Alain Prost: retour avorté avec McLaren
Fin août puis début septembre, Alain Prost teste comme prévu la McLaren-Mercedes MP4/10 sur le circuit de Silverstone, pour ce qui doit être un avant-goût de son retour à la compétition. Julian Jakobi a en effet déposé sur son bureau un contrat en bonne et due forme négocié avec Ron Dennis, Norbert Haug et John Hogan (de Philip Morris). Le quadruple champion du monde s'engagerait pour deux saisons (1996 et 1997) avec McLaren, et pourrait disputer les deux derniers Grands Prix de la saison 1995 afin de se « remettre dans le bain ». Toutes les pièces du puzzle semblent emboîtées. Josef Leberer, le préparateur physique de McLaren, affirme que Prost est dans une forme physique étincelante: « Je l'ai retrouvé tel qu'il nous a quittés en 1989 ». Mais il y a un hic: le Français doute de sa motivation et hésite à retrouver le monde impitoyable de la Formule 1.
Ainsi, le 12 septembre, au soir de sa seconde séance d'essais à Silverstone, Prost s'attable avec son ami Hugues de Chaunac au Buckingham Lodge, un restaurant très chic voisin de l'autodrome. Ensemble, ils dressent deux colonnes pour lister les arguments en faveur et en défaveur de son retour à la compétition. Prost s'aperçoit que la seconde colonne est plus remplie que la première. Il a probablement compris qu'il faudra des années pour amener la paire McLaren-Mercedes vers les sommets et qu'il sera alors bien trop vieux pour toucher le fruit de ses efforts, à savoir un très hypothétique cinquième titre mondial. Par ailleurs, il caresse toujours l'espoir de monter une écurie nationale 100 % française et maintient quelques contacts en ce sens avec de hauts responsables politiques. Enfin, il y a la question du danger. Selon son ami Renaud de Laborderie, Prost aurait été ainsi interpellé par ses deux fils, Nicolas et Sacha, un soir qu'il revenait à Yens: « Dis papa, pourquoi tu veux courir ? Ayrton est parti... »
Alors, au Portugal, pressé par des journalistes insistants, Alain Prost annonce qu'il ne reviendra pas en Formule 1 en 1996. « Rien n'a vraiment changé: dès l'origine, il y avait une chance sur un milliard pour que je reconduise l'année prochaine », ment-il. Son renoncement ouvre la route de McLaren à David Coulthard, qui n'a plus qu'à signer le contrat que lui a présenté Ron Dennis voici six mois. Cependant, Prost ne rompt pas avec son ancienne écurie, puisqu'il devrait tout de même assumer l'année prochaine une charge de consultant et d'« essayeur de luxe ». Jusqu'à ce qu'il soit saisi par un nouveau défi...
Présentation de l'épreuve
Le championnat du monde 1995 prend une curieuse tournure. En effet, à l'orée de ce treizième Grand Prix de la saison au Portugal, les deux postulants au titre mondial Michael Schumacher et Damon Hill sont sous la menace d'une course de suspension suite aux incidents qui les ont opposés lors des deux précédentes en épreuves. Certes, les deux hommes, cornaqués par leurs managers, évitent de s'invectiver par micros interposés et s'ignorent superbement. Mais nombreux sont ceux qui craignent que la compétition s'achève par un énième accrochage les impliquant. C'est le cas de Bernie Ecclestone: « S'ils veulent continuer comme cela, c'est parfait pour moi, mais je les préviens qu'ils devront en assumer les conséquences. Ils peuvent avoir de graves ennuis, se blesser, se tuer même. Peut-être que la FIA devrait prendre des sanctions plus sévères ! » À vrai dire, on ne peut mettre sur le même plan le comportement de Hill avec celui de Schumacher: si le premier fait montre cette année d'une maladresse insigne (comme on l'a vu à Silverstone ou à Monza), le second est un spécialiste des manœuvres d'obstruction délibérées, un penchant qui découle probablement de son incapacité à accepter la défaite, un peu comme Ayrton Senna jadis.
