Présentation de l'épreuve
La saison européenne commence enfin avec ce Grand Prix d'Espagne qui est l'occasion de voir les débuts de nouvelles monoplaces.
Après une longue attente, McLaren engage pour de bon sa nouvelle M26. Seul James Hunt est à son volant, Jochen Mass continuant de piloter l'antique M23. Cette voiture n'apporte cependant pas de grandes nouveautés et on se demande si elle pourra rivaliser avec les Ferrari, les Lotus et les Brabham.
L'équipe Wolf engage la deuxième version de sa machine, la WR2, petite évolution de la WR1 qui a été si performante en ce début de saison.
Ce week-end marque surtout le grand retour de Lord Alexander Hesketh. Après avoir résolu ses démêlés avec le fisc britannique, l'extravagant aristocrate retrouve l'équipe que son bras-droit Anthony Horsley avait tant bien que mal maintenue à flots en 1976. L'équipe utilise une 308E issue du cerveau de Frank Dernie, l'ancien adjoint de Harvey Postlethwaite. Harald Ertl et Rupert Keegan sont les pilotes. Hesketh Racing est soutenue par Penthouse Rizla, qui peint toujours des pin-up sur les voitures, et par la compagnie aérienne British United Air Ferries dont le PDG est, mais c'est bien sûr un hasard, le père de Keegan.
Relégué au statut de simple chasseur de sponsors par Walter Wolf, Frank Williams n'a pas supporté longtemps sa sujétion et vole de nouveau de ses propres ailes... même si encore une fois, les moyens financiers lui font défaut. Grâce à son ami l'homme d'affaires Dave Brodie, il a acheté un atelier à Oxford puis une March 761 qu'il a confiée au Belge Patrick Nève, auteur d'honnêtes prestations en Formule 2 et déjà aperçu à deux reprises en Grands Prix en 1976. Le jeune directeur technique Patrick Head supervise de son côté la construction d'une nouvelle voiture, secondé par un autre jeune ingénieur, Neil Oatley.
Enfin David Purley présente sa LEC CRP1, élégante voiture conçue par Mike Pilbeam, ancien ingénieur de BRM. Purley et son équipe étaient déjà apparus en 1973 au volant d'une March privée et font ainsi leurs débuts en tant que constructeur.
Il y a eu beaucoup de mouvements dans le paddock. Chez March, Ian Scheckter reprend son volant après deux courses d'absence. Son ancien remplaçant Brian Henton a créé sa propre structure, British Formula 1 Racing Team, et pilote aussi une March 761. Chez BRM le Suédois Conny Andersson remplace Larry Perkins. L'Espagnol Emilio de Villota participe à son Grand Prix national sur une McLaren privée, sponsorisée par Iberia Airlaines.
Arturo Merzario lance sa propre écurie en engageant une March 761B privée, avec le soutien de Marlboro.
Enfin RAM Racing engage deux March pour Boy Hayje et le Finlandais Mikko Kozarowitski. Mais la voiture de ce dernier ne sera pas prête à temps. En ajoutant celle de Brett Lunger, il y a donc sept March parmi les engagés !
Les qualifications
Le tortueux circuit de Jarama réclame une excellente tenue de route et est favorable aux Lotus à effet de sol. Andretti domine magistralement les essais. Il signe sa troisième pole position en carrière, sept dixièmes de seconde devant Laffite. Le pilote français est désormais très content de sa Ligier-Matra, et particulièrement de son moteur V12 Type 76 dont le mode de fixation a été revu. Il utilise de plus la nouvelle boîte de vitesses Hewland à six rapports. Laffite espère donc inscrire enfin ses premiers points de la saison.
Nettement en retrait, les deux Ferrari de Lauda et Reutemann occupent la deuxième ligne, suivies par Scheckter et Watson. Hunt n'est que septième avec la nouvelle McLaren. Il précède un étonnant Regazzoni. Mass est neuvième et Depailler dixième sur la première Tyrrell. Son équipier Peterson est seulement quinzième. Nilsson déçoit en ce début de saison: ses performances sont nettement en deçà de celles d'Andretti. Il n'est ainsi que douzième sur la grille. Les nouvelles Hesketh ne font pas de miracles: Keegan est 16ème et Ertl 18ème.
25 voitures sont qualifiées. Merzario, Nève et de Villota arrachent leurs places, tandis que Zorzi et Lunger peuplent la dernière ligne. Handicapé par une infection et par de gros problèmes de boîte sur son ATS, Jarier ne s'est pas qualifié, de même que la March officielle de Ribeiro. Parmi les exclus on trouve aussi Hayje, Henton, Purley et Andersson.
