L'Écurie Bleue: le nouveau fantasme de Guy Ligier
De plus en plus malheureux chez Ferrari, Alain Prost étudie en ce printemps 1991 tout projet d'envergure qui pourrait redorer son blason pâlissant et parachever sa carrière de pilote. Il prête ainsi l'oreille à Guy Ligier qui lui propose de fonder une grande équipe 100 % française dont ils seraient les fers de lance. Une telle ambition nécessite évidemment le soutien des grands groupes industriels tricolores impliqués dans le sport automobile. Ligier sonde ainsi Alain Guillon (Elf-France), Patrick Faure (Renault Sport) et Pierre Dupasquier (Michelin), qui tous trois sont séduits par cette belle idée, mais dépendent aussi de leurs P-DG respectifs. Mais le Vichyssois se sent pousser des ailes. Il ne lui en faut pas plus pour rêver d'une grande « Écurie bleue » réunissant Prost, Elf, Renault, Michelin, ainsi que ses propres commanditaires, la Seita et le Loto. Insatiable, il contacte également le très francophile Mansour Ojjeh (TAG) et Cyril de Rouvre, qui vient de se désengager d'AGS. Le ministre du Budget Michel Charasse met son carnet d'adresses à la disposition de son ami.
Début juin, Ligier annonce à Prost que leur grand projet reçoit un écho favorable dans les milieux intéressés. Le Forézien reste toutefois prudent: il sait que son interlocuteur est un spécialiste reconnu de la construction de châteaux de sable...
La migration des ingénieurs: Barnard et Postlethwaite plient bagage
Tout le monde constate l'absence de John Barnard à Montréal. L'ingénieur britannique est en fait sur le point d'être licencié par Benetton. Flavio Briatore lui reproche de concentrer ses efforts dans l'installation de son nouveau centre de recherches de Godalming et de sacrifier ainsi le développement de la B191. Du reste, Benetton, Camel et Ford s'alarment des dépenses somptuaires engagées pour ces travaux. Briatore s'en est ouvert auprès de Barnard qui, à son habitude, a envoyé promener son interlocuteur. Bref, la rupture est consommée entre les deux parties.
Un autre brillant technicien change d'air: Harvey Postlethwaite rompt son contrat avec Tyrrell pour rejoindre Mercedes. La frime à l'étoile, qui brille en Protos avec ses C11 et C291 engagées par le team Sauber, met en effet sur pied un programme de Formule 1. Ses deux titres mondiaux en Sport et sa victoire au Mans en 1989 ont redoré (réargenté ?) son blason, et elle peut maintenant envisager son grand retour dans la catégorie reine qu'elle a abandonnée voici trente-cinq ans. Avec Karl Wendlinger, Michael Schumacher et Fritz Kreutzpointner, Mercedes entretient en outre une pépinière de jeunes talents allemands ou autrichiens prêts à porter haut ses couleurs. Sera-ce sous son propre nom ou celui de son partenaire Peter Sauber ? Postlethwaite doit en tout cas être le maître d'œuvre de ce plan qui doit aboutir en 1993 ou 1994. Son départ est cependant un coup très rude porté à Tyrrell, d'autant plus qu'il fait suite à celui de Jean-Claude Migeot vers Ferrari. Le bureau d'études fondé par Postlethwaite est dorénavant dirigé par George Ryton qui prend provisoirement en charge la direction technique de l'écurie.
Présentation de l'épreuve
Ayrton Senna débarque en Amérique du Nord auréolé de quatre victoires en quatre Grands Prix. Il vise bien sûr la passe de cinq, tout en clamant encore et toujours que sa McLaren-Honda ne le satisfait pas pleinement. Du reste, il souhaitait entamer ce week-end avec Ron Dennis et Mansour Ojjeh des pourparlers concernant son contrat 92. Les deux hommes ont refusé, estimant que c'était encore trop tôt. « Magic » bougonne...
Chaque année, le Grand Prix du Canada attire un fort contingent de tifosi grâce l'important colonie italienne de Montréal et aux exploits toujours révérés de Gilles Villeneuve. On estime que les Italiens représentent le quart des spectateurs. Mais cette année, ceux-ci sont désespérés par les mauvais résultats et l'interminable crise politique qui frappent leur écurie chérie. Vendredi 31 mai, Piero Fusaro et Piero Lardi-Ferrari tiennent une longue conférence de presse pour affirmer que le départ de Cesare Fiorio a permis d'assainir la situation et que les querelles intestines appartiennent au passé. De son côté, Alain Prost fait connaissance avec son nouveau « team manager », Claudio Lombardi, avec quelque peine, car il souffre d'une extinction de voix !
