Ivan Capelli est l'exemple même du pilote qui croyait réaliser son rêve au paradis et qui finit en enfer... Mais avant cela, Ivan vécut une carrière en tout point remarquable. Son ascension jusqu'au firmament du sport automobile suscita beaucoup d'espoirs.
Il s'initie au karting dès 1979 et, deux ans plus tard il devient vice-champion d'Europe de la discipline. A peine un an après, il débute en Formule 3 avant de devenir, dès 1983, champion d'Italie. L'année suivante, il passe au niveau continental et remporte là aussi le titre. Fort de ce joli palmarès, Ivan saute le pas et fait ses débuts dans ce qui est désormais l'antichambre de la F1 : la F3000.
En 1985, sa première saison est en tous points remarquables, ce qui lui permet (notamment grâce à sa victoire à Zeltweg) de prendre pour la première fois part à un Grand Prix de Formule 1, à l'occasion du Grand Prix d'Europe 1985, au volant d'une Tyrrell. Ses débuts sont tonitruants car dès son second Grand Prix en Australie, Ivan rafle les trois points de la quatrième place.
Sans volant performant disponible pour 1986, Ivan préfère revenir en F3000, où il va, cette fois-ci, remporter le titre intercontinental. Parallèlement, la toute nouvelle écurie française A.G.S. lui confie la difficile tâche de faire débuter la monoplace en Grand Prix. Il dispute ainsi deux manches du championnat (Italie et Portugal), sans toutefois voir le drapeau à damier.
C'est à la fin de cette saison 86 que Ivan, avec l'aide d'un ami journaliste, parvient à séduire un important sponsor pour qu'il l'accompagne en F1. Il s'agit de la société japonaise Leyton House. C'est ainsi que, pour la saison 1987, il se retrouve propulsé en F1, avec le statut de pilote unique de l'écurie March... Il ne parvient qu'une seule fois à rentrer dans les points mais c'est à Monaco. Sur ce circuit si difficile, Ivan arrache la sixième place et sauve donc l'honneur de sa saison, et celui de March en F1 par la même occasion...
En 1988, March engage un second pilote : Mauricio Gugelmin, un jeune Brésilien qui allait devenir son meilleur ami. A eux deux, ils vont permettre à March de décrocher la sixième place du Championnat des constructeurs. Ivan raflera la bagatelle de 17 points avec en point d'orgue de sa saison, le Grand Prix du Portugal. Sur l'étroit tracé d'Estoril, il se qualifie à une magnifique troisième position. Il conserve cette position après le départ, suivant à distance respectable le duo des intouchables : Prost et Senna. A la suite des ennuis de Senna, Ivan se retrouve propulsé dans les roues de Prost. Mais il ne parvient jamais à porter l'estocade fatidique et il doit se contenter (entre guillemets) de la deuxième place à l'arrivée.
La saison 89 est très prometteuse, d'autant plus qu'avec la voiture de 88, Gugelmin arrache la troisième place du Grand Prix du Brésil. Mais le reste de la saison sera un véritable calvaire, autant pour le jeune Brésilien que pour lui. L'Italien ne marque pas le moindre point de toute la saison, et collectionne les abandons. Il ne voit le drapeau à damiers qu'à l'occasion du Grand Prix de Belgique, à une lointaine douzième place. Pourtant la monoplace dessinée par le duo Newey-Brunner semblait belle et performante. Mais qu'à cela ne tienne, Newey se remet au travail pour la saison suivante.
Mais la nouvelle monoplace, baptisée CG901, souffre d'un mal nouveau et rarissime : elle est trop parfaite. Ses qualités aérodynamiques poussées à l'extrême ne peuvent s'exprimer que sur un revêtement parfaitement lisse... Et malheureusement, ça n'est pas souvent que l'on rencontre ce genre de situation dans la saison. Résultat : Ivan se retrouve non qualifié au Brésil et au Mexique, le circuit le plus bosselé de la saison. Mais un évènement majeur influa sur le comportement de la voiture lors du Grand Prix de France.
