roulant. « Ferrari doit accroître sa culture aérodynamique » déclare Marco Piccinini. Par ailleurs, la firme au cheval cabré clame son intention de participer au championnat CART d'ici 1987. Enfin, Arrows teste des freins en fibre de carbone Dunlop.
Tyrrell lève le voile sur la 015 qui possède une coque similaire à la 014, mais située plus bas et dotée de formes plus arrondies. Le capot recouvre intégralement le moteur tandis que les freins arrière sont intégrés aux roues. C'est la seule voiture dont les sorties d'aération sont placées sur le dessus des pontons. Elle est enfin dotée du moteur Renault EF15B « DP ». Martin Brundle pilote ce modèle à Jerez. Malheureusement, il le détruit samedi après-midi en s'écrasant contre le grillage délimitant l'enclos du motor-home Elf ! « Cet incident est de ma faute, admet le jeune Britannique. J'ai été surpris par la puissance incroyable du moteur Renault nouvelle version que j'utilisais pour la première fois... Par rapport à l'ancien, le gain est d'environ 300 chevaux ! »
Le directeur de Renault Sport Bernard Casin se promène dans le paddock, satisfait de l'excellent début de championnat des moteurs français. « Vous voyez, lui dit un mécanicien en plaisantant, il suffisait de virer Gérard Toth pour que tout fonctionne... » La marque au losange restructure en tout cas son département compétition puisque Patrick Faure sera nommé quelque jours plus tard président de Renault Sport. Le duo Faure - Casin devra gérer une situation complexe: assurer le bon développement du V6 turbo tout en n'ayant aucune assurance quant à l'avenir Après avoir liquidé l'écurie Renault-Elf, le patron de la Régie Georges Besse envisage en effet un retrait complet et définitif de la Formule 1. Le nouveau gouvernement de Jacques Chirac l'encourage en ce sens.
En attendant, Guy Ligier s'emporte contre Renault Sport: « Ils ne peuvent pas nous voir... » maugrée-t-il en tirant sur une cigarette. La cause de son courroux ? Tandis que Senna dispose de deux V6 à distribution pneumatique, les Bleus n'en reçoivent qu'un seul pour leurs deux pilotes. Ceux-ci dissimulent derrière leur jovialité naturelle une rivalité feutrée. Laffite digère mal qu'Arnoux ait le privilège de travailler directement avec Michel Tétu, le concepteur de la JS27. « Il n'y a pas de premier pilote dans mon équipe ! » martèle Ligier. Certes, mais il faut bien décider à qui ira ce fameux moteur DP et l'ancien rugbyman se montre incapable de trancher. Finalement, Arnoux dénoue la crise en l'offrant généreusement à Laffite... qui retrouve un peu le sourire.
Les qualifications
Les simulations informatiques prévoyaient sur ce nouveau circuit une moyenne au tour de 135 km/h... Lourde erreur ! Les pilotes tournent à environ 175 km/h ! Les mines des ingénieurs s'allongent. Tous les calculs de consommation sont à revoir...
De nouveau, personne ne peut approcher « Magic » Senna qui réalise sa neuvième pole position, précédant de plus de huit dixièmes les Williams de Piquet et de Mansell. C'est la centième pole du Team Lotus. Certains mettent toutefois en doute la légalité de la 98T et affirment que le modèle « spécial qualifications » de Senna est doté de pontons flexibles créant un effet de sol. Gérard Ducarouge réplique en faisant examiner son correcteur d'assiette, parfaitement légal. Mais il est probable que la suspension de cette Lotus est impitoyable car Senna, épuisé, est contraint de recourir aux services du célèbre masseur Willy Dungl pour se remettre de ses efforts.
Malgré une pointe de sous-virage, les McLaren de Prost (4ème) et de Rosberg (5ème) sont plus compétitives qu'à Rio. Les Ligier d'Arnoux (6ème) et de Laffite (8ème) confirment leur excellent potentiel. Les Benetton sont munies de nouveaux Pirelli aux flancs plus raides qui correspondent mieux à leurs caractéristiques. Les progrès sont significatifs: Berger se classe septième, Fabi neuvième. Dumfries (10ème) réduit à trois secondes et demie son retard sur Senna. Les Ferrari (Johansson 11ème, Alboreto 13ème) manquent d'appuis sur ce tracé bosselé.
