Le petit monde de la Formule 1 retrouve cette année Suzuka non sans un pincement au cœur. Un an auparavant, lors de ce même Grand Prix du Japon, Jules Bianchi était victime d'un terrifiant accident qui allait lui coûter la vie quelques mois plus tard. Les pilotes ont une pensée émue pour leur camarade disparu, mais aucun ne tremble au moment d'abaisser la visière. Avec ses dénivelés, ses courbes rapides, son terrifiant virage du 130R, Suzuka demeure un juge de paix, à l'égal de Spa-Francorchamps, et les pilotes l'aiment pour cela.
Plusieurs bruits font état de la volonté de Jenson Button de mettre un terme à sa carrière à l'issue de cette saison. Le champion anglais n'a effectivement plus grand-chose à espérer au volant de la McLaren-Honda. Il pourrait être remplacé par Stoffel Vandoorne qui domine l'actuel championnat de GP2. Toutefois Ron Dennis assure que Button restera à Woking en 2016. Force India confirme pour sa part que Sergio Pérez sera présent en 2016 aux côtés de Nico Hülkenberg.
Red Bull n'a toujours pas choisi son motoriste pour la saison 2016. Depuis quelques semaines, Dieter Mateschitz et Christian Horner étaient en pourparlers avec Martin Winterkorn, le président du directoire du groupe Volkswagen. Celui-ci semblait assez favorable à un engagement en Formule 1 via Audi d'ici 2018. Mais le terrible scandale qui frappe VW, accusée d'avoir truqué ses véhicules de série pour franchir des contrôles d'homologation écologiques, paraît balayer ces espoirs en même temps que Winterkorn, contraint à la démission. Dans l'immédiat Red Bull a besoin d'un accord avec Ferrari qui tarde à se conclure. Pour faire avancer les choses, elle adopte la vieille rhétorique du « retenez-moi, ou je fais un malheur », et parle ni plus ni moins que de dissoudre Red Bull Racing et la Scuderia Toro Rosso au soir de championnat ! « Nous attendons qu'un papier nous garantissant que nous aurons un moteur performant en 2016 soit signé, autrement la Formule 1 perdra quatre voitures ! » prévient Helmut Marko. Personne ne le croit.
Le départ de Romain Grosjean vers Haas n'a pas été annoncé officiellement mais l'équipe américaine a prévu de faire une annonce le mardi 29 septembre. Le nom de son remplaçant dépend de l'avenir de l'équipe Lotus, et donc de Renault. La marque au Losange pourrait recruter un pilote français comme Jean-Éric Vergne ou Pierre Gasly. Mais l'actuel troisième pilote Jolyon Palmer, plutôt bien pourvu du côté du portefeuille, est aussi prêt à saisir sa chance. Reste cependant à concrétiser ce rachat tant attendu de l'écurie d'Enstone. Son directeur adjoint Federico Gastaldi annonce un proche dénouement. Renault aurait obtenu de Bernie Ecclestone l'assurance de recevoir le statut de «constructeur historique » et les avantages financiers qui vont avec. Il serait temps car Lotus est convoquée devant la Haute Cour de justice de Londres le 28 septembre, dernière échéance pour le règlement de ses dettes.
Essais et qualifications
A Suzuka, la grande question est de savoir si les Mercedes seront en méforme comme à Singapour ou si au contraire elles vont reprendre leur domination. Ce tracé rapide a en tout cas tout pour leur convenir, comme nous l'avions déjà vu l'année précédente.
Les séances du vendredi sont perturbées par la pluie et permettent à des jeunes loups comme Sainz ou Kvyat de se mettre en évidence. Les Mercedes reprennent comme on l'attendait l'avantage le samedi matin, sur piste sèche.
Et l'après-midi les Flèches d'Argent se retrouvent à nouveau en première ligne. Mais c'est Rosberg qui est en pole position, comme en 2014. Il précède Hamilton de 76 centièmes millièmes seulement. Les Williams-Mercedes de Bottas (troisième) et de Massa (cinquième) sont bien situées, tout comme les Ferrari de Vettel (quatrième) et de Räikkönen (sixième). Ricciardo place sa Red Bull-Renault au septième rang. Kvyat partira depuis les stands après avoir changé de châssis suite à un spectaculaire accident survenu en Q3. Dans le rapide virage à droite qui précède l'épingle, le jeune Russe a perdu le contrôle de sa voiture et s'est fracassé contre un mur de pneus avant de s'envoler, d'effectuer un tonneau et de retomber sur ses roues. Plus de peur que de mal fort heureusement.
