Réglementation: Balestre impose la fin de l'effet de sol
Depuis des semaines, les débats entre la FOCA et les grands constructeurs sur les futurs règlements techniques se sont enlisés. Aucun accord ne s'est dégagé, que ce soit sur les questions aérodynamiques ou en ce qui concerne la suralimentation. Or le président de la FISA Jean-Marie Balestre n'a pas perdu de vue son principal objectif qui est d'améliorer la sécurité des pilotes. 1982 a été une année meurtrière et il estime qu'il doit réagir. Il préconise l'interdiction pure et simple de l'effet de sol afin de ralentir le passage en courbe des voitures. Cela est une vieille requête des pilotes dont les forces physiques sont mises à rude épreuve par ces voitures à suspensions très dures, comme « posées sur des rails ». Or les équipes britanniques de la FOCA rejettent une mesure aussi radicale et suggèrent d'atténuer simplement la déportance. Balestre semble dans l'impasse puisque les Accords de la Concorde stipulent que chaque changement de réglementation doit être voté à l'unanimité des constructeurs. Qu'à cela ne tienne : il annonce qu'il est prêt à violer cette clause et à imposer l'interdiction des jupes pour la saison 1983.
Bernie Ecclestone et de la FOCA vont-ils riposter et déclencher une deuxième guerre contre la FISA ? Non, car l'enjeu n'est plus le même qu'en 1980-1981. A cette époque, les « garagistes » britanniques considéraient les artifices aérodynamiques, et donc l'effet de sol, comme leur principal atout pour vaincre les grandes firmes utilisant les moteurs turbos, à l'époque Renault et Ferrari. Désormais, et à compter de 1983, Brabham, Lotus, McLaren et probablement Williams seront elles aussi équipées de turbos. On l'a déjà vu au cours de cette saison 1982 sur bien des circuits : avoir un châssis performant ne sert plus à grand-chose si l'on n'a pas aussi un moteur suralimenté. Le temps où avec un peu d'argent et un bon châssis l'on pouvait bâtir une F1 convenable autour d'un vieux V8 Ford-Cosworth est révolu.
De plus, les sponsors refuseraient catégoriquement de suivre les écuries dans une nouvelle fronde. Ces dernières l'ont appris à leurs dépens après leur boycott du GP de Saint-Marin. Et puis, Ecclestone n'a aucun intérêt à lancer un nouveau conflit. Grâce aux recettes télévisuelles en pleine expansion, la FOCA va générer des bénéfices record en 1982. Voilà de quoi rendre Bernie accommodant. Aussi Balestre fera passer sa réforme sans heurt majeur.
La finale du championnat du monde
Les championnats pilotes et constructeurs ne sont pas joués avant ce dernier rendez-vous américain, mais le suspense est beaucoup moins intense que l'année précédente. L'étonnant Keke Rosberg est quasi assuré d'être sacré puisqu'il possède neuf points d'avance sur John Watson. La mission de celui-ci est simple : gagner la course et espérer que Rosberg n'inscrira aucun point. Il serait alors champion grâce à un plus nombre de victoires (trois à une). Élémentaire mon cher Watson ! Officiellement, Niki Lauda n'est plus en lice puisqu'il concède douze points à Rosberg. Mais Ron Dennis a déposé auprès de la FIA une réclamation contre sa disqualification de Zolder. Lauda pourrait récupérer quatre points sur tapis vert et, s'il gagnait à Las Vegas et que Rosberg ne « scorait » pas, il décrocherait un troisième titre mondial... Ce scénario est si abracadabrant que Lauda ne s'y intéresse même pas. Plus inquiétant, Frank Williams a entamé une procédure civile pour contester le déclassement subi par Rosberg au GP du Brésil. Ce qui signifie que si par extraordinaire Watson venait à décrocher la couronne sur la piste, elle pourrait être contestée devant les tribunaux.
Le titre constructeurs se disputera entre Ferrari (74 pts), McLaren (63 pts) et Renault (59 pts). La Scuderia est évidemment favorite. McLaren et Renault sont acculées à placer leurs deux voitures sur le podium pour espérer la devancer.
