Règlement technique: moins d'appuis et plus de poids

Le 31 octobre 2019, les journalistes envahissent la salle de presse du Circuit des Amériques, à Austin, pour suivre une visioconférence au cours de laquelle Jean Todt, président de la FIA, Chase Carey, président du Formula One Group, Ross Brawn, directeur technique et sportif de la Formule 1, et Nikolas Tombazis, responsable technique fédéral pour les monoplaces, présentent (enfin !) le règlement technique, sportif et financier de la Formule 1 qui entrera en vigueur à compter de la saison 2021. Ce catalogue est le fruit d'intenses négociations menées pendant deux ans, et a nécessité un compromis avec les grands constructeurs qui refusaient un chamboulement général, comme le souhaitaient à l'origine les propriétaires de la F1, c'est-à-dire les dirigeants de Liberty Media. Toutes ces décisions ont été entérinées fin octobre à l'occasion d'une réunion à Paris du Conseil Mondial de la FIA.

 

L'objectif premier des décideurs est bien évidemment d'améliorer le spectacle en piste et donc d'accroître les possibilités de dépassement. Pour ce faire, l'aérodynamisme des monoplaces sera nettement simplifié. Celles-ci posséderont ainsi un aileron avant moins complexe afin de créer un vortex plus faible et de mieux contrôler le flux d'air. Les déflecteurs latéraux seront bannis, de même que les appendices dans les zones sensibles à l'aérodynamique. Surtout, l'effet de sol refera son apparition officielle au moyen d'un long diffuseur placé sous la voiture. Cette nouvelle configuration engendrera une perte d'appui d'environ 10 % par rapport à 2019-2020, ce qui permettra aux pilotes de se suivre plus facilement, mais ralentira aussi les bolides d'environ trois secondes au tour. Les Formules 1 adopteront par ailleurs une allure plus « agressive », plus « futuriste », avec des pontons galbés libérés de tout appendice disgracieux, des jantes carénées, un nez, des ailerons et un capot-moteur redessinés. D'autre part, le poids des voitures augmentera de 763 à 768 kilogrammes à cause des roues de 18 pouces plus volumineuses et de l'alourdissement du groupe propulseur.

 

Liberty Media et la FIA n'ont pas pu imposer aux constructeurs une révolution de la motorisation. Mercedes, Renault, Ferrari et Honda se sont alliées pour préserver un quasi statu quo. Le MGU-H, longtemps menacé, sera ainsi bel et bien conservé. Seules quelques mesures cosmétiques entreront en application dans le souci de réduire les dépenses: restriction des matériaux, pompe à essence standardisée, poids plus élevé de 5 kg etc. D'autre part, les motoristes devront dorénavant fournir la même spécification à leur équipe d'usine et à leurs clientes. Dans une perspective écologique, la FIA porte de 5,75 à 20% la teneur obligatoire des composés d'origine renouvelable dans le carburant, pourcentage qui devra encore augmenter après 2022. La fédération compte aussi uniformiser tout à ce qui à trait aux ravitaillements et à la circulation de l'essence: collecteurs, pompes à haute pression, pompes d'amorçage, tuyaux etc.

 

La Formule 1 compte aussi faire des économies en gelant le développement des boîtes de vitesses. Celles-ci seront homologuées pour cinq ans et aucune modification d'envergure ne pourra être apportée durant ce laps de temps. Toutefois, afin de rebattre les cartes avant cette apathie forcée, les dimensions seront redéfinies et la géométrie de la transmission sera simplifiée pour la saison 2021. À compter de cette date, les roues des monoplaces seront également plus larges (18 pouces contre 15 aujourd'hui) et dispensées par un fournisseur unique. Les suspensions seront limitées à leur version mécanique: tout dispositif hydraulique sera interdit. Les systèmes internes (ressorts et amortisseurs) seront simplifiés et les « inerters » bannis. La cinématique se verra réduite. En ce qui concerne les freins, les disques seront agrandis (278mm à 330mm) mais leur géométrie sera simplifiée. Par ailleurs, sous la pression des constructeurs, la FIA reporte à 2023 l'introduction de freins standards.

