Trois hommes pour une finale
C'est à l'autre bout du monde, à Adélaïde en Australie, que ce championnat du monde 1986 va trouver sa conclusion. Trois hommes sont encore en lice pour décrocher la couronne mondiale: Nigel Mansell, Alain Prost et Nelson Piquet. On ne saurait rêver plus belle affiche.
Mansell (72 points) a toutes les chances de devenir le premier champion du monde britannique depuis James Hunt, dix ans plus tôt. Il possède en effet une large avance sur Prost (65 pts) et Piquet (63 pts). A noter toutefois que l'Anglais et et le Français devront défalquer deux unités à leurs compteurs. Pour s'assurer du titre, Mansell doit terminer dans les trois premiers, ou à n'importe quelle place si ses deux adversaires ne gagnent pas. Prost et Piquet doivent en effet impérativement remporter ce Grand Prix pour être sacré, tout en espérant que l'Anglais de Williams n'inscrive pas plus de trois points. Leur tâche s'annonce donc très ardue.
Mansell devrait donc appréhender cette ultime étape avec confiance, mais il se montre au contraire tendu et morose. Contrairement à ses adversaires, c'est la première fois qu'il se trouve en position de remporter le championnat. Il supporte mal la pression, et pour une fois la présence de son épouse Rosanne ne l'apaise pas. A l'opposé, Piquet affiche un calme olympien. Il a gagné l'Australie à bord de son propre Learjet, en compagnie de sa « girl-friend » Sylvia et de son frère Geraldo. A son habitude, le Carioca entretient savamment la guerre de nerfs, feint de négliger Prost et tacle Mansell. Tout ceci n'est pas de nature à rassurer Frank Williams et Patrick Head. Si le titre des constructeurs leur est acquis, ils savent que le championnat des pilotes est beaucoup plus médiatisé et offre plus de retombées financières. Du reste, ils doivent rendre des comptes à Honda qui serait très mécontent si cette récompense venait à leur échapper. Le patriarche Soichiro Honda effectue ainsi - fait unique ! - le déplacement aux antipodes pour assister au triomphe d'un de ses pilotes.
Alain Prost aborde cette finale dans une atmosphère beaucoup plus sereine. D'abord parce que l'écurie Marlboro-McLaren lui est entièrement dévouée. Ensuite parce qu'il a désormais l'habitude de ce genre de rendez-vous. En outre, vue la supériorité des Williams-Honda cette saison, qu'il soit encore en lice pour le championnat est déjà un exploit en soi. Il se détend les nerfs en parcourant les greens de golfs aux côtés de sa femme Anne-Marie et de Mansour Ojjeh. Mais Prost reste Prost, et envisage ce dernier combat avec le plus grand sérieux. « Ce ne sera pas une épreuve ordinaire, confie-t-il à Johnny Rives. La situation très tendue va jouer énormément sur le plan technique. On va tous prendre des risques en ce qui concerne les réglages, et le choix des pneus sera déterminant. En fait, chacun de nous va jouer son va-tout. »
Il peut en tout cas compter sur le soutien de Keke Rosberg. Après son « coup de sang » de Mexico, le Finlandais s'est excusé benoîtement auprès de Ron Dennis et de Steve Nichols. Pour son dernier Grand Prix, il est décidé à jouer l'équipier modèle et fera tout pour aider Prost à remporter la couronne. Il est même certain de sa réussite: « Pour moi, pas le moindre doute ! C'est Alain qui va remporter la victoire ! » dit-il en tirant sur une Marlboro.
Renault: la der des ders...
Comme l'an passé, cette ultime étape australienne a un goût très amer pour les techniciens de Renault. Cette fois-ci, aucun d'entre eux ne reviendra l'an prochain. Bruno Mauduit, l'ingénieur référent chez Lotus, fait ses adieux à Ayrton Senna. Jean Sage fait photographier une Lotus, une Ligier et une Tyrrell pour immortaliser les trois dernières voitures à moteur Renault turbo. Un terrible sentiment de gâchis domine les esprits. Comment Renault, après tout ce qu'elle a apporté à la Formule 1, peut-elle se retirer ainsi, presque en catimini, alors que techniquement et sportivement ses capacités et sa motivation sont intactes ?