Présentation de l'épreuve
Voici la Formule 1 de retour dans ce que le journaliste français Patrick Camus nomme « l'oasis de béton planté dans le désert du Nevada. » Ce sinistre îlot emmuré de hauts grillages, ce tracé poussiéreux serpentant au milieu d'un gigantesque parking de casino n'enthousiasment pas grand monde. M. Weinberger, directeur de Caesars Palace et organisateur de l'épreuve, s'est aperçu que celle-ci était fort peu rentable. Aussi a-t-il cassé les prix des billets et lancé une grande campagne de publicité pour assurer des recettes décentes. Des vedettes internationales comme Frank Sinatra, Diana Ross et Dean Martin ont été conviées. Paul Newman fait toujours office de directeur de course. Jack Brabham est présent également. Il se rend souvent aux USA pour soutenir la carrière de son fils Geoffrey qui dispute le championnat Indy... et compte un jour arriver en Formule 1.
La rumeur du retrait d'Alfa Romeo refait surface. Les résultats de l'écurie italienne (sept points inscrits en 1982...) ne sont en effet pas glorieux. Surtout, le groupe milanais enregistre une chute importante de la vente de ses véhicules de série. La Formule 1 coûte très cher, et Carlo Chiti fait pression sur le conseil d'administration pour retirer l'écurie Autodelta. Selon lui, Alfa Romeo pourrait se contenter de fournir ses moteurs turbo flambants neufs à des équipes privées. Une décision est attendue au cours de l'hiver.
Brabham a confirmé que Nelson Piquet et Riccardo Patrese demeureront ses pilotes l'année suivante. Piquet s'apprête à céder sa couronne mondiale après une année très difficile, gâchée par la piètre fiabilité du jeune turbo BMW. La victoire acquise à Montréal fut sans lendemain. Le Carioca espère que le mariage Brabham-BMW sera victorieux en 1983. Sinon, il est prêt à aller voir ailleurs... Quant à Riccardo Patrese, il est plutôt satisfait d'être parfois parvenu à dominer son prestigieux coéquipier, et même à le devancer au championnat, ne serait-ce que pour un seul point.
Pour assister Rosberg, Frank Williams a tenté de convaincre Alan Jones de sortir de sa retraite, en vain. Il jette donc son dévolu sur Jacques Laffite. Il fait le choix de l'expérience, bien que Laffite, malmené par Cheever et rapidement démobilisé devant les difficultés rencontrées par la JS19, ne se soit pas montré sous son meilleur jour en 1982. En signant chez Williams, Jacques espère obtenir plus facilement un moteur turbo que Guy Ligier ne peut lui offrir.
Après des essais à Silverstone, McLaren prétend avoir résolu le manque d'adhérence de ses MP4. Il s'agissait d'une mauvaise répartition de l'effet de sol. Les Lotus 91 ont subi quelques modifications : une voie avant plus large pour celle de Mansell, un capot moteur aplati dépourvu de prise d'air et de nouveaux types d'ailerons arrière pour les deux modèles. Des suspensions avant et arrière toutes neuves apparaissent sur les March. Chez Toleman, seul Warwick dispose de la TG183, Fabi se contenant de l'antique « General Belgrano ».
Les qualifications
Les essais se déroulent par une forte chaleur. Les Renault tournent comme des horloges et dominent la concurrence. Prost réalise sa cinquième pole position de la saison, quatre dixièmes de seconde devant Arnoux. Cinq partout, ainsi s'achève le match des deux équipiers en qualifications pour cette saison. Alboreto fait forte impression avec sa Tyrrell qu'il hisse au troisième rang. Autre surprise : Cheever place la Ligier JS19 en quatrième position. Les Brabham souffrent d'un manque d'équilibre, et si Patrese sauve les meubles avec une cinquième place, Piquet n'est que douzième après avoir rencontré des problèmes de turbo. Rosberg obtient une satisfaisante sixième place tandis que Daly, handicapé par une voiture lourde, est seulement quatorzième. Les Ferrari font pâle figure ici : Andretti (7ème) a subi plusieurs avaries et Tambay (8ème) souffre à nouveau de son hernie discale. Les McLaren manquent de punch: Watson est neuvième et Lauda treizième. La MP4/1B a intérêt à se montrer plus véloce en course, sinon Rosberg n'a aucun souci à se faire...
