Montée en puissance de Lotus et voyage brésilien
Depuis le Grand Prix d'Afrique se sont déroulées plusieurs épreuves hors-championnat. La Course des champions à Brands-Hatch et l'International Trophy à Silverstone ont tous les deux été remportés par Emerson Fittipaldi. Le jeune Brésilien apparaît de plus en plus comme le futur homme fort du championnat du monde. La Lotus 72 semble avoir retrouvé sa compétitivité de 1970.
Entre ces deux manches britanniques a eu lieu le premier Grand Prix du Brésil de Formule 1 sur le tracé d'Interlagos à São Paulo. Cette initiative a été soutenue par Bernie Ecclestone qui, en tant que représentant des constructeurs, a signé un contrat de retransmission avec la télévision brésilienne. Pour la première fois, les constructeurs négocient directement avec les autorités nationales et les entrepreneurs privés, faisant fi de la FIA et de la CSI. Le peloton est certes bien maigre pour cet événement, mais c'est l'occasion pour Emerson Fittipaldi de recevoir un triomphe national. Hélas, il renonce tandis qu'il occupe la tête de l'épreuve, et c'est Carlos Reutemann qui remporte finalement la course, sa première victoire en Formule 1.
Présentation de l'épreuve
La saison européenne commence par le Grand Prix d'Espagne disputé sur le petit circuit de Jarama, au nord de Madrid. Grâce à son bon début de saison et à ses victoires lors des épreuves hors-championnat, Emerson Fittipaldi est le favori de cette épreuve. Ses principaux rivaux sont Jackie Stewart, champion du monde en titre, et Denny Hulme, l'actuel leader du championnat.
Les cheveux longs et grisonnants, mais la moustache toujours bien taillée, Graham Hill s'installe au volant de la nouvelle Brabham-Ford-Cosworth BT37 conçue par Ralph Bellamy. Néanmoins cette voiture n'est qu'une BT33 améliorée et munie d'un train avant traditionnel avec un radiateur unique. « Dans un souci de rationalisation, il nous fallait une nouvelle voiture qui n'engage pas une nouvelle coque », explique Bellamy au journaliste Alan Henry. « La BT37 est seulement une BT34 avec un radiateur frontal et de nouvelles structures déformables pour protéger les réserver d'essence, puisque ce sera obligatoire en 1973. »
March lance la dernière création de Robin Herd, l'ambitieuse 721X. Cette voiture très compacte utilise une boîte de vitesses « retournée » et installée en avant de l'axe des roues arrière, collée entre le moteur et le différentiel. Cette boîte est inspirée de celle conçue par Alfa Romeo pour sa 33-3 de Sport. Le système de suspension arrière est curieusement inspiré de celui de la Ferrari 312 B2 de 1971. Ronnie Peterson est enthousiasmé par cette création, ce qui n'est pas le cas de Niki Lauda qui la juge imprévisible. Mais Mosley et Herd préfèrent écouter le flamboyant Suédois plutôt que le pilote payant autrichien...
Malgré une armada de quatre ou cinq voitures, BRM n'a pas inscrit le moindre point lors des deux premières manches. L'équipe anglaise lance la nouvelle P180, dernière création de Tony Southgate avant qu'il ne quitte l'écurie. Cette voiture se distingue par un centrage des masses très accentué sur l'arrière. Mais Jean-Pierre Beltoise ne l'aime pas et préfère utiliser la P160. Peter Gethin devra donc seul effectuer son « décrassage » au cours de ce week-end. Trois autres P160B sont engagées pour Howden Ganley, Reine Wisell et le pilote local Alex Soler-Roig. Helmut Marko est absent.
La Ferrari 312 B2 souffre toujours d'un manque de stabilité. Cette fois-ci Mauro Forghieri a fait construire un nouvel aileron placé au-dessus de la boîte de vitesses.
Chris Amon étrenne pour sa part une nouvelle Matra MS120C allégée de cinquante kilogrammes. Un poids excessif était en effet le grand handicap de la voiture française en ce début d'année.
Carlos Reutemann a déclaré forfait car il s'est cassé le poignet lors d'une épreuve de Formule 2 à Thruxton. Il est remplacé par Wilson Fittipaldi, le frère aîné d'Emerson, moins brillant mais qui a obtenu quelques bons résultats en Formule 2. Pour sa première course en F1, il a fini troisième du récent Grand Prix du Brésil. C'est la première fois que deux frères prennent le départ d'une manche du championnat du monde. Wilson pilote la Brabham BT33 utilisée jusqu'ici par Graham Hill.