Allan Gilmour, le président de Ford Automotive, fait le déplacement de Montréal en compagnie de Michael Kranefuss, le directeur de la compétition de la firme américaine. Tous deux confirment la construction d'un futur V12 Ford-Cosworth qui sera fourni en exclusivité à Benetton. Luciano Benetton et Flavio Briatore ne cachent pas leur contentement. Ils attendent en effet depuis longtemps une cavalerie capable de rivaliser avec les V12 Honda et Ferrari ou le V10 Renault. Gilmour et Kranefuss ont aussi des entretiens avec Eddie Jordan et son nouveau bras-droit Ian Philipps. Ceux-ci quêtent un moteur Ford d'usine, en vain pour le moment. « Ils vont bien finir par nous prendre au sérieux ! » plaisante Jordan pour masquer sa déception.
Alex Caffi joue de malchance. A Monte-Carlo, il a été victime aux essais d'un terrible crash qui a intégralement détruit son châssis et mis prématurément un terme à son week-end. Il s'en est sorti indemne mais, quelques jours plus tard, alors qu'il regagne son domicile de Brescia en compagnie de quelques camarades, tôt le matin et très éméché, il se fracture la mâchoire dans un violent accident de la circulation. Le petit Italien déclare forfait pour la tournée nord-américaine, ce qui au fond n'est pas si grave si l'on considère que conduire la Footwork-Porsche est une horrible purge. Jackie Oliver le remplace par Stefan Johansson qui heureusement, entre deux intérims infructueux en F1, trouve encore le temps de collaborer avec Mazda en Endurance. Ce sont également des retrouvailles entre Alboreto et Johansson, bien des années après leur heureuse cohabitation chez Ferrari.
Le valeureux Julian Bailey est arrivé à court de budget et perd logiquement son baquet chez Lotus. De toute façon, ses piètres performances face au néophyte Mika Häkkinen ne plaidaient pas en sa faveur. Bailey est remplacé par Johnny Herbert, l'éternel protégé de Peter Collins, qui court toujours avec brio en Formule 3000 japonaise. Cela étant, Herbert doit apporter quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Les temps sont durs à Ketteringham Hall. Le légendaire Team Lotus n'est pas certain d'achever cette saison...
Les nuages s'assombrissent autour des ateliers de Chessington. La manne de Middlebridge se tarit et Brabham pourrait bien elle aussi mettre bientôt la clef sous la porte, pour de bon cette fois. Herbie Blash positive certes en annonçant l'arrivée d'un nouveau sponsor, l'importateur officiel de Yamaha en Amérique du Nord. Mais le constructeur nippon se rend compte qu'il est seul à alimenter la caisse ! Il est déjà question de vendre le V12 à une autre écurie en 1992... Le Modena Team est aussi en difficulté. Le consortium de Carlo Patrucco a déjà vendu 40 % des parts aux Japonais de Central Park, et Lamborghini refuse de placer un centesimo dans son équipe semi-officielle ! Mais il y a bien pire. Chrysler traverse actuellement une passe difficile. Les ventes de la Lamborghini Diablo commencent à péricliter. Les Américains étudieraient la possibilité de vendre la marque au taureau. Ce qui signifierait bien entendu le terme de son aventure en Formule 1.
Une curieuse information circule dans le paddock: selon le quotidien belge flamand Het Laatste Nieuws, Bertrand Gachot a été impliqué en décembre dernier à Londres dans un incident de la circulation. Gachot a eu une altercation avec un chauffeur de taxi et se serait défendu avec un spray anti-agression. Interpellé par la police britannique, il sera prochainement convoqué par un tribunal... L'intéressé refuse de commenter la nouvelle, tout comme son employeur Eddie Jordan. Pour le moment, cette histoire ne paraît être qu'un fait divers dépourvu d'intérêt.
Renault apporte encore un V10 « évolution » aux Williams ; c'est Jean-François Robin, l'adjoint de Bernard Dudot resté en France, qui est chargé d'en surveiller les débuts. Les Jordan reçoivent un nouveau différentiel de marque Salisbury qui améliore leurs performances. Yamaha présente la première évolution de son V12 OX99. Seul Martin Brundle en bénéficie. Larrousse, Coloni et Fondmetal bénéficient d'un V8 Cosworth DFR revitaminé par les ateliers de Brian Hart. Enfin, Christian Vanderpleyn redessine la suspension arrière de l'AGS JH25 qui reçoit entre outre de Mader un DFR un peu plus puissant.
Incendie à Montréal
Le circuit Gilles-Villeneuve arbore cette année un nouveau revêtement qui permet d'araser les bosses dont se plaignaient régulièrement les pilotes. La dernière chicane est aussi redessinée et offre plus d'espace. Mais dans la nuit du 31 mai au 1er juin, un gigantesque incendie éclate sous le pont de la Concorde qui relie les îles Sainte-Hélène et Sainte-Marguerite et anéantit tout l'équipement de Bell Canada. 28 000 lignes téléphoniques sont coupées. Lorsque le feu est maîtrisé, vers cinq heures du matin, l'Île Notre-Dame est coupée du monde extérieur.
