La controverse autour de la légalité du groupe propulseur Ferrari a marqué la saison 2019, conduisant la fédération internationale à multiplier les enquêtes qui toutes ont absout la Scuderia. Néanmoins, de nombreux spécialistes estiment que celle-ci a bel et bien contourné le règlement en faisant brûler de l'huile avec de l'essence pour accroître la puissance de son moteur, tout en faussant les données du débitmètre: lorsqu'à l'automne le pouvoir sportif a commencé à édicter des directives précises sur ce sujet, les performances de la Ferrari ont comme par hasard brutalement chuté. Cependant, lors de leurs différents examens, les commissaires techniques n'ont jamais décelé le moindre élément litigieux. Aussi, face aux protestations de Mercedes, de Renault et de Honda, la fédération a diligenté une nouvelle investigation durant l'hiver.

 

Le 29 février 2020, la FIA publie un communiqué surréaliste: elle annonce avoir clos son enquête autour du moteur flanqué du cheval cabré, mais qu'en raison d'un accord signé avec Ferrari, ses conclusions ne seront pas dévoilées ! « La FIA et la Scuderia Ferrari ont pris un certain nombre d'engagements techniques qui amélioreront la surveillance de tous les moteurs de Formule 1 pour les prochaines saisons de championnat et aideront la FIA dans ses autres tâches réglementaires, ainsi que dans ses activités de recherche sur les émissions de carbone et les carburants durables », énonce ledit communiqué.

 

Comme cela était prévisible, cette dérobade suscite un tollé parmi les écuries qui n'utilisent pas le moteur italien. Emmenées par Toto Wolff, Mercedes, Red Bull, Renault, Racing Point, AlphaTauri, McLaren et Williams protestent et somment la fédération de publier les résultats de ses recherches, tout en se réservant la possibilité de porter le dossier devant la justice: « La responsabilité d'un régulateur sportif international est d'avoir les standards les plus élevés de gouvernance, d'intégrité et de transparence. Nous nous opposons fermement à l'accord confidentiel conclu entre la FIA et Ferrari pour mettre fin à cette affaire. Nous faisons publiquement part de notre volonté que le contenu soit révélé, afin de garantir que notre championnat traite tous les participants avec équité et égalité. Nous le faisons au nom des supporters, des participants et des actionnaires de la Formule 1. De plus, nous nous réservons le droit de mener des poursuites, dans le cadre des procédures de la FIA et devant les tribunaux compétents. »

 

Il est évidemment bien délicat de sonder le fond de l'affaire, mais dans un second communiqué, la FIA reconnaît que, devant l'impossibilité de prouver la tricherie, elle a donné quitus à Ferrari en échange de certaines garanties. Elle précise ainsi que l'accord sera considéré comme un « outil juridique » et que sa confidentialité est autorisée par plusieurs articles du règlement juridique et disciplinaire de la fédération. En d'autres termes, et comme cela était sous-entendu dans le premier communiqué, la Scuderia s'engage à collaborer sans réserve avec les autorités en cas de nouvelle investigation. On s'en doute, cela ne satisfait absolument pas les « Sept » qui accusent implicitement la FIA d'être incapable de faire respecter son propre règlement, et donc de décrédibiliser la discipline. Toto Wolff menace une fois de plus de faire appel à la justice civile.

 

Le dirigeant de Mercedes reçoit le soutien inattendu de... Bernie Ecclestone. L'ex-dictateur de la Formule 1 affirme que Ferrari a bel et bien triché en 2019 et encourage les Sept à porter l'affaire devant la justice. « Des millions de dollars pourraient potentiellement leur revenir », affirme Ecclestone au journal allemand Bild. « Si Ferrari était innocente, pourquoi cet accord avec Jean Todt n'a-t-il pas été rendu public ? Pour moi, cela ressemble bien à une confession. Jadis, il y a souvent eu des incendies que j'ai dû éteindre moi-même. Mais, à mon époque, il y avait toujours un moyen de trouver un consensus entre les équipes, la FIA et moi. Maintenant, c'est trop tard. »

 

En pointant du doigt Jean Todt, Ecclestone ne fait qu'amplifier la rumeur qui bruisse parmi les observateurs de la Formule 1: pourquoi tant de mansuétude de la part du président de la FIA qui fut – faut-il le rappeler ? - l'un des principaux dirigeants de Ferrari entre 1993 et 2007 ? Le sigle parodique F.I.A = Ferrari International Assistance refleurit sur bien des pages web. D'autre part, Chase Carey, l'actuel promoteur de la F1, se met soigneusement à l'abri en affirmant que si Todt l'a bien tenu au courant de ses négociations avec les dirigeants de Ferrari, lui-même n'y a pris aucune part. Excédé, le président de la fédération répond à ses détracteurs le 9 mars dans une lettre virulente. Il y dénonce les « accusations injurieuses et diffamatoires » dont il fait l'objet et affirme avoir encouragé les patrons d'écuries à déposer une réclamation auprès du pouvoir sportif, afin que celui-ci puisse donner suite à leurs requêtes. Dans le même temps, certains sites internet se font l'écho d'un nouveau bruit, émanant probablement des milieux ferraristes: Toto Wolff mènerait cette fronde afin de faire oublier la polémique grandissante autour du « DAS », le nouveau dispositif litigieux dont sont dotées cette année les Mercedes, mais aussi parce qu'il envisage de succéder à Todt à la tête de la FIA en 2021 !

 

Pour le moment, les Sept prévoient de se réunir à Melbourne afin de demander à la FIA et à Ferrari de communiquer les termes de leur accord secret. Mais la fédération a déjà une réponse toute prête: pour accéder à ce souhait, elle aurait besoin de la permission de Ferrari ! Or ni le président Louis Camilleri, ni le team manager Mattia Binotto n'ont évidemment envie de capituler devant leurs rivaux... On en est là lorsque la Formule 1 pose ses valises à Melbourne, le 10 mars, en pleine psychose autour de la pandémie mondiale de coronavirus.

Tony