Toutefois subsiste une lueur d'espoir. Renault Sport ne disparaît pas. Georges Douin, le patron de tous les moteurs de la firme, confie une cellule technique à Bernard Dudot et la charge de concevoir des moteurs de série suralimentés. Dudot conserve ainsi autour de lui presque tous les ingénieurs qui ont participé à l'aventure F1. Les bases d'une éventuelle nouvelle implication en sport automobile demeurent. Le PDG Georges Besse aurait-il déjà des projets en ce sens ? On ne le saura jamais. Un mois après ce GP d'Australie, le 17 novembre 1986, il est assassiné par deux membres du groupe terroriste d'ultragauche Action directe.
Les nouvelles ambitions d'Ecclestone et Mosley
Lors de l'ultime réunion de la FOCA de l'année, Bernie Ecclestone reconnaît la médiocrité de certaines retransmissions télévisées en direct et annonce la création d'un corps de techniciens qui sera dorénavant chargé de « conseiller » les réalisateurs nationaux. La FOCA étend ainsi encore un peu plus son emprise sur l'exploitation commerciale de la Formule 1 en s'assurant de la qualité de l'« emballage » du « produit ».
Par ailleurs, on voit réapparaître dans l'entourage d'Ecclestone l'avocat Max Mosley, son ex-bras-droit. L'ancien directeur de March s'était éloigné du sport automobile en 1982 pour se lancer dans une carrière politique au sein du Parti conservateur. Sans succès. Mosley revient donc dans l'orbite du « Napoléon de la Formule 1 » et lui souffle quelques bonnes idées. Par exemple, il lui suggère de créer un organisme spécialement chargé de la promotion de la F1, en lieu et place de la FOCA qui demeure formellement le syndicat des écuries. Ce cadre paraît désormais trop étroit à Ecclestone qui de plus envisage de se débarrasser de Brabham. Les Accords Concorde arrivant à échéance en 1987, il entame de nouvelles négociations avec Jean-Marie Balestre afin de conserver sa position dominante, pour ne pas dire hégémonique, sur ce sport.
Présentation de l'épreuve
A Mexico, la présentation aux pilotes de la future réglementation par Jean-Marie Balestre a suscité de nombreux remous. Deux partis sont apparus: les « partisans résignés » de la réforme, derrière Alain Prost et Michele Alboreto, et ses opposants emmenés par Nelson Piquet, René Arnoux et Ayrton Senna. Ceux-ci jugent que la bride appliquée aux turbos sera une mesure inefficace et que la réduction du poids des monoplaces pourrait même être dangereuse. Mais en Australie, tout ce petit monde paraît s'être réconcilié. Arnoux, qui avait presque insulté le président de la FISA, accepte de poser avec lui devant les photographes.
Les destinations futures de certains pilotes demeurent floues. Stefan Johansson a de très bonnes chances de rejoindre McLaren, mais Marlboro souhaiterait imposer à Ron Dennis l'Américain Danny Sullivan. Chez Brabham, Riccardo Patrese, auteur d'une saison solide et sérieuse, devrait rester, au contraire de Derek Warwick.
Thierry Boutsen a en revanche paraphé un contrat d'un an avec Benetton. Le Belge quitte sans regret une écurie Arrows en pleine déconfiture: « Je n'avais plus aucun avenir avec Arrows. Chez eux, le plus petit problème devient gigantesque, car personne n'est là pour les résoudre [...] Arrows n'a jamais été capable de me construite une bonne voiture. Pourquoi ? Ingénieur inapte, structures trop légères. Trop d'erreurs techniques et tactiques. Une seule tête et pas de contrôle... » En outre, Benetton rajoute dans la corbeille de mariée le V6 turbo Ford dont elle devrait avoir l'exclusivité du fait de la probable disparition du Team Haas.
Gérard Larrousse quittera l'équipe Ligier à l'issue de ce Grand Prix pour fonder son écurie en 1987. L'ancien pilote ne s'entend plus avec le despote d'Abrest, et estime que le retour aux moteurs atmosphériques devrait lui permettre de lancer sa propre structure sans se ruiner. Keith Duckworth a en effet annoncé que Ford et Cosworth vendraient un V8 classique à qui le voudrait dès 1987. Larrousse s'associe avec le financier Didier Calmels et envisage de commander un châssis à Lola. Après Ligier et AGS, une troisième écurie française évoluera donc en Formule 1 l'an prochain.
Il y a fort peu d'évolutions techniques pour cette course. Ford apporte pour Alan Jones la dernière version de son V6. De son côté, Renault fournit ses trois partenaires en EF15C de course, tandis que Ligier reçoit (enfin !) le dernier EF15B de qualifications ! Andrea de Cesaris bénéficie d'une Minardi M186 toute neuve. Goodyear apporte une nouvelle gomme de type C spécialement élaborée pour ce tracé afin de supprimer le phénomène de grenage qui avait frappé les pneus américains il y a un an.
