Fin 2000, Pedro Martínez de la Rosa semble devoir rempiler pour une troisième saison de Formule 1 avec l'écurie Arrows. Le Catalan sort en effet d'une année satisfaisante, au cours de laquelle il n'a certes cueilli que deux points, mais s'est aussi distingué en course par un joli opportunisme. Au GP d'Autriche, profitant d'un carambolage au départ, il était en passe de finir sur le podium lorsqu'il fut trahi par sa boîte de vitesses. De la Rosa a aussi souvent dominé son équipier Jos Verstappen, pourtant réputé plus rapide. Bref, sa place semble garantie. En novembre 2000, il inaugure en essais privés la nouvelle Arrows à moteur Asiatech (ex-Peugeot). Mais soudain, Tom Walkinshaw apprend que Repsol, principal sponsor de son pilote espagnol, envisage de réduire considérablement son écot pour la saison 2001. Malheur ! Comment équilibrer un budget déjà bien fragile ? Walkinshaw trouve la solution en la personne du jeune Brésilien Enrique Bernoldi, protégé du fabricant de boissons énergisantes Red Bull. Certes, celui-ci n'a guère brillé lors de ses deux dernières saisons de Formule 3000 (7 points inscrits en deux ans). C'est d'ailleurs pour cela que Peter Sauber a refusé de l'engager pour 2001, au risque de fâcher son partenaire Dietrich Mateschitz, patron de Red Bull. Qu'à cela ne tienne ! Walkinshaw accueille à bras ouverts Bernoldi et sa mallette de billets ! C'est ainsi qu'en décembre 2000, Pedro de la Rosa apprend qu'il ne pilotera pas pour Arrows en 2001 ! « Tom Walkinshaw est un type vraiment bizarre. C'est le seul gars que je connaisse dont la main gauche ne connaisse pas celle de droite ! » raille l'Espagnol, piqué.


Cependant de la Rosa presse son agent, le très influent Julian Jakobi, de lui dénicher en urgence un volant pour la prochaine saison. L'enveloppe de Repsol s'étant amincie, il ne peut toutefois viser qu'un strapontin de réserviste. Ce qui est toujours mieux que rien, surtout dans un plateau qui comporte beaucoup de pilotes payants, et donc de sièges éjectables. Jakobi propose d'abord les services de de la Rosa à son ancien client Alain Prost. Le Français cherche justement un troisième pilote assez affûté pour supplanter le cas échéant le très insuffisant Gastón Mazzacane, imposé par son nouveau partenaire PSN. Et puis, le budget de Repsol, même réduit, intéresse évidemment une équipe française désargentée. Son nouveau directeur sportif, l'Espagnol Joan Villadelprat, joue les intermédiaires. Les pourparlers ont lieu en janvier 2001, et c'est alors que l'histoire se complique. Pedro de la Rosa prétendra plus tard n'avoir reçu que de belles promesses de la part d'Alain Prost: un contrat de réserviste pour 2001 et l'assurance d'une titularisation en 2002. « Rien n'a été signé ! » soutiendra-t-il. Au contraire, Prost affirmera que l'Espagnol a bel et bien paraphé un contrat en bonne et due forme. En fait, il semblerait que Julian Jakobi, tenant plusieurs fers au feu, aurait fait signer à son client une simple lettre d'intention... Quoiqu'il en soit, le 6 février 2001, Prost Grand Prix annonce le recrutement de Pedro de la Rosa comme essayeur pour la saison 2001. Les 11 et 13 février, le Barcelonais pilote l'AP04 à Estoril.


Quelques jours plus tard, coup de théâtre: de la Rosa annonce qu'il ne rejoindra finalement pas Prost GP et s'engage avec Jaguar Racing en qualité de pilote de développement ! Que s'est-il passé ? Tout simplement un joli coup de Jarnac. Bobby Rahal, nouveau patron de Jaguar, était depuis quelques semaines très intéressé par de la Rosa. Celui-ci lui inspire davantage confiance que son deuxième pilote Luciano Burti, promu par son prédécesseur Neil Ressler. Rahal se demande si la faveur accordée à ce jeune Brésilien, honnête essayeur au mince palmarès, ne serait pas tout simplement une énième fleur accordée à la dilettante Eddie Irvine. L'Américain pense que ce dernier devrait au contraire être titillé par un second pilote digne de ce nom, et de la Rosa lui apparaît comme la recrue idoine. Faute de pouvoir éjecter Burti dans l'immédiat, il transmet au Catalan - via Julian Jakobi - un contrat suffisamment solide pour lui permettre de patienter quelques mois, le temps que se libère le baquet de Burti. Cette offre est bien sûr plus alléchante que celle d'Alain Prost. Derrière Jaguar, il y a Ford, donc un gros potentiel technique et financier qui fait défaut à la petite entreprise du Français... Les discussions vont bon train, et le 19 février 2001, Jaguar officialise la signature d'un contrat de trois ans en faveur de Pedro de la Rosa !


Alain Prost est furieux. Outre le fait qu'il s'est laissé flouer par son « ami » Julian Jakobi, il doit dire adieu aux pesetas de Repsol et trouver de nouveaux fonds pour boucler un budget très mince (50 millions d'euros, le plus faible du plateau si l'on excepte Minardi). Mais il ne compte pas en rester là. Prost mobilise ses avocats afin de donner une suite judiciaire à cette affaire. Pour cela, il lui faudra cependant prouver que de la Rosa lui était bien attaché par contrat. « Cette affaire ira à son terme, même si je dois attendre deux ou trois ans pour en connaître l'issue ! » tempête-t-il. « Après avoir réglé tous les détails de notre collaboration, de la Rosa a décidé du jour au lendemain de filer chez Jaguar pour un poste équivalent. En agissant ainsi, il a porté préjudice à mon équipe. » Bien entendu, le Catalan affirme qu'il n'était en rien lié à Prost GP. Il livre sa version des faits au quotidien Marca: « Au début, tout semblait indiquer que j'allais chez Prost et cela a été rendu public, pour des raisons propres à cette écurie. Mais ce n'est pas logique d'officialiser un transfert sans avoir signé quoi que ce soit. Peut-être que Prost voulait mettre la pression à un sponsor [NDLA : Repsol]. À ce moment-là, j'ai essayé la voiture, mais nous étions toujours en négociations. Et alors est arrivée la proposition de Jaguar, et je suis parti avec eux parce qu'ils ont été plus rapides et plus habiles. » De la Rosa se justifie en affirmant que Jaguar est une écurie « sur la pente ascendante », ce qui n'est pas le cas de Prost GP... Mais quid de la valeur de la parole donnée ? « La F1 est un sport avec des règles très dures, et il faut savoir jouer avec, réplique-t-il. Il faut suivre son propre critère et aller où cela nous arrange. Il faut être habile et rapide en dehors comme sur la piste. Il y a toujours des coups de coude. C'est ce qui distingue la F1 d'autres sports: il faut aussi être adroit en affaires. » Finalement, Pedro de la Rosa fut à bonne école auprès de Tom Walkinshaw...



Sources :

- Auto hebdo, 7 mars 2001

RDS

Tony