Présentation des écuries

Les top teams

Depuis 1988, McLaren et Honda règnent sans partage sur le petit monde de la Formule 1. Mais en 1990, leur trône a vacillé sous les coups de boutoir du duo Prost – Ferrari, et une réplique s'avère nécessaire. Honda lance un nouveau moteur, un douze cylindres en V à 60°, censé produire 720 chevaux à 13 000 tours/minute. Mais qui dit V12 dit réadaptation de la voiture. Avec l'aide de l'aérodynamicien Henri Durand, qui s'est jadis attelé au même travail chez Ferrari, Neil Oatley redessine le châssis, la boîte et les suspensions. La suspension avant est dorénavant à poussoirs, avec des combinés longitudinaux. La carrosserie est redessinée pour s'adapter à ce dispositif. Avec ses hauts pontons, la MP4/6 rappelle la Ferrari 641. Le nez est aussi plus fin et plus pointu. McLaren s'éloigne donc du concept de base des MP/4. Cette nouvelle machine est sortie très tard des ateliers et n'a roulé que lors d'une séance d'essais à Estoril. Ayrton Senna et Gerhard Berger décèlent de nombreuses faiblesses: un châssis très perfectible et surtout un moteur moins puissant que le V10 de 1990. 

 

Au regard de la fin de la saison 1990, la Scuderia Ferrari se présente comme la favorite du championnat 1991. Pure apparence. Si les tifosi sont ravis d'accueillir le jeune prodige à moitié Italien Jean Alesi, Alain Prost entame cette saison avec circonspection. Il a certes surmonté sa déprime consécutive à la collision de Suzuka avec Ayrton Senna, mais ses relations avec Cesare Fiorio se tendent. Il reproche toujours au directeur sportif son manque d'autorité, et surtout sa décision de commencer la saison avec une monoplace, la 642, qui n'est qu'une simple mise à jour de la 641 de l'an passé. Un peu pris de court, Steve Nichols s'est contenté d'améliorer et de fiabiliser l'ensemble. La seule « innovation », un museau en forme de spatule, n'en est pas une puisque John Barnard l'avait installé sur la 640 de 1989. Le V12 délivre quant à lui 710 chevaux à 13 800 tours/minute... sur le papier car en fait, suite à une modification réglementaire, Agip ne peut fournir un carburant bien adapté pendant que Shell (Honda) et Elf (Renault) innovent. Prost ne partage donc pas l'entrain et l'optimisme d'Alesi à l'orée de cette saison, ce qui déplaît à la presse italienne qui critique son éternelle insatisfaction.

 

Après sa belle troisième place au championnat des constructeurs en 1990, Benetton-Ford s'enracine dans la cour des grands. Elle peut désormais compter sur le soutien financier de Camel dont le chameau orne ses bolides. John Barnard prépare une B191 mue par le nouveau V8 Ford. L'ensemble ne sera opérationnel qu'à Imola. Flavio Briatore s'agace de ce retard mais, enfermé dans ce cellule d'étude indépendante de Godalming, Barnard ne supporte pas la moindre remontrance de son supérieur. En attendant sont alignées les vieilles B190 dotées d'ailerons aux normes 1991. Nelson Piquet aborde à 39 ans sa quatorzième saison de F1 avec cette fois-ci un copieux salaire payé par Camel. Son compère Roberto « Pupo » Moreno l'épaulera, Flavio Briatore n'ayant pu dénicher un remplaçant de renom au malheureux Sandro Nannini. Enfin, Benetton a signé un partenariat avec Pirelli et recevra donc en exclusivité les meilleurs produits du manufacturier italien.

 

Williams aborde cette saison 1991 avec de grandes ambitions. Oubliée l'anguleuse FW13, place à l'élégante FW14 dessinée par Adrian Newey. Cette superbe monoplace bénéficie du travail de recherche accompli par le jeune technicien en soufflerie. Avec ses formes arrondies et ses pontons bas, elle porte incontestablement sa « patte ». Elle comporte une nouvelle boîte semi-automatique à six rapports. Comme sur les Ferrari, les pilotes passeront donc les vitesses au moyen de palettes situées derrière le volant, d'où un gain de temps non négligeable. Renault apporte un V10 inédit, le RS3, plus souple et plus puissant (700 chevaux à 12500 tours/minute). Nigel Mansell est de retour au bercail de Didcot avec un contrat de premier pilote financé par Camel, le nouveau sponsor principal du team. Le vétéran Riccardo Patrese, protégé par Patrick Head malgré ses performances en dents de scie, sera dans la deuxième machine. Williams accueille aussi un nouvel essayeur, Damon Hill, le fils de Graham, qui fait pour l'heure de la figuration en F3000. 