Les qualifications
En 1985, le Grand Prix d'Australie s'était déroulé sous un chaud soleil. Un an plus tard, changement de décor: une bise très fraîche souffle sur l'Australie-Méridionale, charriant de gros nuages chargés de pluie. La séance qualificative du vendredi après-midi est ainsi interrompue par une violente averse, et le lendemain la piste perd progressivement de son adhérence.
Mansell frappe un grand coup en s'adjugeant la pole position, trois dixièmes devant Piquet. Les deux ennemis vont donc pouvoir s'expliquer le lendemain. Senna fait tout pour voler la pole à Mansell mais finit son tour le plus rapide dans le mur. Il se classe tout de même troisième. Les McLaren sont performantes vendredi avant de perdre toute adhérence le lendemain. Prost est quatrième, Rosberg septième. L'équipe Ligier a incontestablement subi un coup d'arrêt avec l'accident de Jacques Laffite à Brands-Hatch. Mais Arnoux (5ème) prouve que la JS27 a encore du potentiel sur un tracé sinueux. Alliot (8ème) se défend également très bien. Malgré beaucoup de pépins mécaniques, Berger, le héros de Mexico, place sa Benetton au sixième rang, loin devant Fabi, seulement treizième. L'Italien côtoie en septième ligne Dumfries qui achève dans l'anonymat son purgatoire chez Lotus.
Les Ferrari sont tout à fait inconduisible sur ce circuit. Alboreto (9ème) et Johansson (12ème) démolissent tous deux leurs voitures contre le béton, le Suédois s'en tirant même avec un tibia endolori. Grâce au moteur Renault EF15C, les Tyrrell brillent enfin ! Streiff obtient le dixième temps et signe ainsi la meilleure qualification de l'équipe anglaise en 1986. Brundle (16ème) est moins heureux à cause d'une panne de moteur. L'ambiance est très maussade au sein d'une écurie Haas qui vit ses dernières heures. Jones (15ème) casse rapidement son nouveau moteur pendant que Tambay (17ème) heurte le mur. A contrario, la Scuderia Minardi débouche le champagne grâce à la superbe onzième place obtenue par de Cesaris au volant de la nouvelle M186. Son collègue Nannini (18ème) est par contre fort mécontent de sa M185B. Les Brabham-BMW (Patrese 19ème, Warwick 20ème) n'ont pu se défendre à cause d'une cascade de pannes. Les Zakspeed (Palmer 21ème, Rothengatter 23ème) côtoient les antiques Arrows (Boutsen 22ème, Danner 24ème).
Les Osella de Ghinzani et de Berg occupent évidemment la dernière ligne, mais pour une fois l'Italien ne précède le jeune Canadien que d'un dixième de seconde. « Vouloir juger les pilotes Osella équivaut à examiner les œuvres de peintres munis de pinceaux sans poils », écrit Maurice Hamilton dans l'annuel de Formule 1 1986 Autocourse...
Le Grand Prix
Il se déroule par un temps gris et froid mais aucune averse n'est heureusement attendue. Malgré la météo médiocre, cette course est à nouveau un succès puisque les organisateurs décomptent 120 000 spectateurs, contre 107 000 en 1985.
Les Williams partent avec des pneus Goodyear C tendres, Senna avec des C à l'avant et des B à l'arrière. Prost discute longuement avec Lee Gaug et choisit lui aussi de partir avec des pneus tendres. Le Français a beaucoup étudié les variations d'adhérence et en arrive à la même conclusion que Piquet et Mansell: il ne devrait pas être nécessaire de stopper en cours de route pour monter des pneus frais. Ce en quoi le « Professeur », comme les autres, se trompe car le froid quasi-polaire d'Adélaïde rend l'adhérence des pneus très précaire.
Tour de chauffe: Berg casse un turbo et regagne le garage Osella. Il va tout de même essayer de repartir après des réparations.
Départ: Très bien installé sur la grille, Mansell prend un envol idéal et entraîne Senna dans son sillage. Suivent Piquet, Rosberg et Prost. Arnoux démarre lentement et se fait harponner par Alboreto. Le Grenoblois peut poursuivre avec un pneu crevé tandis que le Milanais abandonne avec une suspension tordue.