Malgré deux accidents, Warwick obtient une belle dixième place avec la nouvelle Toleman. Il précède Laffite dont la voiture fonctionne moins bien que celle de son équipier. Guerrero se met une nouvelle fois en évidence en arrachant la quinzième place avec l'Ensign, efficacement chaussée par Michelin. Ce n'est pas le week-end des Alfa Romeo dont le V12 s'accommode fort mal de la chaleur. Giacomelli est 16ème et de Cesaris 18ème. Chez Arrows, Surer est 17ème avec l'A5, Baldi 24ème avec l'A4. Henton est dix-neuvième. Les Lotus n'ont aucune adhérence sur ce tracé et le résultat est lamentable : de Angelis se classe 21ème, Mansell 22ème. Sont aussi qualifiés Winkelhock et les March de Boesel et de Keegan. Byrne, Salazar, Fabi et Serra ne sont pas qualifiés.
Jarier et les « assassins »
Vendredi après-midi, Jean-Pierre Jarier conduit l'Osella lorsque, lancé à pleine vitesse, il perd sa roue avant-droite ! La voiture folle quitte la route, est déviée par le sable qui jouxte le bitume et s'écrase contre un mur de pneus. Heureusement, Jarier encaisse un choc latéral et non pas frontal. Il est sonné mais indemne. « Assassins, assassins... » marmonne-t-il à l'adresse de son équipe. Ce n'est pas la première fois qu'il frôle le pire à cause d'une défaillance mécanique. Déjà à Monza une de ses roues s'était détachée à haute vitesse. Le directeur technique Hervé Guilpin rejette la responsabilité sur Enzo Osella : « Depuis des mois j'ai peur pour Jarier, comme j'avais peur pour Paletti... Faute d'argent, je n'ai plus le droit de changer quoi que ce soit, pas même les pièces de sécurité comme les rotules de suspension. [...] Cette voiture est une catastrophe. Ce qu'Osella fait tient de la folie ! » L'intéressé n'est pas du même avis : « Je paie un technicien, non ? C'est à lui de juger, de prendre des décisions, de présenter un matériel fiable. »
Toujours est-il que Jarier refuse de remonter dans sa monoplace. Lui et Guilpin quittent avec fracas la petite équipe italienne.
Le Grand Prix
Tambay souffre toujours atrocement du cou. Ses médecins l'ont prévenu : s'il dispute la course, il risque une longue immobilisation et pourrait ne pas être rétabli pour la saison 1983. Patrick déclare forfait, fait ses bagages et part prendre un repos bien mérité. Guerrero tombe en panne de moteur lors du warm-up du samedi matin. Comme Ensign n'a pas de bloc de rechange, le Colombien est contraint de quitter l'épreuve.
La course se déroule sous un ciel couvert mais la température reste relativement élevée. En raison de la lenteur de la bretelle d'accès aux stands, Brabham a renoncé à faire ravitailler ses pilotes. Keke Rosberg décide de mener une course d'attente et fait un choix de pneumatiques très conservateur. Grâce au forfait de Jarier, Byrne et sa Theodore sont admis au départ. A cause d'un souci technique, Boesel s'élance avec quatre tours de retard.
Départ : Prost conserve la première place devant Arnoux. Au premier freinage, Cheever tente de doubler Alboreto par l'intérieur, mais l'Italien ne se laisse pas faire et ferme la porte. Les deux voitures se frottent rudement et Cheever en sort avec un train avant déréglé. Rosberg a été prudent et laisse filer Patrese.
1er tour : Patrese déborde Cheever et Andretti dépasse Rosberg. Les Renault s'envolent. Prost devance Arnoux, Alboreto, Patrese, Cheever, Andretti, Rosberg, Piquet, Warwick et Daly. Watson est onzième et Lauda quatorzième.
