Haro sur Schumacher (suite)
L'agression de Michael Schumacher contre Jacques Villeneuve, au 48ème tour du Grand Prix d'Europe, finale du championnat du monde 1997, a fait couler beaucoup d'encre. Le monde du sport automobile tombe à bras raccourcis sur le double champion du monde allemand, qualifié au mieux de « mauvais perdant », au pire de « voyou ». On ne peut certes que condamner ce geste anti-sportif, surtout au regard du passif de Schumacher, devenu coutumier du fait. Néanmoins, son coup de volant contre la Williams de son adversaire découle d'une réaction instinctive et ne fut certainement pas prémédité, comme le fut par exemple l'attaque-kamikaze d'Ayrton Senna sur Alain Prost lors du GP du Japon 1990. C'est pour cela que les commissaires sportifs de Jerez n'ont pas jugé bon de sanctionner le pilote Ferrari, déjà puni par la perte du titre mondial. Mais devant le tollé soulevé par son comportement, Max Mosley demande au directeur de course Charlie Whiting de produire un rapport disciplinaire, prélude à une sanction qui sera arrêtée par le Conseil mondial de la FIA. Le président Mosley juge en effet nécessaire de « faire un exemple » pour éviter que pareil incident ne se reproduise, mais aussi pour satisfaire une opinion publique outrée.
La revue de presse est en effet terrible pour Michael Schumacher. Les tabloïds britanniques, très germanophobes, s'en donnent par exemple à cœur joie. « Même les dieux peuvent tricher », titre ainsi The Express. « Schumacher a sacrifié sa réputation par un acte d'un tel cynisme qu'il a perdu le droit à toute sympathie », prétend le Times. Hélas, les journalistes allemands ne sont pas plus tendres envers leur compatriote. « En tentant de rendre possible l'impossible, il a fait une faute qui peut signifier la fin du mythe Schumi », écrit par exemple L'Express de Cologne. Le General Anzeiger de Bonn qualifie son acte de « maladroit et de stupide » et se réjouit de voir « la justice triompher » avec le sacre de Villeneuve. Le Bild (11 millions de lecteurs), jusqu'alors « schumilâtre » estime que « Schumacher a joué et a tout perdu: le championnat du monde et sa réputation de fair-play. » Mais le pire vient de la presse transalpine qui tire à boulets rouges (évidemment) sur celui qui a fait perdre le titre mondial à Ferrari. « Et maintenant, Schumacher, des excuses ! » titre le Corriere dello Sport. Dans un éditorial vitriolé, le quotidien de gauche L'Unita proclame: « Devant le monde entier, Schumacher a couvert de honte lui-même, Ferrari et, en quelques sorte, le sport italien. Nous attendons qu'aujourd'hui, sans perdre de temps, Ferrari annonce son renvoi et l'engagement d'un pilote plus intelligent, plus sage, avec un sens moral avéré. »
Conseil mondial de la FIA: une sanction mesurée
Cette hystérie médiatique fait craindre le pire à l'intéressé à quelques jours du Conseil mondial de la FIA. Les rumeurs les plus folles courent autour de son sort: certaines vont jusqu'à affirmer qu'il pourrait être banni du championnat 1998 ! Bien entendu, ni Max Mosley ni Bernie Ecclestone n'ont l'intention de se priver l'an prochain de la « super-star » de la Formule 1 dont la popularité, certes un peu entamée depuis Jerez, demeure très élevée. Une saison sans Schumacher signifierait des audiences télévisées en berne, donc une chute de revenus très préjudiciable au sport. Mosley et Ecclestone savent en outre que les mêmes journaux allemands et italiens qui vouent aujourd'hui « Schumi » aux gémonies l'encenseront de nouveau dès sa prochaine victoire... Enfin, l'influence de Ferrari sur la FIA est telle qu'une « exécution » du coupable paraît impossible. Luca di Montezemolo et Jean Todt multiplient les démarches en faveur de la clémence. Ils sont écoutés.
Aussi est-ce sans beaucoup d'angoisse que Michael Schumacher se rend le 11 novembre 1997 à Londres, au siège du Royal Automobile Club, afin d'être entendu par les autorités sportives. Pour sa défense, le double champion du monde fait amende honorable et reconnaît que son geste était malvenu mais prétend, avec vraisemblance, qu'il ne l'avait pas médité auparavant. C'est la version que retient la FIA avant de rendre un curieux verdict: Schumacher est exclu du championnat du monde 1997 tout en conservant sur son palmarès les victoires et les points conquis cette saison. Il échappe en outre à toute amende et devra simplement participer l'an prochain à plusieurs manifestations en faveur de la sécurité routière. Un moindre mal donc, puisque Schumacher ne perd finalement que son titre de vice-champion du monde au bénéfice de Heinz-Harald Frentzen, le coéquipier de Jacques Villeneuve. Aussi, à la sortie de l'audience, le « Baron rouge » paraît tout à fait rassuré. « J'ai commis une erreur certes, mais c'était un geste instinctif, dit-il. Cette décision est dure, mais je l'accepte. » « Ferrari a toujours soutenu et soutiendra encore Michael », déclare pour sa part Jean Todt. « Même si la sanction est sévère pour lui, elle met un terme à notre saison. Nous allons tenter d'obtenir en 1998 ce que nous n'avons pas pu avoir en 1997. »
Gentlemen's agreement entre Williams et McLaren ?
La FIA examine ce même jour une autre affaire, soulevée quant à elle par Ferrari, à savoir l'éventuelle complicité des écuries Williams et McLaren lors de l'ultime épreuve de Jerez. On sait que Jacques Villeneuve, alors leader, s'est effacé pendant le dernier tour devant les McLaren-Mercedes de Mika Häkkinen et de David Coulthard, et Jean Todt y a vu une récompense pour « service rendu » durant l'épreuve. Selon le patron de la Scuderia, les pilotes McLaren auraient fait leur possible pour épauler Villeneuve et Frentzen cet après-midi-là, ce qu'un rapide examen du déroulement de l'épreuve ne confirme guère. Mais il est exact qu'à quelques encablures du drapeau à damiers, Villeneuve a transmis par radio à Patrick Head le message suivant: « Je laisserai passer David et Mika s'ils ne me mettent pas trop de pression dans les derniers tours. » Outre le fait que rien dans le code sportif n'interdit de laisser passer un concurrent de son plein gré, le Québécois peut à bon droit souligner que l'état de ses pneumatiques ne lui permettait plus de contrer la remontée des « Flèches d'Argent » et qu'il n'avait aucune raison de bloquer Häkkinen et Coulthard, ces derniers ayant fait preuve, non de complicité, mais de fair-play en ne s'immisçant pas dans la bataille entre les deux prétendants à la couronne mondiale.
C'est l'argumentation que retient la fédération qui, après avoir auditionné pour la forme Frank Williams et Ron Dennis, estime que cette affaire ne présente rien de litigieux et clôt les débats. Y-a-t-il eu « gentlemen's agreement » entre les deux managers britanniques ? Il est en tout cas resté bien secret...
Sources:
- « L'image brouillée de Schumacher », La Nouvelle République, 27 octobre 1997
- Michel Chemin, « Schumacher exclu du championnat...1997. », Libération du 12 novembre 1997
Tony