Entrée de Bernie Ecclestone à la F1.C.A.
Avant le déplacement en Amérique du Nord s'est réunie à Norwich l'association des constructeurs sous la présidence d'Andrew Ferguson. Celle-ci a accueilli un nouveau membre, Bernie Ecclestone, propriétaire de Brabham depuis quelques jours. Ecclestone a immédiatement saisi les difficultés auxquelles font face les équipes britanniques de Formule 1. Ces dernières doivent en effet supporter des coûts de transport de plus en plus élevés voire quasi insupportables en ce qui concerne les Grands Prix extra-européens. En contrepartie, elles ne reçoivent de la part des organisateurs que des primes de participation dérisoires, qui ne sont parfois même pas délivrées. Seule la Scuderia Ferrari, grâce à son prestige, obtient des sommes substantielles. Les Britanniques sont furieux car les bénéfices retirés par les Grands Prix sont de plus en plus élevés du fait de l'augmentation du nombre de spectateurs. Ils souhaiteraient donc obtenir leurs parts du gâteau. Pour ne rien arranger, ils doivent négocier les primes avec chaque organisateur course après course, d'où des écarts de sommes parfois grands selon les pays.
Bernie Ecclestone propose à ses collègues de tenir un langage plus ferme. Il conseille de demander aux Canadiens d'allouer aux équipes vingt-cinq véhicules pour transporter leur matériel de l'aéroport de Toronto jusqu'au circuit de Mosport. Ainsi les frais de transport supportés par les écuries seront moins élevés. Mais il va plus loin et propose que la F1CA nomme un représentant chargé de négocier en son nom avec tous les organisateurs... en échange d'une petite commission. Déjà Ecclestone désire prendre en main les intérêts des constructeurs et fait miroiter aux chefs d'équipes une hausse importante de leurs bénéfices.
Présentation de l'épreuve
Le Grand Prix du Canada revient à Mosport, semble-t-il pour de bon car le tracé du Mont-Tremblant est délaissé par la Formule 1. Les deux championnats du monde étant attribués à Jackie Stewart et à Tyrrell-Ford-Cosworth, les places de seconds sont désormais en jeu. Chez les pilotes, la lutte est ouverte puisque Ronnie Peterson, actuel dauphin avec 23 points, peut encore être rattrapé par Jacky Ickx, François Cevert, Emerson Fittipaldi, Jo Siffert... et bien d'autres ayant fort peu de chances. Chez les constructeurs, Ferrari n'a plus que deux longueurs d'avance sur BRM. March est à huit points de la Scuderia.
Ayant enfin récupéré sa licence, Jean-Pierre Beltoise revient au volant de la deuxième Matra. Toutefois à Mosport l'ambiance n'est pas au beau fixe au sein de l'équipe française. Chris Amon se plaint en effet de la mauvaise tenue de route de sa machine et se montre de fort méchante humeur. De son côté Beltoise comprend de plus en plus que Bruno Morin axe tous les efforts des mécaniciens sur le matériel destiné à Amon. Ainsi lorsque pendant les essais ce dernier demande une nouvelle barre anti-roulis, on démonte celle se trouvant sur la voiture du Français. Très désappointé, Beltoise reprend pourtant le volant et, malgré une voiture a priori déséquilibrée, bat le chrono réalisé par Amon...
Trois Ferrari 312B2 sont engagées pour cette course grâce au retour de Mario Andretti. Mais les ambitions de la Scuderia sont désormais modestes et se bornent à placer toutes les voitures à l'arrivée.
Lotus se présente à nouveau avec deux 72D aux mains d'Emerson Fittipaldi et Reine Wisell. L'équipe anglaise est mal en point. Colin Chapman a appris que son bras droit Maurice Philippe l'abandonnait pour rejoindre la structure de Parnelli Jones aux États-Unis. Trois de ses treize mécaniciens quittent aussi l'usine. Après une année d'efforts inutiles, Chapman abandonne la voiture à turbine pour se concentrer sur le développement de la 72. Il espère ainsi conserver Fittipaldi, convoité par Ferrari. Quant à Wisell, il a déçu son patron qui a décidé de le remplacer en 1972 par le grand espoir australien Dave Walker.
Chez McLaren, Denny Hulme est de retour derrière le volant. Une deuxième M19A est engagée sous le patronage de Roger Penske et confiée à l'Américain Mark Donohue, 34 ans, qui a brillé en USAC aux volants de McLaren. Il a ainsi l'occasion de montrer de quoi il est capable en Formule 1.
Andrea de Adamich ne fait pas le déplacement au Canada à cause de problèmes personnels. Par conséquent, aucune voiture à moteur Alfa Romeo n'est engagée puisque Nanni Galli possède désormais une 711 propulsée par un Cosworth. De Adamich est remplacé par Mike Beuttler qui peut donc conduire une March officielle à moteur Ford-Cosworth.
