La révolution réglementaire
Une nouvelle direction sportive
Le scandaleux dénouement du Grand Prix d'Abou Dhabi et, partant, du championnat du monde 2021 a suscité de très vives critiques à l'égard du directeur de course Michael Masi. Tout le monde se souvient dans quelles circonstances la course fut relancée à un tour du but au bénéfice de Max Verstappen et au préjudice non seulement de Lewis Hamilton, mais aussi de l'équité sportive la plus élémentaire. Dépassé par les événements selon les uns, grisé par son rôle d'arbitre tout-puissant pour les autres, Masi a transformé une grande finale sportive en un épisode de série Netflix. Logiquement, le nouveau président de la FIA Mohammed Ben Sulayem a décidé dès sa prise de fonctions d'ouvrir une enquête sur ces événements. Michael Masi s'est retrouvé sur un siège éjectable. Nul doute que Toto Wolff et les dirigeants de Mercedes se sont démenés pour que le pouvoir politique presse le bouton. La firme allemande et Lewis Hamilton ont très mal digéré cette défaite qu'ils considèrent comme un véritable vol. L'ire de Mercedes ne se serait d'ailleurs pas arrêtée là: quelques journaux ont fait écho de manœuvres visant à obtenir la tête de Nikolas Tombazis, l'adjoint de Ross Brawn qui a élaboré la réforme réglementaire des planchers des monoplaces pour la saison 2021. Cette modification était en effet la principale cause du relatif recul de Mercedes l'année passée. Tout au contraire, Red Bull soutient évidemment la cause du directeur sportif et accuse Mercedes d'ingérence dans la sphère politique.
Mais, sans surprise, Michael Masi est limogé par la fédération le 17 février 2022. Mohammed Ben Sulayem profite de cette éviction pour réformer en profondeur l'instance de surveillance et d'arbitrage des Grands Prix de F1. La direction de course sera dorénavant dévolue en alternance à Eduardo Freitas, qui occupe déjà ce poste en WEC et aux 24 heures du Mans, et à Niels Wittich, ex-directeur de course du DTM, deux hommes d'expérience. Ils seront assistés par les vétérans Herbie Blash et Colin Haywood, les anciens bras droits de Charlie Whiting, sortis de leur retraite pour les besoins de la cause. Haywood redevient directeur de course adjoint et Blash sera une sorte de conseiller de luxe. Surtout, la méthode de travail de la direction de course est entièrement renouvelée. Les commissaires devront désormais s'appuyer sur une assistance vidéo, de type VAR (le système de rediffusion utilisé au football). En cas de litige, cette cellule indépendante sera chargée de conseiller le directeur sur la décision à prendre. « En liaison en temps réel avec MM. Freitas ou Wittich, cette assistance les aidera à appliquer le règlement en utilisant les outils technologiques les plus modernes », explique Mohammed Ben Sulayem. Par ailleurs, les conversations radios entre les team managers et le directeur de course ne seront plus diffusées à l'antenne, comme c'était le cas en 2021, afin que ce dernier puisse trancher sans la pression de se savoir écouter par des dizaines de millions de téléspectateurs...
Présentation des écuries
La saison 2021 fut un cru mitigé pour Mercedes qui a certes remporté son huitième titre des constructeurs consécutif, mais a aussi laissé échapper celui des pilotes pour la première fois depuis 2014 dans des conditions particulièrement cruelles et controversées. Considérant, sans doute à juste titre, s'être fait voler la couronne, Lewis Hamilton s'est muré dans le silence pendant plus de deux mois et revient l'esprit revanchard, bien décidé à conquérir ce huitième sacre qui lui permettrait de trôner seul sur l'Olympe de la F1. Toutefois, Toto Wolff lui jette dans les pattes son jeune compatriote George Russell. Après trois saisons d'apprentissage chez Williams, le jeune Anglais doit trouver sa place au sein de la meilleure équipe du monde, aux côtés du meilleur pilote de ces vingt dernières années. Mercedes restera-t-elle au pinacle de la F1 ? Le staff de Brackley, copiloté par James Allison et Mike Elliott, présente une W13 qui se singularise, à compter des essais de Bahreïn, par des pontons quasi inexistants, dotés de minuscules entrées d'air verticales. Un concept « extrême », mais légal. Le nez est « cyranesque », long au point d'atteindre l'extrémité de l'aileron avant. Mercedes utilise aussi un groupe propulseur (M13) flambant neuf afin de se conformer à la nouvelle norme imposant un carburant contenant 10 % d'éthanol. A signaler enfin que le bolide anglo-allemand récupère enfin cette année sa traditionnelle livrée argentée.