1er tour: En quittant Wakefield Road, Mansell est attaqué par Senna et, prudent, ne lui résiste pas, pas plus qu'à Piquet. Rosberg lui fait ensuite l'extérieur. Puis, Piquet déborde Senna par l'intérieur dans Brabham Straight. Prost porte sans succès une attaque sur Mansell. En fin de tour, Piquet précède Senna, Rosberg, Mansell, Prost, Berger, Streiff, Alliot, Johansson, Jones et Fabi. Arnoux s'arrête chez Ligier pour faire changer sa roue crevée.
2e: Un Rosberg très en verve déborde Senna au cours de la longue accélération. Prost et Berger menacent Mansell. Si les choses en restaient ainsi, le classement du championnat du monde serait le suivant: Mansell: 75 pts ; Piquet: 72 pts ; Prost: 67 pts.
3e: Rosberg se lance à la poursuite de Piquet. Le moteur de Senna ne répond pas convenablement, et le Pauliste devient une proie facile pour Mansell, Prost et Berger. Ghinzani gare son Osella à cause d'un cardan cassé.
4e: Rosberg est revenu à une seconde de Piquet. Tous deux roulent deux secondes au tour plus vite que le reste du plateau. Mansell déborde Senna dans Brabham Straight. Prost et Berger sont sur les talons de la Lotus. Un troisième groupe comprend Streiff, Johansson, Fabi et Jones. Alliot perd des places.
5e: Piquet est en tête devant Rosberg (0.9s.), Mansell (9.7s.), Senna (10.6s.), Prost (11.2s.) et Berger (12.6s.). Johansson double Streiff.
7e: Rosberg s'empare du commandement aux dépens de Piquet. Il est évident que le Finlandais joue le rôle du « lièvre » en faveur de Prost. Sa mission est de contraindre Piquet et Mansell à lui donner la chasse et de les épuiser. Prost dépasse Senna.
8e: Rosberg prend une seconde d'avance sur Piquet. A l'heure actuelle, le championnat du monde aurait le résultat suivant: Mansell: 76 pts ; Piquet: 69 pts ; Prost: 68 pts.
9e: Rosberg enchaîne les meilleurs tours et sème aisément Piquet. Prost demeure dans le sillage de Mansell. Senna et Berger lâchent prise. L'Autrichien lève le pied à cause d'une consommation d'essence excessive.
10e: Rosberg est premier devant Piquet (3.3s.), Mansell (10s.), Prost (11.2s.), Senna (17.1s.), Berger (24.9s.), Johansson (27s.), Streiff (29s.), Jones (30s.) et Fabi (33s.).
11e: Prost prend la troisième place à Mansell. Nannini dérape à l'entrée du rapide « droite-gauche » qui conclut le passage sur Hutt Street, et écrase le nez de sa Minardi contre le muret de béton. Le jeune Italien se tire indemne de ce mauvais pas.
12e: Jones double Streiff et Dumfries efface Fabi. Berg démarre depuis les stands avec douze boucles de retard.
13e: Prost distance facilement Mansell et se rapproche de Piquet.
14e: Johansson prend la sixième place à Berger dont les pneus sont abîmés. Patrese dépasse Dumfries.
15e: Les pneus Pirelli s'usent trop rapidement. Fabi s'arrête déjà aux stands pour chausser des enveloppes neuves. Tambay stoppe chez Haas pour faire remplacer sa tringlerie de boîte et perd cinq minutes dans cette mésaventure.
16e: Rosberg devance Piquet (8.8s.), Prost (11.8s.), Mansell (18.2s.), Senna (27.5s.), Johansson (44.7s.) et Berger (47s.). Au classement, Mansell accumulerait 75 pts, Prost et Piquet 69 pts.
17e: Rosberg roule une seconde au tour plus vite que ses concurrents. Jones est trahi par son moteur Ford. Le champion du monde australien abandonne ainsi la F1 par la toute petite porte. Dumfries part en toupie en quittant Brabham Straight. Il parvient à se tirer de ce mauvais pas et à revenir en piste mais a perdu quatre places.
19e: Streiff s'empare de la septième place aux dépens de Berger.
20e: Rosberg est en tête devant Piquet (14.2s.), Prost (14.8s.), Mansell (19.1s.), Senna (37.7s.), Johansson (56s.), Streiff (1m. 08s.), Berger (1m. 11s.), Patrese (1m. 12s.), Brundle (1m. 13s.) et Warwick (1m. 18s.).
21e: Prost est revenu dans les échappements de Piquet.
