Bernie Ecclestone et l'art des négociations inégales
Bernie Ecclestone est sorti renforcé de son duel victorieux avec l'ACM à Monte-Carlo. Le patron de Brabham contrôle désormais totalement la F1CA. Secondé par ses fervents partisans Max Mosley et Frank Williams, il bénéficie du soutien de Colin Chapman, Teddy Mayer et Ken Tyrrell. Il négocie course après course avec les organisateurs et réclame de coquettes primes de départ. La F1CA récupère les fonds et assure leur répartition. Les plus petites équipes touchent ainsi 15 000 livres sterling par Grand Prix. On estime qu'Ecclestone demande environ 150 000$ aux organisateurs européens. Si l'un d'entre eux se rebiffe, les constructeurs menacent aussitôt de boycotter le Grand Prix. Le chantage est imparable. Les organisateurs grognent car face à ces demandes pressantes, ils ne peuvent pas en contrepartie augmenter les prix des billets.
Présentation de l'épreuve
Le circuit de Spa-Francorchamps étant jugé décidément trop dangereux par les pilotes, le Grand Prix de Belgique a dû déménager pour survivre. Il s'installe sur le tracé de Nivelles-Baulers, en Wallonie, à quelques kilomètres au sud de Bruxelles. Son dessin est très simple et ressemble à un pistolet. En revanche ses infrastructures sont très modernes et sont assez comparables à celles du circuit Paul-Ricard. De grandes zones de dégagements herbées ont été installées pour améliorer la sécurité tandis que les spectateurs bénéficient d'une belle vue panoramique sur la piste.
Le champion du monde Jackie Stewart est victime fin mai d'un ulcère au duodénum. Celui-ci est sans doute dû au stress engendré par les nombreux voyages effectués par l'Écossais à travers le monde afin de promouvoir ses sponsors. Stewart a été hospitalisé et opéré, et s'il est en convalescence, il ne peut évidemment pas participer à ce Grand Prix. Ken Tyrrell est embêté car il a besoin de lui pour développer la nouvelle création de Derek Gardner, la 005. Pour l'heure, il n'engage en Belgique que la 002 de François Cevert. Le jeune Français a un peu de pression sur les épaules car il n'a toujours pas inscrit le moindre point en 1972.
Ferrari a sur le papier réalisé un bon début de saison puisque Jacky Ickx, avec 16 points, occupe la deuxième place du classement général. Mais la 312 B2 ne donne toujours pas satisfaction à ses pilotes. Lors des essais, Clay Regazzoni teste le profil en forme de bouclier aperçu à Kyalami, mais l'abandonne pour la course. Pourtant, grâce à la puissance de son Flat 12, la Scuderia est une des favorites de cette épreuve. Et puis Ickx rêve toujours de s'imposer à domicile... Mais ces espoirs ne calment pas l'irritation du Commendatore qui a appris avec fureur le forfait de ses voitures aux prochaines 24 heures du Mans, pour des raisons techniques.
BRM est privée de Reine Wisell qui s'est brisé un doigt lors de l'International Gold Cup à Oulton Park. Il est remplacé par l'Australien Vern Schuppan, ancien champion de Formule Atlantique et pilote de réserve de l'écurie. Celle-ci décide de ne pas engager la P180, décidément peu au point. Trois P160B sont données à Jean-Pierre Beltoise, vainqueur à Monaco, Peter Gethin et Howden Ganley. Schuppan et Helmut Marko doivent piloter des P153B, mais à cause d'un souci sur le modèle de l'Autrichien, ce dernier récupère la voiture de Schuppan qui ne peut donc pas courir.
L'écurie italienne Tecno effectue ses débuts en Formule 1. Fondée en 1962 par les frères Gianfranco et Luciano Pederzani, cette équipe a écrémé avec réussite toutes les catégories inférieures, du karting à la Formule 2. Elle a connu les sommets en 1970 avec le titre de champion d'Europe de F2 remporté par Clay Regazzoni. Les Pederzani ont décidé de se lancer en Formule 1 avec une voiture 100% Tecno, Flat 12 de 465 chevaux compris. Seule la boîte Hewland n'est pas italienne. Tecno a aussi obtenu le soutien financier de la marque de vermouth Martini. A Nivelles Nanni Galli conduit une PA 123/3, une voiture à châssis semi-monocoque.
