A mi-saison, le championnat du monde des conducteurs est plus serré que jamais. Niki Lauda mène en effet avec un point d'avance sur Mario Andretti et Jody Scheckter et quatre longueurs sur son équipier Carlos Reutemann. Vainqueur de trois Grands Prix cette saison, Andretti bénéficie avec la Lotus 78 de la meilleure voiture grâce à son « effet de sol », géniale trouvaille de Colin Chapman. Il est donc le favori pour remporter le titre mondial. Face à lui, la Wolf de Scheckter est un outsider dangereux. Mais le Sud-Africain demeure sur trois abandons consécutifs. Quant aux Ferrari, elles sont les adversaires les plus coriaces des Lotus, mais elles souffrent de soucis de tenue de route depuis plusieurs mois. Néanmoins Andretti serait stupide de négliger Lauda qui, s'il ne semble pas être un prétendant à la victoire en course, est d'une régularité exemplaire.
Face à ces leaders, les Brabham-Alfa Romeo de John Watson et Hans Joachim Stuck jouent les trouble-fêtes. Mais le Flat 12 italien n'est encore pas parfait, la fiabilité fait défaut à la BT45B, et le feeling technique de feu Carlos Pace manque aux ingénieurs. Chez McLaren, James Hunt refuse de se résigner à l'abandon de son titre mondial, même si sa nouvelle M26 tarde à se montrer performante. Le champion du monde a vingt points de retard sur Lauda ? C'est toujours moins que l'année précédente à la même époque... Enfin, nul ne songe plus aux Tyrrell de Patrick Depailler et Ronnie Peterson, condamnées à faire de la figuration. La P34 est décidément trop compliquée à mettre au point et le concept va sans doute être abandonné à la fin de la saison.
En 1976, James Hunt l'avait emporté à Brands-Hatch avant d'être disqualifié deux mois plus tard par un jugement de la FIA. Cette année, il compte bien prendre sa revanche en triomphant sur ce tracé de Silverstone qu'il affectionne particulièrement. Il pourra en tout cas compter sur le soutien inconditionnel du public.
Débuts de la Renault turbo et de Michelin
La grande nouvelle du rendez-vous de Silverstone est l'arrivée de Renault en Formule 1 via la RS01 confiée à Jean-Pierre Jabouille. Sa grande originalité est son moteur de 1,5 litre suralimenté par un turbocompresseur. Il est issu d'un programme lancé en 1975 par Elf, l'un des partenaires de Renault. Les ingénieurs François Castaing et Bernard Dudot ont présidé à son développement. Le système de suralimentation est de type centrifuge. Cette suralimentation par turbocompresseur fonctionne par la récupération de l'énergie dégagée par les gaz d'échappement. Celle-ci actionne une turbine, reliée à une autre turbine ou compresseur qui réinjecte l'air frais comprimé dans chaque cylindre. Le circuit d'alimentation est régulé par une soupape de décharge grâce à laquelle on détermine une pression d'admission et une pression d'échappement dont la valeur commande le niveau de puissance. A Silverstone, le V6 a une puissance de 490 chevaux.
Si Renault est la première équipe à introduire la suralimentation en Formule 1 moderne, la technique est alors déjà utilisée aux USA, en Indy Car, en CanAm, ou en Endurance.
Cette RS01 a été présentée le 10 mai et a été conçue par François Castaing et André de Cortanze. Sa structure est très conventionnelle. A son volant on retrouve l'expérimenté Jean-Pierre Jabouille, 34 ans, dernier champion d'Europe de Formule 2. Depuis un an et demi, il a couvert des milliers de kilomètres en essais pour mettre au point ce fameux moteur. L'équipe est dirigée par l'ancien pilote Gérard Larrousse.
Avec Renault, Michelin fait aussi ses débuts en Formule 1 en tant que manufacturier. L'entreprise clermontoise introduit pour l'occasion un pneumatique à carcasse radiale, là aussi une grande première en Grand Prix.
Les constructeurs de la F1CA ont d'abord rechigné à admettre la participation de Renault, mais ils ont été circonvenus par Bernie Ecclestone qui pense que l'arrivée de constructeur français ne peut que renforcer l'attrait des médias pour la Formule 1.
Bien évidemment ce Grand Prix n'a qu'une valeur de test pour Renault. Le turbo n'en est qu'à ses balbutiements et son temps de réponse demeure bien trop long. Pour les premiers essais, c'est même un turbo de... camion qui est monté sur la voiture de Jabouille, avant d'être remplacé par un Garrett le jeudi soir. Les nombreuses pannes qui vont affecter le moteur vaudront à la RS01 son surnom de « Yellow Teapot », la théière jaune.
Une pléiade d'engagés
McLaren aligne enfin deux M26 pour cette course: les M23 seront désormais confiées à des pilotes privées.
