Transfert de Niki Lauda et affaire Cuoghi
Niki Lauda a annoncé qu'il rejoindrait l'équipe Brabham en 1978. Le transfert est soutenu par le groupe laitier italien Parmalat, commendataire personnel de l'Autrichien qui va devenir un des principaux sponsors de Martini Brabham. Enzo Ferrari est furieux de cette « trahison », d'autant plus que Brabham est motorisée par le rival Alfa Romeo. Il conchie Lauda dans la presse, le qualifiant de « Judas se vendant à la concurrence pour trente kilos de salami » .
Le Commendatore va laisser libre court à sa colère et se lancer dans une sorte de purge. Le directeur sportif en second Sante Ghedini est ainsi renvoyé pour avoir toujours soutenu Lauda. Il retrouvera un poste chez Parmalat... Juste avant le Grand Prix des États-Unis, sa fureur se concentre sur Ermanno Cuoghi, le chef mécanicien de Lauda. L'Autrichien lui a en effet proposé de l'accompagner chez Brabham. Cuoghi n'a pas immédiatement répondu par l'affirmative et se laisse un temps de réflexion. Mais Ferrari tient à être fixé: il fait téléphoner au mécanicien afin de lui demander s'il a l'intention de demeurer dans l'écurie en 1978. Cuoghi déclare qu'il hésite encore... et se fait renvoyer sur le champ ! Roberto Nosetto reçoit la consigne de lui interdire l'accès du stand Ferrari. Lauda est choqué par ces méthodes expéditives et prend fait et cause pour son mécanicien.
Gilles Villeneuve signe avec Ferrari, Ronnie Peterson revient chez Lotus
Le Scuderia a cependant trouvé le remplaçant de Lauda. Enzo Ferrari aurait aimé recruter Patrick Tambay mais celui-ci a signé avec McLaren. Du coup, il a pris contact avec le Québécois Gilles Villeneuve, 27 ans, qui a fait de bons débuts à Silverstone avec McLaren. Le contrat a été signé fin septembre et Villeneuve fera ses débuts avec Ferrari dès le GP du Canada.
D'autres transferts sont en préparation. Ronnie Peterson, qui ne s'est jamais acclimaté à la Tyrrell à six roues, met de côté sa rancœur envers Colin Chapman et signe avec Lotus un contrat d'un an. Il remplacera Gunnar Nilsson, jugé trop irrégulier, et sera pilote n°2 derrière Mario Andretti. Chez McLaren, Jochen Mass sera remplacé par le jeune Français Patrick Tambay. De son côté Clay Regazzoni devrait quitter Ensign pour rejoindre Shadow. En attendant, il va fêter aux USA son centième Grand Prix.
Présentation de l'épreuve
L' « affaire Cuoghi » occupe tant le paddock qu'elle éclipse le fait que Niki Lauda est tout proche de remporter son deuxième championnat du monde. Il possède 27 points d'avance sur Jody Scheckter alors qu'il reste 27 points à prendre. Le pilote Wolf doit donc remporter les trois dernières courses pour avoir une chance d'être titré... Il n'y songe pas sérieusement. Lauda a seulement besoin d'un petit point pour être sacré, en cas de victoire de Scheckter en terre américaine.
Plusieurs équipes privées ont mis un terme à leur saison au soir du Grand Prix d'Italie, les déplacements outre-Atlantique étant trop onéreux. C'est le cas des équipes ATS, RAM, Merzario et Apollon. En revanche, Williams, Theodore et BS Fabrications sont toujours là. On voit aussi apparaître pour les deux courses nord-américaines l'équipe Interscope Racing créée par un jeune magnat de la presse de 24 ans, Ted Field. Il engage une Penske PC4 confiée à Danny Ongais, pilote de 35 ans qui n'a pour l'heure qu'un faible palmarès, mais qui s'est fait remarquer en devenant le premier Hawaïen à participer aux 500 Miles d'Indianapolis.
Gunter Schmidt ayant retiré son équipe ATS, il laisse libre ses deux pilotes. Hans Binder retrouve alors la place qu'il occupait en début de saison dans la deuxième Surtees. Quant à Jean-Pierre Jarier, il retourne chez Shadow pour une simple pige. Il remplace en effet Riccardo Patrese retenu par une course de Formule 2.
Les qualifications
Le temps est froid et humide dans l'État de New-York. Le vendredi, sur une piste sèche, Hunt signe le meilleur temps devant les Brabham-Alfa Romeo. Le samedi, la pluie tombe sur le circuit et aucun tour rapide ne peut être couvert. Hunt réalise donc sa quatorzième pole position avec trois dixièmes d'avance sur Stuck dont c'est la meilleure qualification en carrière. Son équipier Watson est troisième devant Andretti, très encouragé par le public américain. Peterson est cinquième, ce qui est le meilleur résultat d'une Tyrrell P34 depuis longtemps. Il précède les deux Ferrari de Reutemann et Lauda, peu en verve. Viennent ensuite Depailler, Scheckter, Laffite, Brambilla et Nilsson. Jabouille qualifie la Renault en quatorzième position, devant la deuxième McLaren de Mass.
