La fin d'un mariage de raison

Le 25 juillet 2000, Peugeot annonce son retrait officiel de la Formule 1 à la fin de cette saison 2000, soit au terme de son partenariat avec Prost Grand Prix. Ainsi s'achève cette douloureuse collaboration, ce mariage quasi-forcé miné dès l'origine par le manque d'enthousiasme du motoriste et la méfiance (légitime) d'Alain Prost. Ce dernier ne s'est jamais pardonné d'avoir accepté l'accord boiteux proposé par Jacques Calvet, ex-PDG de PSA, en février 1997. Alors qu'il avait été question lors des négociations d'une alliance quinquennale entre Prost Grand Prix et Peugeot Sport, Calvet n'avait finalement mis sur la table qu'un contrat de fourniture payante pour trois ans. Prost avait accepté, à regret, espérant que son amitié avec le gouvernement RPR alors en place pousserait Peugeot à davantage de générosité. Las, la gauche est arrivée au pouvoir en juin 1997. Le gouvernement de Lionel Jospin se désintéresse complétement de la Formule 1. Alain Prost ne peut plus compter que sur lui-même.

 

Du côté du Lion, le nouveau patron Jean-Martin Folz et Corrado Provera, président de Peugeot Sport, ont décidé à partir de 1998 de tout miser sur leur discipline fétiche, le rallye, où brillent désormais les 206 WRC aux mains de Marcus Grönholm, Gilles Panizzi et François Delecour. La Formule 1 passe définitivement au second plan et nul n'a envie de sauver un programme F1 qui, en vérité, n'a jamais suscité le moindre enthousiasme chez PSA depuis son lancement en 1993. Le fiasco du V10 A20, dernier-né des ateliers de Vélizy, est le dernier clou du cercueil. Ce moteur nouvelle génération, ultra-compact, est immédiatement frappé d'un défaut de fabrication: des fuites dans la chambre d'alimentation et des ruptures de culasses... Les blocs doivent être refondus dans l'urgence à la fin de l'hiver 2000. Une fois en piste, il apparaît que l'A20, qui promettait 800 chevaux, n'en procure que 780 et rend pas moins de 1600 tours/minute au V10 Mercedes, la référence du peloton. Et comme la Prost AP03 est elle-même totalement ratée... A Magny-Cours, Peugeot introduit une évolution si limitée que Jean Alesi et Alain Prost s'épanchent sans diplomatie sur leur déception. Entre les deux parties, le ton monte haut. Alesi et Provera s'écharpent. D'où la grève ridicule des ingénieurs motoristes lors du warm-up du GP de France...

 

Ce 25 juillet, Frédéric Saint-Geours, directeur général de Peugeot, se charge d'annoncer à la presse que sa firme plie bagages. Selon lui, Alain Prost en a été averti « dès l'automne 1999 » et n'a donc pas à se plaindre s'il ne trouve pas de nouveau motoriste pour 2001... Saint-Geours soutient en outre que Peugeot a toujours joué le jeu avec GP. « En 1998, nous avons décidé d'investir davantage. A hauteur de 30 %, tant en capital humain que financier. Mais en 1999, les coûts se sont envolés et ne sont plus supportables. » Il explique aussi ce retrait par la faible exposition médiatique qu'offrirait la Formule 1 à ses « sans-grades » : « Ferrari et McLaren-Mercedes monopolisent l'attention médiatique, laissant aux autres la portion congrue ». En d'autres termes, la F1 est pour Peugeot un investissement à perte. Saint-Geours conclut en arguant une « décision stratégique ». Le Lion cible désormais l'extension de ses parts de marché en Europe et dans le Monde, réduisant son programme sportif au très rentable WRC.

 

Des V10 à la sauce asiatique - l'alliance Arrows - AMT

Toutefois, les V10 conçus à Vélizy par les hommes de Jean-Pierre Boudy ne vont pas disparaître de la F1. Peugeot cède en effet leur propriété intellectuelle au groupe Asian Motor Technics, qui a déjà signé un contrat avec Arrows pour 2001. Derrière le sigle AMT se cache un consortium japonais créé par Hideo Morita, fils du fondateur de Sony et lui-même président de Sony Music qui regroupe différentes entreprises œuvrant aussi bien dans l'électronique que l'automobile ou l'aérospatial. Morita draine des investisseurs venus de tout l'Extrême-Orient: Corée du Sud, Taïwan, Singapour... Le nouveau motoriste sera présidé par le Dr. John Gano, épaulé par l'expérimenté ingénieur argentin Enrique Scalabroni. Les deux hommes ont reçu de Morita la promesse d'un plan d'investissement sur cinq années, évalué à 200 millions de dollars, avec pour objectif final le rachat d'une écurie existante. Pour l'heure, Gano et Scalabroni ont déjà recruté plusieurs dizaines d'ingénieurs pour assurer l'entretien et le développement des V10 ex-Peugeot. Les locaux de Vélizy seront loués par Peugeot à AMT, même si Gano annonce l'acquisition d'une base opérationnelle en Angleterre. « Il s'agit de sauver notre patrimoine, note savoir-faire » plaide Corrado Provera.

 

Le premier client d'Asian Motor Technics, bientôt rebaptisé Asiatech, sera donc Arrows. Tom Walkinshaw avait pourtant tout lieu de se satisfaire du V10 Supertec (ex-Renault) qui propulse cette saison ses bolides orange. Mais Bruno Michel lui a annoncé au début de l'été qu'Arrows recevrait en 2001 le moteur utilisé cette saison par Benetton, écurie évidemment désormais privilégiée par Renault. Aussi, Walkinshaw prend le risque de miser sur le piètre moteur Peugeot, certes sans doute remanié, plutôt que sur un bloc Renault fiable mais vieux d'un an. Cependant, il se murmure qu'AMT, décidément ambitieuse, lui aurait aussi proposé une collaboration technique pour d'autres aspects de la monoplace. Voilà de quoi faire rager Alain Prost qui n'a jamais eu droit à une telle faveur de la part de Peugeot Sport...

 

Sources :

- Auto Hebdo, 2 aout 2000

- https://www.liberation.fr/sports/2000/07/26/peugeot-se-coupe-des-circuits_331189/

- https://www.leblogauto.com/histoire/retro-f1-2000-calvaire-peugeot-et-prost-69826

Tony