Renault-Elf: le début de la fin
De grands changements sont attendus chez Renault à la fin d'une saison blanche. Tout d'abord, la Régie change de direction puisque le gouvernement français remplace Bernard Hanon par Georges Besse, un polytechnicien renommé, bourru et très pragmatique. Celui-ci, avant tout préoccupé par le déficit du groupe automobile, voit d'un mauvais œil ce coûteux engagement en Formule 1, désormais infructueux. La lourde structure française doit se battre avec une main attachée dans le dos. En effet, les lois sociales en vigueur lui imposent des horaires très stricts. Malgré la bienveillance des syndicats, elle ne peut jamais travailler sept jours sur sept et n'a donc pas ainsi la rapidité de réflexes des teams britanniques. La France est aussi dépourvue d'un réseau de sous-traitants capables de fournir sans délai les pièces nécessaires. Le développement du châssis, du moteur, de l'électronique etc. est donc laborieux. Ce handicap structurel condamne à terme Renault-Elf à déchoir. La Formule 1 moderne réclame un mode de fonctionnement libéral et non une lourde machine bureaucratique où le pouvoir et les relais de décision sont divisés entre plusieurs acteurs parfois antagonistes.
Pour l'heure, et afin de faire croire à un possible renouveau, on coupe des têtes. Quelques semaines après Estoril, le directeur général de Renault Sport Gérard Larrousse et l'ingénieur Michel Tétu, créateur de la RE50, sont démis de leurs fonctions.
Finale portugaise pour Alain Prost et Niki Lauda
Pour cette dernière manche de la saison 1984 la Formule 1 fait son retour au Portugal, vingt-quatre ans après le dernier Grand Prix national à Porto. Cette épreuve se déroule sur le petit circuit d'Estoril construit en 1972. Les travaux d'aménagement ont cependant pris du retard, et si le paddock et les stands sont pour l'essentiel achevés à temps, les spectateurs vont patauger dans la boue et la poussière. Les pilotes découvrent cette piste intéressante, sélective, au revêtement bosselé.
L'enjeu de cette épreuve est bien sûr le titre mondial convoité par les deux pilotes McLaren. Niki Lauda (66 pts) possède trois longueurs et demie d'avance sur Alain Prost (62,5 pts). Les hypothèses de résultats sont bien sûr multiples, néanmoins comme la victoire semble difficilement pouvoir échapper à une des deux MP4/2, la problématique générale est la suivante: pour être sacré, Prost doit gagner sans que Lauda ne fasse mieux que troisième. Ron Dennis et John Barnard préservent globalement l'équité entre leurs deux pilotes. Globalement car, sauf cas de force majeure, le mulet est dévolu à Prost et non à Lauda...
Les deux équipiers et rivaux se séparent pour ce week-end crucial. Si Lauda demeure à l'hôtel Sintra d'Estoril, Prost s'exile dans une luxueuse propriété-club de 800 hectares. Il y est entouré de Jean-Pierre Jabouille, de Jacques Laffite, de Mansour Ojjeh, de son ami le producteur Norbert Saada et de leurs épouses respectives. Prost apparaît serein, décontracté, plein de vitalité, loin de la tension qui l'accaparait l'an passé à Kyalami. Placé dans la position du challenger, il n'a pas grand-chose à perdre. Il est de facto le nouveau leader de McLaren. L'avenir lui sourit.
A l'inverse, Niki Lauda est nerveux voire fébrile. Le nouveau tracé d'Estoril ne lui dit rien qui vaille. La présence de quelques proches comme le fidèle Willy Dungl ne parvient pas à le réconforter. En conséquence, il demande à son épouse Marlène de venir le rejoindre. Fait exceptionnel, car Marlène Lauda déteste la course automobile et n'est plus venue sur un Grand Prix depuis des années.
Pour l'anecdote, la deuxième place du championnat des constructeurs demeure disputée entre Ferrari et Lotus-Renault. L'équipe anglaise compte néanmoins neuf points et demi de retard sur la Scuderia, un écart qui ne semble pas rattrapable vue la domination des McLaren. Pour sa part, Elio de Angelis convoite la « médaille de bronze ». Avec 32 points, il doit observer Piquet (28 pts), Alboreto (27,5 pts) et Arnoux (27 pts).