Red Bull a retrouvé la gloire en 2021 en décrochant avec Max Verstappen son premier titre depuis 2013, et ce au prix d'un duel titanesque avec Mercedes. Les efforts fournis ont été tels que certains s'interrogent sur la compétitivité de l'équipe au taureau en 2022. Honda s'est officiellement retiré, mais maintient son partenariat: ses moteurs sont simplement rebadgés Red Bull Powertrains. RBR affiche en outre un nouveau sponsor-titre, la société informatique Oracle. Christian Horner a commencé l'année 2022 par une blague: la « RB18 » lancée en grande pompe n'était qu'une maquette de la FIA peinte aux couleurs de Red Bull ! La vraie nouvelle monoplace n'est apparue que lors des essais de Barcelone, en février. La dernière-née d'Adrian Newey se singularise par ses flancs effilés, avec une partie inférieure très dégagée. Comme McLaren, Red Bull inverse ses systèmes de suspension: tirant à l'avant et poussoir à l'arrière. Une vraie révolution, puisque c'est Newey lui-même qui avait imposé les tirants à l'arrière en 2009. Ce changement s'explique pour des raisons aérodynamiques, mais aussi afin d'accéder plus facilement aux éléments intérieurs en cas de changement de réglages. Le reste de la monoplace paraît assez conventionnel, mais Red Bull la fera évoluer très rapidement. A son volant, un Max Verstappen épanoui souhaite bien entendu coiffer une seconde couronne mondiale pour asseoir son hégémonie sur la F1, tandis que Sergio Pérez, astreint à dévouement total, tentera d'exister dans l'ombre du Hollandais volant.
Ferrari est attendue au tournant en 2022. A l'issue de plusieurs saisons médiocres, la Scuderia possède en effet avec cette révolution réglementaire l'opportunité de retrouver enfin les sommets de la Formule 1, 14 ans après son dernier titre mondial. Le staff de Maranello s'est donc très tôt attelé à la tâche, en donnant la priorité à l'aérodynamisme. Le concept défini par l'ingénieur David Sanchez est tout à fait original. La F1-75 possède des pontons très complexes, verticaux sur les côtés, mais creux dans la partie supérieure, d'où une courbure des flancs assez impressionnante, même pour une belle Italienne. Ce sillon sert à alimenter une petite aile située sous l'aileron arrière. Le nez, long, bas et pointu, est aussi une caractéristique de la F1-75. Le premier élément de l'aileron est directement attaché au museau: encore une originalité. Enfin, le moteur paraît avoir retrouvé sa vigueur grâce à l'introduction, fin 2021, d'un nouveau système hybride. Cette Ferrari, rapide et fiable, a brillé lors des essais hivernaux. De quoi donner de grandes espérances à Charles Leclerc et Carlos Sainz. Les deux jeunes équipiers ont collaboré en bonne intelligence l'année précédente, mais une sourde rivalité commence à les opposer. Loin d'être le faire-valoir annoncé, Sainz a en effet devancé Leclerc au classement des pilotes en 2021. Le Monégasque se méfie donc plus que jamais du Madrilène.
McLaren a enfin retrouvé le chemin de la victoire en 2021, grâce à Daniel Ricciardo à Monza, mais a aussi reculé au quatrième rang des constructeurs derrière Ferrari. La nouvelle réglementation rebat cependant les cartes et, avec la MCL36 dessinée par le staff de James Key, la légendaire écurie britannique vise le titre mondial. Cette monoplace est très audacieuse. Elle intervertit tout d'abord les géométries de suspension, tirant à l'avant et poussoir à l'arrière, un choix déterminé, comme chez Red Bull, par la nécessité de dégager l'entrée des deux tunnels en forme de Venturi, afin de mieux faire fonctionner le fond plat, gagner de l'effet de sol et donc de l'appui. A l'arrière, l'adoption d'une suspension à poussoir est justifiée par la restriction de l'empattement, et donc de la transmission, imposée par le règlement. Par ailleurs, la McLaren se singularise par un nez très abaissé, chargé au centre, et des pontons très affinés vers l'arrière, en forme de goutte d'eau. A noter l'absence d' « undercut », c'est-à-dire de canal sous les entrées d'air, élément présent sur beaucoup de nouvelles monoplaces. Motorisée par le puissant moteur Mercedes, la machine orange a réalisé de bons essais hivernaux et s'annonce en prétendante à la victoire. Le jeune Lando Norris, désormais lié à McLaren jusqu'en 2025 et auteur d'une magnifique saison 2021, vise un premier succès... et plus si affinité. Daniel Ricciardo doit pour sa part faire oublier une dernière année en dessous du médiocre. A 33 ans, il n'a plus de temps à perdre.
