Jackie Stewart ne restera pas seulement dans l'histoire comme un triple champion du monde. Si les Formules 1 sont aussi sûres aujourd'hui, c'est en partie grâce à cet Écossais qui a révolutionné sa discipline.
Fils d'un concessionnaire automobile, il a vécu une jeunesse marquée par une scolarité difficile en raison d'une dyslexie non diagnostiquée à l'époque, qui lui a valu de mauvaises notes et une réputation d'« idiot » à l'école. Il quitta donc l'école à l'âge de 15 ans pour travailler comme mécanicien dans le garage familial. Son grand frère, Jimmy, qui était lui-même pilote, avait subi deux graves accidents, ce qui avait convaincu la famille de l'éloigner de la course par crainte du danger. Il se tourne donc vers le tir au pigeon, dans lequel il devint champion national, avant d'abandonner ce sport après un échec aux qualifications pour les Jeux olympiques. Il se lance dans le sport automobile en tant que mécanicien auprès d'un client de son père, qui finit par lui proposer de piloter ses voitures lors de compétitions locales, avec succès.
Repéré par Ken Tyrrell, il est engagé en 1964 pour courir dans son équipe de Formule 3 et s'impose d'emblée dans le championnat BARC. À la fin de l'année 1964, Lotus l'invite à disputer le Grand Prix du Rand, une épreuve hors championnat qui se tient à Kyalami, en Afrique du Sud, en remplacement de Jim Clark, blessé. Il réalise la pole position lors des essais, mais est contraint à l'abandon lors de la première manche à cause d'un problème mécanique. Il s'élance dernier lors de la seconde manche, la remporte en dépassant tous ses concurrents et signe le meilleur tour de la course.
En F1 avec BRM
En 1965, il fait ses débuts en championnat du monde de Formule 1 avec l'équipe BRM, aux côtés de Graham Hill. Sa première course a lieu le 1er janvier, lors du Grand Prix d'Afrique du Sud à East London, où il marque un point en terminant sixième. Stewart s'affirme rapidement comme un pilote très compétitif. Lors du Grand Prix de Monaco, il monte sur la troisième marche du podium après avoir fait preuve de régularité sur le célèbre circuit urbain. Ensuite, lors du Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps, il termine deuxième malgré des conditions météorologiques difficiles. La saison se poursuit avec une nouvelle deuxième place en France, puis une cinquième place en Grande-Bretagne. Après un abandon en Allemagne, Jackie remporte sa première victoire à Monza lors du Grand Prix d'Italie, après une belle bataille avec Clark et son coéquipier. Malgré deux abandons lors des deux dernières manches, ce succès retentissant lui assure une troisième place finale au classement des pilotes, derrière Jim Clark et Graham Hill. Un résultat remarquable pour une première saison !
Hors championnat, il remporte l'International Trophy à Silverstone. Il participe également aux essais des 24 Heures du Mans avec une Rover BRM Turbine, partageant le volant avec Graham Hill.
En 1966, avant le début du championnat de Formule 1, Jackie remporte la Tasman Series en Australie et en Nouvelle-Zélande, devançant notamment son coéquipier Graham Hill. En Formule 1, sa saison débute par une victoire lors du Grand Prix de Monaco, un succès notable compte tenu de la puissance moindre de sa BRM par rapport aux moteurs 3 litres des Ferrari. Cependant, cette réussite reste ponctuelle, car il abandonnera à cinq reprises lors des sept Grands Prix auxquels il participera. Lors du Grand Prix de Belgique, il perd le contrôle de sa BRM à haute vitesse sous une pluie battante. Après avoir percuté un poteau téléphonique, il reste coincé dans sa voiture, menacé par le carburant qui s'écoule dans le cockpit. Graham Hill et Bob Bondurant lui portent alors secours et l'extraient de la voiture, lui sauvant probablement la vie. Cet accident l'empêche de courir au Grand Prix de France, mais il le marque profondément et déclenche son engagement actif en faveur de la sécurité, ce qui fait de lui un défenseur infatigable de meilleures conditions de course et de la sécurité des pilotes dans les années qui suivent.