Présentation de l'épreuve
Réélu sans adversaire à la tête de la FISA, Jean-Marie Balestre présente le calendrier provisoire du championnat 1985. A la stupeur générale le Grand Prix de Monaco n'y figure pas. Le conflit opposant la FISA à l'ACM concernant les droits télévisés n'est en effet toujours pas résolu. Cependant Balestre doit rencontrer prochainement le prince Rainier pour aplanir les difficultés. Parmi les autres bizarreries du calendrier, l'épreuve décriée de Dallas doit ouvrir la saison 85 tandis qu'un Grand Prix de New-York est prévu pour septembre. Finalement, ces deux événements seront annulés quelques semaines plus tard.
Le retrait de Michelin continue de susciter des remous. Leo Mehl, directeur de la compétition chez Goodyear, déclare qu'il a appris la nouvelle trop tard pour changer les plans de sa firme pour 1985. Il accepte de fournir McLaren et Renault, mais pas le menu fretin... auquel se trouve associé un Guy Ligier courroucé. L'Auvergnat est contraint de signer un contrat avec Pirelli.
Pendant ce temps, chez Bibendum, l'ambiance est très morose. « Il fallait bien s'en aller un jour ou l'autre... A l'inverse de beaucoup d'autres, notre vocation n'est pas de faire de la Formule 1 à tout prix...» soupire Pierre Dupasquier, sans conviction. Ce départ fait au moins des heureux chez Toleman : Michelin fait cadeau à Senna et à Johansson d'un stock de pneus ultra-tendres.
Il est temps que la saison 1984 se termine pour de nombreux pilotes. Pour Patrick Tambay dont la première année chez Renault n'a été qu'une longue suite de déboires. Pour Marc Surer, dominé par Thierry Boutsen chez Arrows, et dont l'avenir paraît incertain. Et surtout pour Jacques Laffite dont c'est la dernière course chez Williams : « A mon arrivée chez Frank, en 1982, j'étais un pilote coté. J'avais gagné six Grands Prix et je valais quelque chose. Personne ne s'en souvient maintenant. Frank m'a détruit... »
Renault engage pour cette course une troisième voiture confiée à son pilote d'essais Philippe Streiff qui effectue ainsi ses débuts en Formule 1. Cette Renault n°33 ne peut toutefois pas inscrire de points au championnat. Vendredi matin, Teo Fabi apprend le décès subit de son père. Il quitte immédiatement le circuit, laissant la deuxième Brabham sans pilote. Comme son frère et remplaçant attitré Corrado est bien sûr dans la même situation (et de toutes façons retenu pour une course aux États-Unis), Bernie Ecclestone fait appel à Manfred Winkelhock, récemment licencié par ATS et recommandé par Dieter Stapper, directeur de BMW Motorsport. Spirit voulait à nouveau engager une seconde voiture, cette fois-ci pour Huub Rothengatter, mais la FISA a encore refusé pour cause de retard dans la demande officielle.
Il y a peu de nouveautés techniques pour cette ultime étape. Chez Toleman, Johansson dispose à son tour de l'injection électronique. Les Brabham sont désormais munies de freins carbone SEP en lieu et place des Heatco américains.
Les qualifications
La séance de qualification du vendredi se déroule d'abord sous la pluie et le brouillard. Le drainage de la piste se révèle mauvais et les commissaires doivent intervenir. Berger est victime d'un gros accident au cours duquel un commissaire est légèrement blessé. Finalement le soleil fait son apparition à la fin de la séance et permet aux pilotes d'effectuer quelques tours rapides. Dans la précipitation des changements de pneus se produit un incident chez McLaren. Prost et Lauda s'arrêtent en même temps à leur stand, mais les mécaniciens s'affairent sur la voiture du Français, abandonnant son équipier. Furieux, Lauda quitte sa voiture et s'en suit une violente dispute avec Ron Dennis.
La météo est au beau fixe le samedi. Piquet signe sa neuvième pole position de l'année, égalant un record détenu conjointement par Ronnie Peterson et Niki Lauda. Prost obtient le deuxième temps. C'est la cinquième fois consécutive que le Brésilien et le Français se partagent la première ligne. Tout va de travers pour Lauda qui rencontre des problèmes de distribution et sort de la piste alors qu'il utilisait son meilleur train de pneus. Il ne se qualifie qu'au onzième rang, ce qui complique sérieusement sa quête du titre mondial.