Mike Beuttler est de retour avec son équipe Clarke-Mordaunt-Guthrie Racing. Il pilote une March jaune 721G, qui est en fait une March 722 de Formule 2 équipée d'un moteur Ford-Cosworth DFV et d'un train arrière de F1. Elle a été préparée par Space Racing, l'équipe de Bob Sparshott, ancien ingénieur de Jim Clark et de Graham Hill chez Lotus.
Les qualifications
Le Grand Prix se déroulant le lundi 1er mai, les essais ont lieu du vendredi au dimanche.
Au cours de ces séances, on assiste à un net regain de forme des Ferrari. Ickx réalise sa dixième pole position en Formule 1 en 1'18''43'''. Il devance Hulme de sept dixièmes de seconde. E. Fittipaldi complète la première ligne, à huit dixièmes du poleman. Stewart est seulement quatrième aux côtés d'Andretti. Amon est sixième, ce qui est la meilleure qualification de la Matra depuis le début de l'année. Il précède la BRM de Beltoise et la Ferrari de Regazzoni. Peterson est neuvième devant son compatriote Wisell. Suivent Revson, Cevert et de Adamich. W. Fittipaldi est quatorzième devant la Surtees de Hailwood.
On note la satisfaisante seizième place de Pace. Soler-Roig est vingt-deuxième pour son Grand Prix national. La nouvelle Brabham BT37 ne donne pas satisfaction puisque Hill n'est que 23ème. En dernière ligne on retrouve Walker, toujours très décevant, et Lauda. La grille de départ étant limitée à vingt-cinq places, Beuttler échoue à se qualifier.
Le Grand Prix
Une averse est tombée sur la Castille le matin de la course. La piste est encore légèrement humidifiée au début de l'après-midi. Mais il fait surtout très frais et les pneumatiques vont donc avoir une grande importance durant la course.
Sur la grille de départ le prince royal Juan Carlos, passionné de sport automobile, se fait présenter les pilotes par Emmanuel de Graffenried, devenu ambassadeur de Philip Morris.
Grille de départ: Un crachin tombe sur la piste tandis que les voitures prennent place sur la grille. Néanmoins l'averse n'est pas assez forte pour que les pilotes choisissent de chausser des pneus rainurés. Tous s'élancent en slicks.
Départ: Ickx prend un mauvais envol, de même que Fittipaldi qui est légèrement heurté à l'arrière par Regazzoni. Hulme s'empare du commandement, suivi par Stewart, Regazzoni et Ickx. Arrivé à l'épingle Nuvolari, Peterson part en vrille et sème la panique dans le peloton. Heureusement, aucun gros accrochage n'est à déplorer et Peterson lui-même peut reprendre son chemin.
1er tour: Hulme mène devant Stewart, Regazzoni, Ickx, E. Fittipaldi, Andretti, Beltoise, Wisell, Amon et de Adamich. Hill s'arrête à son stand car il a été impliqué dans l'incident du premier virage. Son moteur a beaucoup de mal à redémarrer et Hill ne reprend la piste qu'avec un tour de retard.
2e: Ickx double Regazzoni et Beltoise dépasse Andretti.
3e: Fittipaldi dépasse Ickx et se retrouve troisième.
4e: Fittipaldi se lance à la poursuite de Hulme et de Stewart. En effet ses pneus Firestone sont plus efficaces que les Goodyear de ses deux rivaux sur cette piste fraîche.
5e: Stewart attaque Hulme et s'empare du commandement. Beltoise doit s'arrêter à son garage car sa commande de boîte est déréglée. Il repart après quelques instants d'immobilisation.
6e: Hulme est à la peine car ses Goodyear ont du mal à monter en température. Il se fait doubler par Fittipaldi et par Ickx dont les Firestone sont parfaitement chauds.
7e: Fittipaldi est revenu derrière Stewart. A cause d'une boîte de vitesses bloquée, Soler-Roig part en tête-à-queue et sa voiture atterrit dans les grillages de protection. L'Espagnol est indemne mais sa course s'arrête là.
8e: Stewart compte une demi-seconde d'avance sur Fittipaldi et sur Ickx. A une seconde et demie se trouve Hulme. A trois secondes viennent Andretti et Regazzoni, roues dans roues. A six secondes se trouvent Wisell et Amon, puis vient de Adamich, isolé. Lauda abandonne à cause d'une panne d'accélérateur.
9e: Fittipaldi déborde Stewart par l'intérieur au virage Ascari et prend le commandement. W. Fittipaldi apparaît dans les dix premiers après voir doublé Hailwood.
10e: La pluie a cessé. Fittipaldi s'échappe irrésistiblement en tête de l'épreuve puisqu'il possède déjà cinq secondes d'avance sur Stewart.