2e : En fin de tour, Prost sent que sa pédale de frein colle au plancher. Il évite la sortie de route, mais Arnoux profite de son hésitation pour le doubler et s'empare du commandement. Laffite dépasse Watson.
3e : Arnoux précède Prost (1s.) et Alboreto (3.5s.). A huit secondes vient un peloton composé de Patrese, Cheever, Andretti, Rosberg et Piquet. Puis surgit un autre groupe où l'on trouve Daly, Warwick, Laffite, Watson, de Cesaris et Lauda.
4e : Laffite s'arrête à son stand pour résoudre un problème électrique.
5e : Arnoux mène devant Prost (0.8s.) et Alboreto (5.7s.). Le « groupe Patrese » est relégué à treize secondes. Cheever résiste à une attaque d'Andretti. Watson dépasse Daly.
6e : Watson double Warwick. Le voici parti pour une de ces remontées dont il a le secret. Mais derrière Warwick, la queue s'allonge et l'on voit désormais s'y agréger Surer, Henton, de Angelis et Giacomelli.
7e : De Cesaris prend la onzième place à Daly.
8e : L'intervalle entre les Renault et Alboreto se stabilise. Cheever klaxonne derrière Patrese, toujours aussi difficile à dépasser, pendant qu'Andretti subit les assauts de Rosberg. Watson est lancé à la poursuite de Piquet.
9e : Baldi percute Mansell et l'expédie en tête-à-queue. La Lotus renverse un grillage dans son embardée. Mansell tente de répartir mais s'aperçoit bientôt que sa suspension a souffert et préfère renoncer.
10e : Arnoux devance Prost (1.5s.), Alboreto (3.9s.), Patrese (17.6s.), Cheever (18.2s.), Andretti (20.3s.), Rosberg (20.8s.), Piquet (22.4s.) et Watson (23.1s.). Le moteur de Warwick a des ratés, et le pilote anglais doit laisser filer de Cesaris, Daly, Lauda et Surer. Laffite reprend la piste après un long arrêt.
11e : Watson dépasse Piquet par l'intérieur du virage n°8. Laffite s'arrête dans le sable en panne d'allumage.
12e : Watson est désormais dans les roues de Rosberg. Daly repasse devant de Cesaris. Le classement virtuel du championnat est celui-ci : Rosberg : 42 pts ; Watson : 33 pts ; Lauda : 30 pts.
13e : Prost se rapproche d'Arnoux qui sent son moteur faiblir. Mais le très étonnant Alboreto rattrape les deux Renault.
14e : Watson est dans les échappements de Rosberg qui objectivement n'a aucune raison de lui résister. Warwick s'arrête au stand Toleman pour changer une bougie.
15e : Prost reprend la première place aux dépens d'Arnoux. Andretti recolle à Cheever et à Patrese. Watson dépasse Rosberg par l'intérieur au virage n°3.
16e : Watson rattrape facilement Andretti.
17e : Prost prend du champ en tête tandis qu'Alboreto menace Arnoux. Watson dépasse Cheever. Le classement virtuel du championnat est désormais celui-ci : Rosberg : 42 pts ; Watson 35 pts ; Lauda 30 pts.
18e : Watson bute sur Patrese, mais pour peu de temps. Juste après avoir franchi la ligne, l'Italien se range sur le bas-côté, en panne d'embrayage. Voici Watson quatrième. Rosberg est septième. Lauda est onzième et bloqué derrière de Cesaris.
19e : Watson s'échappe du groupe Cheever - Andretti - Rosberg. Pourra-t-il rattraper le duo Arnoux - Alboreto ?
20e : Arnoux regagne son stand avec un moteur balbutiant. Ses mécaniciens examinent le V6 puis, voyant qu'il n'y a plus rien à faire, René sort de sa voiture. Ainsi s'achève sa collaboration avec Renault. Watson grimpe au troisième rang et Rosberg entre dans les points. Ce qui donnerait au classement final: Rosberg : 43 pts ; Watson 37 pts ; Lauda 30 pts.