Sorts divers pour les pilotes Lotus : Grosjean (8ème) a atteint la Q3 au contraire de Maldonado (12ème). Chez Force India, Pérez (9ème) n'est pas mal placé tandis que Hülkenberg (13ème) a dû reculer de trois rangs suite à son accrochage avec Massa à Singapour. Sainz qualifie sa Toro Rosso à la dixième place pendant que Verstappen a été éliminé en Q1 à cause d'une panne. Comme le jeune Hollandais a en plus garé sa voiture dans un endroit peu sûr, il écope lui aussi de trois places de pénalité et partira dix-septième. Les McLaren (Alonso 12ème, Button 14ème) et les Sauber (Ericsson 15ème, Nasr 16ème) font de la figuration. En fond de grille on trouve les Manor de Stevens et de Rossi. Le jeune Américain n'était pas qualifié à l'origine mais les commissaires sportifs lui ont octroyé une dérogation.
Le Grand Prix
La plupart des coureurs partent chaussés de pneus médiums. Ericsson, Button et Kvyat choisissent une gomme dure.
Départ : Départ : Rosberg prend un envol moyen qui permet à Hamilton de se porter à sa hauteur par l'intérieur. A l'entame du second virage, Hamilton prend une large trajectoire et pousse son équipier dans l'échappatoire. Vettel et Bottas en profitent pour doubler aussi le jeune Allemand. Peu après le feu vert, Massa a heurté Ricciardo à l'arrière. Au premier freinage, Pérez se frotte à Sainz et sort dans les graviers, mais il peut ramener sa Force India en piste, avec toutefois une crevaison.
1er tour : Hamilton mène devant Vettel, Bottas, Rosberg, Räikkönen, Grosjean, Maldonado (très bien parti), Hülkenberg, Alonso et Sainz. Pérez entre à son stand pour changer ses pneus. Ricciardo et Massa regagnent leurs garages, le premier avec une crevaison à l'arrière-gauche, le second avec un aileron avant branlant et une crevaison à l'avant-droit. Tous deux vont repartir après réparations, mais Massa concède un tour dans cette opération.
2e : Hamilton creuse l'écart et possède deux secondes et demie d'avance sur Vettel. Kvyat remonte dans le peloton et occupe le 15ème rang.
4e : Hamilton précède Vettel (2.5s.), Bottas (4.8s.), Rosberg (5.7s.), Räikkönen (7.4s.), Grosjean (9.4s.), Maldonado (10.4s.), Hülkenberg (11.2s.), Alonso (11.2s.), Sainz (14.5s.), Ericsson (15s.) et Nasr (15.9s.).
5e : Hamilton roule environ une demi-seconde par tour plus vite que Vettel. Bottas ne peut pas suivre la Ferrari. Sainz double Alonso au premier freinage. Le moteur Honda manque cruellement de puissance en ligne droite.
6e : Ericsson efface à son tour Alonso.
8e : Hamilton est en tête devant Vettel (4.4s.), Bottas (8.6s.), Rosberg (10.7s.), Räikkönen (11.5s.), Grosjean (15s.), Maldonado (16.7s.), Hülkenberg (17.9s.), Sainz (21.8s.) et Ericsson (26s.).
9e : Kvyat était coincé derrière Button. Il s'arrête chez Red Bull pour mettre des pneus durs.
10e : Hamilton précède Vettel de six secondes. Alonso change ses pneus.
11e : Hülkenberg, Nasr et Button passent par les stands. Ericsson part en tête-à-queue dans Spoon mais évite les graviers et peut remettre les gaz.
12e : Bottas chausse les pneus durs (3.2s.) tandis que Grosjean remet des médiums (2.8s.). Le Français repart derrière Hülkenberg qui a donc acquis une position.
13e : Sept secondes et demie entre Hamilton et Vettel. Hülkenberg double Ericsson pendant que Maldonado passe par les stands. Le Vénézuélien repart derrière Hülkenberg qui a doublé les deux Lotus durant cette salve d'arrêts.
14e : Changement de pneus pour Vettel (2.2s.). Le jeune Allemand chausse les pneus durs et repart en quatrième position. Maldonado dépasse Ericsson dont les Pirelli sont très usés. Le Suédois les fait changer en fin de boucle.
