Après que Audi a annoncé le 26 août son arrivée en Formule 1 à partir de 2026, tout le monde attend la confirmation du mariage entre Porsche et Red Bull, annoncé depuis plusieurs mois. L'autre marque du groupe Volkswagen a semble-t-il posé les bases de son projet à la fin du printemps. La trame a fuité dans la presse à partir du documents recueillis auprès du Conseil de la concurrence du Maroc. Porsche prévoyait ainsi de racheter 50 % de Red Bull Technology et devenait plus qu'un partenaire pour la firme au taureau. Il s'agissait bien à terme d'une prise de contrôle de fait de l'écurie de Formule 1. Un processus sans doute encouragé dans un premier temps par Dietrich Mateschitz qui, âgé de 78 ans et en mauvaise santé, semblait légitimement vouloir prendre du recul. Du côté de Stuttgart, cette stratégie, validée par Oliver Blume, président du directoire de Porsche et bientôt de celui de l'empire Volkswagen, paraissait en tous points idéale. Après avoir obtenu de la FIA et de Liberty Media les concessions exigées quant au futur règlement technique (abandon du MGU-H, utilisation de carburants « verts »), le légendaire constructeur allemand allait pouvoir s'atteler sereinement à la construction d'un nouveau groupe propulseur en partenariat avec une écurie de F1 couverte de lauriers, Red Bull Racing, dont le département moteurs tout neuf (Red Bull Powertrains) est déjà à pied d'œuvre.
Bref, le contrat de mariage paraissait viable aux deux parties et, début juillet 2022, l'officialisation de l'union Red Bull - Porsche s'annonçait imminente. Le Grand Prix d'Autriche en devait être le théâtre... mais rien n'est venu. En Hongrie, fin juillet, alors que les documents enregistrés au Maroc venaient de fuiter dans la presse, Christian Horner a semé le doute sur les intentions de Red Bull: « Nous allons de l'avant avec Red Bull Powertrains. 2026, c'est encore loin. Nous avons beaucoup de temps pour envisager ce qui est bon pour l'équipe et pour l'entreprise. » En décryptant ce propos, on comprenait aisément que RBR et Porsche n'étaient déjà plus sur la même longueur d'onde. Pourtant, au cours de la trêve estivale, le règlement technique de 2026 est finalisé, donnant pleine satisfaction au groupe Volkswagen. En marge du GP de Belgique, Audi annonce son arrivée en Formule 1, probablement en partenariat avec Sauber. Chacun guette alors un signe de Red Bull et de Porsche. En vain. La noce n'aura finalement pas lieu.
Cet échec s'explique assez facilement. Depuis que Red Bull a racheté l'écurie Jaguar en 2004, Christian Horner et Helmut Marko sont seuls maîtres à bord du navire. Prenant comme repoussoir la dictature des « cols blancs » en vigueur au temps de Ford - Jaguar, ils ont mis en place un processus décisionnel fort court, à la fois autoritaire et très souple, complément émancipé de la tutelle tatillonne d'un conseil d'administration. Depuis plus de quinze ans, Dietrich Mateschitz laisse la bride sur le cou à ses deux lieutenants et ne se mêle absolument pas de la gestion au jour le jour de Red Bull Racing, mais aussi de l'équipe-sœur AlphaTauri, confiée au fidèle Franz Tost. Or, l'implication de Porsche bouleverserait évidemment cette belle mécanique. Horner et surtout le bouillant Marko ne se voient absolument pas obéir, le doigt sur la couture du pantalon, à un conseil d'administration lointain, situé sur le continent. A leurs inquiétudes s'ajoutent celles d'Adrian Newey, le légendaire ingénieur en chef, qui jouit depuis son arrivée chez Red Bull en 2007 d'une autonomie totale et n'aimerait pas retomber sous la coupe de patrons envahissants, comme ce fut le cas plus tôt dans sa carrière chez Williams et McLaren. Enfin, en cas de prise de contrôle par Porsche, l'avenir d'AlphaTauri paraîtrait aussi très flou. Mateschitz envisagerait de vendre aussi l'écurie italienne, peut-être à Mario et Michael Andretti... une perspective qui alarme Faenza. Bref, Christian Horner, Helmut Marko, Adrian Newey et Franz Tost se liguent contre l'alliance en gestation.
L'indépendance est donc le maître-mot de la politique menée à Milton Keynes depuis quinze ans, au point que Red Bull Technology paraît dorénavant en mesure de bâtir son propre groupe propulseur. Red Bull Powertrains, officiellement créée en 2021 afin d'assurer l'entretien et la maintenance de l'ancien moteur hybride Honda, est désormais une cellule presque entièrement opérationnelle, composée d'ingénieurs motoristes de grande qualité, débauchés à prix d'or chez Mercedes principalement. Selon Horner, RBPT est aujourd'hui en passe de construire un groupe propulseur maison, sans l'aide de qui que ce soit, comme l'a démontré avant l'été le passage au banc d'essai d'un prototype monocylindrique. Grâce à la simplification des unités de puissance à l'horizon 2026, le rêve d'autarcie développé par Horner et Marko peut devenir réalité. C'est pourquoi, au cours de l'été, les deux compères tentent de convaincre Mateschitz de couper court aux négociations avec Porsche. Selon Motorsport-total.com, leur tâche est facilitée par l'affaiblissement de l'homme d'affaires autrichien qui serait de plus en plus malade. En outre, Horner se déplace jusqu'en Thaïlande pour faire valoir ses arguments auprès de Chalerm Yoovidhya, l'associé de Mateschitz. Du côté de Porsche, on s'alarme bien entendu de la tournure prise par les événements, mais les Allemands sont en position de faiblesse. Ils peuvent certes offrir à Red Bull de l'argent et du prestige, mais la firme au taureau n'a pas besoin du premier, se moque du second et surtout est en passe d'assurer une indépendance technologique quasi-totale. Les pourparlers sont ainsi rompus au cours du mois d'août 2022.