21e : Prost est premier devant Alboreto (8.6s.), Watson (30.7s.), Cheever (32.8s.), Andretti (37.6s.), Rosberg (38.3s.) et Piquet (44s.). Suivent Daly, de Cesaris, Lauda, Surer et de Angelis. Second arrêt de Warwick. Winkelhock s'arrête chez ATS pour résoudre des soucis d'alimentation et repart.
23e : Prost accroît son avance sur Alboreto. Rosberg demeure sagement derrière Andretti, attendant que la situation de décante.
25e : Prost a dix secondes d'avance sur Alboreto. Watson concède trente-et-une secondes et ne peut plus compter que sur la chance pour être sacré.
26e : Piquet entre aux stands. Ses mécaniciens découvrent qu'une électrode de bougie cassée a causé des dommages irrémédiables sur le moteur BMW. C'est l'abandon pour le Brésilien. Toujours en proie à des soucis d'injection, Winkelhock repasse par son stand.
27e : Andretti résiste à Rosberg lorsqu'un triangle de sa suspension arrière se brise. La Ferrari part brusquement en glissade, quitte la route et atterrit dans le sable. L'Italo-Américain abandonne sa voiture.
28e : Rosberg est maintenant cinquième. Le championnat présenterait cette figure : Rosberg : 44 pts ; Watson 37 pts ; Lauda 30 pts.
29e : Lauda harcèle de Cesaris pour le gain de la septième place. Le moteur de de Angelis expose dans un nuage de fumée. Le jeune Italien stoppe sa Lotus dans le sable.
31e : Lauda attaque de Cesaris et le déborde par l'intérieur au premier freinage. Mais l'Italien demeure dans son sillage et le repasse au virage suivant qui tourne à droite. Lauda sa place ensuite idéalement à l'intérieur avant le virage n°3 mais de Cesaris lui ferme la porte. L'Autrichien freine très tard avant le « gauche » serré qui suit, mais il se trouve à l'extérieur et de Cesaris garde l'avantage.
32e : Quatorze secondes entre Prost et Alboreto. Lauda tente à nouveau de dépasser de Cesaris au virage n°1 mais celui-ci ne se laisse pas faire et reste devant.
34e : Lauda déborde de Cesaris par l'intérieur sur la ligne de chronométrage. Le pilote Alfa lui laisse fort peu d'espace, mais au freinage Lauda s'engouffre dans le trou de souris et passe enfin.
35e : Prost est premier devant Alboreto (14.2s.), Watson (27.7s.), Cheever (40.8s.), Rosberg (52.1s.), Daly (1m. 08s.), Lauda (1m. 10s.) et de Cesaris (1m. 12s.). Warwick abandonne suite à ses problèmes de bougies. Winkelhock redémarre après un quart d'heure d'immobilisation.
37e : Lauda prend la sixième place à Daly.
38e : Prost rencontre quelques soucis avec ses freins et lève le pied pour les ménager. Daly profite d'une petite faute de Lauda pour lui repasser devant.
39e : Watson est gêné par le retardataire Giacomelli. Très incisif, Lauda surprend Daly par l'intérieur au dernier virage. Il est désormais sixième et va maintenant essayer de rattraper Rosberg.
40e : Prost est en tête devant Alboreto (14.6s.), Watson (27.5s.), Cheever (41.4s.), Rosberg (55s.), Lauda (1m. 15s.), Daly (1m. 16s.) et de Cesaris (-1t.). Suivent Surer, Henton, Giacomelli et Baldi. Au championnat : Rosberg : 44 pts ; Watson 37 pts ; Lauda 31 pts.
42e : Byrne part en tête-à-queue dans les graviers et y reste enlisé.
44e : Prost est en difficulté car ses pneus se sont encrassés. Comme l'an passé, les Michelin ramassent beaucoup de gomme sur cette piste. Lorsque Prost sollicite ses freins, ceux-ci vibrent tellement qu'il en a le souffle coupé ! Alboreto s'en rapproche ainsi.