En effet, le revêtement du Castellet venait d'être refait à neuf et était devenu un parfait billard. Ainsi, les voitures turquoise vont pouvoir briller, et ce fut le cas. Joliment qualifié en septième position, Ivan réalise un mauvais départ et se retrouve dixième à l'issue du premier tour... Au 20e tour, il ne pointe qu'en neuvième position, mais alors que tous ses adversaires sont contraints de s'arrêter aux stands, la March n'en a pas besoin, son aérodynamique permettant une usure minimale des pneumatiques. Ainsi, au 32e tour, Ivan pointe en tête du Grand Prix de France. Preuve de la bonne santé et de la bonne stratégie de March c'est Gugelmin qui pointe en deuxième position un tour plus tard. A ce moment-là, Ivan compte huit secondes d'avance sur son plus proche adversaire, Alain Prost. Qui plus est Gugelmin parvient à se maintenir entre les deux, protégeant ainsi son leader.
L'écart se maintient jusqu'au 55e tour, moment où Prost porte une attaque décisive sur Gugelmin. En fait le Brésilien est en proie avec des problèmes moteur. Dès lors, Prost reprend une seconde par tour à l'Italien. Jusqu'au 77e tour, Ivan parvient à contenir les attaques du Français revenu dans ses ailerons. Mais, en fait, Ivan est victime d'une baisse de la pression d'essence et un tour plus tard, il lui est impossible de résister au dépassement de Prost. Dès lors, il va assurer sa deuxième place laissant échapper sa plus belle chance de victoire depuis le début de sa carrière. Néanmoins, les six points glanés font beaucoup de bien à l'équipe March-Leyton House.
Le prochain Grand Prix en Grande-Bretagne s'annonce également bien. Ivan est dixième sur la grille et au 48e tour, il est revenu en troisième position. Mais au moment où il tente une attaque sur Nigel Mansell, l'alimentation se coupe et Ivan doit, malheureusement abandonner. Lors du Grand Prix de Belgique, Ivan termine septième, juste derrière son coéquipier. Le bilan de la saison est très mitigé, mais si le résultat brut est contrasté, son talent est définitivement reconnu par tous. D'ailleurs, Ferrari s'intéresse un moment à lui.
La saison 91 est catastrophique pour lui comme pour Leyton House. Hormis le Grand Prix de Hongrie où il parvient à s'emparer de la sixième place, Ivan passe le reste de la saison hors des points. Mais en fin de saison, la plus belle nouvelle de la carrière d'Ivan tombe : Ferrari le recrute pour 1992 ! Ilaura en fin de saison un geste remarquable et rare. Leyton House est en proie à de graves problèmes financiers. Elle doit remplacer Gugelmin par Wendlinger, arrivé avec l'argent de Mercedes. Se sachant sauvé pour 1992 alors que ça n'est pas le cas pour son ami, Ivan annonce qu'il laisse son baquet à Wendlinger pour permettre à Gugelmin de se faire remarquer en vue de la saison suivante. Mais l'hiver ne se passe pas aussi bien que prévu. La société Leyton House, dont Ivan est le PDG de la branche italienne, est en faillite. Son patron, Akira Akagi est accusé de blanchiment d'argent et prend la fuite. Ivan est entendu par la justice dans cette affaire.
Mais son rêve de gosse se réalise : piloter pour la Scuderia. Pourtant, on peut dire qu'il s'agit d'un cadeau empoisonné : Ferrari est au plus mal, en retard sur les nouvelles technologies, en mal d'un grand designer, tout n'est pas rose. Tout comme Jean Alesi, son coéquipier, il a les plus grandes peines du monde à régler sa voiture. Néanmoins, il limite la casse à l'occasion du Grand Prix d'ouverture en Afrique du Sud. Il se qualifie en neuvième position, son moteur le lâche au 28e tour alors qu'il occupe la septième place. Le Grand Prix suivant, au Mexique, est littéralement catastrophique. Ivan est vingtième sur la grille, la plus mauvaise qualification d'une Ferrari depuis le Grand Prix des Etats-Unis Est ... 1980 ! Sa course s'achève dès le départ suite à un accrochage avec son successeur chez March, Wendlinger.