Ronnie Peterson espère bien devenir vice-champion du monde tout en remportant son premier Grand Prix. Le jeune Suédois réalise une saison exceptionnelle puisqu'il est maintenant tout proche de remporter le championnat d'Europe de Formule 2.
Chez Surtees, on ne trouve que les deux TS9 de John Surtees et Rolf Stommelen. Mike Hailwood, si brillant à Monza, ne reviendra qu'à Watkins-Glen.
D'autres pilotes nord-américains apparaissent ou reviennent pour cette course. Skip Barber fait ainsi son retour au volant de sa March 711 privée. Pete Lovely, âgé de 45 ans, tente de nouveau sa chance avec une Lotus hybride sponsorisée par Volkswagen. Sa voiture est en effet une Lotus 69 F2 munie d'un train arrière de Type 49 F1.
Le Canadien George Eaton retourne chez BRM pour une pige avec une BRM P160. Avec la P153 de Helmut Marko, ce sont donc cinq BRM qui se présentent au départ ! A signaler que Peter Gethin utilise le nouveau V12 MK II testé par Jo Siffert lors des essais du GP d'Autriche.
Enfin l'Anglais Chris Craft pilote une vieille Brabham BT33 présentée par le pilote amateur Alain de Cadenet, sous le nom d'Écurie Evergreen.
Les qualifications
Le week-end canadien est perturbé par une météo capricieuse. Il pleut le vendredi matin et les pilotes ne peuvent réaliser de bons chronos que le vendredi après-midi et le samedi. Les temps sont serrés, mais finalement Stewart réalise sa cinquième pole position de la saison avec deux dixièmes de seconde d'avance sur Siffert. Cevert complète la première ligne, à quatre dixièmes de son chef de file. Fittipaldi place la Lotus au quatrième rang et précède Amon. Suivent les deux Suédois Peterson et Wisell. La grande performance vient de Donohue qui pour sa première participation se hisse au huitième rang. Il devance Ganley, Hulme et Beltoise. Les performances des Ferrari sont proprement calamiteuses: Ickx n'est que douzième, Andretti treizième et Regazzoni dix-huitième ! Les 312 B2 manquent cruellement d'équilibre et les pneus Firestone font toujours souffrir leurs trains arrière.
Le vainqueur de Monza Gethin est seizième. Ses coéquipiers chez BRM Marko et Eaton sont respectivement 19ème et 21ème.
Le fond de la grille est occupé par Beuttler, Stommelen, Barber, Craft, Lovely... et Pescarolo, 27ème et dernier suite à de gros soucis mécaniques.
Lors des essais non chronométrés du dimanche matin, Pescarolo est victime d'une grosse sortie de route. Légèrement blessé, le Français renonce à disputer le Grand Prix. De toute façon sa March est détruite. Craft casse quant à lui son moteur et, faute de pièces de rechange, doit déclarer forfait.
Le Grand Prix
Ce dimanche 19 septembre, un véritable déluge s'abat sur l'Ontario. La pluie est dense au moment du départ et l'asphalte détrempée. Évidemment tous les coureurs sont chaussés de pneus rainurés. Firestone utilise sa gomme B6 R/106 qui a fait merveille à Zandvoort. Mais depuis Goodyear a sorti un nouveau pneu à rainure, le G29, qui s'annonce très performant.
Tour de chauffe: Ganley glisse sur une flaque et heurte un rail par l'avant. Le train avant de la BRM est endommagé et le Néo-Zélandais ne pourra pas prendre le départ.
Départ: Stewart prend le meilleur envol, suivi par Siffert, Peterson, Beltoise et Donohue qui a pris un excellent envol, au contraire de Cevert.
1er: Siffert sort de la route et ne repart qu'en dix-septième position.
Stewart mène devant Peterson, Beltoise, Donohue, Fittipaldi, Cevert, Ickx, Wisell, Surtees et Amon.
2e: Stewart, Peterson, Beltoise et Donohue s'échappent en tête de l'épreuve. Le groupe emmené par Fittipaldi est déjà distancé. Ickx prend la sixième place à Cevert. Schenken renonce à cause d'une panne d'allumage. Surtees effectue un tête-à-queue et chute au 19ème rang.
3e: Donohue décroche quelque peu face aux trois leaders. Hill quitte la route et percute un rail. Son réservoir d'huile est fendu et il doit renoncer.
4e: Emporté par sa fougue, Peterson commet une petite erreur et frotte un rail. Par bonheur il parvient à redresser sa voiture sans que celle-ci ne soit touchée, mais Beltoise est passé devant lui.