Après avoir démoli la 015, Brundle se rabat sur la 014 de réserve et se classe douzième. Streiff (20ème) est moins à l'aise. Les Brabham BT55 sont toujours aussi mauvaises et s'extraient des virages serrés avec une lenteur désespérante. Patrese (14ème) et de Angelis (15ème) sont écœurés. En revanche, Palmer s'extasie devant l'excellente seizième place obtenue par une Zakspeed en réels progrès. Les Lola-Hart de Jones et de Tambay sont reléguées sur la neuvième ligne. Les Arrows (Boutsen 19ème, Surer 22ème) ont collectionné les surrégimes, vidant le stock de pièces de rechange de BMW. En fond de grille on trouve comme de juste les Osella (Ghinzani 21ème, Danner 23ème) et les Minardi (de Cesaris 24ème, Nannini 25ème).
Le Grand Prix
La course se déroule sous un ciel dégagé bien que l'atmosphère soit fraîche. Les gradins flambant neufs sont presque vides. On ne compte que 15 000 spectateurs au grand maximum. Ce nouveau Grand Prix d'Espagne est un « bide » complet, mais qui hélas était prévisible, la célèbre Semaine sainte de Séville se déroulant en parallèle. Comme l'écrit le journaliste Maurice Hamilton, cet événement prouve que la Formule 1 moderne est un pur produit de l'âge de la télévision. La densité du public importe peu à Ecclestone qui se remplit beaucoup plus sûrement les poches avec les droits TV.
Rosberg démarre sur son mulet à cause d'une panne de moteur lors du warm-up. Sur les recommandations de Lee Gaug, tous les pilotes équipés par Goodyear sélectionnent les enveloppes B. Chez Pirelli, le choix concerne les pneus arrière, soit tendres soit durs.
Tour de formation: Nannini regagne le stand Minardi avec une panne de différentiel et ne prendra pas le départ.
Départ: Senna démarre sans mal devant Piquet, Mansell, Rosberg et Prost. Berger manque complètement son envol. Au premier virage, Fabi tente de déborder Laffite par l'intérieur et brise son aileron avant contre la Ligier.
1er tour: Jones harponne Palmer à l'épingle n°10. L'Australien se retrouve en tête-à-queue dans le sable et renonce. Senna mène devant Piquet, Mansell, Rosberg, Prost, Arnoux, Laffite, Dumfries, Johansson, Brundle, Alboreto et Berger. Fabi s'arrête chez Benetton pour recevoir un nouveau museau. Palmer revient aux stands avec un flanc droit éventré et abandonne.
2e: Piquet se débat avec une Williams sous-vireuse. Rosberg déborde Mansell par l'intérieur du virage n°2. Johansson double Dumfries tandis qu'Alboreto et Berger dépassent Brundle. De Cesaris met pied à terre, différentiel cassé comme son équipier.
3e: Senna, Piquet, Rosberg, Mansell, Prost, Arnoux et Laffite roulent en peloton. Alboreto et Berger passent devant Dumfries.
4e: Les sept premiers se tiennent en quelques secondes. Rosberg menace Piquet. Sans s'en apercevoir, le Finlandais a commis une erreur grossière: il a tourné à fond la molette de pression de suralimentation pour dépasser Mansell... et a oublié de la redescendre !
5e: Senna mène devant Piquet (0.8s.), Rosberg (1.1s.), Mansell (1.6s.), Prost (1.8s.), Arnoux (3s.) et Laffite (3.4s.). Patrese prend la douzième place à Brundle.
6e: Prost chipe la troisième place à Mansell. Les Ferrari de Johansson et d'Alboreto se rapprochent des sept premiers.
8e: Pas de changement en tête. Patrese abandonne après avoir cassé sa transmission.
9e: Tambay effectue un long arrêt au stand Haas pour changer sa pédale de frein défectueuse.
10e: Senna devance Piquet (0.7s.), Rosberg (1.3s.), Prost (1.8s.), Mansell (3.1s.), Arnoux (3.7s.), Laffite (4.5s.), Johansson (7.6s.), Alboreto (8.5s.), Berger (26s.) et Dumfries (27.6s.).