45e : Prost précède Alboreto (11.2s.), Watson (23.2s.), Cheever (37.4s.), Rosberg (52s.) et Lauda (1m. 13s.).
47e : Alboreto est revenu à huit secondes de Prost.
49e : Lauda ne remonte pas sur Rosberg. Le Finlandais n'a plus qu'à rallier tranquillement l'arrivée pour devenir champion du monde, indépendamment de ce que fera Watson, toujours troisième.
50e : Prost est de plus en plus ballotté à chaque freinage. Alboreto est revenu à trois secondes.
51e : Voici Alboreto dans les échappements de Prost qui n'a aucun moyen de résistance.
52e : Dans le virage virage n°2 Alboreto se place à l'intérieur mais Prost lui ferme la porte au nez. Le jeune Italien plonge à l'intérieur du quatrième virage et laisse son adversaire sur place. Alboreto mène son premier Grand Prix. Explosion de joie chez Tyrrell.
53e : Alboreto sème Prost qui devient une proie facile pour Watson. Lauda entre dans les stands. Son V8 Ford-Cosworth est surchauffé. Niki renonce et est désormais définitivement hors course pour le titre mondial.
55e : Watson n'est plus qu'à deux secondes de Prost.
56e : Watson prend la seconde position à Prost. La question est désormais de savoir s'il est capable de rattraper Alboreto. De toutes manières il doit aussi compter sur un abandon de Rosberg. Si la course s'arrêtait là, le classement mondial serait le suivant : Rosberg : 44 pts ; Watson 39 pts.
57e : Alboreto mène devant Watson (11.6s.), Prost (14s.), Cheever (31.2s.), Rosberg (45.9s.), Daly (-1t.), de Cesaris (1t.) et Surer (-1t.).
58e : Watson ne parvient pas à rattraper Alboreto pour la bonne raison que, comme pour Prost mais dans une moindre mesure, ses pneus Michelin s'encrassent et suscitent de fortes vibrations.
59e : Alboreto réalise le meilleur tour de la course : 1'19''639'''. Watson se retrouve derrière Daly qui ne se prive pas de le bouchonner sur deux virages... Surer dépasse de Cesaris.
60e : Alboreto précède Watson (18.3s.), Prost (29.1s.), Cheever (35.7s.), Rosberg (53.1s.) et Daly (-1t.).
62e : L'écart se creuse entre Alboreto et Watson. Cheever menace Prost qui se débat toujours avec sa machine.
63e : Henton prend la huitième place à de Cesaris. Les pilotes Alfa souffrent du « mal Michelin » : pneus sales et vibrations.
65e : Vingt-quatre secondes séparent Alboreto et Watson. Prost se défend farouchement contre Cheever, son futur équipier chez Renault.
66e : Cheever parvient à doubler Prost au virage n°2.
68e : Alboreto devance Watson (24.1s.), Cheever (45.6s.), Prost (46.6s.), Rosberg (1m. 04s.), Daly (-1t.), Surer (-1t.) et Henton (-1t.).
70e : Watson n'a plus aucune chance de rattraper Alboreto auquel il concède vingt-huit secondes. Au prix d'efforts surhumains, Prost parvient à rester au contact de Cheever. Rosberg mène un train de sénateur malgré une crampe au pied droit.
72e : L'écart est stable entre Alboreto et Watson. Prost lève le pied car il est au bord du malaise tant sa Renault vibre à chaque décélération.
73e : Daly est aux prises avec un violent sous-virage et voit Surer revenir dangereusement sur ses talons.
74e : Encore un tour à tenir pour Alboreto et pour Rosberg.
75ème et dernier tour : Michele Alboreto remporte son premier Grand Prix de Formule 1. Tyrrell n'avait plus gagné depuis quatre ans ! Watson a mené une course admirable mais sa deuxième place ne lui permet pas de coiffer la couronne mondiale. Cheever monte sur son troisième podium de la saison. Prost termine quatrième après une course fort éprouvante. Rosberg franchit la ligne d'arrivée en cinquième position et devient le champion du monde 1982. Daly inscrit un point pour sa dernière course avec Williams. Surer, Henton, de Cesaris, Giacomelli, Baldi, Keegan et Boesel rallient l'arrivée, tout comme Winkelhock qui n'est pas classé.