La saison 2021 fut un exercice médiocre pour Alpine-Renault, sauvé par la victoire-surprise d'Esteban Ocon en Hongrie. En 2022, Laurent Rossi tire un trait définitif sur le passé: exeunt Alain Prost, Davide Brivio, Marcin Budkowski et Rémi Taffin ! L'expérimenté Otmar Szafnauer est nommé team principal et Bruno Famin, ancien patron de Peugeot Sport, prend les rênes de l'usine de Viry-Châtillon. Par ailleurs, le constructeur français s'allie au géant mondial du retraitement des eaux BWT et adopte une livrée bigarrée bleue et rose. Autre révolution: le tout nouveau moteur Renault E-Tech RE22, qui adopte l'architecture séparée initiée par Mercedes et Honda. Plus léger, plus compact, plus souple d'utilisation, ce moteur serait aussi peu fiable, selon des rumeurs alimentées par Alain Prost lui-même, furieux de son éviction... En tout cas, il est parfaitement intégré à la nouvelle A522 grâce à l'ingénieur Matt Harman, un ancien de Mercedes, d'où les entrées d'air subdivisées inspirées des Flèches d'Argent. L'Alpine apparaît élancée mais conventionnelle, avec des formes moins agressives que celles de ses rivales. Toutefois, de nombreuses évolutions sont attendues. Côté pilotes, Alpine mise désormais surtout sur Esteban Ocon qui a pris une nouvelle dimension depuis sa victoire hongroise et bénéficie d'un contrat à long terme. Fernando Alonso a réussi en 2021 son « come-back », démontrant qu'il était toujours un as du volant, mais à 41 ans, le temps joue contre lui, et il voit poindre dans son dos le réserviste Oscar Piastri, champion en titre de F2, qui rêve de prendre sa place en 2023.
AlphaTauri a vécu en 2021 la meilleure saison de son histoire en termes de points marqués (142). Mais la petite équipe italienne souhaite au moins atteindre la cinquième, voire la quatrième place du championnat des constructeurs en 2022. Ses atouts sont toujours les mêmes: stabilité du personnel et grande adaptabilité aux variations réglementaires. La nouvelle AT03, motorisée par le bloc Red Bull (ex-Honda), possède un design assez audacieux, avec des entrées d'air placées très en avant, à la limite de ce que permet le législateur. Ceci permet de capter très tôt le flux d'air pour diriger l'écoulement vers un creux très marqué. Les pontons plongent vers l'arrière, telle une rampe, elle-même surmontée d'une autre canalisation au niveau du capot moteur. La configuration des suspensions est classique (poussoir à l'avant, tirant à l'avant) et le nez plonge assez bas. Comme l'an passé, le bolide italien est confié à Pierre Gasly, devenu le « taulier » de Faenza, et au « chien fou » Yuki Tsunoda qui devra montrer plus de régularité et d'aménité qu'en 2021, sous peine de se faire encore une fois tirer les oreilles par Helmut Marko et Franz Tost.
Lawrence Stroll poursuit son plan quinquennal de développement qui doit conduire Aston Martin au titre mondial: construction d'un nouveau campus technologique à Silverstone, recrutement d'ingénieurs renommés etc. Martin Whitmarsh, ancien patron de McLaren, est devenu directeur général chargé de chapeauter l'écurie de F1 et le département technologique du groupe Aston Matin. Après le départ d'Otmar Szafnauer, la direction du team revient à Mike Krack, ex-patron de la compétition chez BMW. La saison 2021 s'avérant décevante, Aston Martin a très tôt laissé de côté l'AMR21 pour se concentrer sur l'AMR22. Celle-ci, conçue par Andrew Green, ne manque pas d'allure dans sa sublime robe verte. Si le moteur et la boîte sont toujours livrés par Mercedes, la philosophie de l'Aston est cette fois tout à fait originale. Elle se distingue par ses formes anguleuses. On remarque ainsi des entrées d'air et des pontons très carrés pour épouser la pose horizontale des radiateurs. L'aileron avant possède aussi des appendices à angles aigus. Le capot moteur est percé d'entailles, comme l'autorise le règlement. Au volant de la belle Verte, Sebastian Vettel espère signer quelques podiums, même s'il paraît évident que ses glorieuses années sont désormais loin derrière lui. Quant à Lance Stroll, assez transparent en 2021, il bénéficie toujours de la mansuétude paternelle. Jusqu'à quand ?
