Scheckter vs. Laffite: bientôt le dénouement
Il ne reste plus que trois courses à disputer lors de cette saison 1979 et Jody Scheckter est bien parti pour remporter sa première couronne mondiale au volant de la Ferrari 312 T4. Il possède en effet huit points d'avance sur son principal rival Jacques Laffite dont la Ligier JS 11 n'est plus aussi performante que naguère. Le barème complexe instauré depuis cette saison complique singulièrement les calculs des chefs d'équipes. En effet seuls les quatre meilleurs résultats de chaque moitié de saison sont pris en compte. Avec ce système Scheckter peut être titré dès Monza s'il l'emporte et que Laffite ne monte pas sur le podium. Villeneuve a douze points de retard sur son équipier mais ne cherche pas à le rattraper du fait de son contrat de deuxième pilote. Quant à Alan Jones, il a remporté les trois dernières courses, et ne peut plus en gagner qu'une seule avant que son compteur ne soit bloqué. Comme il a dix points de retard sur Scheckter, il ne peut donc plus le rattraper.
En ce qui concerne la coupe des constructeurs, les opérations sont moins compliquées. Ferrari a dix-neuf points d'avance sur Ligier, vingt-deux sur Williams, et peut s'adjuger le trophée en plaçant ses deux bolides sur le podium.
Le marché des transferts
Gérard Larrousse confirme lors d'une conférence de presse que Renault Sport conservera comme pilotes pour l'année suivante Jean-Pierre Jabouille et René Arnoux. Chez Arrows, Jackie Oliver reconduit Jochen Mass et Riccardo Patrese malgré une saison 79 très décevante.
Patrick Depailler est sorti de l'hôpital fin août et poursuit sa rééducation à son domicile. Il sera fin prêt pour le début de la saison 1980. Début septembre, il entame des négociations avec Guy Ligier pour le prolongement de son contrat. Mais il se heurte aux prétentions de Jacques Laffite qui exige un statut de pilote n°1. Depailler refuse de lui servir de porteur d'eau alors qu'ils étaient traités à égalité en 1979. La rupture est alors consommée. Guy Ligier prend contact avec Didier Pironi pour remplacer Depailler.
Teddy Mayer a un temps espéré équiper ses McLaren d'un moteur turbo BMW mais le projet est tombé à l'eau, tout comme le transfert de Niki Lauda. Celui-ci décide de rester chez Brabham puisque Bernie Ecclestone a finalement capitulé et accepté de lui offrir un contrat mirobolant de deux millions de dollars annuels. Lauda a pour cela exercé une sorte de chantage puisqu'il a menacé de quitter l'équipe avec Parmalat, son principal bailleur de fonds... Toutefois Ecclestone entend garder Nelson Piquet, tout en s'efforçant de convaincre Jackie Stewart de revenir en Formule 1. L'Écossais a reçu une proposition d'un million de livres qu'il va étudier de près.
Pour le moment Brabham prépare l'arrivée pour les deux dernières courses en Amérique de la nouvelle BT49 à moteur Ford-Cosworth, construite en onze semaines par Gordon Murray.
Présentation de l'épreuve
Un an après l'accident qui a coûté la vie à Ronnie Peterson, le tracé de Monza a subi quelques modifications. Les stands ont été réaménagés et des dégagements plus larges installés, notamment juste avant la première chicane, au niveau du goulet d'étranglement que constituait l'embranchement vers l'ancien ovale. Mais d'autres travaux sont prévus pour 1980 car les pilotes ne sont toujours pas satisfaits du niveau de sécurité.
Deux semaines après un nouvel affrontement aux Pays-Bas, Jean-Marie Balestre et Bernie Ecclestone affichent leur réconciliation en Italie. Le président de la FISA a décidé qu'en 1980 seront retenus les cinq meilleurs résultats par demi-saison de chaque pilote, contre quatre en 79, ce qui était une revendication des constructeurs. De son côté Ecclestone intègre la commission technique de la FISA qui avec lui ouvre donc ses portes à la FOCA.