15e : Rosberg se retrouve second. Räikkönen arrive chez Ferrari pour mettre des pneus durs (3.3s.). Sainz fait aussi une halte par les stands. Kvyat et Verstappen butent sur Alonso, accroché à la onzième place.
16e : Rosberg s'arrête chez Mercedes pour mettre des gommes dures (2.6s.). Il retrouve le circuit en quatrième position, juste derrière Bottas.
17e : Hamilton a vingt-neuf secondes de marge sur Vettel. Il peut tranquillement passer par son stand pour mettre des pneus médiums (2.4s.), sans perdre le commandement.
18e : Rosberg plonge à l'intérieur de la chicane et surprend ainsi Bottas. Le voici troisième. Pérez était revenu au onzième rang mais passe par son stand pour mettre un train de pneus neufs.
19e : Alonso résiste farouchement à Kvyat mais il compare à la radio son bloc Honda à un « moteur de GP2 » ! L'état-major de la firme nippone, présent dans le stand McLaren, appréciera...
20e : Hamilton est en tête devant Vettel (9.5s.), Rosberg (11.9s.), Bottas (15.7s.), Räikkönen (17.7s.), Hülkenberg (25s.), Grosjean (28.8s.), Maldonado (31.8s.), Sainz (35s.) et Alonso (49s.).
21e : Kvyat se plaint d'un problème de freins. Il repasse par son stand pour mettre un nouveau jeu de pneumatiques. Stevens doit observer une pénalité pour excès de vitesse dans la voie des stands.
23e : Hamilton a onze secondes d'avance sur Vettel. Rosberg est à moins de deux secondes de la Ferrari. Plus loin, Räikkönen se rapproche de Bottas.
26e : Hamilton est leader devant Vettel (13.8s.), Rosberg (15.8s.), Bottas (24.7s.), Räikkönen (25.3s.), Hülkenberg (37.8s.), Grosjean (42.4s.), Maldonado (44.9s.) et Sainz (45.8s.). Verstappen prend la dixième place à Alonso par l'extérieur au virage n°1.
28e : Sainz emprunte l'allée des stands mais percute un cône de signalisation et abîme son aileron avant. Ses mécaniciens doivent changer la pièce tout en lui remettant des pneus neufs. L'Espagnol redémarre en douzième position, entre Pérez et Kvyat.
29e : Räikkönen effectue son second arrêt et met des Pirelli durs (2.2s.). Deuxième changement de gommes pour Alonso.
30e : Rosberg et Bottas arrivent aux stands pour mettre des pneus durs. Tout se passe bien pour l'Allemand (2.8s.) mais le Finlandais (3.8s.) a la mauvaise surprise de repartir derrière Räikkönen. Maldonado s'intercale entre les deux Nordiques.
31e : Bottas se défait de Maldonado. Vettel entre aux stands en bloquant ses roues. Il chausse des pneus durs (2.4s.) et repart derrière Rosberg. Voici les deux Mercedes en route vers un nouveau doublé. Arrêt de Verstappen.
32e : Deuxième arrêt de Hamilton (2.8s.) qui reprend la route en pneus durs. Bottas déborde Grosjean tandis que Hülkenberg passe par les stands et parvient à repartir en huitième position, devant son équipier Pérez.
33e : Hamilton réalise le meilleur tour de la course : 1'36''145'''. Il est premier devant Rosberg (9.1s.), Vettel (10.7s.), Räikkönen (23.7s.), Bottas (26.4s.) et Maldonado (30.8s.). Hülkenberg double Grosjean qui court-circuite ensuite la chicane.
34e : Grosjean effectue un second changement de pneus tandis que Sainz menace Pérez pour le gain de la neuvième place.
35e : Dix secondes séparent les deux pilotes Mercedes. Nouvel arrêt pour Kvyat.
37e : Hamilton précède Rosberg (9.9s.), Vettel (12s.), Räikkönen (26.2s.) et Bottas (30.6s.). Maldonado et Pérez s'arrêtent pour prendre leurs ultimes trains de pneus. Le Vénézuélien repart en huitième position tandis que le Mexicain chute au 14ème rang.
38e : Vettel se rapproche de Rosberg. Ericsson, Pérez, Button et Kvyat sont en bagarre pour la douzième place, tout en concédant un tour aux leaders.