 

Les outsiders

Tyrrell prend un nouveau départ en recevant le très convoité V10 Honda, ainsi qu'un nouveau sponsor d'envergure, le géant allemand de l'électroménager Braun. Les voitures d'Uncle Ken perdent ainsi leur bleu au profit d'un peu seyant gris métallique. La 020 dessinée par Harvey Postlethwaite est dans la ligne de l'innovante 019, avec un nez encore plus effilé. Le principe des suspensions, avec un combiné unique à l'avant, est inchangé. L'espoir italien Stefano Modena a la lourde tâche de faire oublier Jean Alesi. Son équipier Satoru Nakajima, qui connaît bien le moteur Honda, sera chargé de sa mise au point... et de la quête de commanditaires nippons. Enfin, Rupert Manwaring, ex-team manager de Lotus, devient directeur sportif à la place de Joan Villadelprat, parti chez Benetton.

 

Arrows entame une nouvelle page de son histoire et se nomme dorénavant Footwork, du nom de son sponsor japonais. La nouvelle FA12 n'est pas prête en ce début de saison, et c'est une vieille A11 version C qui est mise en service. Cette monoplace accueille le tout nouveau V12 Porsche. Hans Mezger est fier de son bébé et annonce 680 chevaux à 13000 tours/minute, soit 20 à 30 chevaux de moins que le Honda ou le Renault. Mais il y a un hic, le poids. La V12 allemand pèse 190 kg contre 140 à 150 pour ses rivaux ! Aussi son comportement erratique lors des essais d'avant-saison n'annonce rien de bon. Jackie Oliver clame que Porsche revient en F1 sans obligation de résultats immédiats, mais peu de monde le croit. Par ailleurs, les piètres prestations en 1990 de Michele Alboreto, le vétéran, et d'Alex Caffi, le jeune loup, confirmés pour cette année, n'augurent rien de bon quant à leur capacité à transcender un ensemble médiocre.

 

Middlebridge a convaincu Yamaha de s'impliquer pour de bon en F1 (après la semi-expérience avec Zakspeed en 1989) et de concevoir un V12 pour Brabham. Celui-ci est censé délivré 660 chevaux. Sergio Rinland prépare une voiture pour accueillir spécifiquement ce nouveau moteur qui est placé en attendant dans une ancienne BT59. Les Brabham adoptent aussi une nouvelle livrée bleu-blanc-rouge. Sollicité par Yamaha, Martin Brundle accepte de faire son retour à Milton Keynes, auréolé d'une victoire aux dernières 24 heures du Mans avec Jaguar. Il sera associé à son jeune compatriote Mark Blundell qui a piloté pour Middlebridge en F3000 deux ans auparavant et s'est distingué avec Nissan en Protos. Brabham inquiète néanmoins à cause de son manque de trésorerie. Elle ne peut guère compter que sur Camel et quelques petits commanditaires nippons.  

 

Soucieux du bon usage de ses yens, Akira Akagi prend lui-même les commandes de Leyton House Racing en lieu et place d'Ian Philipps. L'ingénieur Mike Smith, promu directeur de la production, sera son adjoint. Charlie Moody, un ancien technicien de Williams et Benetton, est promu team manager. L'équipe accueille le tout nouveau V10 Ilmor, conçu par la paire Mario Ilien - Paul Morgan, qui pourrait offrir jusqu'à 680 chevaux. Il est installé dans la CG911 dessinée par Gustav Brunner et Chris Murphy. Cette voiture ressemble beaucoup à sa devancière mais est munie d'une suspension avant mono-choc et d'une nouvelle boite de vitesses transversale à six rapports. Les deux amis Ivan Capelli et Maurício Gugelmin font équipe pour la quatrième année consécutive.

 

Après une médiocre saison 90 (zéro point marqué), Beppe Lucchini reprend en main la Scuderia Italia, nouveau nom officiel de BMS-Dallara. Il nomme l'ingénieur Paolo Stanzani, un des piliers de la firme Lamborghini, coordinateur technique, et passe un accord avec John Judd pour la fourniture exclusive de son nouveau V10 GV qui délivre trente chevaux de plus que le vieux Cosworth DFR utilisé jusqu'ici. La Dallara 191 dessinée par Nigel Cowperthwaite ressemble beaucoup à sa devancière, mais dispose d'une nouvelle boîte transversale. Le valeureux Emmanuele Pirro est toujours de l'aventure, désormais associé au Finlandais JJ Lehto qui a montré de belles dispositions lors de son passage chez feue Onyx.