Pour son retour chez Shadow, Jarier est seizième, trois places derrière son équipier Jones. Lunger est dix-septième pour sa course nationale, devant Fittipaldi.
Ashley qualifie son Hesketh pour la première fois de l'année, au vingt-deuxième rang. Ribeiro, Nève, Binder et Ongais ferment la marche. La grosse déception vient de Patrick Tambay. Le jeune Français a cassé deux moteurs le vendredi et n'a pas pu se qualifier le samedi sur piste humide.
Le Grand Prix
Le dimanche matin, une bruine tombe sur le circuit, puis une véritable averse peu avant la course. La piste est détrempée et le ciel est incertain au moment du départ. Par prudence, tous les pilotes chaussent des pneus rainurés. Tous, sauf Watson qui tente le parti de monter des slicks. Le pilote Brabham semble si sûr de lui qu'Andretti songe un temps à l'imiter, avant de se raviser.
Départ: Stuck prend le meilleur départ et point immédiatement en tête, suivi par Hunt, Andretti, Reutemann, Lauda et Peterson.
1er tour: Lauda part trop large dans la grande courbe de Toe et se fait déborder par Peterson. Au même endroit Laffite évite de peu le tête-à-queue.
Stuck mène devant Hunt, Andretti, Reutemann, Peterson, Lauda, J. Scheckter, Laffite, Nilsson et Jones.
2e: Stuck compte une seconde et demie d'avance sur Hunt. Scheckter double Lauda puis Peterson et pointe au cinquième rang. Jones dépasse Nilsson puis Laffite. Watson a beaucoup de mal à maintenir sa Brabham en piste et se retrouve vingt-cinquième.
3e: Stuck mène devant Hunt (2s.) et Andretti (5.2s.). Reutemann est quatrième, sous la menace de Scheckter. Jones est très rapide en ce début de course et prend la sixième place à Lauda.
4e: L'embrayage de Stuck commence à se détériorer mais l'Allemand maintient son rythme. Scheckter dépasse Reutemann. Lauda fait un léger écart et Brambilla qui le suivait sort de la piste, abîmant sa calandre. Jones part en tête-à-queue dans le virage n°6 et heurte les grillage. Il parvient à s'extraire sans mal de sa voiture. Mass apparaît au huitième rang après avoir passé Regazzoni et Laffite.
5e: Brambilla s'arrête au stand Surtees. Il va repartir quelques instants plus tard, toujours sans calandre. Il finira la course ainsi.
6e: Lauda et Mass doublent Peterson.
7e: Stuck a trois secondes d'avance sur Hunt. Regazzoni et Peterson bataillent sévèrement pour la huitième place. Ongais part dans une embardée dans le dernier virage et se retrouve en tête-à-queue. Il renonce tandis qu'il occupait le quinzième rang.
8e: Regazzoni double Peterson par l'extérieur à Toe, dans un dépassement très périlleux. Watson s'arrête à son stand et chausse des pneus extra-tendres.
9e: Mass rencontre une problème de pompe à essence. Il doit mettre pied à terre.
10e: La pluie a cessé mais la piste est encore très humide. Stuck semble faire la course de sa vie: il mène devant Hunt (4.2s.), Andretti (10.6s.), Scheckter (21.3s.), Reutemann (27.9s.), Lauda (28.3s.) et Regazzoni (40s.). Suivent Peterson, Nilsson, Laffite et Jarier.
11e: Lauda prend la cinquième place à Reutemann. I. Scheckter sort de la piste et ne pourra pas repartir.
13e: Stuck est toujours en tête mais il n'a plus d'embrayage et il ne semble pas pouvoir poursuive bien longtemps son chemin. Il n'a plus que deux secondes d'avance sur Hunt.
15e: Stuck part en tête-à-queue à Toe. Il ne touche rien dans un premier temps mais, privé d'embrayage, finit par frotter le rail à l'extérieur. Le jeune Allemand sort de sa voiture, dépité.
16e: Hunt se retrouve premier avec cinq secondes d'avance sur Andretti et quinze secondes sur Scheckter.
18e: Nilsson est à la poursuite de Peterson: dans la montée de Toe il tente de déborder la Tyrrell par l'extérieur mais les deux voitures se frottent: Nilsson part en tête-à-queue et frotte le rail. Suspensions abîmées, il doit renoncer.
20e: Hunt augmente son avance sur Andretti. Scheckter et Lauda viennent ensuite, chacun étant isolé à sa place. Reutemann est cinquième mais est menacé par un Regazzoni survolté. Ashley était neuvième mais il s'arrête à son stand pour changer de pneus.
21e: Laffite prend la septième place à Peterson.
23e: Regazzoni déborde Reutemann et se retrouve cinquième.
25e: Hunt a une douzaine de secondes d'avance sur Andretti. La trajectoire commence à s'assécher et par conséquent les pilotes roulent sur les zones humides de l'asphalte afin de préserver leurs pneus rainurés. Lauda le fait de manière systématique.