Cette course italienne marque le retour définitif d'Alfa Romeo en Formule 1 après quelques sorties au début de la saison européenne. Le constructeur transalpin présente sa nouvelle 179, une « wing-car » confiée à Bruno Giacomelli. La 177, voiture hybride utilisée par Giacomelli quelques mois plus tôt, est donnée au vétéran Vittorio Brambilla qui fait son retour à la compétition un an tout juste après avoir été grièvement blessé dans le carambolage du GP d'Italie 1978. A 42 ans le « Gorille de Monza » est le vétéran du paddock, mais Autodelta n'envisage pas de le conserver pour l'année suivante et lorgne plutôt vers un autre quadragénaire, Clay Regazzoni.
Les tifosi sont évidemment présents en masse pour encourager les bolides Ferrari. Si Jody Scheckter est le pilote n°1 de l'équipe, Gilles Villeneuve est leur chouchou. D'un tempérament calme et discret dans la vie, au volant le Québécois est l'incarnation de la fougue latine. Après son incroyable tour effectué sur trois roues à Zandvoort, Enzo Ferrari l'a comparé au légendaire Tazio Nuvolari. De son côté Scheckter découvre l'incroyable pression qui s'abat sur un pilote de la Scuderia à Monza, d'autant plus qu'il est en passe de décrocher le titre. Le Sud-Africain affiche des traits tendus. Retranché dans une villa à Lainate, il s'isole et fait le vide. Pour cette course, Scheckter et Villeneuve disposent chacun de deux voitures : une 312 T4 conventionnelle et une T4 B à géométrie de suspensions révisée et freins à double-étriers reportés dans les roues arrière.
Ligier a beaucoup travaillé car la nouvelle configuration aérodynamique apparue à Zandvoort avait considérablement accru la déportance. L'avant talonnait et l'effet Venturi s'en trouvait altéré, ce qui mettait à mal les ressorts et les amortisseurs.. Depuis de nouvelles pièces ont été commandées afin de pallier à toute défaillance et Gérard Ducarouge a retiré de l'appui à l'avant de la voiture. L'effet de sol est donc réduit mais la voiture « pompe » moins. Jacques Laffite sait qu'il joue gros en Italie : il doit absolument devancer Scheckter pour conserver un espoir de remporter le titre mondial.
Le riche (mais courageux) Hector Rebaque va disputer ce Grand Prix au volant de sa propre monoplace, la HR100, réalisée en collaboration avec le team Penske et imaginée par Geoff Ferris et John Barnard. C'est la première monoplace mexicaine de Formule 1. La Rebaque est très inspirée de la Lotus 79 que pilotait le Mexicain depuis le début de la saison, mais les pontons imitent ceux de la Williams FW07.
Ensign a un nouveau pilote : après Derek Daly et Patrick Gaillard, c'est le Suisse Marc Surer, nouveau champion d'Europe de Formule 2, qui a le faible honneur de piloter la N179.
Chez ATS Günther Schmidt semble enfin décidé à écouter d'autres personnes que lui-même. Il a en effet engagé l'ancien et très respecté pilote anglais Vic Elford comme directeur sportif. Hans Joachim Stuck en est content. A noter enfin qu'Arturo Merzario a acquis le soutien d'un nouveau sponsor pour le moins sinistre : les pompes funèbres italiennes !
Les qualifications
Comme on pouvait s'y attendre, les Renault turbo sont très fortes sur ce tracé ultra-rapide. Jabouille réalise sa quatrième pole position de la saison. Il n'est pourtant pas très content car il a dû utiliser sa voiture de réserve, la RS10. La RS11 sous-vire en effet terriblement sans que ses mécaniciens ne sachent pourquoi. Et dans les derniers instants des qualifications, le « Grand Blond » est victime d'un accident avec la RS10. Il devra utiliser sa mauvaise voiture en course...