23e: Piquet part en tête-à-queue au virage n°3 mais par bonheur n'heurte rien. Le Carioca fait patiner ses roues et repart, mais a cédé deux positions à Prost et à Mansell. Mal parti, de Cesaris fait escale chez Minardi pour changer ses pneus.
24e: Les deux McLaren sont désormais en tête. Rosberg a promis de s'effacer devant Prost si nécessaire, mais pour le moment Mansell conserve la couronne mondiale grâce à sa troisième place. Brundle dépasse Berger.
25e: Rosberg domine devant Prost (17.5s.), Mansell (23.9s.), Piquet (28.2s.), Senna (51.6s.) et Johansson (1m. 10s.). Au championnat: Mansell: 76 pts ; Prost: 71 pts ; Piquet: 66 pts.
26e: Prost améliore le record du tour et grignote quelque peu son retard sur Rosberg. Le Français n'a pas son destin en main: il doit espérer que Mansell rencontrera un problème pour être sacré.
28e: Douze secondes séparent Prost et Rosberg. Mansell se contente de garder Piquet à distance. L'Anglais peut largement se satisfaire de sa troisième place pour être titré. Beaucoup plus loin, Senna roule en cinquième place avec un V6 qui bafouille.
30e: Rosberg est leader devant Prost (13.2s.), Mansell (20s.), Piquet (24.7s.), Senna (58.8s.), Johansson (1m. 20s.), Streiff (1m. 31s.) et Patrese (1m. 32s.). Arnoux est remonté en treizième position.
31e: Rothengatter casse sa suspension arrière en frottant un muret et doit abandonner.
32e: Prost prend un tour à Berger, mais ce faisant frotte l'arrière de la Benetton et endommage un pneu avant. Le Forézien pense être victime d'une crevaison et entre aux stands pour mettre des pneus neufs. Il tente un coup de poker, pariant sur le fait que les gommes des pilotes Williams ne tiendront pas toute la distance et qu'il pourra aisément les redoubler plus tard. Hélas, l'opération est longuette à cause d'un problème de cric, et dure dix-sept secondes. Prost retrouve la piste en quatrième position. Patrese dépasse Streiff.
33e: Les techniciens de Williams observent les pneus abandonnés par Prost et s'aperçoivent qu'ils ne sont guère usés. Ils en concluent donc que Mansell et Piquet pourront couvrir toute la distance sans s'arrêter. Patrick Head et Frank Dernie les avertissent de ce changement de stratégie. Warwick double Berger.
35e: Rosberg devance Mansell (25.2s.), Piquet (32.4s.), Prost (49.1s.), Senna (1m. 09s.), Johansson (-1t.), Patrese (-1t.), Streiff (-1t.) et Brundle (-1t.). Grâce à ses pneus frais, Prost tourne plus vite que les Williams. Toute la question est désormais de savoir si celles-ci iront jusqu'au bout avec leurs Goodyear. Au championnat: Mansell: 78 pts ; Prost: 68 pts ; Piquet: 67 pts.
36e: Rosberg poursuit sa promenade, attendant en quelque sorte qu'on ait besoin de lui. Il tourne une seconde au tour plus vite que Mansell, guettant une éventuelle réaction de celui-ci.
37e: Piquet est le plus rapide en piste et se rapproche de Mansell. L'Anglais paraît avoir la situation bien en main et n'a donc aucun intérêt à résister à son équipier. Fabi change pour la seconde fois de pneus.
39e: Mansell perd du temps dans le trafic et est désormais très menacé par Piquet.
40e: Rosberg précède Mansell (31s.), Piquet (32s.), Prost (48s.), Senna (1m. 23s.), Johansson (-1t.), Patrese (-1t.), Streiff (-1t.), Brundle (-1t.), Warwick (-1t.) et Berger (-1t.).
42e: Mansell garde pour le moment Piquet à distance, mais ce faisant n'épargne pas ses pneus. Berger casse simultanément son moteur et son embrayage, et renonce.
43e: Senna jette l'éponge. Son moteur a rendu l'âme après avoir ratatouillé pendant une heure. De Cesaris regagne les stands pour prendre des pneus frais, mais par mégarde il déclenche son extincteur de bord ! La mousse envahit son cockpit, et le Romain n'a plus qu'à renoncer.
45e: Piquet prend l'aspiration derrière Mansell en passant devant les stands et le déborde au premier virage. Le Carioca n'a désormais pas d'autre choix que de se lancer à la poursuite de Rosberg s'il veut devenir champion du monde. Boutsen change de gommes.