Pour une fois munies des meilleurs pneus Michelin, les Toleman-Hart dévoilent tout leur potentiel. Senna obtient une exceptionnelle troisième place tandis que Johansson se classe dixième. Tout va mal en revanche chez Williams: en deux jours, Rosberg a cassé deux turbos et deux moteurs. A une minute de la fin des qualifications, il est ainsi éliminé lorsqu'au volant du mulet, il réalise un incroyable chrono qui le hisse au quatrième rang ! Le « Finlandais volant » prouve une nouvelle fois tout son brio. Laffite (15ème) a été plus malheureux : il a dérapé sur de l'huile déversée par... Rosberg et s'est encastré dans la voiture garée de Streiff... Les Lotus-Renault occupent la troisième ligne. Cinquième, de Angelis s'est rabattu sur son mulet après une violente collision avec Streiff. Tambay (7ème) utilisait le nouveau système d'injection électronique Renix. Son compère Warwick (9ème) a rencontré de nombreux soucis de fiabilité, tandis que le débutant Streiff obtient une belle treizième place. Chez Ferrari, Alboreto se classe huitième tandis qu'Arnoux sombre au 17ème rang. Le Grenoblois ne paraît pas du tout dans son assiette et se fait même fâcheusement remarquer en bouchonnant Warwick.
Les Alfa Romeo (Patrese 12ème, Cheever 14ème) font de la figuration, comme les Arrows-BMW (Surer 16ème, Boutsen 18ème) et les Ligier-Renault (de Cesaris 20ème, Hesnault 21ème). Winkelhock se classe dix-neuvième au volant de la seconde Brabham-BMW. Les Osella (Ghinzani 22ème, Gartner 24ème), l'ATS de Berger (23ème), la Spirit de Baldi (25ème) et la RAM de Palmer (26ème) complètent le plateau. Alliot est vingt-septième et initialement non-qualifié. Toutefois, suite à l'engagement tardif de Winkelhock, les commissaires autorisent le jeune Français à prendre quand même le départ.
Le Grand Prix
Lors du warm-up, Lauda est plus rapide que Prost et se montre curieusement plus confiant que son équipier. Suite à des fuites d'eau, il fait toutefois changer son moteur pour plus de sûreté. La course se déroule sous un grand soleil. Ce n'est pourtant pas la grande foule : seulement 44 000 personnes sont recensées dans les tribunes. Le prix des billets est sans doute trop élevé pour ce pays qui a le niveau de vie le plus bas d'Europe occidentale. Sur la grille de départ, Prost cache mal sa nervosité. Lauda est plus détendu. Il sait qu'il peut compter sur un allié de poids en la personne de son ami Piquet. Le Carioca est en effet prêt à l'aider à triompher en gagnant la course devant Prost. On voit aussi les futurs coéquipiers Nigel Mansell et Keke Rosberg deviser tranquillement, démentant leur animosité.
Estoril ne cause que peu de problèmes aux pneus. Les montes sont assez uniformes : enveloppes tendres à droite, un peu plus dures à gauche. Tambay et de Angelis se distinguent avec des pneus durs sur les quatre roues.
Départ: Mauvais envol de Piquet qui se fait doubler par Prost. Rosberg prend un départ prodigieux. Il déborde le Français et le Brésilien par l'extérieur, puis vire en tête devant Mansell qui a lui aussi effectué un démarrage canon. Lauda est mal parti et ne pointe qu'au treizième rang derrière les Alfa Romeo.
1er: Rosberg, Mansell, Prost, c'est le trio de tête en ce début d'épreuve. Piquet part en tête-à-queue à l'abord des Esses. Il parvient à ne rien toucher mais tout le peloton lui passe devant et il redémarre bon dernier. Lauda a doublé Patrese. Rosberg mène devant Mansell, Prost, Senna, Alboreto, de Angelis, Tambay, Warwick, Johansson et Cheever. Lauda est onzième.
2e: Rosberg compte deux secondes d'avance sur Mansell. Celui-ci manque la corde dans un gauche serré et ouvre ainsi la porte à Prost. Warwick dépasse son équipier Tambay.
3e: Prost est à l'attaque derrière Rosberg. Lauda double Cheever. Alliot s'arrête sur le bas-côté en panne de moteur.
4e: Une demi-seconde sépare Rosberg et Prost. Une autre lutte oppose Senna à Alboreto et de Angelis.