Jeudi 21 septembre, Jordan-Peugeot annonce par un communiqué que ses pilotes Rubens Barrichello et Eddie Irvine sont reconduits pour la saison 1996. Pour Barrichello, il s'agit d'un pis-aller. Bien que sa cote soit moins élevée que naguère suite à cette médiocre saison 95, il a été approché par Jean Todt pour rejoindre Ferrari. Mais Michael Schumacher se méfie du talentueux jeune Brésilien et a mis son veto à sa venue à Maranello. Faute de perspectives plus attrayantes, « Rubinho » signe un nouveau contrat de deux ans avec Jordan, en espérant remporter des courses grâce aux progrès du V10 Peugeot. « Je reste avec Jordan parce que Jean-Pierre Jabouille m'a donné toutes les garanties possibles quant au développement du moteur Peugeot », précise-t-il. Quant à Eddie Irvine, il refuse à la surprise générale de confirmer sa prolongation avec l'écurie irlandaise. Et pour cause: il est désormais le favori de Todt pour épauler Schumacher en 1996 !
Fin septembre, Jean-Paul Driot présente la DAMS F1 à moteur Ford-Cosworth qui devrait faire ses débuts en Formule 1 en 1996 avec le concours d'Elf. L'écurie mancelle dévoile par ailleurs son équipe technique qui sera chapeautée par Claude Galopin (ex-Ligier), assisté de deux ingénieurs britanniques expérimentés: Barry Ward (ex-Reynard) et Rob Arnott (ex-Arrows). La DAMS effectuera ses premiers tours de roue au Castellet début octobre aux mains d'Erik Comas et de Jan Lammers.
Giovanni Lavaggi est arrivé à court de budget et doit céder le volant de la deuxième Pacific-Ford au Suisse Jean-Denis Delétraz qui apporte le concours financier des montres Catamaran. Déjà aperçu au GP d'Australie 1994 au volant d'une Larrousse, ce pilote de Super-Tourisme, promoteur immobiliser « dans le civil », avait alors fortement inquiété ses collègues d'un jour par son manque d'expérience et ses chronos extrêmement lents. Fera-t-il meilleure impression que le très médiocre Lavaggi ? Rien n'est moins sûr...
Dimanche, jour de la course, le ministre français des Sports Guy Drut arpente le paddock en compagnie de Jean-Marie Balestre, président de la FFSA, et s'entretient avec les principales personnalités tricolores de la Formule 1: Patrick Faure, Jean-Pierre Jabouille, Jean Todt et Guy Ligier, lequel l'assaille de doléances. L'écurie bleue vient pourtant de remporter un âpre combat pour l'obtention du contrat Seita pour 1996. Il a fallu pour cela battre en brèche les dossiers concurrents déposés par Jordan, DAMS et Tyrrell. Drut rassure Ligier: en privilégiant ainsi l'écurie de Magny-Cours, l'État français démontre qu'il n'a pas l'intention de couper le robinet des subventions... pour le moment. Parmi les autres personnalités présentes à Estoril, on note le roi de Suède Charles XVI Gustave, féru de sport automobile, convié par Renault, ainsi que Mick Jagger, le leader des Rolling Stone, invité de Bernie Ecclestone.
Aldo Costa, le jeune directeur technique de Minardi, quitte Faenza pour Maranello. Ferrari l'engage en effet pour s'occuper de son futur programme de Grand Tourisme. Mais il n'est pas interdit de penser qu'il pourrait aussi travailler pour l'équipe de Formule 1... Du reste, Jean Todt n'a de cesse de bâtir la meilleure équipe technique possible autour de Michael Schumacher. La rumeur veut ainsi que les deux principaux ingénieurs de Benetton, Rory Byrne et Ross Brawn, accompagneraient le champion allemand en Italie. Reste à savoir ce que deviendrait dans une telle hypothèse le directeur technique John Barnard, toujours très critiqué par la presse italienne.
Gerhard Berger se distingue ce week-end par un casque original comprenant en lieu et place des couleurs autrichiennes les drapeaux de plusieurs pays, et flanqué du message pacifiste « No war in the World ». Ce couvre-chef a été élaboré dans le cadre d'un concours organisé par son fan-club.
