C'est le jeudi 13 avril 1995 à Paris que le tribunal d'appel de la Fédération internationale de l'automobile (FIA) statue sur l' « affaire Elf » qui empoisonne ce début de championnat du monde. Selon toute vraisemblance, le pouvoir sportif va être contraint d'aller à Canossa. En effet, le carburant utilisé par Elf lors du récent GP d'Argentine, validé par les commissaires techniques, était le même que celui déclaré non-conforme lors du GP du Brésil. Le « laboratoire de campagne » de la FIA se serait donc fourvoyé à São Paulo. On s'attend donc à une réhabilitation du pétrolier français. Mais on sait que la fédération prend souvent des décisions déroutantes...
Flavio Briatore, Frank Williams et Michel Bonnet sont convoqués dans la matinée, au salon Bugatti du siège de l'Automobile Club de France, flanqués de leurs avocats, Me David Mills (Benetton) et Me Peter Goodman (Williams). Le tribunal d'appel est composé des juristes José Macedo e Cunha (président), Philippe Roberti de Winghe, Vassilis Koussis et P.G. Dahlstrom. Le secrétaire-général de la FIA Pierre de Coninck est également présent, ainsi que le délégué technique Charlie Whiting. Le tribunal entend aussi Gilbert Chapelet, l'ingénieur délégué par Elf, lequel développe un long plaidoyer. Il explique ainsi que chaque prestataire doit dorénavant utiliser pour ses mélanges des « coupes pétrolières », lesquelles possèdent des caractéristiques chimiques extrêmement variables, mais qui n'ont aucune influence sur l'efficacité du produit. Ce qui expliquerait pourquoi une analyse a pu déceler des différences entre le carburant utilisé et celui homologué par la FIA. Autre interrogatoire attendu: celui du professeur Sandra, expert mondial en chromatographie, professeur à l'université de Gand. Celui-ci, qui avoue incidemment avoir conçu les appareils de mesure utilisés par la FIA, soutient les arguments de Chapelet en faveur d'Elf. Charlie Whiting expose pour sa part le point de vue de la FIA, sans convaincre. Après trois heures de débats techniques extrêmement pointus, les juges lèvent la séance. Rien dans leur attitude ne permet de donner une indication quant à l'issue de leurs délibérations. Briatore et Williams sont tendus mais reprennent confiance grâce aux propos du Pr. Sandra.
Il ne faut pas moins de six heures au tribunal d'appel pour rendre son verdict. A 22 heures, Michel Bonnet et Me. Goodman sont reçus au salon Bugatti par MM. de Coninck et Macedo e Cunha. Ceux-ci leur remettent un document long de quatre pages. Michael Schumacher et David Coulthard sont rétablis dans leurs positions d'arrivée à Interlagos. L'Allemand récupère donc sa victoire et l'Écossais sa seconde place, ainsi que les points qui vont avec. En revanche, Benetton et Williams écopent chacune de 200 000 dollars d'amende et perdent les points « constructeurs » glanés au Brésil. En effet, Elf a été blanchie sur le fond (la composition de son essence) mais pas sur la forme (son utilisation illégale). En somme, la fédération crée une étonnante jurisprudence par ce jugement de Salomon, inspiré sans nul doute par l'habile diplomate qu'est Max Mosley. Michel Bonnet ne cache pas son soulagement: pour Elf, l'essentiel est que les soupçons de tricherie soient levés. Flavio Briatore et Frank Williams se satisfont de retrouver leur classement brésilien, et tant pis pour les points perdus: ils auront largement l'occasion de les récupérer au cours du championnat.
En revanche, ce verdict est très mal accueilli par Ferrari et Gerhard Berger qui s'estiment floués. « On » leur a volé la victoire au GP du Brésil ! Si Jean Todt garde le silence, la Scuderia se fend le lendemain 14 avril d'un communiqué rageur dans lequel elle accuse en substance la FIA d'avoir couvert une irrégularité. Niki Lauda montre de nouveau les crocs: « C'est la décision la plus perverse jamais prise dans l'histoire de la F1 ! » Quelques jours plus tard, à Monte-Carlo, Berger croise Schumacher dans la rue. Les deux hommes échangent des propos très vifs, le premier accusant le second de tirer une fois plus les bénéfices d'une tricherie. « Ce jugement est une farce ! » s'emporte le grand Autrichien. « Justice a été rendue », estime l'Allemand. Néanmoins, l'affaire devrait en rester là puisque la décision du tribunal d'appel de la FIA ne peut dorénavant être contestée que devant une juridiction civile. Or chacune des parties entend tourner la page de cette lamentable affaire...
Source : Renaud de Laborderie, Le livre d'or de la Formule 1 1995, Paris, 1995.
Tony