5e: Prost ne trouve pas l'ouverture face à Rosberg. Mansell demeure dans le sillage de la McLaren. Tambay est en difficulté et se fait doubler par Johansson. Si les choses en restaient ainsi, la situation au championnat serait la suivante: Prost 68,5 pts - Lauda 66 pts
6e: Prost déborde Rosberg par l'extérieur dans la grande ligne droite. Mais le Finlandais conserve sa trajectoire et l'avantage au premier freinage. Lauda prend la neuvième place à Tambay. Le moteur du Français manque de puissance, et en outre ses pneus trop durs adhèrent mal à l'asphalte.
7e: Rosberg, Prost et Mansell sont roues dans roues. A plus de dix secondes du leader, Senna résiste à Alboreto, de Angelis et Warwick.
8e: Prost prend de nouveau l'aspiration derrière Rosberg sur la ligne de chronométrage, mais cette fois tente de passer par l'intérieur. C'est un échec.
9e: Au premier virage, Prost déborde Rosberg par l'intérieur. Le Finlandais fait crisser ses roues arrière et le Français s'impose. Le voici en tête de l'épreuve et en route vers le titre mondial. Victime d'un court-circuit, Surer stoppe son Arrows dans le gazon.
10e: Prost s'échappe en tête. Rosberg est maintenant sous la menace de Mansell. A l'abord du premier virage Mansell plonge à l'intérieur. Rosberg résiste et les deux voitures se frôlent, mais la Williams conserve l'avantage. Warwick prend la sixième place à de Angelis. Palmer est bloqué aux stands à cause d'un problème de boîte de vitesses.
11e: Prost mène devant Rosberg (6.3s.), Mansell (6.6s.), Senna (12.2s.), Alboreto (13.5s.), Warwick (15s.), de Angelis (15.5s.), Johansson (15.9s.), Lauda (16.5s.), Tambay (23.2s.) et Cheever (24.7s.). Piquet est 19ème. Mansell attaque Rosberg qui lui ferme violemment la porte au nez. Les roues se touchent... mais les deux moustachus restent en piste. Au championnat, Prost serait sacré avec 71,5 pts contre 66 pts à Lauda.
12e: Mansell parvient à dépasser Rosberg sur la ligne de chronométrage.
13e: De Angelis, Johansson et Lauda sont roues dans roues mais aucun ne trouve une ouverture. Devant eux, Warwick part en tête-à-queue en tentant de « piquer » Alboreto au freinage. Il regagne ensuite les stands pour changer ses gommes abîmées.
14e: Johansson harcèle de Angelis, sans succès. Warwick repart dix-neuvième, derrière Arnoux et Piquet.
15e: Prost compte une dizaine de secondes d'avance sur Mansell qui demeure très rapide. Senna est désormais à la poursuite de Rosberg.
17e: Lauda ne trouve pas l'ouverture sur Johansson. Il l'attaque au premier freinage, sans succès. L'Autrichien est seulement huitième et a déjà plus de vingt secondes de retard sur Prost.
18e: Prost rencontre les premiers retardataires, Baldi et Gartner. Rosberg, Senna, Alboreto, de Angelis, Johansson et Lauda forment un peloton qui se tient en cinq secondes. Johansson et Lauda débordent de Angelis dont le V6 Renault manque de souffle.
19e: Senna prend l'avantage sur Rosberg et s'empare ainsi de la troisième place.
20e: Lauda attaque de nouveau Johansson mais le Suédois lui oppose une belle résistance. Tambay dépasse de Angelis.
21e: Prost mène devant Mansell (7.1s.), Senna (25.8s.), Rosberg (27.6s.), Alboreto (28.3s.), Johansson (28.8s.), Lauda (29.1s.), Tambay (31.5s.), de Angelis (32.8s.) et Cheever (47.4s.). Laffite est aux stands pour faire refixer son capot arrière qui se détache.
22e: Johansson menace Alboreto tandis que Lauda tente toujours de le doubler. Streiff part en tête-à-queue dans une courbe. Bloqué dans les graviers, il est repoussé en piste par les commissaires et repart avant-dernier.
24e: Lauda augmente sa pression d'essence afin de pouvoir doubler Johansson qui est en train de ruiner ses chances par sa résistance obstinée. Laffite est de nouveau arrêté à son garage mais il repartira.
26e: Lauda continue d'attaquer Johansson à chaque fois qu'il arrive au premier virage, sans succès. De son côté le Suédois bute sur Alboreto. Un arbre de transmission cassé met fin à la course de Boutsen qui occupait la douzième place.