Williams présente la FW17B, une évolution de sa FW17 qui en fait préfigure la FW18 de 1996. Cette monoplace se distingue par un train arrière totalement refondu autour d'une nouvelle boîte de vitesses transversale. L'aérodynamisme de la monoplace s'en trouve passablement modifié, avec notamment des échappements soufflants au-dessus du diffuseur. On note aussi la disparition du profil d'aile qui, depuis 1994, remplaçait le triangle supérieur de la suspension arrière. Au final, cette monoplace génère plus d'appui sans perdre de vitesse. La nouvelle boîte offre quant à elle un meilleur refroidissement des composants hydrauliques de la sélection semi-automatique, jusqu'ici l'un des talons d'Achille de la Williams. Enfin, Renault apporte des améliorations à la gestion électronique de son V10.
Benetton n'est pas en reste. La B195 dispose d'un nouvel aileron avant, d'étriers de frein remaniés et surtout d'une suspension avant inédite. Celle-ci compte dorénavant trois amortisseurs, le dernier étant directement relié à la barre anti-roulis, une solution introduite par Arrows en 1994 et reprise depuis par Williams. Ce troisième amortisseur est (mal) camouflé par une bosse sise sur le museau de la monoplace. Par ailleurs, Benetton poursuit le développement d'un différentiel à fonctionnement hydraulique qui pourrait apparaître en fin de saison.
McLaren-Mercedes inaugure la version « C » de sa MP4/10: les hommes de Neil Oatley et Henri Durand ont de nouveau redessiné le carter de la boîte de vitesses ainsi que l'arrière des pontons. La suspension arrière a fait l'objet de nombreuses retouches, avec notamment un porte-moyeu allongé. Deux dérives latérales sont aussi rajoutées de chaque côté de l'extracteur. Sauber greffe une nouvelle suspension sur la voiture de Frentzen: elle se caractérise par un réglage de basculeur permettant de varier les rapports de compression des amortisseurs Sachs. Enfin, Forti ne dispose toujours pas de transmission semi-automatique...
Essais et qualifications
Les nouvelles Williams-Renault FW17B survolent les essais qualificatifs et monopolisent la première ligne. De nouveau, Coulthard s'adjuge la pole position (1'20''537''') avec plus de trois dixièmes d'avance sur Hill qui lui a pourtant mené la vie dure. L'Écossais entend bien cette fois transformer cette position de pointe en victoire. Les Benetton-Renault se montrent nerveuses. Schumacher (3ème) bataille longtemps avec des réglages inappropriés et concède sept dixièmes à Coulthard. Herbert (6ème) déplore un manque d'adhérence. Les Ferrari manquent de rythme sur ce tracé sinueux. Berger (4ème) domine un Alesi (7ème) démotivé. Exploit de Frentzen qui hisse sa Sauber-Ford au cinquième rang. La performance de l'Allemand contraste avec celle de Boullion (14ème) dont la journée du vendredi s'est achevée dans le bac à sable... Les Jordan-Peugeot (Barrichello 8ème, Irvine 10ème) manquent de stabilité et font jeu égal avec les Ligier-Mugen (Brundle 9ème, Panis 11ème).
McLaren s'égare dans les réglages de sa nouvelle MP4/10C qui se révèle particulièrement vicieuse. Ron Dennis finit par proposer à ses pilotes de repasser à la version B. Blundell (12ème) et Häkkinen (13ème) ne font ainsi que de la figuration. La Tyrrell-Yamaha affiche une tenue de route calamiteuse: Salo (15ème) et Katayama (16ème) ont le plus grand mal à la maintenir en piste. Les Minardi-Ford (Lamy 17ème, Badoer 18ème) devancent les Arrows-Hart (Inoue 19ème, Papis 20ème), plus rapides en ligne droite mais moins bien équilibrées. On retrouve ensuite la Pacific de Montermini (21ème) qui devance les deux Forti (Diniz 22ème, Moreno 23ème). Quant à Delétraz... Le pauvre Suisse est disqualifié vendredi soir pour être reparti à la poussette après un tête-à-queue. Le lendemain, il signe un dernier chrono (1'32''769''') sept secondes plus lent que celui de Montermini ! Une « performance » qui lui aurait valu la 23ème place sur la grille de l'épreuve de... Formule 3000 ! Pour sa défense, sa transmission lui a joué quelques tours.