Parallèlement à la Formule 1, Stewart réalise des performances marquantes dans d'autres disciplines. Il participe à l'Indy 500 avec une Lola T90-Ford, menant la course jusqu'à ce qu'il abandonne à cause d'une panne mécanique à 10 tours de la fin, laissant la victoire à Graham Hill. En fin de saison, il remporte les 200 miles de Fuji. En endurance, il s'impose lors des 12 Heures de Surfers Paradise au volant d'une Ferrari 250.
En 1967, il poursuit sa carrière en Formule 1 avec BRM, mais la saison est difficile en raison de la faible fiabilité de la P75, équipée d'un moteur H16, qui provoque de nombreux abandons. Il commence l'année en Afrique du Sud par un abandon, suivi de deux autres à Monaco et aux Pays-Bas. Il ne termine que deux courses cette saison, mais monte tout de même sur deux podiums : une deuxième place en Belgique et une troisième place en France. Lors de la deuxième partie de la saison, il abandonne systématiquement lors de tous les Grands Prix. Ces contre-performances le relèguent à la neuvième place du championnat.
En dehors du championnat du monde, il participe à différentes courses et séries. Il se classe deuxième de la Tasman Series, avec deux victoires. Avec Tyrrell, il remporte trois victoires en Formule 2 au volant de la Matra MS7. Cette année marque également le début de contacts avec d'autres équipes, notamment Ferrari, qui lui propose un volant pour la saison suivante. Il décide toutefois de refuser cette offre et de rejoindre Ken Tyrrell, qui va engager des châssis Matra motorisés par Ford-Cosworth, anticipant de meilleurs résultats futurs avec cette structure.
Matra
Sa saison 1968 commence par un abandon lors du Grand Prix d'Afrique du Sud, alors qu'il s'était qualifié en troisième position sur la grille de départ, ce qui laissait présager une année prometteuse. Après deux victoires en Formule 2, il est victime d'un accident à Jarama et se fracture l'avant-bras droit, ce qui l'oblige à manquer deux manches du championnat de Formule 1. De plus, la mort de Jim Clark en avril a profondément affecté le pilote écossais. Il fait son retour lors du Grand Prix de Belgique et se classe quatrième. Lors du Grand Prix des Pays-Bas, il remporte sa première victoire de la saison, marquant une étape importante pour lui comme pour l'écurie Matra, qui réalise là un succès notable en Formule 1. Il monte ensuite sur le podium en France, mais ne termine que sixième au Grand Prix de Grande-Bretagne. Lors du Grand Prix d'Allemagne sur le Nürburgring, il remporte la course avec une avance spectaculaire de plus de quatre minutes, démontrant une maîtrise exceptionnelle sur l'un des circuits les plus dangereux et exigeants du calendrier, dans des conditions froides et brumeuses. Il remporte une troisième victoire lors du Grand Prix des Etats-Unis à Watkins Glen, en octobre, et revient à trois points de Graham Hill au championnat. Lors de la dernière manche au Mexique, il lutte avec Hill pour la victoire, mais rencontre des problèmes de moteur en fin de course et ne termine que septième. Au cours de la saison, il s'est distingué par sa régularité et sa vitesse, et il termine vice-champion du monde derrière Graham Hill. Cette saison marque un tournant dans sa carrière, puisqu'il s'affirme comme une figure majeure de la Formule 1.
Pour le premier Grand Prix de la saison 1969, en Afrique du Sud, Jackie ne dispose pas encore de la nouvelle MS80, mais cela ne l'empêche pas de remporter la victoire avec la MS10. Il confirme rapidement sa domination en remportant le Grand Prix d'Espagne. A Monaco, il signe sa première pole position, mais doit abandonner à cause d'un problème mécanique. Il signe une nouvelle victoire aux Pays-Bas, puis un nouveau succès en France, sur le difficile circuit de Charade, ce qui renforce sa position de favori pour le titre mondial. Cette régularité se poursuit lors du Grand Prix de Grande-Bretagne, à Silverstone, où il décroche une troisième victoire consécutive, la cinquième de la saison en six Grands Prix. Il continue sur sa lancée avec une deuxième place en Allemagne, ce qui lui permet de creuser l'écart au classement du championnat. Il remporte ensuite le Grand Prix d'Italie à Monza et décroche le titre de champion du monde, alors qu'il reste trois manches à disputer. Lors des trois derniers Grands Prix, il abandonne à deux reprises et ne se classe que quatrième au Mexique. Tout au long de la saison, Jackie a fait preuve d'une grande maîtrise technique et d'une constance remarquable face à la concurrence. Son travail avec l'équipe de Ken Tyrrell autour de la Matra MS80 a donné lieu à une voiture à la fois rapide et fiable. Cette collaboration fructueuse permet également à Matra de remporter le championnat des constructeurs.