Poleman le vendredi, Arnoux se contente de la deuxième place à cause d'une fuite d'huile survenue le samedi. Scheckter se classe en troisième position avec la Ferrari conventionnelle. Villeneuve a lui choisi la T4B et se classe cinquième. Les Ferrari encerclent Jones, quatrième sur la Williams après quelques déboires. La sixième place est occupée par l'autre idole des tifosi, Regazzoni. Laffite est de nouveau déçu. A cause des bosses du circuit, la Ligier talonne comme à Zandvoort... Ses mécaniciens ont encore diminué l'effet de sol ! Le Français n'est que septième sur la grille. Il précède les Brabham-Alfa Romeo de Piquet et de Lauda. Andretti est dixième avec une Lotus 79 qui se comporte mieux. Suivent Ickx, Pironi, Reutemann et Tambay. Très content de son ATS, Stuck est quinzième devant Jarier.
Les Arrows sont toujours en fond de grille : Patrese est 17ème, Mass 21ème. Pas d'amélioration pour Fittipaldi, 20ème. Signe des difficultés de l'équipe brésilienne, Emmo utilise un bloc Cosworth construit pour... Jack Brabham en 1970 ! Watson sombre au 19ème rang. La nouvelle Alfa Romeo de Giacomelli est dix-huitième, l'ancien modèle conduit par Brambilla 22ème. Rosberg est un piteux 23ème au volant d'une Wolf qui sous-vire horriblement. Enfin de Angelis a chipé à son équipier Lammers sa voiture... et la dernière place sur la grille ! Le Néerlandais reste donc sur la touche, comme Surer, Rebaque et Merzario.
Le Grand Prix
Peu avant le départ, Marco Piccinini et Mauro Forghieri convoquent Scheckter et Villeneuve pour arrêter la stratégie de la course. Ils demandent au Québécois de ne rien faire pour empêcher le Sud-Africain de l'emporter. Villeneuve accepte par amitié envers Scheckter, non sans amertume, mais avec le solide espoir que son tour viendra l'année suivante.
Le starter a changé depuis l'année précédente. Cette fois, tous les bolides sont immobilisés à leurs emplacements lorsque le feu vert est donné.
Départ : Jabouille part mal et Arnoux moyennement. Toujours à cause du temps de réponse du turbo... Scheckter et Villeneuve surgissent à gauche et se portent à la hauteur des Renault. Scheckter prend facilement le commandement tandis qu'Arnoux reste devant Villeneuve. Bien parti, Laffite est quatrième devant Jabouille. Jones a connu des problèmes et est enfermé dans le paquet.
1er tour : Sous les vivats des tribunes, Scheckter mène devant Arnoux, Villeneuve, Laffite, Jabouille, Regazzoni, Piquet, Andretti et Tambay. Jones n'est que vingtième avec un moteur bafouillant.
2e : Arnoux déborde Scheckter sur la ligne de chronométrage. Ils abordent côte à côte la première chicane, où Arnoux se jette à l'intérieur et prend le commandement. Dans la Curva Grande Piquet attaque Regazzoni mais touche la Williams. Il part dans un incroyable travers à 250 km/h : sa Brabham se pulvérise contre le rail interne et se coupe en deux au niveau du moteur. Miraculeusement Piquet sort indemne de son épave. Pendant ce temps Mass revient à son stand avec une crevaison.
3e : Arnoux, Scheckter, Villeneuve, Laffite et Jabouille se suivent de près. Ils ont trois secondes d'avance sur Regazzoni qui roule isolé, en proie à du survirage. Suit un peloton emmené par Andretti.
4e : Tambay renonce suite à une panne de moteur.
5e : Laffite attaque Villeneuve avant la première chicane, sans succès. Jones se traîne à cause d'une batterie déchargée.
