F.I.S.A. versus A.C.M.
La guerre est déclarée entre la fédération internationale et l'Automobile Club de Monaco autour des droits de télévision. En effet, au mépris des Accords de la Concorde, l'ACM a vendu une partie des droits TV de son Grand Prix à la chaîne américaine ABC, privant ainsi la FOCA et donc la FISA d'une partie des recettes. Fin 1983, Jean-Marie Balestre a tapé du poing sur la table en excluant provisoirement Monte-Carlo du calendrier. Le président de l'ACM Michel Boeri a obtenu sa réintégration en échange de la promesse de dénoncer son contrat avec ABC. Mais il n'en a rien fait. Le 7 mars, la FISA a infligé un blâme à l'ACM et exigé d'une part que celui-ci verse 7,5 % des droits TV récoltés en 1983 avant le GP de Monaco 1984, faute de quoi celui-ci serait rayé du championnat du monde, et d'autre part qu'il se conforme aux termes de l'Accord Concorde pour prétendre à une place dans le programme de 1985.
Monaco est une monarchie quasi-absolue et tout ce qui touche au sport obéit au Palais princier. Rainier III a ressenti le blâme délivré par Balestre comme une insulte. Il porte plainte contre la FIA devant le tribunal des référés, une première dans l'histoire de l'honorable fédération. Le procès a lieu la veille des premiers essais. Me Delvolve, avocat de l'ACM, plaide que lorsque l'Accord Concorde a été ratifié, son client bénéficiait d'une dispense car il avait vendu ses droits TV à ABC jusqu'au 31 décembre 1984, date de l'expiration de ce même Accord Concorde. Début 1983, Boeri a prolongé le contrat avec ABC jusqu'à fin 1986. Or en juin 83 FISA et FOCA ont promulgué une convention perpétuant l'Accord Concorde jusqu'à 1986. L'avocat conclut donc que l'ACM n'a pas trompé la fédération puisque l'accord avec ABC a été revalidé avant le renouvellement de l'alliance FISA - FOCA. Il ne pouvait donc pas respecter un règlement inexistant. Finalement, le juge se déclare incompétent et un nouveau procès aura lieu à une date ultérieure....
Balestre et la presse: nouvelle lune de miel
Depuis 1983, le torchon brûle entre les autorités et les journalistes de la presse écrite qui se plaignent d'être gênés dans leur travail par la FISA comme par la FOCA. Dans un esprit de conciliation, Jean-Marie Balestre convie le président de l'IRPA Bernard Cahier et l'influent Gérard Crombac à un dîner dans sa résidence de Grasse pour enterrer la hache de guerre. Ces derniers n'aiment guère le président de la FISA, mais ils préfèrent discuter avec lui qu'avec Ecclestone. Fin psychologue, Balestre sait aussi bien caresser son interlocuteur que le briser comme du verre. Aussi offre-t-il à Cahier la présidence de la commission de presse de la FISA. Le photographe refuse cet honneur mais accepte de négocier avec Gilles Gaignault, l'attaché de presse de la FISA, afin que les journalistes reçoivent un brassard spécial qui les mettra à l'abri des vexations de la FOCA. Ce qui sera chose faite le lendemain.
Comme chaque année, Marlboro invite les membres de l'IRPA à l'hôtel Hermitage de Monte-Carlo pour un déjeuner de gala. Aleardo Buzzi préside le rendez-vous avec à sa gauche Michel Boeri et à sa droite... Jean-Marie Balestre, qui par sa présence veut sceller sa réconciliation avec la presse. Évidemment, les deux présidents ne s'adresseront pas la parole. Les journalistes facétieux remettent leurs traditionnels Prix Orange et Citron. Patrick Tambay reçoit le premier, Keke Rosberg le second. Furieux, le susceptible Finlandais est persuadé que seuls les journalistes français ont voté contre lui. Le lendemain, il leur interdit l'accès de son stand !
Présentation de l'épreuve
La météo est incertaine pour ce week-end monégasque et des averses sont attendues. Comme il n'y a que vingt-sept pilotes engagés, la FOCA et l'ACM ont supprimé la séance de pré-qualification, puisque celle-ci n'aurait permis d'éliminer qu'une seule voiture. Cette épreuve étant une des plus courtes qui soient en kilométrage, les soucis de consommation paraissent cette fois exclus. Les pilotes Renault, Williams, Brabham, Lotus et Ferrari pourront rouler à leur aise. Autant dire que si malgré tous les McLaren dominent, ce sera la preuve que le championnat est joué...