Samedi soir, les mécaniciens de Williams découvrent une avarie sur la boîte de vitesses de Damon Hill (au niveau du roulement de palier). Un retour à l'ancienne boîte s'impose. Or celle-ci ne peut s'adapter au nouveau train arrière. Du coup, afin d'éviter un nouveau K.O. technique le lendemain, Patrick Head et Adrian Newey décident de retirer les FW17B et de redonner les « A » à Coulthard comme à Hill. De son côté, McLaren revient en arrière après les premiers essais désastreux de sa MP4/10C. Häkkinen roulera en course avec la version B tandis que Blundell expérimentera un modèle hybride: un châssis B avec une carrosserie C.
Le Grand Prix
Il fait beau et chaud sur Estoril en ce dimanche de septembre, mais le vent s'est levé et perturbera les pilotes en ligne droite. La plupart des écuries tablent sur une course à trois arrêts.
Les journalistes britanniques se demandent si, le cas échéant, Coulthard acceptera de s'effacer devant Hill dans l'optique du championnat du monde. Mais comme prévu Frank Williams se refuse à donner des consignes. « Depuis le début du week-end, je suis plus rapide que Damon. Je ferai donc ma course en fonction de ce constat », assène l'Écossais. « J'ai demandé à David s'il était intéressé par la deuxième place, il m'a répondu que non », déclare pour sa part l'Anglais, pince-sans-rire et résigné.
Départ: Coulthard prend un bon envol et reste devant Hill et Schumacher. Au premier freinage, poussé par Brundle, Frentzen part en tête-à-queue et sème la confusion dans le peloton. Il contraint ainsi Barrichello à sortir dans les graviers. C'est pis plus loin: mal parti, Katayama est surpris par Inoue qui peine à passer ses vitesses. Il se déporte vers la gauche. C'est alors que son pneu arrière-gauche accroche la Minardi de Badoer. Celle-ci percute aussitôt le mur des stands alors que la Tyrrell du Japonais s'envole, retombe sur le nez, heurte le rail externe puis est renvoyée en piste après avoir décrit de nouvelles arabesques. Elle s'immobilise enfin cul par-dessus tête. Montermini et Moreno, touchés par des débris, stoppent quelques mètres plus loin.
Roland Bruynseraede brandit immédiatement le drapeau rouge et les secours se précipitent vers la Tyrrell disloquée d'Ukyo Katayama, promptement retournée. Le Pr. Sid Watkins et l'équipe médicale font montre d'un certain empressement qui laisse craindre une situation critique. En fait, Katayama est seulement sonné par son incroyable série de pirouettes. Il est évacué vers le centre médical du circuit, puis vers l'hôpital le plus proche pour subir des examens médicaux. Par bonheur, il ne souffre que d'un traumatisme crânien et de douleurs aux cervicales. Mais le « kamikaze » nippon a eu chaud !
La course sera relancée pour la distance originale au bout de vingt-cinq minutes. Les concurrents se regroupent sur la grille afin de prendre le second départ. Papis n'en sera pas: tombé en panne de boîte de vitesses, il ne peut tenir dans le mulet préparé pour les modestes mensurations d'Inoue. Badoer saute dans sa voiture de réserve et partira depuis les stands, de même que Montermini et Moreno.
Second tour de chauffe: Frentzen cale son moteur au drapeau vert. Le jeune Allemand peut se relancer mais doit prendre place en queue de peloton et perd ainsi tout le bénéfice de sa superbe qualification.
Second départ: Coulthard conserve l'ascendant alors que Hill fait patiner ses roues. Schumacher se faufile à l'extérieur et passe devant son rival. Suivent Berger, Herbert et Alesi.
