Le 5 septembre 2020, Luca de Meo, le nouveau directeur général du groupe Renault, se rend à Monza pour sa première visite officielle sur un Grand Prix de Formule 1. Le patron du Losange est accompagné de Patrick Marinoff, directeur général d'Alpine. La présence de ce personnage jusqu'ici tout à fait inconnu des paddocks est très commentée. Elle conforte une rumeur qui bruissait depuis plusieurs jours dans les salles de rédaction: le changement d'identité du Renault F1 Team en Alpine F1 Team à compter de la saison 2021, point d'aboutissement de la résurrection de la légendaire firme normande initiée par Renault en 2012. Quelques jours plus tôt, le 3 septembre, Luca de Meo a en effet dévoilé un nouveau plan d'action pour le groupe Renault, lequel va regrouper ses activités autour de quatre marques: Renault elle-même pour les véhicules de route « standards », Dacia pour le « low cost », « Nouvelles Mobilités » pour l'électrique et enfin Alpine qui sera la vitrine sportive et technologique du groupe, au point d'absorber Renault Sport. Un retour aux sources, ou plutôt une revanche de l'histoire, en quelque sorte.

 

En effet, l'histoire d'Alpine est dès les origines liée à Renault. Jean Rédélé, concessionnaire Renault à Dieppe, a en effet commencé sa carrière en rallye sur des 4CV, et c'est cette voiture qui servira de base aux premières Alpine, notamment la célébrissime berlinette A110. Les M63 et M64 qui brillent au Mans au début des années 1960 sont propulsées par un moteur Renault-Gordini. Dès 1965, la Régie se charge de la commercialisation des Alpine de tourisme, tout en surveillant de près l'usine de Dieppe et ses ambitions sportives. Renault refrène ainsi les envies de Formule 1 de Rédélé et torpille le projet A350 en 1968. Au début des années 70, Alpine se couvre de gloire en rallye avec l'A110 qui remporte le championnat d'Europe en 1971, puis le championnat du monde deux ans plus tard, avec les fameux « quatre Mousquetaires : Jean-Pierre Nicolas, Bernard Darniche, Jean-Luc Thérier et Jean-Claude Andruet. Mais, entretemps, profitant d'une grève des salariés en 1972, Renault a pris le contrôle de l'entreprise...

 

Au milieu des années 1970, Renault cherche à bâtir une véritable division sportive et s'appuie pour cela sur deux filiales prestigieuses: Gordini pour les moteurs, Alpine pour les châssis. En 1972, la Régie charge ces deux entreprises de construire une Formule 1 avec le concours financier d'Elf. Alpine s'occupera du châssis (l'A500) qui sera propulsé par un audacieux V6 1,5 litre turbocompressé imaginé par Bernard Dudot dans les ateliers de Gordini, à Viry-Châtillon. Après bien des rebondissements, le projet capotera devant la volonté de Pierre Dreyfus, puis de Bernard Vernier-Palliez, PDG successifs de Renault, de fusionner Alpine et Gordini en une seule entité, Renault Sport. Lorsque des salariés de Dieppe se répandent dans la presse sur la possible entrée d'Alpine en F1 en 1977, le sang de Vernier-Palliez ne fait qu'un tour: Alpine est dépossédée du projet F1 au profit de la nouvelle division Renault Sport dirigée par Gérard Larrousse. Peu après, en 1978, Jean Rédélé quitte définitivement Alpine, tout en obtenant la conservation de l'usine de Dieppe.

 

Il faut attendre les années 2010 pour que Renault ressuscite Alpine sous l'impulsion de Carlos Ghosn et de son adjoint Carlos Tavares. Sur la route tout d'abord, avec le concept-car A110-50 et l'A110 nouvelle génération. Puis en compétition, mais sous forme de « naming » seulement. Ainsi, les protos Alpine-Nissan 03 engagés à compter de 2013 par l'écurie Signatech au Mans et en ELMS sont en fait construit par Oreca. De même, l'Alpine 110 Rally apparue en 2019 en R-GT est développée par Signatech. L'arrivée en Formule 1 se fera selon le même procédé: les futures Formules 1 seront toujours fabriquées à Enstone, en Angleterre, et les moteurs dessinés à Viry-Châtillon. Renault continuera d'apparaître sur le groupe propulseur, sous l'appellation E-TECH, nom de sa gamme hybride. Mais l'ensemble se nommera bien Alpine, avec une livrée bleu France.