 

De nouvelles normes vont être imposées aux châssis, principalement afin d'accroître la sécurité: élargissement des cockpits, ajout de protections latérales, structure à l'avant du fond plat pour parer aux soubresauts contre les trottoirs, allongement du nez pour mieux absorber les chocs à l'avant, amélioration de l'appui-tête, renforcement des câbles de rétention des roues etc. Tout ceci alourdira l'ensemble. En outre, un statu quo général est décrété sur les matériaux composites, et chaque matériau utilisé devra faire l'objet d'une commercialisation. Toujours afin de faire des économies, l'utilisation du banc moteur, de la soufflerie et de la simulation par ordinateur (CFD) sera restreinte.

 

La fédération établit aussi une nouvelle nomenclature pour distinguer les pièces conçues en interne de celles pouvant être fournies par une autre structure, équipe ou sous-traitant. Cinq catégories sont définies:

- Les composants produits par chaque équipe et qui bénéficient donc de la propriété intellectuelle ;

- Les composants « standards », fournis par un producteur unique établi après un appel d'offre ;

- Les composants imposés (sous-entendu par la FIA), mais à fourniture libre ;

- Les composants transférables d'une écurie à une autre ;

- Les composants « open source » dont la conception est ouverte sans restriction à tous les concurrents ;

 

Sur le plan sportif, les saisons de Formule 1 pourront dorénavant compter jusqu'à 25 Grands Prix, selon le souhait exprimé par Liberty Media. Dans cette perspective, et afin de ne pas surcharger les écuries de travail, les week-ends de Grands Prix seront réduits à trois jours, les activités médiatiques et promotionnelles du jeudi étant déplacées au vendredi matin.

 

Concept de la F1 2021

 

Le plafond financier

Pour la première fois, la fédération imposera à compter de 2021 des limitations de dépenses afin de « promouvoir un équilibre compétitif et un fair-play sportif dans le championnat et assurer la stabilité et la viabilité financière des équipes à long terme. » « Désormais, la problématique pour les écuries sera de bien dépenser leur argent et non plus de savoir combien elles vont avoir à dépenser », proclame Chase Carey. Sera ainsi établi un budget plafonné de 175 millions de dollars pour une saison de vingt-et-une courses, avec un million de dollars par course supplémentaire. Cette limite s'appliquera à tout ce qui couvre les performances sur le circuit, à l'exclusion des salaires des pilotes et des trois « meilleurs employés » de chaque écurie, des dépenses marketing, des frais d'engagement et des bonus versés en fin d'année.

 

Le pouvoir sportif désire ainsi réduire l'écart entre les grandes équipes bénéficiant de moyens quasi illimités (Ferrari, Mercedes et Red Bull) et les autres, plus modestes. Une Administration du Plafond Budgétaire (APB) sera chargée de veiller à ce qu'aucune écurie ne crève le plafond par des voies détournées, et ce avec l'aide d'une firme d'audit indépendante. Bien sûr, rien n'empêche les écuries les plus fortunées de dépenser des sommes astronomiques en 2020 pour mieux préparer l'étape de 2021 et au-delà...

 

Cette réglementation financière est intégrée au règlement de la FIA: les contrevenants seront donc soumis à des pénalités sportives qui restent à définir: retrait de points, suspension sur plusieurs Grands Prix, voire exclusion du championnat du monde. « Auparavant, nous avions la restriction de ressources, qui était un gentlemen's agreement entre les écuries – mais il n'y a pas beaucoup de gentlemen dans le paddock et ce fut un échec », ironise Ross Brawn.