1er tour: Coulthard est en tête devant Schumacher, Hill, Berger, Herbert, Alesi, Brundle, Irvine, Barrichello et Blundell. Frentzen réalise une première boucle incroyable puisqu'il double successivement Delétraz, Diniz, Inoue, Lamy et Salo, et remonte en quatorzième position !
2e: Coulthard prend du champ et fixe aussitôt le record du tour de la journée (1'23''220'''). Frentzen chipe la treizième place à son collègue Boullion.
3e: Coulthard possède deux secondes et demie de marge sur Schumacher. Hill menace l'Allemand. Häkkinen prend la dixième place à son équipier Blundell.
5e: Coulthard mène devant Schumacher (3.6s.), Hill (4.2s.), Berger (9.3s.), Herbert (11.8s.), Alesi (14.2s.), Brundle (15.3s.), Irvine (19.7s.), Barrichello (20.8s.) et Häkkinen (21.7s.).
6e: Panis est une fois de plus sanctionné d'un « stop-and-go » de dix secondes pour avoir volé le départ.
7e: Coulthard porte son avance sur Schumacher à quatre secondes. Lamy, le régional de l'étape, doit abandonner suite à la rupture de la pompe hydraulique de sa commande de boîte.
8e: Les leaders prennent déjà un tour au pauvre Delétraz qui est dix secondes au tour plus lent que ceux-ci...
9e: Moreno rejoint le stand Forti pour se plaindre de problèmes de boîte. Il est cependant renvoyé en piste.
10e: Coulthard devance Schumacher (5.7s.), Hill (6.2s.), Berger (15.7s.), Herbert (20s.), Alesi (23.3s.), Brundle (26.2s.), Irvine (32s.), Barrichello (34s.), Häkkinen (34.5s.), Blundell (35s.) et Frentzen (37s.). Jusqu'alors 12ème, Panis fait halte aux stands pour subir sa pénalité.
11e: Schumacher contient toujours Hill. Panis part en tête-à-queue entre les virages n°3 et 4 et se retrouve à contre-sens, moteur calé. C'est terminé pour le jeune Français.
12e: Barrichello se débat avec une Jordan très survireuse et retient un peloton comprenant Häkkinen, Frentzen, Blundell et Boullion.
14e: Coulthard devance le duo Schumacher - Hill de cinq secondes. Frentzen s'empare de la onzième place aux dépens de Blundell.
15e: Insuffisamment préparé pour ce Grand Prix, Delétraz souffre d'une violente crampe au bras gauche. Il préfère sagement se retirer avant de casser sa Pacific.
16e: Coulthard précède Schumacher (4.3s.), Hill (5s.), Berger (19.2s.), Herbert (27.2s.), Alesi (29.3s.) et Brundle (33.2s.).
17e: Häkkinen déborde Barrichello au premier virage. Puis Frentzen dépasse le Brésilien à la courte épingle de Gancho, au prix d'un freinage ultra-tardif. Le jeune Rhénan semble avoir mangé du lion...
18e: Schumacher et Hill pénètrent ensemble dans la pit-lane pour subir leur premier ravitaillement. Mais si l'opération dure seulement sept secondes pour l'Allemand, elle s'éternise jusqu'à seize secondes pour l'Anglais à cause d'une roue arrière-gauche récalcitrante, puis d'une première vitesse délicate à enclencher. Berger, Brundle, Barrichello et Moreno effectuent aussi un passage aux stands.
19e: Si Schumacher est toujours second, Hill est reparti seulement cinquième. En fin de tour, Coulthard observe un premier pit-stop sans histoire (10.6s.) et demeure premier, cinq secondes devant Schumacher.
20e: Herbert et Häkkinen passent aux stands pour prendre de l'essence et des pneus neufs. Hill est sur les talons d'Alesi mais ne parvient pas à le doubler.
21e: Schumacher revient à quatre secondes de Coulthard. Ravitaillements pour Salo, Diniz et Montermini. Blundell passe aux stands au tour suivant.
23e: Frentzen stoppe chez Sauber pour un ravitaillement (10s.). Il repart derrière Häkkinen, mais va le doubler un peu plus loin. Arrêt aussi pour Inoue.
