Mais l'éventement majeur de cette nouvelle saison est le retour de Michelin en Formule 1 après une absence de près de deux décennies. La marque auvergnate a décidé de revenir en F1 en 1999, après avoir quitté le monde de l'Endurance. Et c'est de nouveau Pierre Dupasquier, l'inamovible directeur de la compétition du groupe, qui chapeaute ce grand projet, comme ce fut le cas dans les années 1970 et 80. Celui-ci n'a pas eu trop de mal à trouver de bons clients grâce à la réputation d'excellence de Michelin. Trois écuries appartenant ou liées à de grands constructeurs mondiaux ont ainsi été débauchées: Williams-BMW, Jaguar et Toyota qui débutera en F1 en 2002. Puis des accords ont été conclus avec les deux écuries françaises, Prost et Benetton (future équipe Renault). Michelin doit en outre fournir la petite équipe Minardi, privée de contrat avec Bridgestone du fait de son sauvetage in extremis.
La manufacturier clermontois a pu de mener de très nombreux essais au cours de la saison 2000 pour éprouver ses nouveaux produits, avec comme essayeurs attitrés Tom Kristensen (Jaguar) et Jörg Müller (Williams-BMW). La principale difficulté fut l'acclimatation à la bande de roulement à rainures, un défi pour la « philosophie Michelin ». Les techniciens français doivent en outre adapter l'architecture de leurs produits à de multiples contraintes. « La tradition Michelin incitait à des courbures sommet à très grand rayon pour optimiser l'importance de la surface de gomme présente au sol, explique Pierre Dupasquier. Mais cela supposait que la géométrie de suspension permît un contrôle rigoureux de positionnement du pneu. C'était un point de divergence majeur: les ingénieurs devaient à la fois assurer un bon appui aérodynamique pour optimiser l'adhérence des pneus (ce qui nous convenait bien), mais aussi ménager à la machine la plus grande finesse possible pour conserver une vitesse élevée en ligne droite. Compte tenu du règlement en vigueur, cette optimisation se traduisait par l'étroitesse des éléments mécaniques arrière, soit la boîte de vitesses essentiellement. Or, si l'on sait que les éléments de suspension sont fixés à celle-ci, cela se traduit par des bras de suspension long et donc des épures aérodynamiques peu favorables aux corrections de carrossage que nous aurions souhaitées, c'est-à-dire favorisant la position du pneu au sol. »
Les ingénieurs de Michelin s'aperçoivent très vite que ces contraintes « architecturales » ont une grande influence sur la gestion des fameuses rainures. « La relation entre la gomme au contact du sol, qui se couche sous l'effet de la force latérale, la nature de cette gomme et la structure du sommet devinrent vite des préoccupations majeures », souligne Dupasquier. Celui-ci soulève cependant les progrès accomplis par Michelin pour comprendre les contraintes d'utilisation des produits (natures des tracés, conditions au sol et granulométrie), et en tirer le meilleur parti. L'époque de l'adaptabilité empirique est révolue grâce aux nouvelles technologiques informatiques et numériques. Le volume de données objectives collectées autorise des modélisations très poussées et fiables. Début 2001, Michelin est clairement en avance dans ce domaine prédictif. Bien entendu, Bridgestone ne tardera pas à faire évoluer ses propres logiciels pour rattraper le chemin parcouru par son rival français.
Ainsi, le retour de Michelin lance ipso facto une « guerre des pneus » avec Bridgestone qui détenait le monopole de la fourniture des pneumatiques depuis 1999, et l'on peut s'attendre en toute logique à une hausse de performances. La qualité du pneu sera un élément déterminant dans la lutte pour la victoire. « Si 2000 fut l'année du duel Ferrari - McLaren, 2001 sera celle du duel Bridgestone - Michelin, proclame David Coulthard. Les pneus pourront faire gagner ou perdre une seconde par tour. Donc ils décideront du sort des courses ! » Reste à savoir dans quel état des pneus poussés à la limite finiront les épreuves. Les fameuses rainures survivront-elles ? Et si, à cause de l'usure, les pilotes roulent de fait en slicks, qu'en pensera la FIA ? « Ils n'ont pas voulu préciser le règlement à ce sujet, donc ils décideront sur le tas. Après tout, ce sont des gens intelligents qui choisissent toujours les décisions opportunes ! » ironise Pierre Dupasquier.
Toutefois, Michelin est loin d'aborder la saison avec des pneumatiques aboutis. Le 5 mars 2001, lors de la grande conférence de presse de rentrée au pavillon d'Armenonville, le président Édouard Michelin tempère les attentes de la presse en précisant qu'il s'agit d'une « arrivée » et non d'un « retour » de Michelin. Trop de temps (dix-sept ans) s'est écoulé depuis la précédente aventure en F1. Pierre Dupasquier déclare pour sa part que la firme doit « apprendre la F1 moderne » et que, du fait de la suprématie de Ferrari, chaussée par Bridgestone, et du peu de compétitivité des clients de Michelin, il ne faut « rien attendre de 2001 ». « Nous devrons être dans les points en 2002. La bataille pour le titre se jouera en 2004-2005. » Bien entendu, le directeur de la compétition espère en vérité bien mieux pour cette première saison.
Et puis, comme Dupasquier l'avouera plus tard, son hommage à Ferrari n'est pas innocent. Il rêve de reconstituer une alliance entre le Cheval cabré et Bibendum, comme au bon vieux du pneu radial... En 2000, sachant que le contrat entre Ferrari et Bridgestone prenait fin et n'était pas encore renouvelé, il eut des contacts avec son vieil ami Jean Todt. Le directeur de la compétition de Michelin fut même généreusement invité à visiter l'usine de Maranello et sa nouvelle soufflerie ! Plus tard, Jean Todt convia dans son appartement parisien Édouard Michelin et Pierre Dupasquier, en présence de Luca di Montezemolo. Mais ce ne fut qu'une rencontre de pure courtoisie. Ferrari avait reçu de Bridgestone un contrat en béton, lui garantissant l'exclusivité des meilleurs produits du manufacturier japonais, dont il était en quelque sorte le team d'usine. Dans ces conditions, Michelin n'avait rien de mieux à proposer, et Dupasquier n'insista pas...
Sources :
- Pierre Dupasquier, 40 ans de passion en sports mécaniques, Textuel, 2007, p. 279-283.
- Auto Hebdo, Guide de la saison 2001, mars 2001
Tony