 

Minardi a fait chou blanc en 1990, mais compte sur un rebond en 1991 grâce à l'acquisition du V12 Ferrari. Autour du moteur de Maranello, Aldo Costa a dessiné une M191 très fine, doté d'un museau « à la Tyrrell ». Le train arrière est inédit mais curieusement la boîte demeure longitudinale malgré la plus grande longueur du V12. Hélas, les coques ne passent pas l'épreuve du crash-test, et ce sont donc des voitures n'ayant presque jamais roulé qui entament la saison. Le solide Pierluigi Martini est chargé de retrouver le chemin des points. Le néophyte Gianni Morbidelli, pilote essayeur de la « grande » Scuderia, apporte lui sa connaissance du V12. Enfin, Minardi délaisse Pirelli et pioche dorénavant ses gommes chez Goodyear.

 

En attendant le V10 Renault en 1992, Ligier-Gitanes accueille le V12 Lamborghini. Encore une « saison de transition » ! Guy Ligier récupère tout de même l'ingénieur anglais Frank Dernie qu'il avait tenté en vain d'engager deux ans plus tôt. Celui-ci disposera de la nouvelle soufflerie de l'usine de Magny-Cours. En compagnie de Michel Beaujon et de Loïc Bigois, Dernie dessine la JS35, une monoplace aux formes bulbeuses dans laquelle le moteur Lamborghini est accouplé à la boîte X-Track apparue l'an passé. Thierry Boutsen est le nouveau leader de l'équipe, épaulé par le jeune Français Érik Comas, champion international de F3000. 

 

Le fond de la grille

Après la désastreuse saison 1990, le Team Lotus est au bord du gouffre. Le départ de Camel crée un énorme trou dans la trésorerie que les nouveaux patrons Peter Collins et Peter Wright comblent en hypothéquant leurs propres biens ! Heureusement, ils peuvent compter sur l'appui d'un riche mécène allemand, Horst Schübel. Voir cette écurie si prestigieuse, l'équivalente britannique de Ferrari, en si mauvaise posture, fait mal au cœur des passionnés. Afin de sauver ce qui peut l'être, Collins et Wright réduisent l'équipe technique au strict minimum. La Lotus 102 de l'an passé est modifiée pour accueillir le faiblard V8 Judd EV qui sera accouplé à la boîte Lamborghini. Lotus n'a plus que quelques sponsors, dont le pétrolier BP, et la livrée de ses machines est désespérément blanche. Mais elle rachète tout de même son ancienne soufflerie à Williams, outil qui lui faisait jusqu'ici cruellement défaut. Les pilotes seront le revenant Julian Bailey, qui depuis son expérience malheureuse avec Tyrrell a couru en Endurance avec Nissan et investit tous ses gains recueillis l'an passé, et le jeune Finlandais Mika Häkkinen, 22 ans, champion de Formule 3 britannique en titre et élève de Keke Rosberg.

 

Injustement frappée par la FISA durant l'hiver (voir ici), l'écurie de Gérard Larrousse a failli ne pas survivre à ce terrible hiver. Elle a perdu son partenaire Espo, le V12 Lamborghini et retenu de justesse Aguri Suzuki, un temps approché par Benetton. Larrousse peut tout de même se constituer un budget grâce à ce même Suzuki qui apporte le renfort de Toshiba. Elle utilise désormais le V8 Ford-Cosworth préparé par Brian Hart, doté de culasses plus petites et proposant quinze chevaux de plus. Gérard Ducarouge dessine une nouvelle coque autour de ce moteur mais ne peut faire l'impasse sur l'ancienne transmission Lamborghini. Cette Lola-Ford 91 apparaît donc peu homogène. Éric Bernard et Aguri Suzuki ont pour mission de se qualifier le plus souvent possible.

 

AGS débute l'année dans une misère noire. Le projet de fusion avec Larrousse est tombé à l'eau. Andrea de Cesaris, qui devait rejoindre Gonfaron et apporter les dollars de Philip Morris, a finalement choisi de signer chez Jordan. Cyril de Rouvre n'obtient que quelques maigres subsides de l'entreprise française Faure-Electrolux et d'un sponsor de Gabriele Tarquini. Yannick Dalmas parti en Endurance avec Peugeot, c'est Stefan Johansson, devenu le spécialiste de l'intérim, qui pilotera la seconde machine. Les JH25B sont les monoplaces de 1990 munie d'une boîte transversale. La dizaine de mécaniciens emmenée par Peter Wyss à Phoenix ne peut compter que sur trois moteurs Cosworth DFR préparés par Heini Mader. 

 

Coloni passe l'hiver grâce à l'appui financer de son nouveau pilote, le Portugais Pedro Chaves, fils du président de la fédération nationale, qui apporte les deniers de deux groupes d'envergure, les Vins Mateus et Pétrole Galp. Il pilotera la seule monoplace engagée. La Coloni C4 est en fait la C3 de 1990 adaptée au nouveau règlement par Christian Vanderpleyn et préparée... par des étudiants de l'université de Pérouse ! Les objectifs sont bien sûr très modestes: passer le cap des qualifications serait déjà un exploit...