Cette année, c'est Jacky Ickx qui est le directeur de course. A 39 ans, le champion belge n'a toujours pas raccroché et se partage entre Endurance et Rallye-Raid. Il remplace Amédée Pavesi qui n'a pas reçu de la FFSA l'autorisation d'officier à Monaco.
Les Renault, comme les Ligier et les Lotus, arborent de nouveaux turbos Garrett de plus petit diamètre, donc avec moins d'inertie, afin d'améliorer le comportement du V6 français sur les tracés lents. Derek Warwick est remis de son accident de Dijon et bénéficie d'un châssis neuf. Elf apporte (encore !) une nouvelle essence qui ne sera utilisée que par Ligier-Loto. McLaren reçoit des turbos TAG-Porsche neufs, avec notamment des arbres à cames inédits.
La Brabham BT53 ne devait être qu'un modèle de transition mais Gordon Murray paraît remettre la BT54 aux calendes grecques. Il a trop à faire avec les turbos BMW. La carrosserie a cependant été retouchée afin de permettre à l'air chaud de s'écouler derrière les pontons. Ce dispositif est supprimé dès le samedi, faute de performance... BMW a conçu pour sa part un nouveau collecteur d'admission. Malgré un bilan jusqu'ici totalement négatif, Nelson Piquet adopte la méthode Coué : « BMW et moi-même, nous ne maîtrisons pas la situation aussi bien qu'en 1983. Les données d'ensemble sont pourtant satisfaisantes : le châssis est bon, les pneus aussi, BMW a prouvé sa capacité à trouver des solutions pour tous les circuits. Et nous travaillons en harmonie. Alors... »
« Si ce n'est toi, c'est donc ton frère... » Retenu aux USA par une course d'IndyCar, Teo Fabi cède son baquet à son cadet Corrado. Le discret Italien reçoit une chance unique de faire ses preuves au volant d'une monoplace relativement performante.
Selon certains journalistes, les Alfa Romeo possèdent désormais des turbos KKK à la place des Avio, mais Giampaolo Pavanello refuse de le confirmer. Chez Arrows, Thierry Boutsen conduit l'A7 à moteur BMW, munie d'une nouvelle suspension arrière et allégée de douze kilos. Marc Surer hérite de l'A6. Toleman reçoit une nouvelle version du moteur Hart équipée d'un système de contrôle électronique d'injection et de quatre injecteurs par cylindre. Ayrton Senna déclare que le temps de réponse de ce moteur est plus prompt que celui des blocs habituels, mais il utilise tout de même un de ceux-ci pour les essais et la course. Toleman retrouve en outre le soutien financier de Candy, tandis que Tyrrell a signé un contrat avec Yardley, l'ancien sponsor de BRM et de McLaren. Enfin, Goodyear amène des pneus avant agrémentés d'une nouvelle carcasse.
Les qualifications
Chez McLaren on se demandait si le temps de réponse du turbo TAG n'allait pas compliquer la tâche des pilotes. Prost lève ces doutes en décrochant la pole position avec aisance, pulvérisant de deux secondes son chrono de 1983. Gêné par la Spirit de Baldi tandis qu'il avait monté ses meilleurs pneus, Lauda se contente de la huitième place. Bien servi par les nouveaux pneus Goodyear, Mansell se montre extrêmement rapide sur cette piste qu'il affectionne et se classe second, ce qui est sa meilleure qualification. En revanche de Angelis (11ème) ne cesse de se plaindre de survirage. Les Ferrari d'Arnoux et d'Alboreto peuplent la deuxième ligne. L'Italien est cependant déçu car il avait été le plus véloce lors de la séance de qualification du jeudi. Les Renault de Warwick et de Tambay occupent la rangée suivante. De Cesaris place sa Ligier-Renault au septième rang malgré une collision avec Patrese. Son collègue Hesnault est dix-septième. Comme d'habitude, les Brabham-BMW (Piquet neuvième, C. Fabi quinzième) ont rencontré des soucis avec leurs turbos.
Quels que soient les ressorts ou les barres antiroulis utilisés, les Williams-Honda (Rosberg 10ème, Laffite 16ème) sont désespérément sous-vireuses. Winkelhock qualifie l'ATS-BMW en douzième position, mais il s'est froissé les ligaments de l'omoplate gauche dans un accident au virage de l'ancienne gare. Grâce aux efforts de Willy Dungl, le thérapeute de Lauda, il sera paré pour la course. Du côté de Toleman, Senna se classe treizième et Cecotto dix-huitième. Chez Alfa Romeo, Patrese (14ème) gagne sa place sur la grille, au contraire du malheureux Cheever, éliminé à cause de plusieurs moteurs défectueux.
