Au cours de cet hiver 2000, alors que la nouvelle AP03 élaborée par Alan Jenkins accumule les défaillances techniques lors des essais d'avant-saison, il est évident que le mariage Prost-Peugeot prendra fin à l'issue de cette saison qui s'annonce cauchemardesque. Pouvait-il en être autrement ? Cette union contre-nature fut scellée sous la contrainte, in extremis, en février 1997. Jacques Calvet, alors grand patron de PSA, souhaitait que Peugeot quittât la F1 pour revenir à ses vieilles amours, le rallye. La pression conjuguée du président de la république Jacques Chirac et du ministre des Sports Guy Drut en faveur de leur ami Alain Prost firent plier le vieil énarque. Mais, à l'ultime minute, Calvet avait réduit le deal prévu pour cinq saisons (1998-2002) à un simple triennat (1998-2000), bien insuffisant pour permettre de hisser la paire franco-française au sommet de la F1. N'oublions pas que Prost GP, créée dans l'urgence durant l'hiver 96-97 sur les décombres de Ligier, repartait de zéro, ou presque. Alain Prost eut la tentation de rejeter l'offre de Calvet. Il n'a pas osé et a paraphé le contrat de trois ans. Il s'en mord encore les doigts.


Au cours de ces deux dernières années, le malaise n'a cessé de croître entre Guyancourt et Vélizy, entre l'écurie française et Peugeot Sport. Les mauvais résultats ont certes entretenu ce marasme. Mais Alain Prost a compris très tôt que Jean-Martin Folz, successeur de Calvet à la tête de PSA, et Frédéric Saint-Geours, directeur général de Peugeot, n'avaient que faire de la Formule 1. Le Lion lorgne ostensiblement vers le rallye, et cette saison 2000 marque d'ailleurs son grand retour en WRC avec les 206 de Marcus Grönholm et François Delecour. Ainsi, à contre-courant des grands constructeurs mondiaux (Honda, Toyota, Ford, Renault), Peugeot s'apprête à déserter une Formule 1 qu'elle n'a jamais aimée. L'envie et les moyens ne manquaient pourtant pas à Vélizy, et jamais les hommes de Corrado Provera et Jean-Pierre Boudy n'ont fait preuve de mauvaise volonté. Mais les hautes instances les ont soutenus comme la corde soutient le pendu. Et l'arrivée des V10 de nouvelle génération, légers et compacts, mais dont la conception et la fabrication réclament de lourds investissements, a fini de convaincre les dirigeants de PSA que mieux valait se consacrer à une compétition beaucoup moins onéreuse et dans laquelle Peugeot dispose déjà d'une image de marque incomparable, le rallye.


Alain Prost a compris ce raisonnement depuis de longs mois et dissimule de moins en moins sa rancune à l'égard de Peugeot. Les performances catastrophiques de la nouvelle monoplace tendent encore un peu plus la situation. Prost a demandé à Alan Jenkins une AP03 entièrement conçue autour du nouveau V10 Peugeot A20. Mais ce dernier n'a été livré à Guyancourt qu'en janvier, un retard inacceptable selon Prost. Corrado Provera, patron de Peugeot Sport, réplique que la faute revient en fait à une livraison tardive de certaines pièces conçues par B3 Technologies, la société de John Barnard. Lorsqu'il apparaît en piste que la nouvelle monoplace est une catastrophe, la synergie vole en éclats. Le clan Prost rejette la responsabilité sur le clan Peugeot, et vice-versa. Prost et Jenkins sont les plus âpres dans la critique. Provera joue les temporisateurs. « Les problèmes de l'AP03 se répartissent entre les partenaires. Nous n'en sortions qu'en travaillant ensemble », soupire-t-il. Quant aux pilotes Jean Alesi et Nick Heidfeld, fraîchement recrutés, ils se demandent déjà ce qu'ils font dans cette galère...

 

Il ne fait alors plus aucun doute que Peugeot va « lâcher » Prost, mais le constructeur entretient à dessein le flou artistique quant à ses intentions afin de garder le beau rôle devant l'opinion publique. Durant tout l'hiver 1999-2000, Alain Prost sonde les intentions de Jean-Martin Folz qui lui laisse entendre que, peut-être, le partenariat sera prolongé jusqu'à fin 2002... mais peut-être pas. En vérité, au siège de PSA, avenue de la Grande-Armée, on guette un faux pas de Prost pour justifier le divorce. Et il ne faut sans doute pas chercher très loin l'origine des commentaires peu amènes à l'égard du patron des Bleus qui émergent dans la presse : colérique, cassant, dépourvu de tout sens de la diplomatie... Chez Prost, le jeune manager serait très en deçà de l'immense pilote. Et il est vrai qu'il prête le flanc à la critique. Le 1er février, à Montmeló, lors de la présentation officielle de l'AP03, peut-être perturbé par la remarquable absence de Frédéric Saint-Geours, il commet un gros impair en omettant de remercier parmi ses sponsors Gauloises, le partenaire historique de l'écurie française ! L'effet est catastrophique.

 

En cette fin d'hiver 2000, Alain Prost est dans la nasse. Il doit trouver un autre motoriste pour 2001 et prospecte déjà auprès de Renault, Honda et Ferrari. Mais il sait aussi qu'il ne peut pas prendre l'initiative d'une rupture unilatérale avec Peugeot: ce serait heurter ses partenaires, présents ou à venir, et ses « ennemis » de l'avenue de la Grande-Armée n'attendent que cela pour le décrédibiliser....

 

Sources :

- Renaud de Laborderie, Le Livre d'or de la Formule 1 2000, Paris, Solar, 2000.

- Renaud de Laborderie, Prost-Peugeot, une vraie poudrière, Sport Auto, avril 2000.

Tony