40e : Hamilton domine devant Rosberg (12.), Vettel (13s.), Räikkönen (26.2s.), Bottas (30.5s.), Hülkenberg (52.3s.), Grosjean (1m. 04s.), Maldonado (1m. 10s.), Sainz (1m. 18s.) et Verstappen (1m. 20s.). Alonso est onzième avec une boucle de retard.
42e : Rosberg reprend de l'avance sur Vettel. Deux secondes séparent maintenant les Allemands.
44e : Équipier modèle, Sainz laisse passer Verstappen, plus rapide que lui. Pérez attaque Ericsson par l'extérieur du virage n°1 mais le Suédois se défend avec ardeur. Stevens part en tête-à-queue en sortant du 130R et se retrouve en travers de la piste dans un nuage de fumée. Son équipier Rossi qui le suivait parvient à l'éviter. Le jeune Anglais redémarre ensuite.
45e : Hamilton possède quinze secondes d'avance sur Rosberg, dix-sept secondes sur Vettel.
47e : Ericsson, Pérez, Kvyat et Ricciardo sont regroupés et luttent pour la douzième place. Button est décroché.
49e : Pérez parvient enfin à trouver l'ouverture sur Ericsson qui a trop demandé à ses pneus.
50e : A l'abord de la chicane, Ericsson doit laisser passer Räikkönen. Lorsqu'il ouvre la porte, Kvyat se glisse dans le sillage de la Ferrari et surprend ainsi le jeune Suédois.
51e : Nasr se plaint du comportement vicieux de sa Sauber et préfère regagner son garage pour abandonner.
52e : En vue de l'arrivée, Hamilton précède Rosberg (17.2s.), Vettel (19.1s.), Räikkönen (33s.), Bottas (35.9s.), Hülkenberg (54.2s.), Grosjean (1m. 08s.), Maldonado (1m. 10s.), Verstappen (1m. 31s.) et Sainz (-1t.).
53ème et dernier tour : Lewis Hamilton remporte sa huitième victoire de la saison devant son coéquipier Rosberg. Vettel a bien tenu le rythme des Mercedes mais se contente de la troisième place. Il précède les Finlandais Räikkönen et Bottas. Hülkenberg récolte une belle sixième position devant les Lotus de Grosjean et de Maldonado, et les Toro Rosso de Verstappen et de Sainz. Viennent ensuite Alonso, Pérez, Kvyat, Ericsson, Ricciardo, Button, Massa, Rossi et Stevens.
A noter que pour la première fois depuis un an et demi, aucune Red Bull-Renault ne marque des points.
Après la course
Hamilton remporte sa quarante-et-unième victoire en Formule 1 et égale ainsi Ayrton Senna, son idole, l'homme qui lui a instillé le virus de la course automobile. C'est aussi le quarantième succès d'une Flèche d'Argent en Formule 1.
La façon dont Hamilton s'est imposé avec autorité au premier freinage fait des gorges chaudes. Devant les micros, Nico Rosberg ne laisse paraître aucune rancœur envers son coéquipier. Il semble accepter avec fatalité d'être battu et dominé par un Hamilton au sommet de son art. Son heure semble passée. Selon Alain Prost, le pilote allemand a subi un terrible coup au moral l'an dernier lorsqu'il a été réprimandé par Toto Wolff après la collision avec Hamilton à Spa. « Pour moi, il y a un Rosberg avant Spa-Francorchamps l'année dernière, et un après. Il ne s'en est jamais remis. C'est devenu pratiquement un numéro 2 de fait. [...] A Suzuka, Hamilton a été clairement agressif, c'est un peu limite, mais c'est aussi la course. Rosberg ne l'est plus jamais contre Hamilton. [...] On dirait qu'il est trop tendre, qu'il est trop faible. Est ce qu'il le fait presque volontairement ? On pourrait se poser la question, mais il n'est pas en position d'être aussi agressif que Lewis et de le mettre en état de difficulté, » déclare le quadruple champion du monde. Quoiqu'il en soit, si Rosberg ne relève pas le gant jeté par son collègue, la fin de la saison s'annonce lénifiante.
Hamilton s'ouvre en effet une voie royale vers un troisième titre mondial. Il possède 48 points s'avance sur Rosberg. Vettel affiche 59 unités de retard. Au classement des constructeurs Mercedes (506 pts) devance nettement Ferrari (337 pts) et se prépare à recevoir sa deuxième couronne consécutive.
Tony