Après plusieurs saisons cauchemardesques, Williams a enfin émergé en 2021, laissant derrière elle Alfa Romeo et Haas, mais, comme pour tout le monde, 2022 représente un nouveau départ. Jost Capito et le directeur technique François-Xavier Demaison continuent leur œuvre de reconstruction de la « vieille maison » de Grove, en renouvelant notamment les méthodes de travail. Ils laissent aussi l'avenir en suspens. Car si Mercedes fournit encore le moteur et la transmission, Williams a étonné en remplaçant George Russell par Alexander Albon, un pilote estampillé Red Bull. Certains y voient les prémices d'un futur partenariat avec Volkswagen, dans le sillage du géant autrichien... Quoiqu'il en soit, Albon s'attelle à une tâche très lourde puisqu'il devient le leader de l'équipe alors que son premier passage en F1 fut décevant, au point que RBR l'a mis au placard fin 2020. Il devra d'abord prendre la mesure de Nicholas Latifi, dominé par Russell pendant deux ans, mais qui n'a peut-être pas encore atteint ses limites. A noter que les deux pilotes ont déjà fait équipe en F2, chez DAMS, en 2018, à l'avantage d'Albon. La FW44, toute de bleu vêtue, se singularise par des pontons minuscules encadrant de grosses entrées d'air, un museau très bas et un aileron avant très chargé dans sa portion centrale. Les essais hivernaux se sont plutôt bien déroulés et l'objectif fixé par Capito est de rejoindre le cœur du peloton.
Une voiture mal née et vite abandonnée, un rachat avorté par Michael Andretti, une neuvième place au classement des constructeurs: Alfa Romeo-Sauber a sans regret tiré un trait sur 2021. L'écurie italo-suisse repart de zéro en 2022 avec un tout nouveau duo de pilotes. Après cinq années à la fois riches et frustrantes chez Mercedes dans l'ombre de Lewis Hamilton, Valtteri Bottas entame le dernier chapitre de sa carrière chez Alfa Romeo, sous la houlette de son ami et mentor Frédéric Vasseur. Le Finlandais, âgé de 33 ans, doit faire son deuil des victoires et apprendre à endosser le rôle de leader. Son équipier sera Guanyu Zhou, premier pilote chinois à piloter en F1, troisième du championnat de Formule 2 en 2021. Ce jeune garçon de 23 ans, qui n'a jusqu'ici pas fait montre de dons exceptionnels, devra prouver qu'il ne doit pas son baquet à sa nationalité. Robert Kubica demeure réserviste. L'Alfa Romeo-Ferrari C42, dessinée par Jan Monchaux et Eric Gandelin, dispose d'un nez très abaissé, de suspensions avant et arrière à poussoir, et de pontons hauts surmontés d'ouïes de refroidissement. Malheureusement, Bottas, Zhou et Kubica rencontrent à son volant de nombreux problèmes de fiabilité lors des essais hivernaux.
Haas pourra difficilement faire pire qu'en 2021, année achevée par un zéro pointé. L'écurie nord-carolinienne, frappée par le départ d'une partie de son personnel, s'inféode de plus en plus à Ferrari, au point que son staff technique, dirigé par Simone Resta, s'installe à Maranello. Toutefois, la VF-22, avec son nez bas et ses flancs en goutte d'eau, paraît une bonne monoplace et réalise des chronos satisfaisants lors des essais de pré-saison. Le jeune Mick Schumacher pourrait enfin exprimer son talent à son volant. Mais Haas défraie la chronique trois semaines avant le coup d'envoi du championnat, lorsque la Russie lance une invasion militaire contre l'Ukraine. En effet, son partenariat avec son principal sponsor, le géant minier Uralkali, devient intenable en raison de sanctions économiques occidentales frappant la Russie. Du reste, Américains et Européens s'ingénient pour mettre ce pays au ban des nations, et plusieurs fédérations sportives nationales décident d'exclure les sportifs russes de leurs territoires. Nikita Mazepin, fils du propriétaire d'Uralkali, ne pourra donc pas conduire sur les circuits européens, sans compter que la FIA lui impose une sorte d'engagement solennel qui est une sorte de reniement de son pays. Au final, Haas annonce le 5 mars sa rupture avec Uralkali et la famille Mazepin. L'écurie américaine aborde donc la saison désargentée, sans sponsor-titre. Pour l'heure, Guenther Steiner pallie au plus pressé et attribue le second baquet au revenant Kevin Magnussen qui réapparaît ainsi inopinément en F1, après une saison d'Endurance.
Sources:
- Auto Hebdo n°2351 S, Formule 1, le guide 2022
- f1i.autojournal.fr
Tony