 

Le patron des jantes Fondmetal Gabriele Rumi a pris le contrôle d'Osella, chassé son fondateur et l'a rebaptisée du nom de son entreprise. Adieu Osella Corse, place à Fondmetal F1 ! Gianfranco Pallazoli reste aux commandes de l'écurie, mais le personnel est transféré à Palosco, siège du groupe Fondmetal. Rumi confie à son antenne anglaise, installée dans les ateliers de March et dirigée par Robin Herd, le soin de concocter une nouvelle monoplace. En attendant, Olivier Grouillard pilotera la vieille Osella FA1M-E. Cette machine est équipée du V8 Ford DFR exploité par Tyrrell l'an passé, et qui n'est donc pas muni de nouvelles culasses.

 

Deux nouvelles équipes: Jordan et Modena

Après de nombreux succès en F3 et F3000, le préparateur irlandais Eddie Jordan se lance en Formule 1 avec l'aide de son compère Gary Anderson. Malgré son caractère fantasque, Jordan prépare très sérieusement cette aventure. Il a le soutien financier de la marque de sodas Seven Up et de l'Office du tourisme irlandais. Il entend en effet créer une véritable « écurie nationale », d'où la belle livrée verte de ses voitures. Anderson conçoit une superbe voiture avec l'aide de deux jeunes ingénieurs, Andrew Green et Mark Smith. Cette 191 aux lignes simples et fluides se singularise par son museau très relevé agrémenté de moustaches en forme de delta inversé, fortement inspirées de la Tyrrell 019. Elle est propulsée par un moteur Ford-Cosworth HB, le même que celui utilisé par Benetton, mais alimenté par une centrale électronique Zytek. Les pilotes sont le Franco-Belge Bertrand Gachot, qui espère enfin pouvoir exprimer son talent, et l'inusable Andrea de Cesaris qui apporte sa fougue, son expérience et le précieux soutien de Marlboro.

 

Lamborghini lance une équipe semi-officielle, le Modena Team, dirigée et financée par un consortium réuni par le riche industriel Carlo Patrucco. Leopoldo Canetoli dirige l'équipe en tandem avec Mauro Forghieri. La Lambo 2, mue par le V12 de la firme au taureau, était en fait destinée à l'écurie mexicaine mort-née GLAS. Elle se distingue par ses pontons très bas qui carènent des radiateurs presque parallèles à la coque. Une suspension avant mono-choc a été abandonnée au profit d'un classique système à poussoirs. Le V12 est relié à une boîte transversale Lamborghini. La Lambo arbore une livrée bleue parsemée de petits logos, signe que le montage financier de l'écurie laisse à désirer. Le jeune Nicola Larini, auteur d'une saison 90 très régulière avec Ligier, sera le pilote n°1. Son équipier est le Belge Eric van de Poele, coureur éclectique passé par la monoplace et le Super-Tourisme.

 

En ce qui concerne les pneumatiques, Goodyear fournit toujours la grande majorité du paddock et a même acquis deux nouveaux clients, Minardi et Coloni. Pirelli a cependant enfin dégoté un contrat avec une écurie de pointe, Benetton-Ford. Brabham, Tyrrell et la Scuderia Italia sont les seuls autres clients de la firme milanaise

 

Nouveautés réglementaires

La FISA procède cette année à plusieurs amendements au règlement sportif. En effet, pour la première fois tous les résultats emmagasinés par les pilotes compteront au classement général. Par ailleurs, la victoire rapporte dorénavant dix points au lieu de neuf. Les Grands Prix ne pourront plus excéder la durée de deux heures afin de se conformer au format des retransmissions télévisées. Après une saison 1990 ponctuée de nombreux accrochages, le président Balestre souhaite gendarmer les pilotes. Il instaure une pénalité à subir pendant l'épreuve, le « stop-and-go ». Un pilote jugé coupable d'une infraction par les commissaires sportifs devra désormais observer une halte de dix secondes à son stand.

 

Sur le plan technique, Jean-Marie Balestre impose maintenant à chaque nouvelle voiture un crash-test frontal et latéral. Les cockpits sont munis d'une bouteille d'air médical raccordée au casque du conducteur via une durite ignifugée. Les ailerons sont aussi retouchés: le porte-à-faux de l'aile arrière est fixé à 90 centimètres maximum par rapport à l'axe des roues arrière, tandis que l'aileron avant ne peut plus être situé à moins de vingt-cinq millimètres au-dessus du fond plat. 

Tony