24e: Alesi libère Hill en pénétrant dans les stands. Il ravitaille en dix secondes et redémarre derrière Herbert. Boullion effectue aussi son premier pit-stop.
25e: Hill est le grand perdant de cette première salve d'arrêts puisqu'il concède maintenant seize secondes à Schumacher. Irvine observe un long ravitaillement (15s.) et se retrouve derrière son équipier et les deux McLaren.
26e: Coulthard devance Schumacher (6.5s.), Hill (23.6s.), Berger (34.2s.), Herbert (49.3s.), Alesi (56.8s.), Brundle (57.8s.), Frentzen (1m. 15s.), Häkkinen (1m. 16s.), Barrichello (1m. 17s.), Blundell (1m. 18s.) et Irvine (1m. 25s.).
28e: Schumacher a repris une seconde à Coulthard. Häkkinen, Barrichello et Blundell bataillent pour la neuvième position.
30e: Hill ne parvient pas à réduire son retard sur Schumacher. Brundle est aux trousses d'Alesi pour le gain de la sixième place.
31e: Coulthard prend un tour à Blundell, puis à Barrichello, et perd ainsi un peu de temps. Schumacher revient à quatre secondes.
33e: Coulthard est premier devant Schumacher (4.8s.), Hill (21.7s.), Berger (38s.), Herbert (56s.), Alesi (1m. 04s.), Brundle (1m. 05s.) et Frentzen (1m. 19s.).
34e: Berger arrive chez Ferrari pour un deuxième ravitaillement (10s.) et s'immisce entre Alesi et Brundle, rendant ainsi un bon service à son équipier. L'Autrichien doit cependant s'arrêter encore une fois
36e: Schumacher s'arrête chez Benetton pour un deuxième pit-stop (7.6s.). L'Allemand reprend la piste derrière Hill.
37e: Herbert et Brundle passent aux stands pour leur second arrêt-ravitaillement.
38e: Coulthard devance Hill de vingt-et-une secondes, Schumacher de trente secondes. Débarrassé de Brundle, Berger klaxonne derrière Alesi qui devrait s'écarter, car les deux équipiers n'ont pas la même stratégie. Badoer exécute son seul pit-stop de la journée.
39e: Coulthard subit son second pit-stop (11.1s.) et repart second. Hill hérite du commandement provisoire.
40e: Hill reste en piste. Williams l'a basculé sur une stratégie à deux arrêts, seul espoir de devancer Schumacher au final. Mais le Britannique perd du temps dans le trafic. Coulthard le rattrape facilement. Barrichello effectue son deuxième ravitaillement. Le Pauliste déplore une faiblesse au niveau de ses freins.
41e: Hill mène devant Coulthard (1.5s.), Schumacher (5.4s.), Alesi (49s.), Berger (50s.), Herbert (1m. 05s.), Frentzen (1m. 08s.), Häkkinen (1m. 19s.), Blundell (1m. 21s.), Brundle (1m. 22s.), Irvine (-1t.) et Barrichello (-1t.).
42e: Hill peine à se défaire d'Irvine. Lorsqu'il y parvient enfin, Coulthard est revenu sur ses talons. Berger est toujours gêné par Alesi.
44e: Hill entre aux stands pour son second et dernier ravitaillement (11.5s.) et retrouve la piste en troisième position. Son espoir est dorénavant de repartir devant Schumacher après le troisième pit-stop de celui-ci. Arrêts aussi pour Diniz et Montermini.
45e: Coulthard a retrouvé la première place et devance Schumacher de quatre secondes. Hill roule à vingt-cinq secondes du pilote Benetton.
46e: Berger effectue son troisième et ultime arrêt-ravitaillement (10.3s.) et repart septième. Häkkinen se range dans une échappatoire avec un moteur muet. Blundell, Salo et Inoue passent aux stands.
48e: Alesi opère son deuxième pit-stop (10.2s.) et repart entre Berger et Brundle. Frentzen effectue sa seconde escale chez Sauber.