Parmi les changements de pilotes, Vern Schuppan remplace Larry Perkins chez Surtees. En outre, le Français Patrick Tambay est engagé pour piloter une Ensign TS19 achetée par le milliardaire hongkongais Teddy Yip sous le nom de Theodore. Âgé de 28 ans, Tambay a terminé troisième du championnat d'Europe de Formule 2 en 1976 mais n'a pas trouvé de débouché en Europe pour 1977. Le photographe Bernard Cahier l'a alors aidé à trouver quelques petits sponsors pour rebondir aux USA. Depuis, il brille en CanAm au volant des Lola de Carl Haas. Désormais soutenu par Elf et Marlboro, Tambay accède à cette F1 qui lui semblait inaccessible il y a quelques mois.
Ce Grand Prix de Grande-Bretagne voit un grand nombre d'engagements: 40 pilotes sont inscrits. Parmi les « nouveaux » ou assimilés, on note le jeune Québécois Gilles Villeneuve, recruté par McLaren pour piloter une M23 officielle. Il a été chaudement recommandé par James Hunt qui l'a découvert lors d'une course de Formule Atlantique à Trois-Rivières en 1976. Ayant effectué des essais à Silverstone une semaine avant le Grand Prix, Villeneuve se révèle tout de suite très véloce.
On signale également le retour de l'équipe RAM avec deux March 761 confiées à Mikko Kozarowitsky et Andy Sutcliffe. Bien que toujours à l'agonie financièrement, BRM n'aurait pas pu rater sa course nationale. Mais Conny Andersson a été remplacé par Guy Edwards au volant de la poussive P207. L'équipe de Brian Henton aligne deux March: une pour le patron et une autre pour Bernard de Dryver. Le revenant Derek Bell tente sa chance avec une Penske sponsorisée par Hexagone of Highgate. Tony Trimmer pilote lui une Surtees TS19 engagée par le Melchester Racing. Enfin l'Australien Brian McGuire a acheté une vieille Williams FW04 et l'a modifiée pour la rebaptiser de son propre nom.
Les qualifications
Face au très grand nombre de pilotes engagés, le RAC décide de mettre en place pour le mercredi précédant la course deux séances de pré-qualifications afin d'écrémer le plateau. Les écuries concernées seront celles qui ne sont pas affiliées à la FOCA. Certains pilotes sont éliminés sans avoir couru: la Penske privée de Derek Bell est jugée non conforme, tandis que la March de de Dryver et les Hesketh de Rebaque et d'Ertl ne peuvent courir.
Les pré-qualifications concernent donc la McLaren de Villeneuve, l'Ensign Theodore de Tambay, la Penske ATS de Jarier, la McLaren privée de Lunger, la March Williams de Nève, les March du team R.A.M confiées à Kozarowitsky et Sutcliffe, la BRM d'Edwards, la Surtees Melchester de Trimmer, la LEC de Purley, la McLaren espagnole de de Villota, la March privée d'Henton et enfin la Williams rebaptisée de Brian McGuire.
Ces essais sont marqués par deux gros accidents. Le premier implique Kozarowitsky qui démolit sa voiture et met ainsi fin à son week-end. Le second est bien plus terrible. A cause d'un accélérateur bloqué, David Purley sort de la route à Becketts et percute le mur avec une violence inouïe. Il encaisse un incroyable choc de 179 g. La décélération de 179 à 0 km/h s'est faite sur moins de 70 centimètres ! La survie de Purley est proprement miraculeuse. Il s'en sort toutefois avec de multiples fractures aux jambes, à la ceinture pelvienne et un sérieux traumatisme crânien.
Suite à ces essais pré-qualificatifs, Purley, Sutcliffe, Edwards, McGuire, Trimmer et Kozarowitsky sont éliminés.
Les essais qualificatifs s'annoncent très serrés. On s'attend à une lutte entre les Lotus, les Brabham et la Wolf de Scheckter. Mais il apparaît bien vite que les McLaren sont très compétitives et surtout que les Ferrari sont en net regain de forme. Après avoir enfin résolu le problème de tenue de route qui les affectait, les 312 T2 sont aussi véloces qu'autrefois. Aussi, les séances se résument dans un premier temps à un duel Hunt-Lauda. On se croirait revenu une année en arrière. Très en verve, Hunt signe la pole position avec deux dixièmes d'avance sur...Watson. Le Nord-Irlandais s'est en effet réveillé le vendredi pour arracher une place en première ligne. En deuxième ligne on retrouve Lauda et Scheckter qui précèdent les deux Lotus de Nilsson et Andretti. La quatrième ligne est composée de Stuck et de Brambilla. Villeneuve fait très forte impression en décrochant la neuvième place, devant Peterson et surtout son équipier Mass, seulement onzième.