Dans le clan Cosworth, on pensait que la légèreté et l'agilité des voitures allaient compenser le déficit de puissance sur ce tracé sinueux. La désillusion est grande : comme partout ailleurs, les DFY sont impitoyablement « largués ». Chez Tyrrell, Bellof se classe vingtième et dernier, tandis que Brundle se tire à peu près indemne d'un épouvantable accident. Lancée à pleine vitesse, la 012 du jeune Anglais se pulvérise dans le rail du virage du Bureau de tabac avant de rebondir et de s'arrêter au milieu de la piste couchée sur ses roues de droite. Brundle s'en tire avec quelques contusions, mais lorsqu'il s'aperçoit qu'il ne sait plus sur quel circuit il se trouve, il préfère en rester là... Ghinzani partage la dernière ligne avec Bellof.
Équipées de moteurs différents, mais unies dans le malheur, les Arrows de Boutsen et Surer ne sont pas qualifiées, ainsi que les RAM de Palmer et d'Alliot et la Spirit de Baldi.
Le Grand Prix
L'épreuve de Formule 3 du samedi est remportée par l'Italien Ivan Capelli sur Martini, devant l'Autrichien Gerhard Berger et l'Anglais James Weaver.
Le dimanche 3 juin, le circuit est littéralement noyé sous les eaux. La pluie n'a pas cessé de toute la matinée et la piste est très humide. Les nuages cachent les rochers qui ceinturent la Principauté. Les Méditerranéens savent que cela signifie qu'il va pleuvoir toute la journée. Niki Lauda est le plus rapide lors du warm-up.
Le départ est retardé de vingt minutes mais les conditions ne s'améliorent pas. Suite à une requête de Lauda auprès de Bernie Ecclestone, un camion arrose la piste sous le tunnel afin que les pilotes ne rencontrent pas de problèmes d'adhérence à sa sortie.
Chez Toleman, devant cette météo dantesque, on tente un coup de poker : Ayrton Senna n'embarque que les deux tiers de l'essence nécessaire pour couvrir les 78 tours prévus, en tablant sur un arrêt à la limite des deux heures.
Finalement, après quelques tergiversations, Jacky Ickx et Derek Ongaro donnent le départ, mais bien sûr tous les pilotes s'élancent en pneus rainurés.
Tour de formation: Les pilotes « repèrent le terrain »: l'asphalte est complètement détrempé.
Départ: Bons envols de Prost et Mansell qui conservent leurs positions. Alboreto se fait déborder par les deux Renault. A Sainte-Dévote, Warwick pointe son museau en troisième position lorsque surgit Arnoux sur sa droite. Pour l'éviter, l'Anglais fait un écart, heurte le rail et se retrouve en travers de la piste. Tambay, qui cherchait à se faufiler, percute rudement son équipier. Les deux Renault obstruent le passage à Patrese et de Angelis qui doivent s'arrêter puis redémarrer. Hesnault tamponne de Cesaris par l'arrière.
1er tour: Warwick sort de sa voiture en boitillant de la jambe gauche tandis que Tambay souffre d'une fracture au péroné causée par une suspension qui a percé la coque de sa Renault. Il est rapidement évacué par les commissaires et la course n'est pas arrêtée.
Prost mène devant Mansell, Arnoux, Alboreto, Lauda qui a pris un excellent départ, Rosberg, Winkelhock, Laffite, Senna et Bellof. Le jeune Allemand a réalisé un premier tour incroyable en gagnant dix places. De Cesaris entre aux stands avec une suspension pliée suite au choc avec son équipier.
2e: Le rythme des pilotes est bien sûr très lent. Prost et Mansell s'échappent en tête de la course. Cecotto effectue un tête-à-queue. En quelques secondes les commissaires de piste évacuent la Toleman.
3e: Lauda est sur les talons d'Alboreto. Senna prend la huitième place à Laffite.
4e: Lauda double Alboreto à l'épingle du Loews.
5e: Les pilotes effectuent leurs tours en deux minutes. Prost compte deux secondes et demie d'avance sur Mansell. Arnoux est à plus de quinze secondes, menacé par Lauda.
6e: Lauda double Arnoux dans la montée de Beaurivage.