46e: Rosberg est confortablement installé au commandement devant Piquet (36.6s.), Mansell (37.2s.), Prost (45.6s.), Johansson (-1t.) et Patrese (-1t.). Au championnat: Mansell: 76 pts ; Piquet: 69 pts ; Prost: 68 pts.
48e: Prost remonte peu à peu sur Mansell. Mais tant que le Français n'est pas en tête, le moustachu anglais n'a pas de motif d'inquiétude. Patrese rattrape Johansson. Tambay part en tête-à-queue en escaladant un vibreur. Il repasse ensuite par son garage pour changer ses pneus.
49e: Piquet abaisse le meilleur tour en course (1'21''722'''). Patrese prend la cinquième place à Johansson.
50e: Prost réplique à Piquet: 1'21''541'''. Rosberg est leader devant Piquet (31s.), Mansell (32s.), Prost (40s.), Patrese (-1t.), Johansson (-1t.), Streiff (-1t.), Brundle (-1t.), Warwick (-1t.) et Arnoux (-1t.).
52e: Piquet et Mansell remontent sur Rosberg, mais leurs pneus n'ont pas bonne mine. Prost roule à environ huit secondes des Williams.
53e: Prost tourne en 1'21'526''' et, grâce à ses pneus peu usés, paraît être le mieux armé pour la fin de course. Il ne rend plus que quatre secondes à Mansell. Boutsen renonce: son distributeur d'injection s'est grippé, ce qui a bloqué son accélérateur.
55e: Abandon de Danner, turbo en feu.
56e: Rosberg est bouchonné par Alliot. Prost est maintenant derrière Mansell.
57e: Rosberg est en tête devant Piquet (25.9s.), Mansell (28s.), Prost (29.1s.), Patrese (-1t.), Johansson (-1t.), Streiff (-1t.) et Brundle (-1t.).
58e: Le retour de Prost inquiète le clan Williams. Piquet accumule les blocages de roues tandis que Mansell hausse son rythme pour résister au Français. En effet, si ce dernier efface l'Anglais et le Brésilien, alors il n'aura aucun mal à rattraper un Rosberg complaisant... et la couronne de Mansell sera en péril.
60e: Piquet est revenu à vingt-et-une secondes de Rosberg qui n'a plus des pneus en bon état. Prost demeure dans le sillage de Mansell et constate que les gommes de celui-ci sont très usées. Patrese commence à rencontrer des soucis avec son moteur et laisse Johansson le doubler. Son équipier Warwick abandonne suite à une panne de freins.
61e: Streiff et Brundle dépassent Patrese. Palmer stoppe chez Zakspeed pour chausser un second train de gommes.
63e: Le pneu arrière-droit de Rosberg éclate. Le Finlandais se gare sur le bas-côté et abandonne. Piquet occupe désormais la tête de la course, mais voilà un signal inquiétant pour Williams ; les Goodyear chaussés au départ risquent fort de ne pas tenir la distance. Prévenu par radio du danger, Mansell lève le pied et laisse passer Prost. L'Anglais reçoit l'ordre de regagne les stands à la fin du prochain tour. Si les choses en restent ainsi, le classement mondial final sera le suivant: Mansell: 76 pts ; Piquet: 72 pts ; Prost: 71 pts. Patrese renonce, moteur cassé.
64e: Mansell dévale Decquetteville Avenue à 300 km/h et déborde Alliot lorsque, soudain, son pneu arrière-gauche explose ! La Williams s'affaisse sur sa jante et dévale la route dans une gerbe d'étincelles, ondoyant dangereusement. Mansell freine à fond et donne de furieux coups de volant pour éviter la catastrophe et, au prix d'un effort surhumain, parvient à immobiliser son monstre dans l'échappatoire au bout de l'avenue. L'Anglais vient de perdre le titre mondial... mais il est vivant ! Au championnat, Piquet: 72 pts ; Mansell: 72 pts ; Prost: 71 pts.
65e: Panique chez Williams: Piquet est immédiatement rappelé aux stands pour ne pas connaître le même sort que son équipier. Le Carioca était pourtant en position de remporter le titre ! Il repart avec des pneus neufs après huit secondes d'immobilisation. Johansson s'arrête chez Ferrari pour lui aussi mettre des Goodyear neufs et ouvre ainsi la voie aux Tyrrell-Renault.
66e: Prost occupe désormais la première place et est en route pour le sacre ! Arnoux a usé un pneu arrière et s'arrête chez Ligier pour le remplacer. C'est dommage car il pouvait espérer inscrire un point. Arrêts pneus également pour Dumfries et Fabi.