Tout va mal pour Reutemann qui connait un week-end calamiteux. Contrairement à son équipier, il souffre toujours de problèmes de tenue de route et ne se qualifie qu'en quatorzième position. Depailler est tout aussi catastrophé: sa P34 est inconduisible et il n'est que dix-huitième. Et dire qu'en début de saison le Clermontois rêvait du titre mondial...
Tambay obtient quant à lui sa première qualification à la seizième place, juste derrière la Ligier de Laffite.
Après une mauvaise séance d'essais le jeudi, Jabouille est parvenu à qualifier la Renault à la vingt-et-unième place.
Les qualifications voient les échecs de Ribeiro, Henton, de Villota, et surtout celui très étonnant de Regazzoni, victime de problèmes de tenue de route et de moteur.
Le Grand Prix
Le samedi après-midi, sous un ciel voilé, des centaines de milliers de spectateurs se pressent pour encourager leur idole en pole position. Face à un public plus huntiste que jamais, les autres coureurs se sentent quelque peu en milieu hostile. C'est le cas notamment des membres de l'équipe Renault, hués à chaque fois que le speaker officiel Jean-Charles Laurens les cite.
Départ: Comme souvent, Hunt prend un départ très moyen, au contraire de Watson qui vire en tête au premier virage. Lauda est deuxième, Scheckter troisième et Hunt seulement quatrième.
1er tour: Suite à un choc avec Merzario, Keegan part en tête-à-queue à Copse et ne pourra pas repartir. Hunt attaque Scheckter à Stowe, sans succès. Watson mène devant Lauda, Scheckter, Hunt, Nilsson, Andretti, Villeneuve, Mass, Brambilla et Peterson.
3e: Peterson est au ralenti à cause d'une panne de moteur: c'est fini pour lui. Jabouille est dix-huitième avec la Renault turbo.
4e: Tambay n'aura pas été loin pour sa première course: il revient à son stand et abandonne à cause d'une panne d'allumage sur son Ensign.
5e: Watson ne parvient pas à s'échapper et ne compte qu'une seconde d'avance sur Lauda. Vient ensuite un vaste peloton composé de Scheckter, Hunt, Nilsson, Andretti, Villeneuve, Mass et Brambilla.
6e: Andretti prend la cinquième place à Nilsson. Il attaque en suite Hunt, sans succès
7e: Hunt déborde Jody Scheckter à Stowe. Peu après Ian Scheckter sort violemment de la piste à Club et tape les protections. La March est détruite mais le Sud-Africain est indemne. Reutemann part en tête-à-queue à cause de la rupture d'une canalisation de frein à l'avant. Il regagne son stand pour faire réparer. Il va repartir dernier après plusieurs minutes d'arrêt.
10e: Watson, Lauda et Hunt se tiennent chacun en une seconde. Scheckter est semé, à six secondes. S'apercevant que son compteur d'huile est à zéro, Villeneuve revient à son stand. Mais en fait c'est le compteur qui est défaillant et Alastair Caldwell ordonne au jeune Québécois de retourner en piste. Il a chuté au vingt-et-unième rang. Sans cet incident Villeneuve aurait certainement inscrit des points pour cette première course.
12e: Après un bon début de course, Jabouille entre au stand Renault à cause d'une fuite sur le collecteur d'admission. Il peut repartir après dix minutes de réparation.
15e: Lauda est de plus en plus pressant derrière Watson. Hunt les observe. Plus loin Scheckter est attaqué par les deux Lotus.
17e: Sortie de piste de Depailler à Copse. La Tyrrell finit sa course dans les protections. Le Français expliquera plus tard qu'il n'avait plus de freins.
19e: Lauda est en difficulté: il laisse Watson s'échapper et voit Hunt se coller à l'arrière de sa Ferrari.
20e: Hunt attaque Lauda à Woodcote, mais l'Autrichien lui ferme la porte au nez.
21e: Après un beau début de course qui l'a vu passer de la 25ème à la 14ème place, Patrese doit renoncer à cause d'un problème de pression d'essence.
23e: Hunt attaque et passe Lauda à Woodcote.
25e: Hunt commence à semer Lauda et se rapproche de Watson.
28e: Plus que trois secondes d'écart entre Watson et Hunt.
29e: Merzario abandonne après une panne de transmission. C'est une grosse déception pour l'Italien qui occupait une belle onzième place. Lunger s'arrête à son stand pour faire changer sa boîte d'allumage.
31e: Watson ne compte plus qu'une seconde et demie d'avance sur Hunt. Lauda est relégué à huit secondes. Scheckter est quatrième et devance Andretti, Nilsson, Mass, Brambilla, Laffite et Stuck.