Keke Rosberg explose de joie au passage de la ligne et brandit un poing victorieux. Le chef-mécanicien de Williams Alan Challis le salue de l'Union Jack et... du drapeau saoudien. Pendant ce temps-là, Ken Tyrrell a du mal à retenir ses larmes. Son équipe n'avait plus goûté aux joies de la victoire depuis le succès de Patrick Depailler au GP de Monaco 1978 !
Michele Alboreto est le onzième pilote à remporter un Grand Prix cette année. Un record pour une saison complètement folle ! D'autre part, Lee Gaug et Pierre Dupasquier peuvent sportivement se serrer la main : Goodyear et Michelin finissent 1982 à égalité, avec huit victoires partout !
Après la course: titres pour Rosberg, Williams et Ferrari, renaissance de Tyrrell
Sorti de son habitacle, Rosberg est applaudi par les quelques supporteurs finlandais qui ont pu se payer le déplacement outre-Atlantique. Il est entouré par Frank Williams, Patrick Head, Alan Challis, Frank Dernier, Peter Collins, toute une équipe Williams un peu étonnée de ce titre mondial tombé du ciel. Après ses glorieuses campagnes de 1980 et 1981, elle n'a en effet arraché qu'une seule victoire cette année, à Dijon-Prenois. Si la FW08 était une voiture fiable et bien équilibrée, elle était aussi incroyablement difficile à régler et son moteur Ford-Cosworth fut largement dépassé par les turbos. Il a fallu le talent et la pugnacité de Rosberg, ainsi qu'une bonne dose de chance, pour qu'elle puisse décrocher une couronne mondiale.
Rosberg est invité à rejoindre Alboreto, Watson et Cheever sur le podium. Ils ont la bonne surprise d'y trouver Diana Ross. Rosberg tombe dans les bras d'Alboreto, une belle image de deux beaux champions. L'année précédente, ni l'un ni l'autre n'avait inscrit le moindre point ! Rosberg embrasse aussi son épouse Yvonne. Watson sable le champagne de bon cœur. L'Irlandais n'est pas vraiment déçu car il savait que ses chances d'être titré étaient minimes. Malgré de beaux exploits, il a été trop irrégulier cette saison pour devenir champion. Seul Cheever paraît contrarié. Il est persuadé que sans son accrochage avec Alboreto au premier virage, il pouvait gagner la course...
Marco Piccinini s'approche de Frank Williams pour le féliciter. Très sportivement, Frank lui répond : « Merci Marco mais, tu sais, ce championnat, c'est vous qui le méritiez ! » Ce n'est pas faux. A des milliers de kilomètres de là, depuis son lit d'hôpital, Didier Pironi a suivi la finale de championnat du monde. Et même si désormais ses efforts sont tournés vers un combat autrement plus important, il sait que sans ce terrible accident du 7 août, c'est lui qui aurait coiffé la couronne mondiale. La Ferrari était si rapide et si fiable qu'il est fort peu probable que Rosberg, Watson, Prost ou un autre aurait pu lui ravir cet honneur. Le sort en a décidé autrement.
Au moins, la Scuderia se console en obtenant le titre des constructeurs, pour cinq points seulement devant McLaren. Viennent ensuite Renault, Williams, Lotus et Tyrrell. Deux ans auparavant, les voitures rouges étaient repoussées en fond de grille... Cette renaissance est le fruit des efforts de Mauro Forghieri, d'Harvey Postlethwaite et de tous leurs hommes qui ont produire un excellent moteur turbo et surtout un très bon châssis enfin capable de rivaliser avec les productions britanniques. Cette coupe des constructeurs est aussi l'œuvre de Patrick Tambay qui a su à merveille tenir son rôle de remplaçant, puis de leader d'une équipe meurtrie par les accidents de Gilles Villeneuve et de Didier Pironi. Comme Rosberg, Tambay était un sans-grade qui a pris cette année une toute autre dimension.