7e: Prost est l'homme le plus rapide en piste mais Mansell demeure dans son sillage. Senna dépasse Winkelhock et Bellof double Laffite. Patrese est dans les stands après avoir endommagé son aileron avant dans un choc avec Hesnault. Il reprendra la piste.
8e: Mansell se rapproche désormais de Prost. Déjà privé d'aileron avant, Hesnault tire tout droit à Sainte-Dévote mais parvient à reprendre sa route.
9e: Alboreto commet une erreur à Sainte-Dévote et part en tête-à-queue. Il cale et ne peut repartir que poussé par les commissaires, après plus d'une minute d'attente. Il se retrouve bon dernier. Senna menace Rosberg dont l'allumage est défaillant. Laffite entre aux stands pour changer de pneus car il croit, à tort, avoir crevé.
10e: Prost précède Mansell (0.8s.), Lauda (26.4s.), Arnoux (31.3s.), Rosberg (36.4s.), Senna (38.1s.), Winkelhock (40.9s.), Bellof (41.7s.), Ghinzani (55.3s.), de Angelis (56.8s.) et Piquet (1m. 16s.).
11e: A cause d'un moteur noyé, C. Fabi part en tête-à-queue au Portier et cale. La Brabham est arrêtée dans le sens inverse de la marche et les commissaires essaient de l'évacuer. Sur ces entrefaites surgit Prost qui heurte un commissaire traversant la piste. Fort heureusement le Français roulait lentement et a pu freiner, mais le pauvre homme est blessé à une jambe. Tandis que Prost redémarre, Mansell le dépasse par l'extérieur. Senna commet une petite erreur à la chicane du port, escalade un vibreur puis se rattrape magistralement, mais non sans endommager sa suspension avant-droite.
12e: Mansell s'échappe en tête de la course au rythme de deux secondes par tour. Prost est deuxième avec vingt-cinq secondes d'avance sur Lauda. Arnoux est à trois secondes de l'Autrichien et devance Senna qui vient de doubler Rosberg. La Brabham de Fabi est enfin évacuée à l'entrée du tunnel. Le malheureux commissaire reçoit les premiers soins. Il souffre du tibia, mais sa blessure est superficielle.
13e: Senna est déjà sur les talons d'Arnoux. Hesnault est arrêté à Beaurivage. L'eau a provoqué un court-circuit sur son moteur.
14e: Mansell compte cinq secondes d'avance sur Prost. Senna prend la quatrième place à Arnoux.
15e: Mansell est le pilote le plus rapide en piste. Il roule beaucoup plus vite que Prost, inutilement car celui-ci n'a pas l'intention de se lancer dans une folle chevauchée. Senna remonte désormais sur Lauda. Qui pourra arrêter l'incroyable Brésilien ?
16e: Mansell part en glissade dans la montée de Beaurivage et heurte le rail avec sa roue arrière droite. L'Anglais poursuit sa route mais tout l'arrière de sa Lotus est détruit. Prost le dépasse à Mirabeau. Puis Mansell part en tête-à-queue et finit par stopper quelques mètres plus loin, avant l'épingle du Loews. Sa fougue irréfléchie lui a fait perdre sa première occasion de victoire. Piquet est arrêté au niveau de la Piscine. Son moteur est noyé d'eau. Les commissaires poussent la Brabham jusqu'à une échappatoire. Bellof dépasse Winkelhock et revient derrière Rosberg.
17e: Prost récupère la première place et compte une trentaine de secondes d'avance sur Lauda, menacé par Senna. Suit un groupe en bagarre composé d'Arnoux, Rosberg et Bellof.
18e: Senna est juste derrière Lauda.
19e: Senna déborde Lauda par l'extérieur peu avant la Rascasse. De Angelis est revenu au huitième rang après avoir doublé Ghinzani.
20e: Senna remonte peu à peu sur Prost au rythme d'une seconde au tour. Lauda commence à être sous la menace d'Arnoux, tandis que derrière le Grenoblois Rosberg essaie de résister à Bellof. Aidé par la souplesse de son moteur Cosworth, le jeune Allemand réalise une superbe démonstration dans ces conditions difficiles.
21e: L'averse s'intensifie et la visibilité devient nulle. Prost devance Senna (33.8s.), Lauda (39.7s.) et Arnoux (42.1s.). A quarante-cinq secondes du leader, Bellof double Rosberg à la chicane du port.
22e: Senna poursuit sa remontée sur Prost qui rencontre des problèmes de freins. Bellof menace Arnoux. Winkelhock se rapproche de Rosberg.