6e : Arnoux mène devant Scheckter (1.5s.), Villeneuve (2.5s.), Laffite (3s.), Jabouille (4.5s.) et Regazzoni (8s.). Lauda double les Tyrrell de Pironi et de Jarier. Jones entre au stand Williams pour changer sa batterie et sa platine d'allumage.
7e : Laffite est menaçant derrière Villeneuve. Il doit le doubler pour ensuite empêcher Scheckter de triompher. Jabouille perd du terrain sur les quatre premiers à cause de sa RS11 sous-vireuse. Jones reprend la piste.
8e : A la seconde chicane Watson attaque Pironi qui ne le voit pas. La Tyrrell escalade la McLaren et atterrit dans les graviers. Watson continue tandis que Pironi rejoint son garage. Après une réparation, Mass redémarre.
9e : Jabouille ne peut plus suivre les quatre premiers. Pironi est au stand Tyrrell pour faire vérifier ses jupes. Il repart en avant-dernière position.
10e : Arnoux mène devant Scheckter (0.8s.), Villeneuve (1.6s.), Laffite (2s.), Jabouille (7s.) et Regazzoni (11s.). A 23 secondes du commandement, Lauda prend la huitième place à Andretti. Suivent Jarier, Watson, Giacomelli et Reutemann. Mass abandonne à cause d'une rotule de suspension arrière brisée.
11e : Arnoux prend un tour à Pironi. Celui-ci s'efface ensuite devant les deux Ferrari et Laffite.
13e : Le moteur d'Arnoux coupe au second Lesmo. Scheckter, Villeneuve et Laffite doublent aussitôt la Renault. Le V6 turbo se remet alors en marche mais il est clairement atteint. Arnoux regagne les stands.
14e : Explosion de joie dans les tribunes : Scheckter mène la course devant Villeneuve ! Seul Laffite est désormais accroché aux basques des deux bolides italiens. Watson et Jarier abordent côte à côte la première chicane et se touchent. Watson est expédié en tête-à-queue dans le sable. Il doit renoncer tandis que Jarier continue... Arnoux met pied à terre : les ressorts de soupape du V6 Renault ont cédé.
15e : Villeneuve est sur les talons de Scheckter mais respecte son contrat de second pilote et ne l'attaque pas. En revanche Laffite attaque comme un beau diable. Si les choses restaient en l'état, Scheckter deviendrait champion du monde. Giacomelli prend la huitième place à Jarier.
16e : Scheckter mène devant Villeneuve (1s.), Laffite (2.2s.), Jabouille (11s.), Regazzoni (13s.) et Lauda (31s.). Suivent Andretti, Giacomelli, Jarier et Reutemann.
18e : Les trois leaders se tiennent en un peu plus de deux secondes. Giacomelli impressionne au volant de son Alfa Romeo et rattrape Andretti. Jones occupe la 19ème position et est le plus rapide en piste. Il a deux tours de retard sur Scheckter.
20e : Laffite parvient toujours à suivre les Ferrari, mais à cause de la déformation d'une butée, il débraye à chacun de ses freinages. Il doit donc solliciter le frein moteur, ce qui fait souffrir ce dernier. Giacomelli prend la septième place à Andretti et semble pouvoir obtenir au moins un point.
21e : Jabouille tente de résister à Regazzoni pour maintenir sa quatrième place. Jones affole le chronomètre à chacun de ses passages.
22e : Une seconde sépare Scheckter et Villeneuve. Laffite semble avoir plus de mal à garder le contact avec les bolides italiens. Pendant ce temps-là, Giacomelli sur Alfa-Alfa rattrape la Brabham-Alfa de Lauda.
24e : Regazzoni prend l'avantage sur Jabouille et s'empare de la quatrième place.
25e : La parade Scheckter - Villeneuve se poursuit. Laffite perd du terrain et concède maintenant quatre secondes à Scheckter.
27e : Scheckter mène devant Villeneuve (1.1s.), Laffite (4.1s.), Regazzoni (21s.), Jabouille (23s.), Lauda (35s.), Giacomelli (37s.) et Andretti (40s.).