Remis de sa blessure, Carlos Reutemann revient chez Brabham et pilote une BT37, tout comme Graham Hill. Bernie Ecclestone engage une BT34 pour Wilson Fittipaldi.
Peter Revson est de retour au volant de sa McLaren M19A. En revanche Mario Andretti est toujours absent chez Ferrari.
Les qualifications
Les essais sont globalement dominés par les Ferrari et la Lotus d'Emerson Fittipaldi. C'est justement le Brésilien qui réalise la pole position pour la seconde fois d'affilé avec quinze centièmes de seconde d'avance sur Regazzoni. Grand outsider de ce début de saison, Hulme se glisse en troisième position devant Ickx, assez déçu par ses qualifications. Cevert est cinquième et précède Beltoise, Revson et Hailwood. Ces huit pilotes se tiennent en moins d'une seconde. La quatrième ligne est composée de Reutemann et de de Adamich. Le jeune Brésilien Pace réalise une superbe performance en hissant sa March de l'équipe Williams au onzième rang. Il précède Walker et Amon.
Les performances des March officielles sont toujours aussi désastreuses: Peterson est 14ème, Lauda 25ème... Les BRM de Ganley, Gethin et Marko sont mal classées, tandis que Galli a qualifié la Tecno au vingt-quatrième rang. Victime de très gros soucis de tenue de route, Reutemann se qualifie dernier.
Le Grand Prix
Départ: Fittipaldi prend un envol médiocre et se fait immédiatement doubler par Regazzoni et par Hulme. Regazzoni vire en tête au premier virage, suivi par Hulme, Fittipaldi, Ickx et Cevert. De Adamich et Revson entrent en contact et abîment leurs voitures.
1er tour: Hulme subit des vibrations à l'avant de sa voiture et se fait doubler par Fittipaldi et par Ickx.
En fin de boucle, Regazzoni mène devant E. Fittipaldi, Ickx, Hulme, Cevert, Hailwood, Amon, Beltoise, Ganley et Pace. De Adamich et Revson regagnent les stands pour faire réparer leurs voitures. Reutemann est aussi aux stands car son levier de vitesses est bloqué.
2e: Ickx attaque Fittipaldi par l'intérieur au premier virage, sans résultat. Revson sort des stands après avoir fait changer sa roue arrière gauche. De Adamich repart aussi.
3e: Regazzoni, Fittipaldi, Ickx, Hulme, Cevert, Hailwood et Amon forment le peloton de tête. Beltoise et les autres ne peuvent pas le suivre. Pace et Ganley sont en bagarre. Reutemann reprend la piste.
5e: Regazzoni est très menacé par Fittipaldi. Les deux hommes mènent un peloton compact comprenant également Ickx, Hulme, Cevert, Hailwood et Amon.
6e: Après plusieurs tours de mano a mano, Pace s'impose définitivement face à Ganley.
7e: Regazzoni a une demi-seconde d'avance sur Fittipaldi. Ickx est à deux secondes et précède Hulme et Cevert, en bagarre.
9e: Fittipaldi attaque Regazzoni et s'empare du commandement de l'épreuve. Pace double Beltoise dont le moteur manque de puissance.
10e: E. Fittipaldi a une seconde et demie d'avance sur Regazzoni. A deux secondes et demie se trouve Ickx qui précède Hulme, Cevert, Hailwood, Amon, Pace, Beltoise, Ganley, W. Fittipaldi et Peterson.
11e: Cevert prend la quatrième place à Hulme. De son côté Amon déborde Hailwood. La Matra apparaît à l'aise en conditions de course.
12e: Fittipaldi a deux secondes d'avance sur Regazzoni, Ickx et Cevert qui roulent en peloton. Schenken met pied à terre à cause de la surchauffe de son moteur. Gethin regagne le stand BRM suite à des soucis d'injection. Il repartira quelques minutes plus tard.