March
En 1970, Matra souhaite imposer son moteur V12 à Ken Tyrrell. Mais comme Ford est l'un des principaux financeurs de son écurie, il se retrouve dans l'impossibilité d'utiliser ce moteur. Il décide donc de rompre son partenariat avec Matra et de passer à l'utilisation de châssis March. Avec François Cevert comme coéquipier, la saison de Jackie commence donc au Grand Prix d'Afrique du Sud, au volant d'une March 701, et se termine sur la troisième marche du podium. Il s'impose ensuite lors de la Course des champions, disputée hors championnat. Lors de la deuxième manche du championnat, en Espagne, il remporte la victoire, profitant notamment des abandons de ses principaux rivaux. Lors des deux Grands Prix suivants, à Monaco et en Belgique, il réalise la pole position, mais abandonne à cause de problèmes de moteur. Il termine deuxième aux Pays-Bas, puis enchaîne quatre courses hors des points marquées par trois abandons. En Italie, il monte à nouveau sur la deuxième marche du podium lors de sa dernière course avec la March 701.
En effet, au cours de la saison, Ken Tyrrell a décidé de concevoir son propre châssis, la Tyrrell 001, en secret, avec l'aide de l'ingénieur Derek Gardner. Ce projet a été mené en secret pour ne pas perdre le soutien de March, car Tyrrell craignait que le constructeur britannique ne lui retire l'accès à ses châssis si ce projet était découvert.
Tyrrell
Il fait ses débuts avec la nouvelle Tyrrell 001 lors du Grand Prix du Canada, et montre rapidement le potentiel de cette monoplace en décrochant la pole position, puis deux deuxièmes places sur la grille lors des deux dernières manches. Cependant, la fiabilité reste un défi à relever pour Tyrrell, car il est contraint d'abandonner lors de ces trois Grands Prix.
En 1971, dès le premier Grand Prix en Afrique du Sud, il affiche sa compétitivité en décrochant la pole position, puis en terminant deuxième derrière Mario Andretti. Il remporte sa première victoire de la saison au Grand Prix d'Espagne, sur le circuit urbain de Montjuïc, marquant ainsi la première victoire de Tyrrell en tant que constructeur. Lors du Grand Prix de Monaco, il réalise la pole position, établit le meilleur tour en course et s'impose en dominant toute la course. Cette victoire à Monaco est notable pour la parfaite maîtrise du circuit urbain étroit et sinueux qu'il a démontrée. En revanche, il ne termine que onzième aux Pays-Bas, à la suite d'un accrochage en début de course et de problèmes avec son moteur. Il se rattrape en remportant les trois Grands Prix suivants (France, Grande-Bretagne et Allemagne), ce qui lui permet de consolider son statut de leader du championnat. A l'issue du Grand Prix d'Autriche, où il abandonne à la suite de la perte de sa roue arrière gauche, il est sacré champion du monde pour la deuxième fois, car aucun de ses adversaires n'est plus en mesure de le rattraper. Après un nouvel abandon en Italie, il domine le Grand Prix du Canada en signant la pole position et en remportant sa sixième victoire de la saison. Aux Etats-Unis, il signe sa sixième pole position de l'année et termine cinquième d'un Grand Prix remporté par son jeune coéquipier François Cevert. Cette année-là, Tyrrell remporte également son unique titre de champion des constructeurs.