28e : Laffite ménage ses freins et ne peut plus menacer les Ferrari. Pour preuve il peine à prendre un tour à Brambilla. De son côté Giacomelli menace Lauda, encouragé par le public italien qui n'aime plus beaucoup l'Autrichien depuis son départ de chez Ferrari.
29e : A l'abord de la chicane Ascari, Giacomelli ne parvient pas à freiner, part en tête-à-queue et atterrit dans le bac à sable. Le jeune Italien abandonne mais son Alfa Romeo a fait bonne impression pour sa première sortie.
30e: Scheckter mène devant Villeneuve (0.9s.), Laffite (5.5s.), Regazzoni (18.5s.), Jabouille (20.4s.) et Lauda (47.5s.). Suivent Andretti, Jarier, Reutemann et Ickx.
32e : Laffite a maintenant six secondes de retard sur les Ferrari.
35e : De Angelis arrive aux stands en panne d'embrayage et doit être poussé jusqu'à son garage.
37e : Scheckter et Villeneuve poursuivent leur parade en tête avec sept secondes d'avance sur Laffite dont le moteur souffre. Regazzoni a dix-huit secondes de retard.
38e : La Williams de Regazzoni a retrouvé son équilibre et le Tessinois vole désormais sur la piste. Il remonte rapidement sur Laffite.
39e : Villeneuve n'attaquant pas Scheckter, la principale bagarre en piste oppose Andretti, Jarier et Reutemann pour la septième place.
40e : Scheckter est premier devant Villeneuve (0.8s.), Laffite (9s.), Regazzoni (13s.), Jabouille (21s.) et Lauda (51s.).
41e : Ickx s'arrête dans l'herbe avant la deuxième chicane avec un moteur fumant. Jones poursuit sa belle remontée et reprend son tour de retard sur Lauda.
42e : Une soupape casse sur le Cosworth de Laffite. Le malheureux Français regagne son stand au ralenti. Lorsqu'il sort de sa voiture, les tifosi hurlent leur joie car Scheckter est désormais certain de devenir champion du monde.
43e : Scheckter est leader devant Villeneuve (1.3s.), Regazzoni (12.3s.), Jabouille (22.3s.), Lauda (56s.) et Andretti (1m. 01s.). Suivent Jarier, Reutemann, Patrese et Fittipaldi. Après une course anonyme, Rosberg renonce sur panne de moteur.
44e : Regazzoni se lance à la poursuite des Ferrari. Il remonte sur elles au rythme de deux secondes par tour.
45e : Moins de dix secondes séparent Villeneuve et Regazzoni. Le Suisse espère encore chiper la victoire aux Ferrari, principalement par esprit de revanche envers le Commendatore qui l'a renvoyé trois ans auparavant.
46e : Regazzoni réalise le meilleur chrono de l'après-midi : 1'35''60'''. Le voici à six secondes de Scheckter. Mal récompensé de ses efforts au volant d'une voiture difficile à conduire, Jabouille est trahi par son moteur turbo et rejoint son garage. Jarier grimpe à la sixième place.
47e : Les Ferrari n'ont plus que quatre secondes d'avance sur Regazzoni. Jones prend la dixième place à Stuck.
48e : Regazzoni n'est plus qu'à trois secondes de Villeneuve.
49e : Regazzoni est soudainement moins rapide car le moteur de sa Williams manque d'essence et commence à désamorcer. Il doit lever le pied et abandonner tout espoir de victoire. Patrese renonce après avoir perdu son carénage moteur.
50ème et dernier tour : Jody Scheckter gagne sa dixième victoire en Formule 1 et remporte le championnat du monde 1979. Villeneuve a été son parfait lieutenant et assure le doublé à la Scuderia Ferrari qui remporte la coupe des constructeurs. Regazzoni décroche la troisième place... et tombe en panne d'essence quelques mètres après l'arrivée ! Lauda finit quatrième et inscrit ses premiers points depuis le GP d'Afrique du Sud. Andretti termine cinquième : lui aussi n'avait pas marqué depuis fort longtemps. Le dernier point revient à Jarier. Reutemann, Fittipaldi, Jones, Pironi, Stuck et Brambilla rallient aussi l'arrivée.