49e: Deuxièmes arrêts pour Irvine et Boullion. Montermini écope d'un stop-and-go de dix secondes pour excès de vitesse dans l'allée des stands. Il subit sa punition dans la foulée.
50e: Coulthard est premier devant Schumacher (6.2s.), Hill (28.2s.), Herbert (1m. 11s.), Berger (1m. 23s.), Alesi (-1t.), Brundle (-1t.), Frentzen (-1t.), Barrichello (-1t.), Blundell (-1t.), Irvine (-1t.) et Boullion (-1t.).
52e: Hill est revenu à vingt secondes de Schumacher et semble assuré de reprendre la deuxième place après le ravitaillement de celui-ci.
54e: Troisième arrêt pour Brundle qui repart derrière Frentzen, lequel ne doit plus passer par les stands.
55e: Coulthard observe son troisième ravitaillement (9s.) et demeure leader. Schumacher effectue lui aussi son troisième pit-stop (7s.) et rejoint la piste trois secondes derrière Hill.
56e: Herbert subit un dernier ravitaillement et fait une mauvaise affaire puisqu'il redémarre en septième position derrière Frentzen. Montermini renonce suite à une énième panne de boîte de vitesses sur la Pacific.
57e: Coulthard a la victoire en poche. Mais Hill n'est pas assuré de sa deuxième place: muni de pneus plus frais, Schumacher le rattrape peu à peu.
58e: Schumacher reprend une seconde au tour à Hill. Barrichello effectue un troisième pit-stop et tombe en onzième position.
60e: Coulthard domine devant Hill (9.3s.), Schumacher (10.3s.), Berger (1m. 14s.), Alesi (1m. 15s.), Frentzen (1m. 24s.), Herbert (-1t.), Brundle (-1t.), Irvine (-1t.), Barrichello (-1t.) et Boullion (-1t.).
61e: Schumacher est revenu dans la boîte de Hill qui se débat avec des gommes usées. Les deux rivaux entament un nouveau combat singulier.
62e: Schumacher chasse Hill. À l'entame du « tire-bouchon », il se jette autoritairement à l'intérieur et contraint son adversaire à ouvrir la trajectoire pour éviter la collision. Une manœuvre risquée mais réussie: pas d'accrochage cette fois entre Schumacher et Hill !
64e: Schumacher s'échappe facilement devant Hill qui ne cherche plus qu'à ramener ses pneus à l'arrivée.
66e: Onze secondes séparent Coulthard de Schumacher. Loin de là, Alesi suit de près Berger sans pouvoir le dépasser.
68e: À trois tours du but, Coulthard précède Schumacher (9.4s.), Hill (19s.), Berger (1m. 23s.), Alesi (1m. 24s.) et Frentzen (-1t.).
70e: Coulthard finit l'épreuve avec une marge de sept secondes sur Schumacher.
71ème et dernier tour: David Coulthard remporte son premier Grand Prix, salué par un immense drapeau écossais brandi par son équipe. Schumacher et Hill l'accompagnent sur le podium. Les Ferrari de Berger et d'Alesi terminent respectivement quatrième et cinquième. Un Frentzen opiniâtre décroche la sixième place après une splendide remontée. Viennent ensuite: Herbert, Brundle, Blundell, Irvine, Barrichello, Boullion, Salo, Badoer, Inoue, Diniz et Moreno.
Après la course: première pour Coulthard, bonne affaire pour Schumi
À 24 ans, David Coulthard inscrit son nom au palmarès des vainqueurs de Grand Prix, une juste récompense après ses cruels échecs de Spa et de Monza. Il est le premier Écossais à conquérir cet honneur depuis Jackie Stewart, qui ne manque d'ailleurs pas de le féliciter chaleureusement. En outre, Coulthard a délivré ici une copie impeccable, dominant le week-end de bout en bout, que ce soit au volant de la Williams FW17 « B » que de la version « A ». « Ma seule angoisse concernait la tactique de Schumacher, confie-t-il. Avait-il choisi deux ou trois arrêts ? J'imaginais deux... J'ai cru perdre la course lorsque je l'ai vu à sept secondes. Puis, à voir ses temps au tour, j'ai compris que nous avions la même stratégie. J'ai pu respirer. Sur la fin, j'avais les nerfs en petits morceaux, mais j'aurais tenu cent tours s'il avait fallu... » Sur le podium, le nouveau vainqueur est assailli et joyeusement aspergé de champagne par Michael Schumacher et Damon Hill, avant de tomber dans les bras d'Andrea, sa compagne canadienne. Puis, il fête ce premier succès dans une discothèque en vue de Cascais en compagnie de Rubens Barrichello, Pedro Diniz et Tim Wright, son manager.