27e: Hunt contrôle la course et gagne plusieurs dixièmes par tour sur Andretti.
30e: Hunt mène devant Andretti (16.9s.), Scheckter (27.3s.), Lauda (44s.), Regazzoni (57s.), Reutemann (1m. 06s.) et Laffite (1m. 30s.). Suivent Peterson, Keegan, Jarier et Jabouille.
32e: Jabouille abandonne suite à une avarie dans le circuit électrique de sa Renault.
34e: Peterson doit s'arrêter pour changer des pneus. Il chausse des slicks et repart après avoir concédé une place à Keegan.
35e: Hunt caracole au commandement avec une quinzaine de secondes d'avance sur Andretti. Scheckter est relégué à une trentaine de secondes. Lauda se contente de sa quatrième place qui suffit à lui assurer le titre mondial.
37e: L'écart entre Hunt et Andretti est stable, mais les deux pilotes doivent rouler sur l'asphalte humide pour préserver leurs gommes.
39e: Tout va mal pour Peterson qui repasse par les stands pour chausser un nouveau train de pneus et ne repart qu'en seizième positon.
40e: Watson est au stand Brabham où il fait monter des pneus intermédiaires. Il était revenu au dixième rang; il n'est plus que treizième. Il se retrouve en bagarre avec Binder et Lunger.
42e: Nouvel arrêt de Watson, pour mettre des slicks...
45e: Hunt commence à s'inquiéter en regardant son tableau de bord: son moteur surchauffe. Il baisse légèrement le pied.
47e: Hunt préserve sa mécanique mais Andretti remonte de plus en plus rapidement sur lui: l'écart n'est plus que d'une douzaine de secondes.
50e: L'écart entre Hunt et Andretti est tombé en dessous des dix secondes. Scheckter se trouve en revanche à plus d'une minute de la tête. Lauda est à une minute trente. Il tient Regazzoni et Reutemann à bonne distance. Suivent ensuite, hors des points et relégués à un tour, Laffite, Jarier, Lunger et Binder.
52e: Andretti jette ses dernières forces dans la bataille et reprend environ une seconde par tour à Hunt. Il doit toutefois être prudent car ses pneus rainurés sont usés après une course dans des conditions changeantes.
54e: Cinq secondes entre Hunt et Andretti. Scheckter est à 1m. 15s, Lauda à 1m. 38s.
55e: Andretti n'est plus qu'à quatre secondes de Hunt. L'Américain se prend à rêver à une nouvelle victoire à domicile.
56e: Andretti s'est encore rapproché du leader. Ses rétroviseurs étant plein de poussière et de buée, Hunt ne voit même pas la Lotus revenir sur lui. Peterson réalise le meilleur tour en course en 1'51''854'''.
58e: Andretti est à moins de deux secondes de Hunt. Le public américain l'encourage.
59ème et dernier tour: Tout surpris, Hunt découvre enfin la 78 d'Andretti dans ses rétroviseurs. L'Anglais accélère et s'assure ainsi la marge suffisante pour remporter sa neuvième victoire en Formule 1, la deuxième de l'année, avec deux secondes d'avance sur Andretti. Scheckter finit troisième. Après une course très sage, Lauda franchit la ligne en quatrième position et remporte ainsi, à 28 ans, son deuxième titre de champion du monde de F1. Cinquième, Regazzoni est dans les points pour la seconde fois de rang. Reutemann se contente de la sixième position. Laffite, Keegan, Jarier, Lunger, Binder, Watson, Fittipaldi, Depailler, Ribeiro, Peterson, Ashley, Nève et Brambilla finissent aussi la course.
Après la course
James Hunt est content de cette victoire qui efface quelque peu les déceptions accumulées durant l'été. Et puis il est entouré sur le podium par des très jolies mannequins. Il invite Niki Lauda à le rejoindre et asperge le nouveau champion du monde, non avec du champagne, mais avec un infect vin mousseux américain.
Lauda ne s'attarde pas sur le Glen. Nosetto ne félicite même pas son pilote. La Scuderia avait tout de même prévu une « party » pour célébrer le sacre mondial. Lauda quitte le circuit et préfère dîner avec... Ermanno Cuoghi. L'équipe italienne est en pleine guerre intestine. A se demander comment elle a pu remporter les deux titres mondiaux...
Un autre homme n'est pas content: Patrick Depailler. L'année précédente, sa P34 a failli remporter plusieurs Grands Prix. Cette année, il n'a que dix points au championnat et se plaint d'avoir piloté à Watkins-Glen « la plus mauvaise voiture de sa carrière ». Il est temps que la saison se termine chez Ken Tyrrell...
Aux classements mondiaux, avec 72 points, Lauda ne peut plus être rattrapé. Andretti prend la deuxième place du championnat avec un point d'avance sur J. Scheckter. Chez les constructeurs, McLaren reprend la troisième place à Wolf.
Tony