27e: Après avoir doublé l'attardé Ghinzani, Johansson commet une petite erreur à la sortie du virage n°2. Lauda en profite pour lui faire l'extérieur, mais il se rabat un peu trop tôt et brise l'aileron avant de la Toleman. Cet incident est sans conséquence pour l'Autrichien mais Johansson est furieux... Palmer renonce suite à une panne de boîte de vitesses.
28e: Lauda déborde Alboreto dans la ligne droite principale. Le voici cinquième. Au championnat: Prost 71,5 pts - Lauda 68 pts.
Warwick sort de la piste au virage n°3 puis reprend sa route après être passé dans une échappatoire poussiéreuse. Il roule désormais en vingt-et-unième position. Cheever s'arrête chez Euroracing pour faire réparer sa boîte de vitesses qui s'est grippée.
29e : Lauda est maintenant aux trousses de Rosberg.
30e: Prost est premier devant Mansell (7s.), Senna (40.8s.), Rosberg (43.6s.), Lauda (43.7s.), Alboreto (47.7s.), Tambay (54s.), de Angelis (54.7s.), Patrese (1m. 12s.) et Winkelhock (1m. 24s.). Johansson est aux stands pour changer son nez avant endommagé par le choc avec Lauda. Il ne repart qu'en 21ème position.
31e: Lauda dépasse Rosberg dans la ligne droite principale et se retrouve quatrième. Prost 71,5 pts - Lauda 69 pts.
32e : Gêné par un fil qui pendait dans son cockpit, Hesnault l'arrache d'un pied. Aussitôt, se moteur se tait : il s'agissait d'une connexion électrique... Le jeune Français abandonne ainsi stupidement.
33e: Lauda remonte sur Senna. Il l'attaque au premier freinage mais le Brésilien résiste. Il retente sa chance avant la grande courbe à gauche: c'est un nouvel échec. En toute fin de tour l'Autrichien prend l'aspiration derrière la Toleman et la déborde sur la ligne de chronométrage. Piquet s'empare de la douzième place aux dépens d'Arnoux. Cheever a repris la piste.
34e: Senna effacé, Lauda se croit deuxième, ce qui lui suffirait pour être sacré. Mais il a oublié Mansell qui est à plus de trente secondes devant lui ! Un panneau de son stand le ramène à la réalité. Au championnat la situation est donc la suivante: Prost 71,5 pts - Lauda 70 pts.
36e: Lauda attaque avec fougue. Il effectue un dépassement assez hardi sur Arnoux, relégué à un tour, en se jetant à l'intérieur dans un virage très serré.
37e: Dix secondes d'écart entre Prost et Mansell. Lauda concède 37 secondes de l'Anglais. Laffite est encore aux stands, toujours afin de faire examiner son capot postérieur.
38e: Mansell est gêné par Gartner et Baldi et les dépasse avec difficulté. Lauda le rattrape au rythme d'une seconde et demie par tour.
39e: Le moteur Honda de Rosberg expire. Le Finlandais finit la saison par un énième abandon.
40e: Prost mène devant Mansell (16.4s.), Lauda (45.2s.), Senna (58.5s.), Alboreto (59.6s.), Tambay (1m. 12s.), de Angelis (1m. 13s.), Patrese, Winkelhock et de Cesaris relégués à un tour.
42e: Lauda poursuit sa remontée sur Mansell: l'écart tombe à vingt-sept secondes.
44e: Lauda ralentit sa cadence pour préserver sa mécanique. Il ne peut plus compter que sur un abandon de Mansell pour devenir champion... En bagarre avec Senna, Alboreto commet une faute et part en tête-à-queue dans les graviers. Heureusement il ne cale pas et regagne la piste sans perdre de place. De Angelis reprend la sixième place à Tambay.
45e: Lauda retrouve sur son chemin Johansson, relégué à un tour.
46e: Johansson déborde Cheever sur la ligne de chronométrage. Lauda double aussi l'Alfa Romeo mais lorsqu'il se porte à la hauteur de Johansson, celui-ci lui ferme la porte au nez. Il va bloquer l'Autrichien pendant encore un demi-tour.
47e: Cela va mal pour Lauda qui tombe sur un train de retardataires composé de de Cesaris, Warwick, Gartner, Winkelhock et Berger. De Cesaris est comme souvent particulièrement réticent à céder sa position.