Niki Lauda déclare forfait
Le dimanche matin, lors des ultimes essais libres, Niki Lauda stoppe brusquement sa Ferrari après n'avoir couvert que trois tours. L'Autrichien est terrassé par d'effroyables douleurs intercostales. Il appelle son ami Luca di Montezemolo, lequel l'aide à l'extraire de son cockpit pour le conduire à l'infirmerie du circuit. Là, il est examiné par le docteur Rafael, le médecin personnel d'Emerson Fittipaldi. Il lui diagnostique une grave fêlure au niveau de la septième côte. C'est une séquelle de son accident du Nürburgring.
L'Autrichien déclare donc forfait pour la course et est héliporté vers l'hôpital La Paz de Madrid. En fin de journée, il sera à Salzbourg pour se reposer.
Le Grand Prix
Un grand soleil illumine la Castille et la course se déroule dans des conditions météorologiques optimales.
Départ: Andretti prend un excellent envol et vire en tête dans la courbe Nuvolari. Laffite et Reutemann sont un moment côte à côte avant que l'Argentin ne s'incline.
1er tour: Andretti s'envole et mène avec environ deux secondes de marge sur Laffite. Suit un peloton composé de Reutemann, Hunt, Watson, Regazzoni, J. Scheckter, Brambilla, Nilsson et Depailler.
2e: Scheckter passe Regazzoni.
4e: Andretti ne parvient pas à semer le peloton. Laffite et Reutemann sont dans son sillage.
5e: Andretti, Laffite et Reutemann creusent l'écart sur le reste du peloton. Le pilote Ligier signe le meilleur tour en course: 1'20''81''.
6e: Hunt rencontre des soucis avec son allumage
7e: Hunt est aux stands pour essayer de faire réparer sa McLaren. Watson est désormais quatrième, harcelé par Scheckter.
8e: Laffite maintient la pression sur Andretti, tandis que Reutemann est distancé. « Jacquot » semble être le seul à pouvoir suivre la Lotus 78. Hunt est reparti des stands en dernière position.
9e: Merzario percute Ertl. Il regagne ensuite son stand pour essayer de réparer sa voiture endommagée.
10e: Dans la courbe Ascari, Brambilla percute Regazzoni dont il guignait la sixième place. Les deux voitures finissent leurs course dans le décor. Le Suisse est furieux et enguirlande le pilote Surtees. Nilsson récupère la place dans les points, suivi par Mass et Depailler.
12e: Tandis qu'il suivait le rythme d'Andretti, Laffite doit ralentir: une de ses roues arrière se desserre !. Il est contraint de regagner les stands au ralenti et dégringole ainsi dans le classement. Hunt met pied à terre, son allumage étant défectueux.
13e: Depailler est trahi par son moteur et abandonne. Laffite sort des stands dix-neuvième et avant-dernier.
14e: Andretti mène désormais avec une bonne avance sur Reutemann. Suivent Watson, J. Scheckter, Nilsson, Mass, Peterson, Keegan, Jones et I. Scheckter.
16e: Andretti compte environ cinq secondes d'avance sur Reutemann.
18e: Merzario était reparti pour quelques tours, mais sa suspension est définitivement faussée suite au choc avec Ertl. Il renonce.
19e: Mass prend la cinquième place à Nilsson.
21e: Mass se rapproche du duo composé par Watson et Scheckter. Jones prend la huitième place à Keegan.
23e: Andretti compte désormais dix secondes d'avance sur Reutemann.
24e: Andretti est gêné par Zorzi dans le premier virage. Plus loin il est bloqué par Nève qui lui ferme la porte au nez à Ascari. Il s'en débarrasse difficilement au virage Pegio.
25e: Watson cède à la pression imposée par Scheckter et Mass et perd deux places.
26e: Moteur fumant à cause d'une fuite d'huile, Zorzi s'engouffre dans la voie des stands et abandonne.
27e: C'est au tour de Binder de gêner Andretti pendant près d'un tour. L'écart avec Reutemann est tombé à huit secondes.
30e: Le radiateur de l'Hesketh d'Ertl est percé, conséquence du choc avec Merzario. Il doit abandonner alors qu'il était douzième.
33e: Fittipaldi est aux stands car sa Copersucar vibre dangereusement du train arrière. Il y reste plusieurs minutes avant de repartir dernier.
34e: Keegan sort de la piste dans le dernier virage de Tunel et heurte les piquets de bois servant de protections. C'est terminé pour le pilote anglais qui a réalisé un très beau début de Grand Prix.
36e: Andretti reprend de la marge sur Reutemann, tandis que Lord Hesketh console Rupert Keegan.