23e: Suite à un contact avec Rosberg, Winkelhock part en tête-à-queue à la chicane du port puis cale. Il doit renoncer.
24e: Lauda part en toupie dans le virage du Casino. La McLaren se retrouve perchée sur un trottoir et l'Autrichien abandonne. Senna réalise le meilleur tour en course: 1'54''334'''.
26e: Senna n'est plus qu'à vingt-cinq secondes de Prost. A une vingtaine de secondes du Brésilien, Arnoux tente de résister à Bellof. Rosberg est cinquième et devance de Angelis, Alboreto, Ghinzani et Laffite. Patrese est arrêté à l'entrée du tunnel à cause d'un problème de direction.
27e: Bellof attaque Arnoux dans la montée de Beaurivage, sans succès. Puis l'Allemand plonge à l'intérieur à Mirabeau mais Arnoux ne lui laisse guère d'espace, si bien qu'il doit escalader le trottoir pour doubler la Ferrari. Le voici troisième.
28e: Senna reprend trois secondes par tour à Prost.
29e: Dix-huit secondes d'écart entre Prost et Senna. Mais c'est Bellof qui est désormais le pilote le plus rapide en piste.
30e: Une pluie diluvienne s'abat sur le Rocher. Senna est à onze secondes de Prost. Suivent Bellof (25.6s.), Arnoux (33s.), Rosberg (36.6s.), de Angelis (46.7s.), Alboreto, Ghinzani et Laffite à un tour.
31e: En passant la ligne de chronométrage Prost fait un signe aux officiels pour réclamer l'arrêt de l'épreuve. La piste est horriblement détrempée. Seuls Senna et Bellof semblent relativement à l'aise: le Brésilien n'est plus qu'à dix secondes de Prost et l'Allemand est encore plus rapide que lui.
32e: Les conditions sont épouvantables. Prost et d'autres pilotes roulent au ralenti. Rien en revanche ne perturbe Senna, à sept secondes du leader au moment il franchit la ligne. En fin de tour l'écart est tombé à trois secondes. C'est à ce moment que Jacky Ickx décide de sortir le drapeau rouge.
Ickx se présente sur la ligne de chronométrage avec le drapeau rouge à la main. Un officiel s'installe à ses côtés et brandit le drapeau à damiers. La course serait donc finie ? Prost se range sagement sur le côté, mais pas Senna qui surgit derrière la McLaren et poursuit sa route. Lorsqu'il apprend que la course est arrêtée, il salue la foule, pensant avoir gagné puisqu'il a dépassé Prost. Erreur : le Grand Prix ne repartira pas et, conformément au règlement, son classement sera celui du 31ème tour. Lorsqu'il revient aux stands, Ayrton apprend qu'il n'est que deuxième et laisse éclater sa colère envers la direction de la course. En fait, la confusion est totale. La plupart des chefs d'équipes n'ont pas aperçu le drapeau à damiers et se rendent à la tour de contrôle pour demander à quelle heure est prévu le second départ. Mais pendant ce temps-là, Alain Prost est conduit vers le podium...
Prost remporte donc son premier Grand Prix de Monaco devant Senna et Bellof, les deux révélations du jour qui montent sur leurs premiers podiums en F1. C'est aussi le premier podium d'une Toleman. Cependant, avec la disqualification future des Tyrrell, c'est Arnoux qui récupérera la troisième place. Rosberg sera classé quatrième devant de Angelis et Alboreto. Ghinzani et Laffite sont les seuls autres pilotes à rallier l'arrivée. Comme moins de 75% des tours ont été couverts, seule la moitié des points est attribuée.
Après la course: plaintes contre Ickx
Le prince Rainier, vêtu d'un fort seyant imperméable gris, félicite Alain Prost. Senna a le masque et rumine sa déception: « Mais qu'ont-ils fait ? Pourquoi, mais pourquoi ? Pour une fois que je disposais des mêmes pneus que les autres... Ils me l'ont volée cette victoire ! ». Le jeune Brésilien n'est pas le seul à éructer. René Arnoux est très virulent : « C'est un scandale ! Puisque le départ avait été donné dans ces conditions, il fallait aller au bout des deux heures ! » Tout au contraire, Jacques Laffite salue la décision de Jacky Ickx : « J'aurais eu la pole position, la meilleure voiture du monde et le commandement avec deux minutes d'avance, que j'aurais tout laissé tomber. Courir sous la pluie est ridicule, dangereux et sans attrait. »
Et que dit Alain Prost, le vainqueur du jour ? « J'avais de gros problèmes de tenue de route, comme tout le monde, et des difficultés avec mes freins en carbone. Sur le sec ils sont parfaits, mais au contact de l'eau ils sont plus difficiles à maîtriser, avec une tendance au blocage. Lorsque j'ai vu Senna remonter sur moi, je n'ai pas voulu augmenter la cadence pour cette raison. Comme il n'est pas dangereux au championnat du monde, j'ai préféré le voir gagner et moi être second plutôt que risquer de taper les rails et repartir d'ici sans point. La décision d'arrêter la course est donc avantageuse pour moi, comment ne pourrais-je pas la qualifier de sage ? »
Pendant ce temps-là, Patrick Tambay est plâtré à l'hôpital Princesse-Grace de Monaco et apprend qu'il doit se reposer pendant trois à quatre semaines. La tournée nord-américaine risque de se dérouler sans le sympathique Français...