5e: Stewart a trois secondes d'avance sur Beltoise, manifestement très à l'aise dans ces conditions humides. Peterson est à cinq secondes du leader. Donohue est quatrième à dix secondes, puis viennent Fittipaldi, Ickx, Cevert, Wisell et Andretti, déjà très distancés. Siffert s'arrête au stand BRM pour faire nettoyer sa calandre pleine de boue. Il repart dernier.
6e: Stewart s'échappe en tête de l'épreuve. Peterson est déjà revenu juste derrière Beltoise. Andretti stoppe au stand Ferrari pour changer la visière de son casque. Il ressort en dix-septième position.
7e: Peterson reprend la deuxième position à Beltoise. Ickx prend la cinquième place à Fittipaldi. Stewart double déjà les premiers retardataires: Lovely, Barber et Beuttler.
8e: La pluie continue de tomber fortement. Stewart a dix secondes d'avance sur Peterson, suivi de près par Beltoise. Donohue est quatrième à quinze secondes. Le peloton est très distancé. Regazzoni quitte la route et heurte un rail. La course est finie pour lui.
9e: Remis de sa frayeur, Peterson revient comme un boulet de canon sur Stewart. Beuttler part en tête-à-queue dans le virage précédent les tribunes. Il parvient à se relancer.
10e: Stewart est premier devant Peterson (3.1s.), Beltoise (8.8s.), Donohue (13.4s), Ickx (49.7s.), Fittipaldi (50.8s.), Wisell (53.2s.), Cevert (57.9s.), Hulme (1m. 14s.), Amon (1m. 17.3s.), Stommelen (1m. 21s.), Gethin (1m. 23s.) et Surtees (1m. 29s.). Tous les autres coureurs sont déjà à un tour du leader !
12e: Nouvelle erreur de Peterson qui évite de peu le tête-à-queue. Il repart mais a perdu du temps sur Stewart et voit Beltoise revenir sur lui.
13e: Les trois leaders doublent Gethin, Stommelen et Surtees.
14e: Les hommes de tête passent Amon, complétement perdu dans ces conditions météorologiques qu'il exècre.
15e: Donohue s'arrête à son stand pour changer ses lunettes qui sont embuées. Il reprend la route sans avoir perdu sa quatrième place. Barber doit renoncer suite à une chute de pression d'huile.
16e: Quasi roues dans roues, Stewart, Peterson et Beltoise arrivent sur Hulme, lui aussi très prudent sous la pluie. Les deux premiers passent sans encombre. Beltoise tente de déborder le Néo-Zélandais en fin de parcours dans les Esses, mais celui-ci lui ferme la porte. Pour éviter l'accrochage, Beltoise monte sur ses freins, part en travers et heurte les protections. Il doit abandonner alors qu'il effectuait sa meilleure performance depuis le début de la saison.
17e: Tandis que l'averse ne cesse pas, Stewart et Peterson sont désormais seuls au monde en tête de l'épreuve.
18e: Peterson attaque Stewart dans le premier virage et le double. Le voici au commandement.
19e: Peterson semble semer Stewart, déjà relégué à trois secondes de la March. Ils prennent un tour à Cevert.
20e: Peterson mène devant Stewart (4.4s.) et Donohue (44.9s.), puis viennent Ickx, Fittipaldi et Wisell. Tous les autres coureurs sont relégués à au moins un tour.
22e: Hulme prend la septième place à Cevert.
24e: L'écart entre Peterson et Stewart n'augmente plus. Les deux hommes doublent Wisell et Fittipaldi.
25e: Hulme se rapproche des deux Lotus de Fittipaldi et de Wisell.
26e: Peterson et Stewart prennent un tour à Ickx. Seul le débutant Donohue est encore dans la même boucle que les leaders.
28e: Hulme déborde presque simultanément Wisell et Fittipaldi. Le voici cinquième.
29e: Stommelen regagne le garage Surtees avec un moteur surchauffé.
30e: Peterson n'a plus qu'une seconde d'avance sur Stewart. La pluie semble moins forte.
31e: Stewart déborde Peterson dans le premier virage et reprend la première place. Le jeune Suédois tente de résister mais à Clayton il heurte le retardataire Eaton et part en tête-à-queue. Il parvient à repartir mais a perdu douze secondes dans cette mésaventure.
32e: Stewart a désormais la voie libre vers la victoire. Hulme se rapproche d'Ickx dont la Ferrari souffre de problèmes d'équilibre. Le Belge réalise un vrai petit exploit en la maintenant en cette position dans ces conditions. Un peu plus loin, Wisell dépasse Fittipaldi.
33e: Stewart mène devant Peterson (11.8s.) et Donohue (53.5s.). Viennent ensuite Ickx, Hulme, Wisell, Fittipaldi et Cevert, tous avec un tour de retard.