14e: En voulant suivre Pace, Beltoise dérape dans la grande courbe du circuit et part dans la pelouse. Il revient en piste en quinzième position.
15e: Amon double Hulme dont la McLaren est toujours assez mal équilibrée.
16e: Beltoise regagne le stand BRM: une motte de terre a bouché sa prise d'air et son moteur a surchauffé. Il doit abandonner.
18e: Fittipaldi s'échappe et a sept secondes d'avance sur Regazzoni, menacé par un groupe composé de Ickx, Cevert et Amon.
20e: Fittipaldi devance de huit secondes le peloton formé par Regazzoni, Ickx, Cevert et Amon. Suivent Hulme (13s.), Hailwood (20s.) et Pace (25s.).
22e: Fittipaldi ne semble pas rattrapable pour ses rivaux puisqu'il creuse encore l'écart en tête.
24e: Fittipaldi a dix secondes d'avance sur Regazzoni, talonné par son coéquipier.
26e: Ickx regagne le stand Ferrari à faible vitesse. Les mécaniciens démontent le capot et découvrent une panne de la tringlerie reliant la coulisse des gaz au distributeur d'injection.
27e: Pescarolo est au stand Williams à cause d'une crevaison et d'un accélérateur bloqué. Il reprend sa route après une longue intervention.
28e: Après une réparation de fortune, Ickx reprend la piste en vingt-deuxième position.
29e: Cevert est désormais dans les échappements de Regazzoni. Jusqu'alors dixième, W. Fittipaldi renonce à cause d'une avarie de sa boîte de vitesses.
30e: Cevert attaque Regazzoni dans la ligne droite principale et s'empare de la deuxième place. Regazzoni est désormais sous la menace d'Amon.
31e: Gethin met pied à terre à cause de ses soucis d'injection.
32e: Walker se plaint d'une voiture sous-vireuse. Il s'arrête chez Lotus pour changer ses pneus avant et ressort en quinzième position.
33e: Alors quatorzième, Beuttler renonce suite à l'avarie d'un demi-arbre de roue.
35e: Fittipaldi a douze secondes d'avance sur Cevert. Suivent Regazzoni (15s.), Amon (18s.) et Hulme (23s.). Hailwood est sixième à plus de quarante secondes et précède Pace, Ganley, Hill et Peterson.
38e: Statu quo en tête de l'épreuve. L'écart demeure stable entre Fittipaldi, qui n'a pas besoin de forcer, et Cevert. Regazzoni perd du terrain sur le Français.
41e: Toujours mécontent de ses pneus, Walker fait de nouveau changer ses roues avant. Il compte désormais deux tours de retard sur son équipier, en tête du Grand Prix.
42e: Pescarolo est victime d'une deuxième crevaison, ce qui le contraint à effectuer un nouveau passage par les stands.
44e: Fittipaldi a quatorze secondes de marge sur Cevert.
47e: Seize secondes séparent Fittipaldi et Cevert. Regazzoni est relégué à plus de vingt secondes et a cent mètres d'avance sur la Matra d'Amon.
49e: L'injection n'a pas été recalée correctement sur la Ferrari d'Ickx. Le Belge doit abandonner pour la première fois de l'année.
50e: Fittipaldi mène devant Cevert (12s.), Regazzoni (18s.), Amon (19s.), Hulme (25s.), Hailwood (40s) et Pace (1m.). Suivent Ganley, Hill, Peterson, Stommelen et Marko.
53e: L'écart entre Fittipaldi et Cevert varie entre douze et quinze secondes. François n'a guère d'espoirs de rattraper Emerson.
55e: Fittipaldi est dans le trafic des attardés. Après son accrochage au départ, Revson remonte peu à peu dans la hiérarchie. Il est treizième après avoir dépassé Lauda dont la March est quasi inconduisible.
57e: De Adamich regagne son garage après avoir coulé une bielle. Son moteur est hors d'usage.