Sa saison 1972 commence dès le mois de janvier avec le Grand Prix d'Argentine, qu'il remporte, annonçant ainsi un début de saison prometteur. En mars, lors du Grand Prix d'Afrique du Sud, il réalise la pole position et mène la course jusqu'à ce qu'un problème de boîte de vitesses l'oblige à abandonner. Les courses suivantes sont marquées par des fortunes diverses pour Stewart. Après un abandon en Espagne, il termine quatrième à Monaco, puis doit déclarer forfait pour le Grand Prix de Belgique à la suite d'une opération consécutive à un ulcère, sans doute dû au stress engendré par les nombreux voyages effectués par l'Écossais à travers le monde pour promouvoir ses sponsors. Il est de retour pour le Grand Prix de France et remporte la course très disputée sur le circuit de Charade. Il enchaîne avec une deuxième place au Grand Prix de Grande-Bretagne à Silverstone, mais derrière Emerson Fittipaldi, qui consolide son avance au championnat. Après un abandon en Allemagne pour cause de défaillance mécanique, il se classe septième en Autriche, puis abandonne en Italie, tandis que Fittipaldi remporte la course et le titre de champion. En septembre, Jackie remporte le Grand Prix du Canada, renouant avec le succès, puis récidive lors du dernier Grand Prix des Etats-Unis à Watkins Glen, ce qui lui permet de terminer le championnat à la deuxième place. Sa saison est marquée par la forte concurrence de Fittipaldi sur sa Lotus. Des performances solides, mais aussi des abandons techniques et un forfait en Belgique ont compromis ses chances de défendre son titre avec plus d'efficacité.
Dès l'ouverture du championnat, ses résultats montrent qu'il est de nouveau un prétendant au titre, malgré des adversaires performants. Il commence la saison avec des places d'honneur, obtenant une troisième place en Argentine et une deuxième place au Brésil, tandis qu'Emerson Fittipaldi signe deux victoires. Lors des essais du Grand Prix d'Afrique du Sud à Kyalami, il est victime d'un accident spectaculaire à 275 km/h, à la suite d'une défaillance des freins. Grâce aux améliorations de sécurité qu'il avait lui-même exigées, il s'en sort indemne. Lors de la course, il s'élance de la seizième position avec la voiture de Cevert et réalise une remontée exceptionnelle, dépassant six adversaires dès le départ, pour finalement remporter l'épreuve. Il abandonne lors du Grand Prix d'Espagne, mais remporte ensuite la victoire en Belgique. Il s'impose de nouveau au Grand Prix de Monaco et revient sur les talons de Fittipaldi au championnat. Par la suite, il se contente de classements plus modestes, comme une cinquième place en Suède, puis une quatrième place en France, ce qui lui permet toutefois de prendre la tête du championnat. Après une dixième place en Grande-Bretagne, il renoue avec la victoire lors des Grands Prix des Pays-Bas et d'Allemagne, confortant ainsi sa place de leader au championnat. Avec sa victoire à Zandvoort, la 26e, il devient le recordman des victoires en F1. Par la suite, lui qui avait décidé de prendre sa retraite dès le début de la saison, adopte une approche réfléchie, sans pour autant perdre son esprit de compétiteur. Après une deuxième place en Autriche, sa quatrième place en Italie lui permet de décrocher son troisième titre de champion du monde.
Lors du dernier Grand Prix de la saison, qui se déroule sur le circuit de Watkins Glen aux Etats-Unis, son jeune coéquipier François Cevert perd la vie dans un accident fatal survenu lors des essais. Profondément marqué par cette tragédie, Jackie renonce évidemment à participer à ce qui aurait dû être son centième et dernier Grand Prix. Il quitte donc la Formule 1 au sommet, mais sur une note dramatique, avec la perte douloureuse d'un coéquipier prometteur et ami.
L'après F1
Après sa retraite de pilote, à la fin de la saison 1973, il reste très impliqué dans le monde du sport automobile, mais aussi dans d'autres domaines. Immédiatement après avoir quitté la compétition, il se consacre à diverses activités commerciales, tout en continuant de défendre la sécurité dans le sport automobile, une cause qu'il a activement promue durant sa carrière et qui lui a permis de sauver de nombreuses vies.
Il devient également une figure reconnue des médias, notamment en tant que commentateur et expert en courses automobiles, participant à des émissions telles que ABC's Wide World of Sports, où son expertise et son expérience apportent une réelle valeur ajoutée.
Il a fondé des entreprises liées à l'automobile et a également créé l'écurie Stewart Grand Prix en 1997. Après quelques années d'efforts, celle-ci est devenue une équipe compétitive en Formule 1, avant d'être rachetée par Jaguar.
En 2001, il a été fait chevalier en reconnaissance de ses contributions aux sports automobiles, notamment de ses succès en tant que pilote et de son engagement déterminant pour la sécurité dans la discipline.
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