La Formule 1 débarque en Suède, sur ce curieux circuit d'Anderstorp qui pose chaque d'années d'incessants problèmes de réglages. Cette année-là les Suédois sont venus en masse encourager leurs deux champions: Ronnie Peterson et Gunnar Nilsson, vainqueur de la précédente épreuve à Zolder. L'année précédente, les Tyrrell à six roues avaient réalisé le doublé mais depuis les P34 ont perdu de leur superbe: elles s'empâtent et souffrent de perpétuels problèmes de freins et de consommation. Leur tenue de route s'altère course après course. Une performance de leur part paraît donc très improbable. Vainqueur en 1974 et 1976, Jody Scheckter apparaît comme un des favoris même si on ignore comment se comportera sa Wolf WR1.
La Scuderia Ferrari semble traverser une crise. Les 312 T2 ne sont plus les monoplaces de référence et l'ambiance dans la structure est pourrie. Carlos Reutemann et Niki Lauda s'ignorent. Ce dernier est aussi en froid avec le directeur sportif Roberto Nosetto, lequel se montre très en deçà de sa tâche. Personnage superstitieux, Nosetto a ainsi eu l'idée de placer dans les cockpits de ses pilotes un morceau d'étoffe verte, afin de leur porter bonheur... La direction réelle revient donc à son adjoint Sante Ghedini et à Mauro Forghieri. Celui-ci est le principal interlocuteur de Lauda, mais là encore, leurs relations sont généralement conflictuelles.
Chez McLaren, il n'y a toujours qu'une seule M26 disponible, celle de James Hunt. Celui-ci n'a plus inscrit de points depuis quatre courses et doit absolument faire un bon résultat à Anderstorp pour conserver une chance de sacre.
Riccardo Patrese étant occupé par une course de Formule 2, il ne peut pas piloter la seconde Shadow. Faute de remplaçant, Don Nichols propose le volant de la DN08 à son associé Jackie Oliver, lequel n'a plus touché une Formule 1 depuis 1973.
Enfin, on retrouve l'armada de plus en plus conséquente (et encombrante, disent certains...) des petites équipes et de leurs pilotes aux talents souvent tout aussi mineurs. Le RAM Racing se présente avec deux March 761: en plus de Boy Hayje, est engagé le Finlandais Mikko Kozarowitsky qui a écumé jusqu'ici sans succès les plateaux de Formule 2. On enregistre le forfait de Merzario et de sa March, ainsi que celui de la Penske que le Danois Jac Nelleman souhaitait aligner.
Goodyear amène sur cette épreuve les pneus de la saison précédente, plus tendres que ceux de 1977. Les équipes pourront ainsi choisir entre les deux types de pneus, ce qui complique quelque peu la tâche des ingénieurs et des pilotes. Ce faisant, Goodyear souhaite leur donner un plus large choix de pneumatiques. Ce n'est pas innocent: Michelin vient d'annoncer son arrivée en Formule 1 en tant que fournisseur de Renault Sport, qui devrait faire ses débuts à Silverstone...
Les qualifications
Andretti est une nouvelle fois le plus fort lors des essais. S'il réalise sa troisième pole position de la saison, il ne devance cette fois Watson que de quinze centièmes. Décidément, le pilote Brabham semble être le seul capable de rivaliser avec l'Américain en essais. Hunt est enfin content de sa voiture et se hisse au troisième rang devant Scheckter. Stuck et Depailler se partagent la troisième ligne. Nilsson est septième et vise le podium pour ce Grand Prix national. Laffite est huitième: handicapé par une rage de dents, le Français est mécontent du comportement de ses suspensions. En cinquième ligne on retrouve Mass et Peterson.
Les Ferrari sont au fond du trou: Reutemann est douzième, Lauda quinzième. Le temps où les 312 T2 dominaient le peloton semble déjà loin. Pour son retour, Oliver s'est classé seizième, cinq places derrière son équipier Jones.
Victime d'un gros accident, Fittipaldi a détruit sa F5 et doit se rabattre sur sa vieille FD04, avec laquelle il se qualifie en dix-huitième position. Les Hesketh d'Ertl et Keegan sont repoussées en dernière ligne. Ribeiro, de Villota, Perkins, Hayje, Rebaque, Andersson et Kozarowitsky ne sont pas qualifiés.
Le Grand Prix
Lors du warm-up, Laffite signe le meilleur temps à la surprise générale. Sa Ligier se comporte beaucoup mieux que lors des essais et le Grand Prix s'annonce prometteur pour les Bleus.
Départ: Comme à Zolder, Watson part mieux qu'Andretti et vire en tête. Au freinage, Scheckter s'infiltre par l'extérieur devant Andretti. Suivent Stuck, Hunt et Depailler.
1er tour: Andretti dépasse Scheckter dans la portion sinueuse du tracé. Hunt passe devant Stuck.
Watson mène devant Andretti, Scheckter, Hunt, Stuck, Depailler, Nilsson, Mass, Peterson et Reutemann.