58e: A l'épingle concluant le tracé, Regazzoni tente de prendre un tour à la Tecno de Galli qui évolue au 16ème rang. Mais l'Italien dérape et effectue un tête-à-queue. Les deux voitures entrent en contact. Regazzoni s'immobilise avec une suspension pliée tandis que Galli regagne son stand avec une roue arrière droite branlante. Il doit lui aussi renoncer.
60e: Fittipaldi a seize secondes d'avance sur Cevert. Amon est désormais troisième à vingt-et-une secondes du leader. Hulme et Hailwood viennent ensuite mais sont très distancés.
62e: Stommelen et Peterson ont en lutte pour la neuvième place.
65e: Hill prend la septième place à Ganley.
66e: Amon signe le meilleur tour en course: 1'12''12'''. Il se rapproche de Cevert.
68e: Fittipaldi mène devant Cevert (17s.) et Amon (20s.). Hulme est quatrième à cinquante secondes. Hailwood se trouve à près d'une minute. Il devance Pace, Hill, Ganley, Peterson et Stommelen.
70e: Désormais onzième, Revson est un des pilotes les plus rapides en cette fin d'épreuve. Il rattrape le groupe constitué par Ganley, Peterson et Stommelen.
73e: Hill est victime d'un bris de porte-moyeux. Le double champion du monde entre aux stands et renonce.
75e: A dix tours du but, Fittipaldi a vingt secondes de marge sur Cevert. Amon est soudain inquiet: sa jauge d'essence descend dangereusement.
77e: Revson est maintenant neuvième après avoir passé Peterson.
78e: Suite au désamorçage de sa pompe à essence, Amon est au bord de la panne sèche. Il regagne le stand Matra pour faire rajouter de l'essence dans son réservoir. Mais il perd plus d'une minute dans cette opération.
79e: Amon reprend la piste en sixième position, avec un tour de retard sur Fittipaldi.
80e: Vingt-trois secondes séparent Fittipaldi et Cevert. Hulme est maintenant troisième à près d'une minute du leader.
81e: Revson a doublé Stommelen puis Ganley et occupe maintenant le septième rang.
82e: Walker a cassé son manomètre de pression d'huile. Il regagne le garage Lotus, cette fois-ci pour de bon. De nouveau l'Australien n'a pas brillé tandis que son équipier est en passe de l'emporter...
83e: Stommelen finit la course à la traîne à cause d'un problème d'injection.
85ème et dernier tour: Emerson Fittipaldi remporte sa deuxième victoire de la saison après avoir nettement dominé l'épreuve. Cevert termine deuxième et inscrit donc enfin ses premiers points en 1972, limitant ainsi les dégâts pour Tyrrell. Hulme termine troisième au volant d'une McLaren peu flamboyante mais fiable. Hailwood est quatrième et inscrit là ses premiers points de la saison. John Surtees est très content du niveau affiché par la TS9B. Pace a réalisé un splendide week-end et marque deux points, une performance rare pour l'écurie Williams. A nouveau frappé par la malchance, Amon se contente de la sixième place. Revson conclut sa remontée au septième rang et précède Ganley, Peterson, Marko, Stommelen, Lauda et Reutemann. Pescarolo n'est pas classé.
Après la course
Fittipaldi est apparu intouchable durant ce Grand Prix et la JPS Lotus 72 domine la concurrence comme aux plus beaux jours de la saison 1970. Colin Chapman est très fier de son pilote qu'il espère bien conduire au titre mondial. « Emmo » est en tout cas sur la bonne voie. Le public attend néanmoins avec impatience le retour de Jackie Stewart, en pleine forme espère-t-il, afin de savourer le duel entre les deux hommes.
Cette victoire est aussi la troisième consécutive de Firestone qui semble avoir repris l'ascendant sur Goodyear.
Fittipaldi creuse l'écart en tête du championnat des conducteurs. Il possède maintenant neuf points d'avance sur Hulme, son adversaire immédiat. Ickx et Stewart ont respectivement douze et seize longueurs de retard. Chez les constructeurs, Lotus prend aussi l'avantage avec cinq points d'avance sur McLaren, neuf sur Ferrari et dix sur Tyrrell. Ces quatre équipes sont assez nettement au-dessus du lot en ce début d'année.
Tony