11e: Beltoise doit renoncer car sa commande de boîte est complétement déréglée.
12e: Après un bon début de course, Wisell stoppe chez BRM car il rencontre un souci avec sa boîte de vitesses. Il repart après près de dix minutes d'immobilisation.
13e: Fittipaldi a huit secondes d'avance sur Stewart, désormais attaqué par Ickx. Suit un groupe composé de Hulme, Andretti et Regazzoni, puis viennent Amon et de Adamich.
15e: Ickx déborde Stewart et s'empare de la deuxième position.
16e: Sortie de piste de Stommelen qui ne pourra pas repartir.
18e: Andretti prend la quatrième place à Hulme. Peterson regagne son garage pour renoncer: le bouchon de son réservoir s'est détaché et l'essence envahit son cockpit !
19e: Très rapide, Ickx remonte sur Fittipaldi. Stewart est pour sa part menacé par Andretti et par Hulme.
20e: E. Fittipaldi mène devant Ickx (5.8s.), Stewart (10.5s.), Andretti (11.2s.), Hulme (11.5s.), Regazzoni (16.2s.), Amon (25.3s.), de Adamich (30.7s.), W. Fittipaldi (40.1s.) et Revson (41.4s.).
21e: Hailwood renonce suite à une panne d'allumage. Il occupait le dixième rang avant quelques tours difficiles.
23e: Hulme est distancé par Stewart. Andretti lève le bras: son Flat 12 a cessé de fonctionner. L'Américain n'a plus qu'à regagner son garage pour renoncer. Il libère ainsi Stewart d'une sérieuse menace.
25e: L'asphalte est pratiquement sec. Trois secondes séparent E. Fittipaldi et Ickx. Stewart est troisième à douze secondes. Il précède Hulme, Regazzoni, Amon, de Adamich, W. Fittipaldi, Revson et Cevert. Ganley est arrêté au stand BRM.
28e: Cevert prend la neuvième place à Revson. Il attaque désormais W. Fittipaldi.
29e: Cevert double W. Fittipaldi. Wisell sort de la route à cause d'une boîte de vitesses bloquée et atterrit dans les protections.
30e: E. Fittipaldi mène devant Ickx (4s.), Stewart (17s.) et Hulme (30s.). Regazzoni est cinquième à une quarantaine de secondes. Amon est sixième et précède de Adamich, Cevert, W. Fittipaldi, Revson, Schenken et Pace.
33e: Statu quo en tête de l'épreuve. L'écart évolue peu entre Fittipaldi et Ickx.
35e: Fittipaldi a quatre secondes et demie de marge sur Ickx. Le Brésilien a pris un tour à Cevert puis à de Adamich.
37e: De gros nuages s'amoncèlent dans le ciel. Amon est sixième malgré un mauvais choix de pneus. Néanmoins ceux-ci se désagrègent peu à peu et ne tiendront sûrement pas jusqu'au drapeau à damiers. En attendant Amon concède un tour à Fittipaldi.
39e: Revson prend la neuvième place à W. Fittipaldi.
40e: Une averse fait son apparition. Dans les stands, on craint de devoir arrêter les pilotes pour leur faire chausser des pneus rainurés. Quatre secondes séparent Fittipaldi et Ickx. Stewart est à dix-sept secondes du Brésilien, Hulme à trente secondes.
41e: Ganley est contraint à l'abandon, moteur cassé. Gethin pilote la seule BRM encore en course.
42e: Il pleut sur le circuit, mais pas suffisamment semble-t-il pour bien humidifier la trajectoire. Les pneus d'Amon sont détruits et le Néo-Zélandais se fait doubler par de Adamich et par Cevert.
45e: A mi-course, E. Fittipaldi est premier devant Ickx (3.2s.), Stewart (18.4s.), Hulme (31.2s.) et Regazzoni (43.8s.). Tous les autres coureurs ont concédé au moins un tour au leader. La pluie a cessé.
47e: Ses pneus étant détruits, Amon doit stopper pour les changer. Il repart après avoir chuté au treizième rang.
49e: Hulme ne parvient plus à sélectionner ses vitesses. Il regagne son garage pour renoncer.
50e: La pluie ayant disparu, l'asphalte se remet à sécher. Cevert double de Adamich et se retrouve cinquième suite à l'abandon de Hulme.
52e: Ickx signe le meilleur tour de la course en 1'21''01'''.
54e: Fittipaldi creuse peu à peu l'écart sur Ickx. Stewart est maintenant à plus de trente secondes du leader.
56e: E. Fittipaldi a sept secondes de marge sur Ickx. Pace prend la septième place à W. Fittipaldi.