2e: Andretti double Watson à Gilsaved et prend ainsi le commandement. Mass double Nilsson.
3e: Andretti s'échappe: il compte déjà une seconde et demie d'avance sur Watson. A une seconde du Nord-Irlandais, Scheckter, Hunt, Stuck et Depailler sont regroupés. Nilsson est en difficulté: il se fait doubler par Peterson.
4e: Brambilla rejoint le stand Surtees à cause de soucis d'injection. Il repartira en dernière position.
5e: Andretti réalise le meilleur tour de la course: 1'27''607 '''. Il a deux secondes d'avance sur Watson, lequel voit Scheckter revenir dans ses échappements. Hunt, Stuck, Depailler et Mass sont dans leur sillage.
6e: Nilsson entre aux stands pour faire resserrer une de ses roues qui menaçait de se détacher. Il repart quelques dizaines de mètres devant Andretti.
7e: Peterson est au stand Tyrrell. Un capteur d'allumage ne fonctionne plus sur sa P34, et c'est un nouvel abandon pour le Suédois.
8e: Depailler prend la cinquième place à Stuck.
9e: Mass double Stuck à son tour. L'Allemand semble en difficulté et est désormais menacé par Reutemann. Jones entre aux stands avec un moteur cafouillant à cause d'une avarie sur la boîte d'allumage.
10e: Andretti mène devant Watson (4s.) et Scheckter (5s.). A dix secondes se trouvent Hunt, Depailler et Mass. Reutemann a pris la septième position à Stuck. Laffite est neuvième devant Lauda.
11e: Laffite dépasse Stuck. L'Allemand est en délicatesse car il a choisi des pneumatiques trop durs.
13e: Jones a repris la piste en dernière position.
14e: A Gislaved, Lauda effectue un tête-à-queue. Il repart treizième après avoir été doublé par Jarier, Regazzoni et Oliver.
15e: Tout va bien pour Andretti qui a cinq secondes et demie d'avance sur Watson. En revanche celui-ci doit constamment surveiller Scheckter dans ses rétroviseurs.
18e: Statu quo en piste où Andretti domine; Watson et Scheckter se suivent. Plus loin dans le peloton, Laffite convoite la septième place de Reutemann.
20e: Andretti a sept secondes de marge sur Watson. Scheckter est sur les talons du Nord-Irlandais. A quinze secondes se trouvent Hunt et Depailler. Puis viennent Mass, Reutemann, Laffite, Stuck et Jarier.
23e: Après une farouche résistance de l'Argentin, Laffite prend la septième place à Reutemann.
25e: Andretti a 8.8s. d'avance sur Watson. Scheckter se fait de plus en plus pressant derrière la Martini Brabham.
26e: Regazzoni prend la dixième place à Jarier.
28e: Scheckter cherche à trouver l'ouverture derrière Watson et commence à s'énerver.
29e: A l'abord du virage serré de Gislaved, Scheckter tente une attaque par l'intérieur au freinage, mais Watson ne le voit pas et les deux voitures entrent en collision. Watson se retrouve en tête-à-queue en pleine piste. Tout le monde l'évite et il peut repartir. En revanche Scheckter a plié sa suspension et doit abandonner.
30e: Watson s'arrête au stand Brabham pour faire vérifier sa BT45B. Il n'y a pas de réparations à effectuer et il repart en septième position, devant son équipier Stuck. Hunt se retrouve deuxième devant Depailler.
32e: Andretti a maintenant vingt-trois secondes d'avance sur Hunt. Depailler est dans le sillage de la McLaren. Mass les suit de près mais voit revenir dangereusement Laffite dans ses rétroviseurs. Regazzoni prend la huitième positon à Stuck.
35e: Alors onzième, Lauda entre au stand Ferrari car il se plaint de la tenue de la route de sa machine. On examine celle-ci et Niki repart en quinzième position.
37e: Hunt, Depailler, Mass, Laffite et Reutemann se tiennent en quelques secondes et animent le peloton.
38e: Laffite plonge à l'intérieur à Gislaved et déborde ainsi Mass. Fittipaldi s'arrête aux stands pour changer ses pneus avant.
39e: Laffite est irrésistible puisqu'il dépasse Depailler et se retrouve en troisième position.
40e: Andretti a vingt-quatre secondes d'avance sur Hunt qui est en difficulté car ses pneus sont très usés. Laffite est derrière le champion du monde et bien plus rapide que lui. Jarier dépasse Stuck.
41e: Toujours dans la courbe de Gislaved, Laffite passe à l'attaque et dépasse Hunt qui n'a pas cherché à résister. Lauda est de retour à son stand et va de nouveau repartir sans que ses mécaniciens n'aient trouvé l'origine de son problème de tenue de route.
42e: Laffite a fait une superbe remontée jusqu'au deuxième rang, mais la marche suivante semble infranchissable: Andretti a plus de vingt secondes d'avance sur la Ligier.
44e: Laffite prend de l'avance sur Hunt tandis que Depailler est sous la menace de Mass et de Reutemann.
