Dès le début de la saison 2000, Alain Prost a acquis la certitude que Peugeot l'abandonnerait à l'issue de leur contrat de partenariat, c'est-à-dire fin 2000. Il s'est donc très tôt mis en quête d'un nouveau fournisseur de moteurs, sachant qu'il ne pouvait faire appel qu'à un grand constructeur qui vendrait son produit fort cher. D'où la nécessité parallèle de rassembler un budget solide. Les premiers coups de sonde en direction de Mercedes ou de Mugen-Honda n'ayant rien donné, Prost s'est rapidement tourné vers Ferrari. Certes, le contentieux était lourd entre la firme italienne et le Professeur: ne l'avait-elle pas licencié avec fracas fin 1991, après des mois de tensions internes ? Mais l'eau a coulé sous les ponts, et désormais la Scuderia est dirigé par Jean Todt, un ami de Prost. Lequel lui confie début avril, à l'occasion du Grand Prix d'Italie, que Ferrari envisage sérieusement de fournir une deuxième écurie cliente, en plus de Sauber. Dès lors, le V10 Ferrari devient le choix n°1 d'Alain Prost, qui néglige la piste Supertec, sachant très bien que ni Renault ni Flavio Briatore ne sont disposés à lui faire un prix pour un moteur qui du reste sera sans doute du reste très dépassé en 2001.

 

Prost négocie directement avec Jean Todt et Luca di Montezemolo. Les deux parties acceptent le principe de fournir à un V10 Ferrari à Prost GP pour deux saisons (2001-2002) mais le prix est élevé: 20 millions de dollars annuels. Or l'équipe française ne dispose pas des fonds nécessaires car son principal commanditaire Gauloises Blondes n'a pas renouvelé son contrat. Fin juin, Alain Prost est aux abois, comme il le reconnaîtra quelques mois plus tard: « Je n'avais alors plus que deux alternatives: vendre en me retirant, et en sachant que les repreneurs disposeraient d'un Supertec à un tarif nettement moins élevé que le Ferrari, ou bien procéder à un dépôt de bilan pur et simple, avec tous les dégâts que l'on imagine. » Épuisé nerveusement par une saison calamiteuse et les trahisons quotidiennes de Peugeot (« Corrado Provera a essayé de nous piquer nos sponsors pour financer le programme Peugeot en rallye ! »), le quadruple champion du monde est sur le point de jeter l'éponge. Début août, il rencontre à Londres des investisseurs canadiens qui, tout compte fait, ne s'avèrent même pas capables de fournir une simple garantie bancaire...

 

Alain Prost retrouve toutefois l'espoir lorsqu'il conclut un partenariat avec l'agence de marketing allemande UFA Sports qui lui assure un volume financier d'environ 300 millions de francs à compter de 2001. L'expert Ian Wendt devient chasseur de sponsors pour le compte de l'écurie de Guyancourt. Le 25 juillet 2000, le jour même de l'annonce du retrait de Peugeot de la Formule 1, Prost et Wendt rencontrent à Paris Bruno Germain-Thomas, directeur de la division cigarettes du groupe Altadis (issu de la récente fusion de la Seita française et la Tabacallera espagnole). L'objet de l'entretien est limpide: oui ou non Prost GP sera-t-elle encore financée par Gauloises en 2001 ? Germain-Thomas est incapable de fournir une réponse précise. Prost et Wendt ont compris. Ils font une croix sur le soutien de Gauloises, dont le retrait de la F1 sera annoncé quelques semaines plus tard.

 

Cependant cette défection leur permet d'élargir leur champ de prospective. À moyen terme, les législations anti-tabac imposées dans l'Union européenne auront raison du sponsoring des cigarettiers. Déjà, des équipes comme Williams ou Jaguar se passent totalement de ce genre de soutien. Et puis, Alain Prost est désormais contraint de chercher de l'aide hors de l'Hexagone. Canal Plus, Peugeot, Gauloises l'ont abandonné. Seul lui reste LVMH qui possède encore 10 % de l'écurie. L'ambition de fédérer autour de l'ancien champion du monde une « équipe nationale de F1 » s'évapore définitivement. Pour sauver son entreprise et ses salariés, Prost se tourne finalement vers le Brésil et Abilio dos Santos Diniz, le père de Pedro, milliardaire possédant plus de 250 supermarchés. Celui-ci aimerait prendre des parts dans une écurie de Formule 1, lui qui s'est contenté jusqu'ici de sponsoriser les écuries qui offraient un volant à son fiston. Et si Prost peut obtenir un bon V10 Ferrari client, Diniz père lui promet son soutien avec prise de participation et apport d'autres commanditaires.

 

Ce rapprochement, des garanties apportées de part et d'autre et l'aide d'UFA Sports permettent à Alain Prost de finaliser son accord avec Ferrari le 21 septembre 2000. Est signé un contrat de fourniture pour deux saisons, moyennant 160 millions de francs et une clause contraignante: le V10 italien devra être rebadgé, comme l'est, sous le nom de Petronas, celui fourni à Sauber. Alain Prost va donc devoir se mettre en quête d'un sponsor qui acceptera de servir de prête-nom. En outre, le coût élevé du moteur Ferrari le contraint à quelques coupes dans le budget alloué au département technique. Le développement de la future AP04 en pâtira inévitablement. Mais au moins, le Professeur est-il parvenu, malgré moult embûches, à sauver son équipe. « Cela ne va pas faire plaisir à tout le monde, mais je reste le patron, clame-t-il. J'ai construit cette équipe, je veux réussir ! » Derrière la détermination de l'ancien champion, point la sourde rancœur vis-à-vis de ceux qui l'ont trahi...

 

Sources :

- Renaud de Laborderie, Le Livre d'or de la Formule 1 2000, Paris, Solar, 2000.

- Auto Hebdo, 27 septembre 2000

- Renaud de Laborderie, La solitude du coureur de fonds, Sport Auto, novembre 2000

Tony