48e: Après un tour d'obstruction et de bagarre avec Warwick, qu'il finit d'ailleurs par doubler, de Cesaris laisse enfin passer Lauda. Dans le premier secteur le pilote McLaren a encore maille à partir avec Gartner.
49e: Lauda dépasse Winkelhock dans la ligne droite principale. Seul retardataire exemplaire, Berger s'écarte devant son aîné. Mais le retard de Lauda sur Mansell est maintenant de trente secondes alors qu'il ne reste que vingt tours.
50e: Prost précède Mansell (17.9s.), Lauda (47.4s.), Senna (1m. 10s.), Alboreto (-1t.), de Angelis (-1t.), Tambay (-1t.), Patrese (-1t.) et Winkelhock (-1t.). Piquet prend la dixième place à de Cesaris.
51e: Lauda réalise le meilleur tour de la course: 1'22''996'''. Streiff est au ralenti, en panne de transmission. Il occupait la dix-septième place.
52e: Coup de théâtre: Mansell effectue un « tout-droit », puis part en tête-à-queue. Sa pédale de freins ne répond plus ! Il regagne les stands à très faible allure. Lauda s'empare de la deuxième place et devient donc virtuellement champion du monde. Il posséderait en effet 72 points contre 71,5 pour Prost.
53e: Désormais Lauda n'a plus qu'à conserver cette seconde position pour être titré. Prost doit quant à lui poursuivre sa course en tête et... espérer qu'un souci technique frappe son équipier. Piquet double Winkelhock.
54e: Warwick renonce après avoir cassé sa boîte de vitesses.
56e: L'écart entre Prost et Lauda est de quarante-trois secondes. Piquet prend la septième place à Patrese.
58e: Les McLaren baissent leur rythme et laissent certains retardataires leur repasser devant. Piquet remonte sur Tambay.
60e: Prost est leader suivi par Lauda (54s.), Senna (1m.), Alboreto (1m. 09s.), de Angelis (-1t.), Tambay (-1t.), Piquet (-1t.), Patrese (-1t.), Winkelhock (-1t.) et de Cesaris (-1t.).
62e: Lauda est pris dans le trafic et se comporte très prudemment. Il n'est plus qu'à huit tours d'un nouveau titre mondial.
63e: Lauda se retrouve entre Tambay et Piquet qui se battent pour la sixième place.
64e: Prost lève le pied et son avance sur Lauda tombe à vingt-huit secondes. Tambay laisse passer Lauda, puis se fait doubler par Piquet et cède ainsi la sixième place.
65e: Lauda se fait une frayeur lorsque devant lui, dans le rapide virage n°3, le moteur de Ghinzani explose. Mais l'Italien parvient à se ranger et tous les poursuivants passent sans encombre.
66e: Prost roule derrière de Angelis qu'il a laissé passer. De son côté Lauda ouvre la voie à Piquet qui est plus rapide que lui. Arnoux apparaît à la dixième place après avoir doublé de Cesaris.
68e: Les écarts se resserrent: Prost n'a plus que vingt secondes d'avance sur Lauda. Senna est relégué à trente secondes et est menacé par le retour d'Alboreto.
69e: Gartner tombe en panne d'essence.
70ème et dernier tour: Alain Prost remporte sa septième victoire de la saison, égalant ainsi un vieux record appartenant à Jim Clark. Niki Lauda finit deuxième et remporte donc, pour un demi-point, son troisième titre de champion du monde. Senna termine troisième et parvient de justesse à devancer Alboreto. De Angelis et Piquet s'octroient les derniers points. Viennent ensuite Tambay, Patrese, Arnoux, Winkelhock, Johansson, de Cesaris, Berger, Laffite et Baldi. Gartner est classé seizième mais n'est pas à l'arrivée. Cheever arrive dix-septième et finit une course pour la première fois depuis le GP du Brésil !
Après la course: le troisième sacre de Niki Lauda
Lauda effectue un beau tour d'honneur. Piquet, qui a coupé la ligne derrière lui, se porte à sa hauteur et lui demande par signes s'il est sacré. Niki répond par l'affirmative et Nelson ne cache pas sa joie. Laffite lui quémande aussi le résultat des courses mais se montre moins enthousiaste, car il est ami avec Prost...