34e: La pluie a cessé mais la piste est très détrempée. Hulme est revenu juste derrière Ickx.
35e: Stewart a seize secondes d'avance sur Peterson. Donohue est relégué à plus d'une minute après un tête-à-queue sans gravité effectué juste devant les stands.
36e: Hulme déborde Ickx et s'empare de la quatrième place.
38e: Ickx se débat avec sa voiture instable et des pneus usés. Les Lotus le rattrapent.
40e: Stewart compte une vingtaine de secondes d'avance sur Peterson. Donohue est troisième à une minute et quinze secondes. Hulme est quatrième à un tour. Wisell a pris la cinquième place à Ickx. Fittipaldi est juste derrière la Ferrari. Puis viennent Cevert, Amon, Surtees et Siffert.
42e: Stewart continue d'augmenter son avance sur Peterson qui ne peut pas le suivre. Ses pneus Firestone sont moins performants que les Goodyear utilisés par l'Écossais.
43e: Fittipaldi dépasse Ickx qui se retrouve hors de la zone des points.
45e: La trajectoire s'est un peu asséchée. Vingt-cinq secondes séparent désormais Stewart et Peterson.
47e: S'il ne pleut plus, le brouillard commence à envahir la piste. La visibilité est assez réduite et les pilotes sont astreints à une grande prudence.
48e: Stewart a vingt-huit secondes de marge sur Peterson. Donohue est relégué à une minute et vingt secondes.
50e: Cevert prend la septième place à Ickx.
52e: Stewart a pris un deuxième tour à Surtees, Siffert et Amon. Les voitures les plus lentes (celles de Lovely, Beuttler, Galli, Eaton ou Gethin) ont entre quatre et six tours de retard sur les deux premiers et sont un danger permanent dans ces conditions de conduite.
54e: La visibilité est de plus en plus réduite. Pourtant, Cevert passe à l'attaque et revient sur Fittipaldi dont il menace la sixième place.
55e: Stewart a désormais plus de trente secondes de marge sur Peterson. Donohue se trouve à une minute et trente secondes du leader.
57e: Cevert double Fittipaldi et occupe ainsi le sixième rang. Toujours solidement installé au quatrième rang, Hulme réalise le meilleur tour de la course: 1'43''5'''. Beaucoup plus loin, Siffert et Amon sont en bagarre pour la neuvième place.
59e: L'humidité est très élevé et le brouillard a désormais complétement envahi le circuit. On n'y voit goutte.
60e: Stewart a trente-six secondes d'avance sur Peterson. Mais désormais les coureurs ont levé le pied. Il devient délicat de poursuivre la compétition dans ces conditions.
61e: Malgré la brume, Stewart réalise son meilleur chrono de la journée en 1'44''1'''.
62e: La direction de course discute de l'opportunité d'interrompre une épreuve devenue très dangereuse à cause du brouillard.
64e: Le drapeau rouge est brandi par les commissaires, accompagné du drapeau à damiers. Le Grand Prix est interrompu avant son terme à cause des conditions météorologiques très difficiles. C'est la première fois que cela se produit dans l'histoire du championnat du monde.
Jackie Stewart décroche donc sa sixième victoire de la saison après avoir une nouvelle fois démontré tout son talent sous la pluie. Auteur d'une course mouvementée, Peterson termine deuxième et s'assure du titre de vice-champion du monde. Pour sa première course en Formule 1, Donohue obtient la troisième place et donne ainsi à McLaren son premier podium de la saison. Hulme termine quatrième à un tour. Il n'avait plus inscrit de points depuis le Grand Prix de Monaco. Wisell et Cevert inscrivent les derniers points. Suivent Fittipaldi, Ickx, Siffert, Amon, Surtees, Marko, Andretti, Gethin, Eaton et Galli. Beuttler et Lovely ne sont pas classés.
Après la course
La victoire de Stewart sur piste humide marque la grande revanche de Goodyear sur Firestone après le désastre du GP de Hollande. La marque d'Akron a dominé son concurrent en plaçant quatre pilotes parmi les six premiers. Seul l'incroyable Peterson est parvenu à sauver l'honneur de Firestone.
Le Suédois devient donc vice-champion du monde dès sa deuxième saison en Formule 1 et démontre qu'il est bien la grande révélation de la saison. Max Mosley est aux anges. Après une première saison difficile en 1970, March a produit une voiture capable de monter régulièrement sur le podium, même si la 711 n'est pas parvenue à gagner un Grand Prix.
La deuxième place de la coupe des constructeurs promet une lutte ouverte à Watkins-Glen. Ferrari conserve l'avantage avec 32 points, mais BRM et March suivent avec trente unités chacune.
Tony