 

Les réactions des intéressés

Les différentes mesures techniques sont en général bien accueillies par les constructeurs: les « top teams » ont réussi à éviter de gros bouleversements, notamment en ce qui concerne la motorisation, et les autres équipes y voient l'opportunité de combler l'écart avec les meilleures. D'autre part, cette législation est à la fois assez claire dans ses grands principes pour permettre aux constructeurs de placer une première ébauche en soufflerie et de répartir leurs ressources en vue de la conception du modèle de 2021, et suffisamment élastique pour autoriser certains ajustement ultérieurs.

 

En revanche, le « budget plafonné » est jugé trop haut par les petites écuries qui estiment que les « trois grands», qui bénéficient de moyens quasi-illimités, jouiront toujours d'un très net avantage. « Pour moi, ce plafond tel qu'on nous l'a présenté ne peut être qu'une première étape car, pour l'heure, il ne règle pas le problème de la durabilité des teams les moins fortunés », déclare ainsi Frédéric Vasseur pour Alfa Romeo. « Je sais que tout est affaire de compromis et que, pour les grosses structures, réduire les effectifs de 300 personnes est un défi important mais, quitte à couper, 400 aurait été préférable », renchérit Otmar Szafnauer, le team manager de Racing Point. En fait, les équipes attendent Jean Todt et Chase Carey au tournant en 2020, lorsqu'il s'agira de renégocier la redistribution des droits TV. Les dirigeants ont promis une répartition plus équitable, mais les écuries « historiques », c'est-à-dire privilégiées, Mercedes, Red Bull, Renault, Williams et surtout Ferrari, ne l'entendent pas forcément de cette oreille.

 

Les pilotes portent des appréciations mitigées sur les nouvelles normes et s'inquiètent notamment de l'alourdissement des monoplaces. « Nous verrons à quel point ces voitures seront plus lentes que les voitures actuelles et à quel point les ingénieurs pourront les développer », explique Sebastian Vettel, directeur du GPDA. « L'augmentation du poids ne va pas dans la bonne direction. C''est l'opinion générale qui se dégage parmi les pilotes et que je partage. Les F1 sont aujourd'hui déjà très lourdes, et vont l'être plus encore. » Ross Brawn précise que ce surpoids n'est pas l'objectif mais la conséquence des changements introduits: « La masse des voitures n'est pas un aspect très attractif, mais elle résulte entre autres du poids des systèmes hybrides du groupe propulseur et de l'introduction d'éléments de sécurité. Nous avons cherché des moyens de réduire la masse des voitures et nous n'en avons trouvé aucun qui convienne réellement. Il y a pourtant des réductions de poids au niveau de la carrosserie, car les formes seront plus simples dans leur structure et leur construction. »

 

Ferrari: oui, mais...

Mais la réaction la plus attendue est celle de Ferrari qui conservera son droit de veto sur les mesures édictées par les autorités, et ce en dépit de l'opposition des autres équipes. La Scuderia observe une prudente réserve dans les jours qui suivent la présentation de la nouvelle réglementation, et ce n'est que le 4 novembre 2019 que son président Louis Camilleri s'exprime à ce sujet. Celui-ci fait part d'une relative insatisfaction: « Ce qui a été annoncé n'était que le début du processus. Ce n'est pas même la fin du commencement, donc il y a encore beaucoup de travail à faire avec la FIA, la F1 et les équipes. Nous avons voté en faveur de ce projet, c'est vrai, mais beaucoup de détails doivent encore être mis à plat. Les budgets plafonnés ne concernent que quelques éléments de la voiture. Nous voudrions qu'ils s'appliquent aussi aux groupes propulseurs. » Ferrari bénéficiant à l'heure actuelle du meilleur moteur du peloton, on comprend aisément les motifs qui sous-tendent cette revendication...

 

Camilleri laisse donc entendre que sa firme n'a pas paraphé ce nouveau règlement de gaîté de cœur. D'autre part, Ferrari prépare les négociations à venir autour du renouvellement des Accords Concorde, et se battra bec et ongles pour conserver les privilèges qui lui a jadis accordés Bernie Ecclestone. D'âpres passes d'armes sont à prévoir...

 

Source: Auto Hebdo, 6 novembre 2019.

Tony