11e: Mansell et les Ligier perdent un peu le contact avec les quatre premiers. Johansson est privé de freins en abordant la grande épingle. Il tire tout droit dans la terre avant de s'échouer durement contre une pile de pneus. Bridé par son harnais, le Suédois subit le « coup du lapin » et, s'il sort seul de son habitacle, c'est pour aussitôt s'évanouir. Les nouveaux freins « made in Ferrari » sont terriblement fragiles...
12e: Johansson est évacué sur une civière par les commissaires et placé dans une ambulance. Il n'est pas blessé mais extrêmement choqué. Ghinzani abandonne sur panne de moteur.
13e: Le train comprenant Senna, Piquet, Rosberg, Prost, Mansell, Arnoux et Laffite est reconstitué. Alboreto leur concède cinq secondes.
15e: Senna devance Piquet (0.9s.), Rosberg (1.9s.), Prost (2.3s.), Mansell (2.7s.), Arnoux (3.3s.) et Laffite (5s.).
16e: Mansell a jusqu'ici adopté un rythme paisible pour répondre aux instructions de son ordinateur de bord. Désormais certain d'avoir assez d'essence pour aller jusqu'au bout, il passe à l'attaque.
17e: Danner rejoint le garage Osella. Il a cassé son V8 Alfa Romeo comme son équipier. De Angelis stoppe chez Brabham pour changer de pneus.
18e: De Angelis ressort des stands juste devant Senna qui tente de le doubler par l'intérieur au deuxième virage. Le Romain ne voit pas son ancien équipier et l'oblige à mettre deux roues dans la poussière pour passer.
19e: Mansell surprend Prost par l'intérieur au second virage et lui reprend la quatrième place. Il menace ensuite Rosberg.
20e: Senna précède Piquet (1.6s.), Rosberg (2.8s.), Mansell (3.2s.), Prost (3.7s.), Arnoux (5.9s.), Laffite (7.8s.), Alboreto (18s.), Berger (49s.), Dumfries (54s.) et Brundle (55s.).
21e: Brundle prend la dixième place à Dumfries.
23e: Les écarts se resserrent entre les cinq premiers. Alboreto regagne le stand Ferrari avec un roulement de roue cassé. Les deux bolides rouges sont hors course.
24e: Streiff s'arrête dans l'herbe avec un moteur en feu suite à une fuite d'huile. Arnoux rejoint son stand au petit trot, moteur muet. Ses mécaniciens changent son boîtier électronique.
25e: Senna, Piquet, Rosberg, Mansell et Prost se tiennent en quatre secondes. Laffite leur concède maintenant cinq secondes.
27e: Senna prend une légère avance d'une seconde et demie sur les Williams et les McLaren.
29e: Senna prend un tour à Fabi qui est remonté en douzième position.
30e: Les leaders doublent Fabi et Mansell en profite pour déborder Rosberg au premier virage. Boutsen change de pneus et fait vérifier son moteur qui ne tourne pas rond.
31e: Senna est premier devant Piquet (2.2s.), Mansell (3.3s.), Rosberg (5.1s.), Prost (6.4s.), Laffite (13.2s.), Berger (1m. 07s.), Brundle (1m. 11s.), Dumfries (1m. 17s.), Boutsen (-1t.) et Surer (-1t.). Changement de gommes pour Fabi.
32e: Senna semble enfin s'échapper en tête tandis que Mansell menace Piquet.
33e: Mansell déborde Piquet au premier freinage. De Angelis abandonne avec une transmission cassée. Tambay chausse des pneus neufs.
34e: Trois secondes séparent Senna et Mansell. Piquet reste dans le sillage de son équipier, suivi de près par Rosberg et Prost. Arnoux reprend la piste.
35e: Mansell remonte sur Senna et lui a déjà repris une seconde. Prost dépasse Rosberg qui a trop forcé sur ses gommes... et consommé beaucoup trop d'essence !
36e: Senna devance Mansell (0.9s.), Piquet (5s.), Prost (5.1s.), Rosberg (6.7.) et Laffite (14.2s.).
37e: Mansell est maintenant juste derrière Senna. Prost est sur les talons de Piquet. Laffite s'arrête chez Ligier pour mettre des Pirelli neufs et redémarre sans avoir perdu la sixième place.