Après la course
Dès que les Ferrari ont reçu le drapeau à damiers, l'émeute commence. Des tifosi déchaînés envahissent le circuit. Le service d'ordre est débordé. Lorsque Scheckter, Villeneuve et Regazzoni apparaissent sur le podium, ils découvrent une marée humaine grondant de plaisir. Pour la première fois depuis le début de l'été, grâce à l'échec des Williams, le champagne peut couler à flots. Scheckter et Villeneuve sont célébrés tels des demi-dieux. Regazzoni a aussi droit aux faveurs du public italien qui n'a pas oublié ses six saisons passées au service de la Scuderia.
Loin de ce tumulte, Jacques Laffite et Guy Ligier se veulent philosophes. L'équipe française n'avait clairement pas les moyens financiers pour développer une voiture capable de remporter le championnat du monde. S'être battu pour cela jusqu'en septembre apparaît déjà comme un bel exploit. « Quand même, il en a de la chance Jody... » lâche quand même Laffite dans un soupir.
Scheckter, Ferrari, Michelin, tiercé gagnant
A 29 ans Jody Scheckter devient donc le premier Sud-Africain à remporter le championnat du monde des conducteurs. Ce pilote très taciturne que l'on surnomme l' « Ourson » a bien changé depuis ses débuts en Formule 1 six ans plus tôt. Il était alors considéré comme un « chien fou », un coureur dangereux responsable de multiples accrochages. François Cevert et d'autres voulaient qu'on lui retire sa licence. En quelques années Scheckter a beaucoup travaillé sur lui-même jusqu'à prendre modèle sur Jackie Stewart et devenir le type même du pilote intelligent, tacticien, prudent, voire même épicier selon ses détracteurs. Son style manque assurément de panache comparé au brio de son équipier Gilles Villeneuve. Mais les faits sont têtus : si Villeneuve n'a terminé environ qu'une course sur deux, Scheckter a rallié l'arrivée de toutes les épreuves depuis l'Argentine. Comme Niki Lauda deux ans auparavant, il s'est résolu à engranger le plus de points possibles au volant d'une voiture qui n'est pas la meilleure du plateau, et a su parfaitement saisir les quelques occasions de victoires qui se sont présentées.
Parvenu au sommet après une carrière déjà relativement longue, Jody Scheckter choisit de fuir les honneurs. Il disparaît du paddock de Monza une demi-heure après l'arrivée. S'il n'aime pas les mondanités, il ne dédaigne absolument pas les affaires : dès le lendemain matin, dans son appartement monégasque, il reprend son deuxième métier : celui de businessman. Là encore, l'influence de Stewart se fait sentir...
Le triomphe de Ferrari et Scheckter est aussi celui de Michelin et de son pneumatique à carcasse radiale. Le manufacturier clermontois n'aura donc mis que deux ans pour atteindre les sommets de la Formule 1. Voilà donc un nouveau beau succès pour l'industrie française. Pierre Dupasquier est très fier de ses hommes. C'est la fin de sept années de succès pour Goodyear.
Scheckter champion du monde, la Scuderia vainqueur du trophée des constructeurs, la fête est au rendez-vous une semaine plus tard à Imola pour le Grand Prix Dino Ferrari, épreuve hors-championnat, ainsi baptisée en hommage au fils défunt du Commendatore. Et justement, en cet après-midi de septembre, un grand et beau vieillard parcourt le paddock, le visage caché derrière des lunettes noires. Les mécaniciens se retournent sur son passage, stupéfaits. Voilà dix ans qu'Enzo Ferrari n'avait pas mis les pieds sur un circuit automobile...
Tony