Ce Grand Prix se conclut par une nouvelle défaite de Damon Hill, victime d'un premier ravitaillement raté, d'une stratégie à deux arrêts inopérante et d'un dernier train de pneus calamiteux. Le Britannique, flegmatique, admet que ses chances de remporter le titre mondial sont désormais très minces. « À la fin, mes pneus étaient vraiment à la corde, je ne pouvais plus freiner tard, dit-il. Michael m'a passé ainsi. Dommage, car nous étions très proches. Avec 17 points de retard et quatre courses à disputer, il me faudrait maintenant un miracle pour être titré... » « Dans le tour précédent mon dépassement sur Damon, j'ai vu qu'il entrait très lentement dans l'épingle et freinait beaucoup trop tôt », raconte Michael Schumacher. « Je savais que ses pneus étaient morts et combien ce passage est difficile dans ces conditions. Je l'ai donc doublé au tour suivant. Il ne m'a pas facilité la tâche, mais c'est la course. » L'Allemand est du reste content de trouver en Coulthard un allié inattendu dans la quête du titre mondial...
Alesi dénonce « radio Todt »
Ferrari n'a pas existé au Portugal et peut s'estimer heureuse de ramener cinq points grâce aux quatrième et cinquième places de ses pilotes qui ont failli concéder un tour au vainqueur. De plus, Jean Alesi n'a pas du tout apprécié que Jean Todt et Giorgio Ascanelli lui ordonnent de laisser passer Gerhard Berger vers la mi-course. Les deux pilotes n'avaient pas la même stratégie, deux arrêts pour le Français, trois pour l'Autrichien, et ce dernier a perdu du temps en klaxonnant derrière son équipier. Mais Alesi ne voit pas les choses de la même façon. À peine descendu de sa monoplace, il explose face caméra: « J'en assez ! Ascanelli n'est pas l'ingénieur de Ferrari, mais celui de Berger ! Le mien est compétent, mais ne peut pas tout faire, surtout qu'on ne lui montre pas toutes les données... Tout le monde est contre moi ! Je fais mes courses en fonction des circonstances et de mes moyens, pas de « radio Todt » ! Le président Montezemolo doit le savoir ! »
Jamais depuis son arrivée chez Ferrari Jean Alesi n'avait laissé transparaître une telle rancœur. Il va même jusqu'à accuser Todt de semer la zizanie entre lui et Berger pour pourrir leur collaboration future chez Benetton ! Bien sûr, le directeur de la Scuderia se défend d'un tel machiavélisme: « Gerhard ne réussissait pas à doubler Jean bien qu'il fût plus rapide. Alors, par trois fois, j'ai demandé à Jean de le laisser passer. Les deux pilotes connaissaient la stratégie de chacun et savaient où se trouvait l'intérêt de l'équipe », énonce-t-il sévèrement. Une analyse que confirme Gerhard Berger: « Nous ne savions pas avant le départ quelle stratégie serait la bonne, mais la piste m'a donné raison, et dans l'intérêt de l'équipe, il aurait été profitable que j'exploite mon potentiel. Il m'est souvent arrivé tout au long de ma carrière de recevoir des demandes de ce genre, notamment avec Ayrton Senna chez McLaren. » Néanmoins, l'Autrichien n'en veut pas trop à son collègue et ami, dont il connaît le caractère impulsif. Mais Todt doit d'urgence s'expliquer avec Alesi afin de préserver la cohésion interne de la Scuderia en cette fin de saison. Avant de repartir sur de nouvelles bases en 1996, avec Michael Schumacher...
Tony