38e: Rosberg lâche prise derrière Prost, payant le prix de sa prodigalité. Il doit descendre sa pression de turbo au minimum pour rallier l'arrivée.
39e: Mansell est collé dans les échappements de Senna. Vont-ils à nouveau s'accrocher ? Tous deux rattrapent la Tyrrell de Brundle. Arnoux renonce suite à une rupture de cardan.
40e: Mansell déborde Senna par l'extérieur en passant devant les stands, puis plonge devant Brundle au premier freinage. Coincé par la Tyrrell, le Brésilien ne peut pas riposter et cède ainsi la première place. Piquet s'arrête dans un nuage de fumée. Un turbo surchauffé vient de lâcher sur son V6 Honda. Prost s'empare de la troisième place.
41e: Laffite rejoint son garage et abandonne avec un cardan cassé, à l'instar d'Arnoux.
42e: Mansell s'envole en tête de la course. Brundle est trahi par son moteur Renault alors qu'il venait d'entrer dans les points. Le Grand Prix s'achève aussi pour Surer dont le réservoir d'essence est crevé.
43e: Mansell est premier devant Senna (3.9s.), Prost (8.7s.), Rosberg (16.8s.), Berger (-1t.), Dumfries (-1t.), Fabi (-1t.), Boutsen (-3t.) et Tambay (-5t.).
45e: Mansell a quatre secondes d'avance sur Senna. Troisième, Prost suit tranquillement son tableau de marche.
46e: Berger s'arrête chez Benetton pour changer de pneus et cède la cinquième place à Dumfries.
48e: Mansell rencontre des difficultés avec un de ses pneus arrière qui perd de la pression après avoir été heurté par un débris de l'extracteur d'air de la Williams. Senna commence à combler son retard.
50e: Mansell précède Senna (2.8s.), Prost (5.8s.), Rosberg (55.1s.), Dumfries (-1t.), Berger (-1t.) et Fabi (-1t.).
52e: Mansell n'a plus que deux secondes de marge sur Senna. Rosberg roule lentement afin de conserver du carburant.
53e: Mansell, Senna et Prost se tiennent en cinq secondes.
54e: Chez Williams, Patrick Head fait préparer un jeu de pneus préchauffés à l'intention de Mansell qui pour le moment refuse de s'arrêter. Dumfries abandonne à cause d'une rupture de couple conique. Le néophyte anglais n'a décidément pas de chance car, comme au Brésil, il pouvait inscrire quelques points.
55e: Mansell devance Senna (1.3s.), Prost (2.8s.) et Rosberg (1m. 22s.). En liaison radio avec Head, Mansell hésite toujours à changer de pneus. Fabi rattrape son coéquipier Berger.
56e: Senna est désormais dans les échappements de Mansell. Fabi prend la cinquième place à Berger.
57e: Les trois premiers prennent un tour à Rosberg, ce qui permet à Mansell de prendre un peu d'avance sur Senna et Prost.
59e: Senna se rapproche une fois de plus de Mansell et laisse poindre sa moustache à certains freinages.
60e: Au premier freinage, Senna déborde Mansell par la gauche et allume ses freins. Il conserve la maîtrise de sa Lotus mais reste derrière son adversaire. Il retente sa chance par l'intérieur dans une épingle mais n'a pas la place de passer et met deux roues dans la poussière. Rosberg fait halte chez McLaren pour chausser des pneus neufs. Il demeure quatrième.
61e: Mansell, Senna et Prost se tiennent dans un mouchoir de poche. Prost semble attendre que les deux furieux qui le précèdent aient détruit leurs pneumatiques pour les doubler. Mais hélas, ses propres gommes ne sont pas en bon état.
63e: Senna est collé à l'aileron de Mansell. Il tente à nouveau de le surprendre dans un gauche serré, sans succès. Mais Mansell se décide enfin à changer de pneus. Il laisse passer Senna et Prost puis regagne les stands. Il prend les nouveaux Goodyear en seulement neuf secondes et redémarre vingt secondes derrière Senna.
64e: A neufs tours du but, Senna est en tête avec une seconde d'avance sur Prost. Toutefois les pneus de ces derniers sont usés jusqu'à la corde tandis que Mansell roule au contraire avec des enveloppes neuves. Il leur a repris quatre secondes en un tour ! Rien n'est joué !