 

L'idée de la mue du Renault F1 Team en Alpine F1 Team est avancée par Luca de Meo dès sa prise de fonction, le 1er juillet 2020. Fin août, il charge Cyril Abiteboul, le directeur général de Renault Sport, de restructurer Alpine avec Patrick Marinoff, ancien directeur des ventes d'AMG. « Pour l'instant, Alpine ce n'est qu'un modèle, l'A110 », confie Abiteboul. « Or nous voulons en faire plus. Nous avons besoin d'une structure, d'un département d'ingénierie, d'un pôle en charge du produit, d'un autre qui s'occupe des ventes, du marketing et de la communication. » L'usine de Dieppe ne peut évidemment pas fournir une telle infrastructure. C'est bien Renault Sport qui sera rebaptisé Alpine. Un retour aux sources.

 

C'est donc à Monza, le 6 septembre, à l'occasion du Grand Prix d'Italie, que Luca de Meo annonce l'entrée d'Alpine en Formule 1 à compter de la saison 2021. Il se confie à cette occasion à Auto Hebdo: « Je suis un fou de la bagnole, je ne serai pas celui qui mettre fin à 43 années de présence de Renault en Formule 1 ! » clame l'Italien, balayant définitivement les rumeurs de retrait du Losange, qui du reste vient de ratifier les nouveaux Accords Concorde. « La F1 doit être un championnat de constructeurs avec des marques prestigieuses. Qui ont fait l'histoire de la catégorie, mais plus généralement l'histoire de l'automobile. Il doit y avoir une connexion possible entre les résultats du dimanche et les ventes du lundi. Un lien physique que le client peut voir et toucher dans la rue. C'est ainsi que fonctionnent Ferrari, Mercedes et Aston Martin. Alpine cadre avec cet esprit, en incluant l'association avec Renault comme motoriste naturellement. Ce choix s'inscrit dans la réorganisation du groupe. On fait d'Alpine une de nos entités commerciales. L'idée, c'est de mettre la F1 au cœur d'un système à 360° avec des activités liées à l'ingénierie, la marque Alpine elle-même, les produits et le site de Dieppe. Ce sera un pilier de la relance de Renault. La plate-forme de la Formule 1 va accélérer la notoriété d'une marque qui était beaucoup plus centrée sur l'Europe, et notamment la France. » En d'autres termes, il s'agit bien surtout de marketing: les monoplaces jaunes seront repeintes en bleu. On peut en outre se gausser de la volonté de « connexion » entre la compétition et le parc automobile: les Alpine sont plutôt rares dans nos villes et nos campagnes... De Meo affirme cependant que l'A110 pourra être déclinée en plusieurs versions, comme la Porsche 911. Cela regarde Dieppe, et non Viry-Châtillon...

 

Mais l'important est bien que le plus grand constructeur français s'implique sur le long terme en Formule 1. Par ailleurs, cette nouvelle aventure Alpine bénéficiera d'un ambassadeur prestigieux en la personne de Fernando Alonso qui fera en 2021 son « come-back » dans la discipline reine. « C'est même pour cela qu'on l'a recruté ! » s'esclaffe Luca de Meo. « Je reviens tout juste d'Espagne. J'ai pu y voir l'attractivité d'Alonso dans son pays, mais aussi dans le monde entier. Il est une marque à lui tout seul. Il est aussi super motivé de retrouver sa maison, Renault. » Tous les passionnés français espèrent en effet que l'Asturien et son futur jeune écuyer Esteban Ocon conduiront vers les sommets les futures Alpine-Renault. Que celles-ci soient jaunes ou bleues... Le sympathique chauvinisme gaulois ne s'arrête pas à une question de couleurs !

 

Sources:

- Julien Billiotte, Alpine débarque en Formule 1 !, Auto-Hebdo n°2277, 9 septembre 2020

Tony