45e: Mass puis Reutemann doublent Depailler. Hunt est désormais menacé par ces deux pilotes.
46e: Hunt laisse passer Mass, avant d'être surpris par Reutemann. L'Anglais n'a pas le temps de souffler puisque Depailler et Watson reviennent derrière lui.
47e: Laffite est plus rapide qu'Andretti: l'écart entre les deux hommes tombe sous la barre des vingt secondes. Hunt est dépassé par Depailler et par Watson.
49e: Lauda roulait en dix-neuvième position lorsqu'il entre pour la troisième fois au stand Ferrari. Cette fois-ci Mauro Forghieri lui conseille d'abandonner et il s'exécute, n'ayant plus rien à gagner dans cette course.
50e: Andretti compte seize secondes d'avance sur Laffite. Mass est troisième à vingt-cinq secondes et précède Reutemann, Depailler et Watson. Septième, Hunt voit Regazzoni revenir sur lui.
52e: Hunt entre aux stands pour changer ses pneumatiques. Il repartira en treizième position.
54e: Stuck s'arrête à son stand pour changer de pneus et reprend la piste en quatorzième position. Brambilla abandonne suite à un problème de pression d'essence. Il occupait le quinzième rang.
55e: Pas de changement en tête de l'épreuve. Néanmoins, Andretti est averti par un voyant lumineux que sa consommation d'essence est excessive: il doit ménager sa Lotus.
57e: Fittipaldi est de retour à son stand à cause de problèmes d'alimentation. Il va repartir mais terminera la course à faible allure.
60e: Andretti a une dizaine de secondes d'avance sur Laffite mais est très inquiet car il n'est pas certain d'avoir assez d'essence pour terminer l'épreuve.
62e: Andretti a descendu ses « tours/minute » pour préserver de l'essence mais n'a plus que huit secondes d'avance sur Laffite. Mass est à vingt secondes, Reutemann à vingt-deux secondes. Depailler et Watson viennent ensuite et se suivent de près. Regazzoni est septième devant Jarier, Oliver et Nilsson.
64e: Nilsson est au ralenti: une de ses fixations de roue est à nouveau défaillante. Il regagne le stand Lotus pour renoncer. I. Scheckter abandonne aussi, à cause de la rupture d'un joint d'arbre de roue.
66e: Andretti surveille sans cesse sa jauge d'essence mais il semble qu'il n'aura pas assez de carburant pour aller jusqu'au bout.
68e: Grâce à ses nouveaux pneus, Stuck est très rapide en cette fin d'épreuve: il a doublé Hunt puis Lunger.
70e: A trois tours du but, le moteur d'Andretti toussote. L'Américain regagne son stand, en panne d'essence. Ses mécaniciens se précipitent pour lui rajouter un peu de carburant afin qu'il puisse finir l'épreuve. Laffite récupère le commandement.
71e: Laffite se retrouve en tête et est donc en passe de remporter son premier succès. Lorsque ses mécaniciens lui brandissent le panneau « P1 », il s'efforce de contenir des larmes de joie. Andretti a repris la piste en sixième position.
72ème et dernier tour: Jacques Laffite remporte sa première victoire en Formule 1, la première également pour Ligier-Matra. Mass est deuxième et donne ainsi à McLaren son premier podium depuis le GP du Brésil... au volant de la vieille M23. Reutemann finit troisième devant Depailler et Watson. Andretti, évidemment déçu, sauve tout de même un point. Regazzoni, Jarier, Oliver, Stuck, Lunger, Hunt, Keegan, Purley, Nève, Ertl, Jones et Fittipaldi franchissent la ligne d'arrivée.
Après la course
En sortant de sa JS7, Laffite a du mal à réaliser qu'il a enfin remporter sa première victoire. C'est le fruit d'un an et demi d'efforts de la part de l'écurie Ligier Gitanes Matra. Jacques tombe dans les bras de Gérard Ducarouge et de ses mécaniciens. C'est la première victoire d'une Formule 1 française propulsée par un moteur français. Par malchance, Guy Ligier n'a pas fait le déplacement le Suède et n'assiste donc pas à la victoire de son écurie.
Sur le podium, Laffite provoque l'hilarité car il ne parvient pas à déboucher son magnum Moët & Chandon. Il n'y aura pas de Marseillaise pour fêter ce triomphe tricolore: les organisateurs n'ont pas trouvé de disque de l'hymne national...
Mais qu'importe, c'est un jour faste pour le sport automobile français. De retour à Paris, Jacques Laffite arrose copieusement son succès, avant de se présenter le lundi matin sur le plateau de TF1, flanqué d'un fameux mal de cheveux. Et l'après-midi, « Jacquot » est sur le fauteuil de son dentiste pour soigner sa rage de dents...
Ce GP de Suède n'a pas beaucoup d'incidence sur les classements mondiaux. Scheckter et Lauda n'ont pas marqué. Reutemann seul fait une bonne affaire avec sa troisième place et revient à cinq points du Sud-Africain. Chez les constructeurs, Ferrari porte son avance sur Lotus à seize longueurs.
Tony