Au Brésil, les choses s'arrangent enfin. Qualifié onzième, il finit en cinquième position, juste derrière son leader Alesi. La suite est un long calvaire : abandon en Espagne à trois tours de la fin alors qu'il était en sixième position. Abandon également à San Marin, devant les tifosi, alors qu'il se bagarrait avec Alesi. Abandon toujours à Monaco où il était cinquième... En fait, il faudra attendre la Hongrie pour le voir de nouveau dans les points, avec une sixième place. En Italie, Ivan pilote enfin la Ferrari 92AT, nouvelle version de la voiture précédente. Il se qualifie brillamment en septième position et pointe à la cinquième place dès la fin du premier tour. Mais dès le 12e tour, Ivan commet une nouvelle erreur et part en tête-à-queue, c'est l'abandon, triste et laconique. Dès ce moment, ses jours chez Ferrari sont comptés. Sa piètre performance au Portugal scellera son sort. Ivan est remercié avant même la fin de la saison, remplacé par le pilote maison, Nicola Larini.
C'est l'effondrement pour Ivan. Lui qui se pensait arriver au paradis, le voilà désormais en enfer. Néanmoins, on ne peut pas tout lui mettre sur le dos. C'est alors qu'Eddie Jordan, un homme de cœur et de convictions décide de lui donner sa chance pour 1993. Le premier rendez-vous de la saison a lieu en Afrique du Sud. Ivan est présent mais le cœur n'y est plus, ce n'est plus le même homme. Bien que qualifié dix-huitième, il est contraint à l'abandon dès le deuxième tour alors qu'il avait déjà gagné trois places. Quinze jours plus tard, Ivan est tout bonnement non qualifié, largué par les modestes Minardi, Lola et autres Tyrrell... Il se retrouve, sur un tour, à près de trois secondes de son coéquipier, le néophyte Rubens Barrichello.
Alea jacta est... Eddie et Ivan, après une longue conversation, décident de mettre un terme à leur accord. Depuis sa visite à la Scuderia, Ivan n'était plus que l'ombre de lui-même, ayant perdu motivation et par la même occasion, sa pointe de vitesse. Dès lors, ses apparitions se feront au compte-goutte : aux 24 Heures du Mans en 1995 et en FIA GT (quatre courses entre 1997 et 2002, puis plus régulièrement en 2003).
De l'Italien, il a le profil de l'aigle, le poil noir, et le comportement. Cet homme parle en s'aidant des mains et pourrait ne jamais s'arrêter. Autrefois, on l'appelait le « clown ». Il s'affublait de fausses oreilles ou de plâtres factices pour mieux focaliser l'attention des médias. Avec ses cheveux noirs, sa petite taille et ses lunettes sur le nez, Ivan a un petit air de ressemblance avec Dustin Hoffman. Avec un peu d'imagination, on le verrait bien à l'affiche de Little Big Man. Avec son talent et son charisme, on voyait bien le petit homme de Milan devenir un des plus grands pilotes de sa génération. Toujours souriant, toujours de bonne humeur, intelligent, vif, polyglotte, subtil et espiègle, Ivan débarquait chez Ferrari pour conquérir la gloire... Mais une écurie en plein marasme a tendance à chercher partout sauf là où il faut, des responsables. Ivan fut la victime de l'agonie de la Scuderia.
On ne peut que le regretter car la Formule 1 a besoin d'hommes comme lui. Mais, c'est définitif, les poètes n'ont plus leur place en F1...
Alex Mondin