67e: Prost occupe désormais la première place et est en route pour le sacre ! Arnoux a usé un pneu arrière et s'arrête chez Ligier pour le remplacer. C'est dommage car il pouvait espérer inscrire un point. Arrêts pneus également pour Dumfries et Fabi.
68e: Prost a dix-neuf secondes d'avance sur Piquet. Au championnat, le classement est désormais le suivant: Prost: 74 pts ; Mansell: 72 pts ; Piquet: 69 pts.
70e: Prost mène devant Piquet (18.2s.), Streiff (-1t.), Brundle (-1t.), Johansson (-1t.), Dumfries (-2t.), Arnoux (-2t.) et Alliot (-3t.).
72e: Piquet n'a plus rien à perdre et s'ingénie désormais à battre le record du tour à chaque passage. Mais il est trop loin de Prost pour le menacer. Beaucoup plus loin, Streiff détient la troisième place comme un an auparavant sur ce même circuit, mais s'inquiète de sa consommation excessive.
74e: Malgré sa position, Prost n'est pas du tout serein car son ordinateur de bord lui indique qu'il lui manquera cinq litres d'essence pour rallier l'arrivée ! Alain ménage ses efforts mais sa marge de manœuvre est des plus étroites: s'il ralentit franchement, Piquet pourra alors le doubler et lui chiper le titre !
76e: Vingt secondes séparent Prost et Piquet. Johansson remonte sur Brundle qui, comme son équipier, n'a presque plus de carburant dans son réservoir.
77e: Piquet passe (trop tard ?) à l'attaque et reprend deux secondes à Prost dans cette boucle.
78e: Voyant Piquet revenir, Prost le cartésien décide d'ignorer les recommandations de son compteur électronique. A la grâce de Dieu !
80e: Prost devance Piquet (15.4s.), Streiff (-1t.), Brundle (-1t.), Johansson (-1t.) et Dumfries (-2t.).
81e: Dans un effort désespéré, Piquet reprend cinq secondes à Prost en un tour. Streiff sent son moteur hoqueter.
82ème et dernier tour: Streiff s'immobilise en panne sèche. Au même instant, Johansson déborde Brundle qui est également à court d'essence. Piquet réalise le meilleur chrono de la course: 1'20''787'''.
Alain Prost obtient sa vingt-cinquième victoire en Formule 1 et remporte le championnat du monde 1986. Un Piquet très valeureux termine deuxième. Johansson hérite de la troisième place qui permet à Ferrari de s'assurer de la quatrième position au classement des constructeurs devant Ligier. Brundle coupe la ligne au ralenti en quatrième position. Streiff sera classé cinquième, tandis que Dumfries conclut sa courte carrière chez Lotus par un point. Suivent Arnoux, Alliot, Palmer et Fabi. Tambay et Berg ne sont pas classés.
Sitôt salué par le drapeau à damiers, Prost immobilise sa voiture et en bondit tel un cabri. Il a eu assez d'essence pour terminer la course ! Son ordinateur se trompait ! Chez McLaren, on se congratule chaleureusement, n'osant encore croire à ce triomphe pour le moins improbable. L'équipe de Ron Dennis est la première à glaner trois titres des pilotes consécutifs.
Après la course
Sur le podium, Prost reçoit les félicitations de son ami Piquet et de son futur équipier Johansson. Tout joyeux, il dresse une dizaine de fois les bras au ciel pour faire le V de la victoire, à s'en décrocher les articulations. Ce 25ème succès fait de lui l'égal de Jim Clark. Par ailleurs, il est le premier pilote à conserver sa couronne depuis Jack Brabham en 1960 ! Sous le ciel gris et froid d'Adélaïde, retentit une des plus belles Marseillaise de l'histoire. La course de Prost fut en effet un modèle d'intelligence tactique. « Cette course a été folle, comme je le prévoyais, explique-t-il. Et cette fois, la chance était avec moi. Aujourd'hui, je prends ma revanche sur le sort, mais c'est un juste retour des choses. Cette année, j'ai fait un sans-faute, et ce titre me fait encore plus plaisir que le premier. » Il admet avoir eu très peur dans les derniers tours: « Mon ordinateur m'indiquait régulièrement une consommation supérieure de cinq ou six litres. Je ne pouvais pas espérer finir la course, à moins d'une erreur de l'électronique. Je me suis dit alors que je n'avais plus rien à perdre en maintenant une cadence élevée, sinon une panne sèche. La victoire était la seule issue, il fallait que ça passe ou que ça casse. A l'arrivée, mon ordinateur m'indiquait cinq litres... La confirmation d'une panne de jauge. »
Ébahi, sonné, Nigel Mansell se remet peu à peu de ses émotions, soulagé de s'être tiré indemne de son incroyable cabriole. « Je pourrais ne pas être ici à cette heure, dit-il aux journalistes. Ce fut un miracle de sortir vivant de cet accident. Mais ma déception est énorme. Pour moi, pour l'Angleterre, pour l'équipe qui a merveilleusement travaillé durant toute la saison. » Le Britannique perd un titre mondial qu'il aurait mérité de remporter, mais en s'attardant en piste avec des pneus usés, il a lui-même scellé sa défaite.