38e: Andretti compte désormais une quinzaine de secondes d'avance sur Reutemann.
41e: Stuck prend la neuvième place à Ian Scheckter qui est sorti de la piste au virage Fangio. Le Sud-Africain repart dixième.
44e: Fittipaldi est de nouveau bloqué aux stands.
45e: Andretti compte dix-neuf secondes d'avance sur Reutemann. J. Scheckter est à environ dix secondes de l'Argentin. Quatrième, Mass est à deux secondes du pilote Wolf.
47e: Laffite remonte petit à petit et prend la onzième place à Binder. Fittipaldi a repris la piste.
50e: Jones et Peterson sont en lutte pour la septième place occupée par le Suédois.
52e: Laffite passe I. Scheckter et entre dans les dix premiers.
54e: Andretti est gêné par Jones et Peterson. Il parvient à se débarrasser du pilote Shadow, qui voit Stuck revenir dans ses rétroviseurs.
56e: Andretti prend un tour à Peterson à la sortie de la ligne droite principale.
57e: Jones se frotte à Peterson et sort de la route. La course de l'Australien s'arrête là. I. Scheckter quitte la piste à cause d'un problème de freins. Il repart mais rejoint ensuite son stand.
58e: I. Scheckter est au stand March où il fait changer sa calandre abîmée dans sa sortie. Il repart en quatorzième position.
60e: Toujours troisième, J. Scheckter contient Mass. Très rapide en cette fin de course, Stuck passe Peterson.
62e: Nève est arrêté à son stand à cause d'une crevaison. De Villota, sur sa McLaren privée, apparaît au dixième rang.
64e: Victime d'une panne d'alimentation sur sa Brabham, Watson ralentit et entre dans les stands. Nilsson récupère la cinquième place tandis que Stuck entre dans les points.
65e: Watson abandonne. Laffite remonte sur Peterson.
67e: Andretti est toujours tranquillement en tête, alors que Reutemann, à 15s., est pris dans le trafic.
68e: Laffite prend la septième place à Peterson. La remontée du pilote Ligier est très impressionnante et démontre que sans son arrêt inopiné il aurait pu gagner l'épreuve.
70e: De Villota regagne son stand: le tuyau de son manomètre d'essence est cassé. Ses mécaniciens vont tout de même essayer de réparer pour qu'il puisse terminer sa course nationale.
72e: Mass menace toujours Scheckter mais sans trouver l'ouverture.
73e: De Villota regagne la piste pour effectuer les deux derniers tours..
75ème et dernier tour: Après une balade en solitaire, Mario Andretti remporte sa quatrième victoire en F1. Reutemann est deuxième, suivi par Jody Scheckter. Mass échoue à la quatrième place. Nilsson est cinquième, Stuck sixième. L'Allemand inscrit son premier point de la saison. Laffite échoue à la septième: il n'a toujours pas inscrit un point cette année. Viennent ensuite Peterson, Binder, Lunger, I. Scheckter, Nève, de Villota et Fittipaldi, ces deux derniers terminant à cinq tours.
Après la course
La performance de Mario Andretti est très impressionnante. La « wing car » de Colin Chapman commence à sérieusement inquiéter la concurrence: si elle est si performante sur tous les circuits, la battre sera très difficile... En tout cas, grâce à ce second succès de rang, Andretti devient un sérieux prétendant au titre mondial. Mais pour l'heure, c'est bien Scheckter et sa modeste Wolf qui dominent le championnat des conducteurs.
Après la course, Jacques Laffite entre dans une colère terrible: sans ce stupide problème de roue, il aurait peut-être pu doubler Andretti et gagner la course ! Mais il se calme vite: il vient de recevoir le Prix orange récompensant le pilote le plus aimable avec la presse. Gérard Ducarouge explique la mésaventure survenue à son pilote par un défaut d'une des nouvelles jantes montées sur la Ligier juste avant l'épreuve.
Scheckter est désormais seul en tête du championnat du monde avec 23 points, contre 20 à Andretti et 19 à Lauda et à Reutemann. Le compteur du champion en titre Hunt demeure bloqué à neuf unités.
Chez les constructeurs, Ferrari a onze points d'avance sur Wolf et douze sur Lotus. McLaren ne possède que douze points. Cela va encore plus mal chez Tyrrell qui n'a que sept points au compteur. La fameuse « six roues » s'alourdit course après course et perd dramatiquement du terrain sur la concurrence. Un an après son apparition, l'enthousiasme des débuts est lourdement retombé. Déjà, Ken Tyrrell songe à abandonner le concept...
Tony