Alain Prost et Niki Lauda se retrouvent sur le podium, accompagnés par un timide Ayrton Senna et bientôt rejoints par Ron Dennis, Mansour Ojjeh et John Barnard. Les deux équipiers se congratulent. Prost est bien sûr déçu. Il sait qu'il a perdu le titre à Monaco, lorsque la course a été stoppée au 31ème tour. Sa victoire ne lui a rapporté ce jour-là que la moitié des points... Mais il n'est pas amer comme en 1983. Il a dans l'ensemble dominé ce championnat, n'a jamais été vaincu à la régulière par son équipier, et sait que 1985 sera probablement son année. Du reste, alors que quelques larmes lui viennent eux yeux, Lauda vient amicalement le consoler.
Le roi et son disciple
Convié sur la première marche du podium par le président Jean-Marie Balestre, le pilote autrichien savoure cette couronne mondiale qu'il a conquise de haute lutte après un début de saison médiocre. Il tombe dans les bras de son épouse Marlène. Image touchante d'un « Ordinateur » bien plus sensible qu'on ne le croit. Lauda sait qu'il revient de loin : « Cette course fut la plus difficile de ma vie. Dès le départ, je craignais de ne pas pouvoir terminer. Je me suis un peu plus enfoncé dans mon siège en me disant qu'aujourd'hui je n'avais aucune excuse. Il fallait que j'y aille plein pot, jusqu'à la fin, en faisant l'impossible. A partir du 43ème tour, j'ai compris que je ne pourrais rien contre Mansell. Malgré mes efforts, notre écart ne variait pas d'un pouce. J'ai pourtant tout essayé, prenant des risques comme jamais [...] Quand j'ai aperçu sa voiture au ralenti, rentrant aux stands, je n'ai pensé à rien, ni aux six points qu'elle me donnait, ni au titre. Je me fixais plutôt sur les panneaux m'annonçant le nombre de tours à couvrir avant l'arrivée. »
Alain Prost essaie quant à lui d'être philosophe : « Une course limpide [...] Quand j'ai appris l'abandon de Mansell, j'ai su que tout était terminé pour moi. D'accord, je remporte ma septième victoire de la saison, ce qui prouve mon potentiel et celui de mon matériel, mais ça ne compense pas un titre mondial. Être battu pour un demi-point... c'est être battu tout court. Mais ça pouvait être pire. » Par ailleurs, il réaffirme le respect que lui inspire son équipier : « Je suis heureux que Niki reste en 85. C'est vrai, le champion c'est lui et pas moi. Mais je peux m'y faire [...] Je ne connaissais pas très bien Niki quand je suis arrivé chez McLaren. Mais je croyais qu'il était honnête, ce qui est le plus important chez un homme. A présent, j'en suis sûr [...] Nous nous entendons bien, et je pense que nous nous faisons mutuellement confiance. L'avenir s'annonce bien. » En outre, Lauda souligne la saine émulation créée par cette amicale rivalité: « Je n'ai jamais été dans une position comme celle-ci auparavant. Il est arrivé de temps en temps que je sois battu par un équipier, mais j'ai toujours pensé que je prendrais ma revanche la fois suivante. Avec Prost, c'est autre chose. Il m'a fallu conduire de plus en plus vite, de mieux en mieux, tout le temps. Ce fut la saison qui m'a apporté le plus de satisfaction de toute ma carrière. »
Pour fêter Lauda et rasséréner Prost, Mansour Ojjeh organise une gigantesque « party » le soir même à l'hôtel Albatroz de Cascais. Tandis que la fête bat son plein, Alain et Niki devisent tranquillement sur le balcon du palace, face à l'Atlantique. Leur amitié efface les tensions et une rivalité de huit mois. Belle image qui conclut cette formidable saison 1984.
La victoire de Prost au Portugal est la septième consécutive de McLaren-TAG-Porsche. L'équipe anglaise aura remporté douze des seize Grands Prix de cette saison 1984 et marqué un total record de 143,5 pts. Enfin il faut souligner la performance de Michelin dont les gommes auront permis à McLaren et à Brabham de gagner quatorze courses cette saison. Le triomphe des hommes de Pierre Dupasquier est total... et fait encore plus regretter leur départ.
Ferrari conserve la deuxième place du championnat des constructeurs. Un moindre mal, après une saison très médiocre de la part de la Scuderia. Lotus se console avec la troisième place au championnat pilotes d'Elio de Angelis qui a fait preuve d'une grande régularité. Mais l'équipe anglaise tourne ses regards vers 1985 et sur sa nouvelle recrue, la révélation de la saison, la nouvelle perle brésilienne: Ayrton Senna.
Tony