Enfin, et fort heureusement, McLaren comme Williams seront déboutées à l'issue des procédures judiciaires qu'elles sont lancées. Le championnat ne sera pas entaché par de nouveaux conflits.
Keke Rosberg, manant des pistes devenu roi
Le grand public découvre Keijo Rosberg, ce Finlandais moustachu de 34 ans, champion improbable d'une saison à la fois rocambolesque et tragique. L'homme est secret, distant, parfois ironique voire piquant. Il ressemble à Alan Jones, et c'est ce qui plaît à Frank Williams. Rosberg a un caractère bien trempé et un sacré aplomb: « Je suis parti le couteau entre les dents, dit-il après la course. Tout le monde disait que le titre 82 irait soit à Prost soit à Pironi. Moi je pensais depuis le mois de décembre 81 qu'il ne pouvait pas m'échapper ! »
Ce pilote au tempérament de feu fait montre d'une fougue peu commune tout en ne commettant pas plus d'erreurs que les autres. Bien qu'opportuniste, son sacre est entièrement mérité. Les retraites successives d'Alan Jones et de Carlos Reutemann l'ont propulsé au premier plan. Il a pris en main l'équipe Williams, tiré le meilleure partie d'une machine plutôt médiocre, et fini par triompher d'adversaires coriaces. Il n'a remporté qu'une seule course en 1982 mais est entré dix fois dans les points. Le cow-boy scandinave allie un brio à la Peterson à un art du calcul à la Lauda. Après des années de vaches maigres avec Theodore, Wolf ou Fittipaldi, cet authentique épicurien peut savourer son nouveau statut de prince de la vitesse.
La mort de Colin Chapman (15 décembre 1982)
Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1982, Colin Chapman succombe brusquement à un infarctus dans son château de Ketteringham Hall. Il avait 54 ans. Le fondateur de Lotus laisse un vide immense après avoir marqué profondément l'histoire de l'automobile. Seul Enzo Ferrari peut lui être comparé. Ingénieur, mécanicien, capitaine d'industrie, directeur d'équipe et même pilote, Chapman fut tout cela à la fois, et le plus souvent en même temps.
Chapman a fondé Lotus en 1952 et s'est rapidement spécialisé dans la création de voitures de sport, notamment la célèbre Lotus Elite. Après avoir mis un terme à sa carrière de pilote, il crée sa première Formule 1 en 1958. Il vit son âge d'or dans les années 1960 lorsqu'il domine la discipline avec son grand pilote et ami Jim Clark. Chapman marque profondément l'histoire de la Formule 1 par son génie fécond. Il est l'initiateur de grandes révolutions technologiques, pour le meilleur (voiture monocoque, utilisation de fibres synthétiques, moteur porteur arrière, voiture à quatre roues motrices, réservoirs latéraux, « wing-cars »), comme pour le pire (voiture à turbine, « voiture-aile » intégrale de 1979 etc.). Le succès commercial de ses véhicules de route, et particulièrement de la splendide Lotus Elan, permet au petit garagiste de devenir en quelques années milliardaires, à la tête d'une des firmes automobiles les plus célèbres au monde. Sa fièvre créatrice ne se bornait pas à l'automobile : à son décès, il était sur le point de dévoiler le Technocrat, un avion construit entièrement en fibre de carbone.
L'homme fut contesté. Ne vivant que pour la course, il était de caractère fort difficile et fut souvent accusé de préférer la recherche de la performance à la sécurité de ses pilotes. Jochen Rindt lui a amèrement reproche, avant de se tuer au volant d'un de ses bolides en 1970... De même, sa perpétuelle recherche de l'innovation technologique le fit plusieurs fois entrer en conflit ouvert avec l'autorité sportive, du scandale des Lotus 23 aux 24 heures du Mans 1962 à celui de la 88 à « double-châssis » en 1981.
Quoiqu'il en soit, Chapman laisse un vide immense dans le monde de la compétition de l'automobile. Ce géant ne sera jamais remplacé.
Tony