57e: Cevert stoppe chez Tyrrell pour faire changer son pneu avant droit très abîmé. Il reprend la piste en onzième position.
60e: E. Fittipaldi mène devant Ickx (10s.), Stewart (35s.) et Regazzoni (1m. 10s.). Suivent, à un tour ou plus, de Adamich, Revson, Pace et W. Fittipaldi.
62e: La piste est désormais sèche. Stewart apparaît en difficulté et perd de plus en plus de temps sur ses rivaux. Heureusement pour lui Regazzoni n'est pas en mesure de le rattraper.
64e: Fittipaldi a maintenant douze secondes d'avance sur Ickx.
66e: Walker prend la huitième place à W. Fittipaldi.
67e: Cevert est victime d'une panne d'allumage. Il est contraint à l'abandon. Le Français n'a pas inscrit de point lors des trois premières épreuves du championnat.
68e: Gethin renonce suite à une panne de son moteur V12. Les cinq BRM sont hors course.
69e: Amon a cassé un pignon de boîte de vitesses. Il doit renoncer. Comme BRM, Matra n'a toujours pas inscrit le moindre point en 1972.
70e: Suite à un bris de suspension, Stewart perd le contrôle de sa Tyrrell et sort de la route. Ce faisant il endommage un de ses radiateurs. Il doit renoncer: c'est son deuxième abandon consécutif. Regazzoni récupère la troisième place.
72e: E. Fittipaldi mène avec quatorze secondes d'avance sur Ickx. Regazzoni est troisième, en passe de concéder un tour au leader. De Adamich est quatrième devant Revson, Pace, Walker, W. Fittipaldi, Schenken, Pescarolo et Hill.
74e: Fittipaldi prend un tour à Regazzoni.
76e: Seize secondes séparent Fittipaldi et Ickx.
78e: Fittipaldi est inquiet en cette fin d'épreuve car sa jauge d'essence descend dangereusement. Le Brésilien redoute la panne sèche.
80e: E. Fittipaldi mène devant Ickx (18s.), Regazzoni (-1t.), de Adamich (-1t.), Revson (-1t.), Pace (-1t.), Walker (-2t.) et W. Fittipaldi (-2t.).
82e: Pescarolo finit la course à faible allure car il a perdu l'usage de sa quatrième vitesse.
84e: Sans que son pilote le sache, la Lotus de Fittipaldi est affectée par une petite fuite d'essence. Son réservoir se vide dangereusement.
85e: A cinq tours du but, Fittipaldi possède une vingtaine de secondes d'avance sur Ickx.
89e: Tandis que Fittipaldi perd de l'essence, son équipier Walker s'arrête dans les graviers, en panne sèche.
90ème et dernier tour: Emerson Fittipaldi remporte sa deuxième victoire en Formule 1 et offre à Lotus son premier succès depuis un an et demi. Ickx termine deuxième après une belle course car il a été le seul pilote à pouvoir suivre Fittipaldi. Regazzoni est troisième et permet ainsi à Ferrari de placer deux voitures sur le podium. De Adamich finit quatrième et inscrit ses trois premiers points en F1. Revson est cinquième. Le jeune Pace termine sixième dès sa deuxième course, marque un bon point pour Williams, et conclut donc brillamment cette belle journée pour le sport brésilien. W. Fittipaldi est pour sa part septième. Schenken, Hill et Pescarolo sont les seuls autres coureurs à rallier l'arrivée.
Après la course
Dans des conditions météorologiques changeantes, les gommes Firestone se sont montrées plus performantes que les Goodyear et occupent les quatre premiers rangs. Firestone se venge ainsi quelque peu de son rival qui a dominé les deux premiers Grands Prix.
La victoire de Fittipaldi met fin à une longue disette pour l'écurie de Colin Chapman. Le Pauliste a mené une course brillante dans des conditions météorologiques difficiles et sa JPS Lotus 72D apparaît comme la meilleure voiture en ce début de saison. Jackie Stewart déclare même que Fittipaldi est son favori pour remporter le titre mondial. La chance a toutefois été aussi de son côté: suite à cette inquiétante fuite d'essence, il n'y avait à l'arrivée plus qu'un seul litre de carburant dans son réservoir !
Toujours est-il que grâce à cette victoire, Fittipaldi rejoint Hulme en tête du championnat du monde. Les deux hommes totalisent 15 points chacun. Ickx est troisième avec dix points et précède Stewart, neuf points. En ce qui concerne la coupe des constructeurs, McLaren est toujours première avec 17 unités et devance Lotus (15 pts) et Ferrari (13 pts).
Tony