32e: Après avoir parcouru quelques autres tours, Jabouille abandonne, le compresseur ayant souffert de la précédente fuite. Mais les débuts du moteur turbo sont encourageants.
34e: Brambilla, Laffite et Stuck sont en bagarre pour la huitième place.
35e: Watson mène devant Hunt (1s.), Lauda (7.5s.), Scheckter (18s.). Viennent ensuite Andretti, Nilsson et Mass, puis Brambilla, Laffite et Stuck.
36e: Hunt est dans le sillage de Watson mais ne trouve pas l'ouverture pour le dépasser.
37e: Stuck prend la neuvième place à Laffite.
40e: Watson et Hunt poursuivent leur bagarre. Le champion du monde attend que le Nord-Irlandais fasse une faute pour le doubler.
42e: Watson et Hunt arrivent sur Schuppan. Watson est gêné par la Surtees et Hunt en profite pour le déborder par l'extérieur à Woodcote. Mais Watson conserve sa ligne et Hunt doit s'incliner pour éviter l'accrochage. Pendant ce temps-là Brambilla rencontre des difficultés et perd quelques places.
43e: Brambilla est victime d'une crevaison. Il entre au stand Surtees pour changer sa roue et repart après avoir perdu quatre places.
44e: Fittipaldi renonce à cause d'une panne de moteur. Il occupait la treizième place.
45e: Les deux leaders poursuivent leur numéro de duettistes. Lauda est troisième à quinze secondes. Puis vient Scheckter, isolé au quatrième rang, en proie à des problèmes de freins. Plus loin, Andretti ne parvient pas à se défaire de Nilsson.
48e: Hunt réalise le meilleur tour en course: 1'19''60'''.
50e: Hunt attaque et passe enfin Watson à Stowe. Le Nord-Irlandais est en fait au ralenti. Comme au GP de France, son système d'alimentation en essence a des ratés. Il revient aux stands.
51e: Les mécaniciens de Brabham tentent de réparer la BT45B. Finalement Watson peut repartir, mais seulement en douzième position.
52e: Hunt a désormais course gagnée. Il n'a plus qu'à surveiller sa consommation en essence. Il compte une vingtaine de secondes d'avance sur Lauda. Suivent Scheckter, Andretti, Nilsson, Mass, Stuck, Laffite, Jones et Brambilla.
53e: Nilsson double Andretti.
55e: Nilsson se rapproche de Scheckter dont le rythme n'est pas très élevé.
56e: La Brabham de Watson semble bien fonctionner puisque son pilote réalise le deuxième meilleur tour en course, à trois centièmes du temps de référence signé par Hunt.
59e: Les ennuis d'alimentation reprennent sur la voiture de Watson. Il repasse par le garage et repart de nouveau.
60e: Le moteur de Scheckter ne répond plus. Le Sud-Africain s'arrête dans le bas-côté. Nilsson récupère la troisième place et Stuck entre dans les points.
61e: C'est terminé pour Watson. Il entre à nouveau à son stand et cette fois ne repartira pas.
63e: Explosion du moteur d'Andretti. Le pilote Lotus s'arrête dans l'herbe. Mass récupère la quatrième place et Laffite grimpe dans la zone des points.
65e: Nilsson réalise une superbe fin de course et remonte sur Lauda. Tête-à-queue de Lunger, qui parvient tout de même à repartir malgré un moteur cafouillant.
66e: Seulement trois secondes séparent Lauda et Nilsson.
68ème et dernier tour: James Hunt triomphe devant son public et remporte le Grand Prix de Grande-Bretagne. Il prend ainsi sa revanche sur la disqualification de l'année précédente. Lauda est parvenu à résister à Nilsson et prend la deuxième place. Nilsson échoue donc au troisième rang mais a encore prouvé tout son talent. Mass récupère une solide quatrième place. Il devance Stuck et Laffite. Jones est septième puis viennent Brambilla, Jarier, Nève, Villeneuve, Schuppan, Lunger, Andretti (tout de même classé) et Reutemann, dernier à six tours.
Après la course
La foule envahit la piste pour célébrer son héros James Hunt. Le pilote anglais est ravi: il est désormais persuadé qu'il peut encore convoiter le titre mondial.
A ses côtés sur le podium, l'« Ordinateur » Niki Lauda fait ses comptes. Avec 39 points, il possède désormais sept longueurs d'avance au classement sur Scheckter et Andretti, qui ont tous les deux abandonné. Reutemann est relégué à onze points de son équipier. Quant à Hunt, ses dix-sept points de retard sont un handicap semble-t-il trop lourd pour espérer conserver la couronne mondiale.
Au classement des constructeurs, Ferrari creuse l'écart avec Lotus, tandis que McLaren prend la troisième place à Wolf.
Tony