65e: Mansell réalise le meilleur tour de la course, 1'27''176''', et revient à quinze secondes de Prost.
66e: Prost a des pneus arrière abîmés. Il laisse filer Senna et Mansell lui reprend environ trois secondes par tour.
67e: Quatre secondes séparent Senna et Prost. Mansell n'est plus qu'à cinq secondes du Français. S'il poursuit à ce rythme, il peut encore remporter la course.
68e: Prost roule sur ses œufs avec ses pneus usés. Mansell revient dans ses roues. L'Anglais a huit secondes de retard sur Senna.
69e: En passant devant les stands, Mansell tente de faire l'extérieur puis l'intérieur à Prost, mais ce dernier lui coupe à chaque fois la trajectoire. Ce n'est qu'en toute fin de boucle que Mansell trouve l'ouverture. Il a perdu deux secondes sur Senna mais repart aussitôt à l'attaque.
70e: Mansell regagne trois secondes à Senna dans cette boucle. Le Brésilien roule avec un pneu arrière-gauche détruit et évite de peu une sortie de route. Il précède Mansell (5.3s.), Prost (12.4s.), Rosberg (-1t.), Fabi (-1t.) et Berger (-1t.).
71e: Mansell est irrésistible et en fin de parcours ne concède plus qu'une seconde et demie à Senna. Le Pauliste se débat avec un violent survirage.
72ème et dernier tour: Mansell se déchaîne et comble tout son retard sur Senna. Les deux hommes sortent de la dernière épingle roues dans roues. Mansell déboîte la Lotus par la gauche, la remonte à l'accélération... Mais Senna coupe la ligne d'arrivée avec quatorze millièmes de seconde d'avance ! C'est l'arrivée la plus serrée depuis le Grand Prix d'Italie 1971 !
Ayrton Senna remporte donc ce GP d'Espagne devant Mansell et Prost. Rosberg finit quatrième avec une boucle de retard. Fabi et Berger rapportent trois points à Benetton-BMW. Seuls Boutsen et Tambay voient également l'arrivée.
Après la course
Lorsqu'il entame son tour d'honneur, Mansell est persuadé d'avoir gagné et tombe de haut lorsqu'il regagne les stands, trempé de sueur, épuisé par son effort. « J'espère au moins avoir amusé Frank devant sa télévision... » soupire le moustachu qui songe à son patron toujours hospitalisé. Nigel a fait montre d'un brio exceptionnel mais a aussi manqué de finesse stratégique. Il s'est décidé à changer de pneus trop tardivement, ce qui lui coûte la victoire.
Ayrton Senna ne s'est pas ménagé non plus : « Une course difficile, pour la consommation et les pneus, explique-t-il. A sept tours de l'arrivée, mon pneu arrière-gauche était totalement mort, et à deux tours de la fin j'ai failli me virer. » Malgré cette victoire, Gérard Ducarouge s'inquiète dans le perspective d'Imola: sans avoir été prodigue, Senna ne ramène qu'un litre et demi d'essence dans son réservoir. La consommation, c'est aussi ce qui a entravé la progression d'Alain Prost. A cause d'une erreur de son ordinateur qui lui recommandait la prudence, le Français n'a jamais haussé son rythme et termine avec... dix-huit litres d'essence ! Il se console en constatant que sa McLaren paraît tout à fait capable de menacer les Williams. « Cela peut nous réserver de bonnes surprises pour les épreuves à venir... » dit-il, mystérieux.
Remis de ses émotions, Stefan Johansson rassure tout le monde en apparaissant dans le stand Ferrari. Il ne s'est pas blessé en heurtant les protections... mais est tombé de sa civière dans l'ambulance qui le menait au centre médical ! « Le chauffeur roulait comme un fou... » raconte-t-il en souriant. C'est tout de même la deuxième fois consécutive qu'il est trahi par ses freins. L'examen de la 186 révèle que cette panne est imputable au desserrement d'une vis de purge.
Senna s'installe à la première place du championnat du monde avec 15 points. Chez les constructeurs, JPS-Lotus et Williams se partagent le commandement (15 pts) devant Marlboro-McLaren et Ligier-Gitanes (7 pts).
Tony