Ayrton Senna est persuadé d'avoir été floué. C'est toujours l'opinion de ses supporters, plus de trente ans plus tard, bien qu'il est évident que les conditions de circulation étaient si dégradées que poursuivre la course eût été de la folie furieuse. Il faut en effet se souvenir que le Grand Prix avait alors fait déjà deux blessés: Patrick Tambay et un commissaire de course. Les sennaphiles oublient aussi que même si l'épreuve avait été à son terme, rien ne dit que leur idole aurait été à l'arrivée. La Toleman subissait en effet quelques problèmes de freins, la surchauffe guettait le moteur Hart, et sa suspension avait été endommagée contre un vibreur. Surtout, Senna n'avait pas embraqué suffisamment de carburant pour aller au bout de l'épreuve : si les conditions s'étaient améliorées, il serait inévitablement tombé en panne sèche aux alentours du 65ème passage. De plus le pilote le plus rapide au moment de l'interruption n'était pas Senna mais Stefan Bellof qui, grâce à sa voiture à moteur atmosphérique, aurait été un rival redoutable pour celui-ci.
Mauvaise perdante, la fédération brésilienne met finalement en cause l'intégrité de Jacky Ickx en insistant sur ses liens avec Porsche, motoriste de McLaren. Ickx se récrie vigoureusement : « J'ai fait mon devoir... Mieux valait arrêter la course un tour trop tôt qu'un tour trop tard ! » Cet immense champion sait mieux que personne quels dangers prennent les pilotes en roulant sous la pluie. Mais cela n'arrête pas les calomniateurs. En outre, on le soupçonne d'avoir voulu respecter les impératifs horaires des télévisions en ne lançant pas une seconde manche... Et bien sûr, on accuse aussi Alain Prost, que l'on sait proche de Jean-Marie Balestre... Bref toute cette boue et cette rancœur baveuse ont tendance à faire oublier l'essentiel, à savoir la superbe démonstration d'Ayrton Senna sous la pluie. C'est ce jour-là que naît la légende de « Magic » qui devient aussitôt le grand espoir de la Formule 1.
Il y a peu de changement aux classements mondiaux. Prost creuse l'écart en tête et possède maintenant 10,5 points d'avance sur Lauda. Arnoux est troisième à quatre longueurs de l'Autrichien. Chez les constructeurs McLaren possède 22,5 points de marge sur Ferrari.
Classements (avant la disqualification des Tyrrell):
| Pilotes | |
| Constructeurs | |
1. | Prost | 28.5 pts | 1. | McLaren-TAG-Porsche | 46.5 pts |
2. | Lauda | 18 pts | 2. | Ferrari | 23.5 pts |
3. | Arnoux | 14.5 pts | 3. | Renault | 20 pts |
4. | Warwick | 13 pts | 4. | Lotus-Renault | 16.5 pts |
5. | de Angelis | 12.5 pts | 5. | Williams-Honda | 11 pts |
6. | Rosberg | 11 pts | 6. | Tyrrell-Ford-Cosworth | 7 pts |
7. | Alboreto | 9 pts | 7. | Alfa Romeo | 6 pts |
8. | Tambay | 7 pts | 8. | Toleman-Hart | 4 pts |
9. | Bellof | 5 pts | 9. | Ligier-Renault | 2 pts |
10. | Senna | 4 pts | 10. | Arrows-Ford-Cosworth | 1 pt |
11. | Mansell | 4 pts |
12. | Patrese | 3 pts |
13. | Cheever | 3 pts |
14. | Brundle | 2 pts |
15. | de Cesaris | 2 pts |
16. | Boutsen | 1 pt |
Tony