Cette rupture est annoncée par voie de presse le 9 septembre 2022, quelques jours avant le GP d'Italie. Avec son sens coutumier de la diplomatie, Helmut Marko explique que Red Bull n'a tout simplement pas besoin de Porsche pour réussir en Formule 1 et notamment pour bâtir son propre groupe propulseur hybride: « Nous avons toutes les capacités pour construire nos propres moteurs. Nous avons investi, nous avons les infrastructures, le personnel, les ressources. Nous n'avons besoin de personne ! » Horner opine. Le gel de la motorisation, le retrait partiel de Honda et la création de Red Bull Powertrains ont enclenché un processus d'autonomisation complète de Red Bull Technology sur lequel il n'est pas question de revenir: « Le moteur gelé nous a permis de clore cette période sereinement pour avoir le temps de créer une installation à Milton Keynes et recruter certains des meilleurs talents. Nous avons maintenant plus de 300 personnes employées dans une usine opérationnelle en 55 semaines, à la pointe de la technologie. Nous avons fait tourner le premier prototype d'un moteur V6 complet pour 2026 avant les vacances d'été. Notre stratégie consiste à avoir désormais le moteur et le châssis sous le même toit. Donc, à aucun moment, cela n'a dépendu de l'implication d'un investisseur, d'un constructeur ou d'un équipementier. Porsche n'a contribué en rien à nos travaux. » En outre, Marko confirme qu'il ne saurait être question de soumettre une équipe dirigeante efficace depuis près de deux décennies aux caprices d'un conseil d'administration allemand. « Nous sommes indépendants et pouvons le rester », proclame-t-il. « Si un constructeur veut se joindre à nous, ce sera en respectant cet ADN. Porsche voulait tout contrôler et évidemment cela ne pouvait pas aller comme ça. La prise de décision à Milton Keynes serait devenue trop bureaucratique. Cela aurait mis à rude épreuve notre flexibilité, qui est l'une des forces affichées ces dernières années ».
Toutefois, Horner et Marko embellissent quelque peu la réalité. Si Red Bull Powertrains est aujourd'hui en mesure de concevoir la mécanique et la combustion d'un groupe propulseur hybride version 2026, elle ne possède pas les batteries qui généreront à partir de cette date la majorité de la puissance du moteur. C'est pourquoi Red Bull ne ferme pas entièrement la porte à un simple partenariat technique avec Porsche... même si son regard se tourne en priorité vers Honda. Le constructeur japonais, qui s'occupe toujours de la maintenance de ses anciens moteurs, étudie de plus en plus sérieusement la possibilité d'un retour en F1. Le voyage d'Helmut Marko au Japon, au mois d'août, n'est pas passé inaperçu...
Malgré cet échec, Porsche n'abandonne son projet de retour en Formule 1. Son P-DG Oliver Blume, nouveau président du directoire de Volkswagen, et le directeur de la compétition Thomas Laudenbach n'entendent pas laisser le champ libre à leurs rivaux d'Audi... Pour répondre à l'offensive de la marque aux anneaux, dont le programme F1 bénéficie déjà de toutes les ressources et infrastructures nécessaires, Porsche a besoin d'un partenariat prestigieux pour construire son groupe propulseur hybride en temps et en heure. Tout rapprochement avec Ingolstadt serait perçu comme une véritable humiliation... Toutefois les issues sont peu nombreuses. Certes, Porsche pourrait se rapprocher de McLaren, dirigée par Andreas Seidl, l'homme qui l'a jadis menée au succès en Endurance... mais si la firme britannique a refusé l'an dernier une offre de rachat formulée d'Audi, ce n'est sans doute pas pour passer en 2022 sous la coupe de Porsche. Reste Williams, patronnée par Jost Capito, un autre grand ancien de la maison VW, mais rien ne dit que Dorilton Capital souhaite vendre le team de Grove. Et puis, Oliver Blume voudrait que Porsche, comme Audi, entre en Formule 1 sous son propre nom, et non comme simple motoriste... Les hommes de Stuttgart doivent impérativement redéfinir leur stratégie dans les semaines à venir. Le temps presse, car à compter du 15 octobre, seuls les constructeurs officiellement intéressés par un engagement en Formule 1 pour 2026 pourront voter au comité des motoristes de la discipline...
Source :
- Jean-Michel Desnoues, Porsche - Red Bull, désunion irrémédiable !, Auto-Hebdo n°2379, 14 septembre 2022.
Tony