Nelson Piquet se montre quant à lui philosophe: « Dès l'accident de Mansell, le stand m'a averti par radio et m'a demandé de rentrer. J'ai réfléchi un tour. Ils m'ont alors répété que les pneus ne tiendraient pas jusqu'au bout. Je suis rentré. Parfois on gagne, parfois on perd... Je suis très heureux d'avoir démontré que j'étais encore à la pointe du combat. » Le Brésilien est certainement plus déçu qu'il ne le laisse paraître. S'il n'avait pas obéi aux ordres de Patrick Head, il serait peut-être resté premier et serait triple champion du monde... En tout cas, il ne se départit pas de causticité: « Je préfère voir cette couronne sur la tête de Prost, lâche-t-il, car lui c'est un grand pilote ! Mansell a fait trop d'erreurs cette année. » La mauvaise foi de Piquet ne fait plus rire grand monde, d'autant plus que Mansell, en gentleman, s'est déclaré désolé de l'échec de son équipier...
Frank Williams est évidemment très mécontent de ce dénouement qui lui rappelle celui de la saison 1981, lorsqu'Alan Jones et Carlos Reutemann s'étaient mutuellement neutralisés au profit de Nelson Piquet. Soichiro Honda saura se souvenir de cet échec. Pour l'heure, l'industriel nippon vient en personne serrer la main d'Alain Prost, un as qu'il admire vivement.
Alain le Grand
Comme il l'avoue lui-même, Alain Prost savoure un bonheur plus raffiné qu'en 1985. Ce deuxième titre fut beaucoup plus difficile à conquérir que le premier et il le doit à son seul talent. En 1986, malgré tous les efforts des hommes de John Barnard et Hans Mezger, les McLaren-TAG-Porsche étaient nettement inférieures aux Williams-Honda. Mais, faisant montre d'une motivation, d'une assiduité et d'un sens stratégique hors du commun, il a su saisir toutes les opportunités pour emmagasiner le plus de points possibles et pour remporter quelques victoires lorsque ses adversaires rencontraient des problèmes. Outre les farouches rivaux que furent Nelson Piquet et Nigel Mansell, il dut en plus se battre contre « Magic » Senna et sa Lotus-Renault, longtemps très menaçants. « Pour moi, Alain devient un vrai professeur, déclare Mansour Ojjeh. Il a toujours le mot et le geste juste, il anticipe toujours parfaitement. » Prost n'a pas commis une seule erreur en course cette saison, et n'est sorti de la route qu'une seule fois, à Détroit, aux essais. Bref, un parcours exemplaire à tout point de vue, qui consacre l'avènement d'un immense champion. Avec deux titres mondiaux à son palmarès, il est désormais le « primus inter pares », le « premier d'entre ses pairs », selon la jolie formule de José Rosinski. « Aujourd'hui, on ne voit pas souvent un type gagner une course avec une voiture médiocre, fait remarquer Jackie Stewart à Nigel Roebuck. Et pourtant, ce gars est devenu champion du monde comme ça ! Pour moi, Alain est incontestablement le meilleur... »
Le mot de la fin revient à son désormais ex-équipier Keke Rosberg, que l'on sait en général avare de compliments: « Croyez-moi, il y a Prost, et après, il y a les autres. Non seulement je le pense, mais je le sais. Alain est le meilleur de tous ceux que j'ai connus, et de loin ! Il est le plus complet de tous. Circuits rapides ou tortueux, sec ou mouillé, il n'a aucun point faible, il brille dans tous les exercices, dans tous les cas de figures... Et il va vachement vite ! En plus, c'est un type bien, il a le sens de l'humour ! » Si même Rosberg le dit...
Tony