Le promoteur du Grand Prix Normand Legault prend heureusement la situation en main. Dans la journée du vendredi, pendant que les ouvriers travaillent à rétablir les liaisons téléphoniques, télégraphiques etc., il fait distribuer des téléphones cellulaires, installe un système à micro-ondes relié au centre de Montréal et des antennes afin de pouvoir retransmettre des images des essais libres. Vendredi soir, les communications sont rétablies sans que le paddock et la presse aient été trop handicapés. Bernie Ecclestone félicite Legault pour sa célérité.
Essais et qualifications
Les Jordan et les Dallara survolent comme d'habitude les pré-qualifications. Les Lamborghini de Larini et van de Poele manquent de grip et sont une nouvelle fois éliminées. La Fomet de Grouillard est en progrès, pas assez cependant pour encore franchir cette étape. Chaves n'a pas le temps d'exploiter son nouveau Cosworth, car la boîte de sa Coloni le lâche au bout de quelques tours.
La journée du vendredi est entrecoupée d'averses, et la grille est déterminée par la séance du samedi après-midi. Vendredi matin, Patrese est victime d'un rude accident après avoir glissé sur une traînée d'huile. Il heurte les glissières par l'arrière et s'en tire avec des douleurs au cou. Cela ne l'empêche pas de réaliser le lendemain la pole position (1'19''837'''). Il déloge son équipier Mansell, meilleur chrono sur le mouillé, mais frappé samedi par des problèmes de boîte. L'Italien devance l'Anglais sur la grille pour la cinquième fois en cinq Grands Prix. Les très agiles Williams-Renault monopolisent la première ligne et paraissent un cran au-dessus de la concurrence.
Senna (3ème) s'avoue vaincu: la McLaren-Honda est moins performante que la Williams-Renault. Berger (6ème) s'emmêle une fois encore dans ses réglages. Les Ferrari (Prost 4ème, Alesi 7ème) apprécient le nouveau bitume mais leur tenue de route demeure très perfectible. Les Benetton-Ford font bonne figure. Moreno obtient une très belle cinquième place. Ralenti par une panne de transmission, Piquet signe le huitième chrono avec son mulet. Les Tyrrell-Honda, trop vives lors de leurs changements de direction, ne brillent pas comme à Monaco. Modena se classe neuvième, Nakajima douzième. Fortunes diverses chez Dallara: Pirro (10ème) se met en vedette tandis que Lehto (17ème) patauge dans sa mise au point. Les Jordan-Ford (de Cesaris 11ème, Gachot 14ème) confirment leur statut d'outsiders. Reste à inscrire des points...
Les Leyton House sont dotées d'un nouvel aileron avant et tiennent un peu mieux la route. Capelli est treizième. Gugelmin, vingt-troisième, est en revanche ralenti par des soucis de fiabilité. Les Minardi sont encore touchées par des pannes de transmission. Morbidelli (15ème) touche le mur mais fait mieux que Martini (18ème). Boutsen poste sa Ligier à la seizième place malgré un vif sous-virage. Comas (26ème) casse un moteur et échappe au couperet pour trois centièmes. Larrousse est toujours freinée par le besoin de préserver ses moteurs. Bernard (19ème) fait de son mieux et Suzuki (22ème) va deux fois à la touchette. Brundle (20ème) qualifie une Brabham-Yamaha délicate à conduire. Blundell rencontre de graves problèmes de sélection de vitesses et passe à la trappe. Pour la première fois de l'année, les deux Footwork-Porsche arrachent leur qualification. Alboreto est 21ème, Johansson 25ème nonobstant des pannes de moteur et de boîte. Häkkinen (24ème) sauve sa Lotus-Judd malgré un fort survirage. Son nouvel équipier Herbert casse sa boîte et reste à quai. Les AGS de Tarquini et Barbazza rencontrent des problèmes de transmission (couples coniques fragilisés par la nouvelle suspension) et ne parviennent pas à chauffer leurs pneus. Les deux Italiens regarderont la course depuis les stands.
Le Grand Prix
Riccardo Patrese ne dispute pas le warm-up du dimanche matin. Officiellement, sa Williams souffre d'une rupture de canalisation d'essence. En fait, l'Italien a toujours très mal au cou et reçoit des soins pour tenir bon l'après-midi.
Il fait beau et très chaud ce 2 juin au-dessus de l'Île Notre-Dame. Les mécaniques vont souffrir. Les manufacturiers ne prévoient néanmoins pas d'arrêt en course, mais si Pirelli chausse ses clients de gommes dures, Lee Gaug de Goodyear conseille les enveloppes tendres, les « D ». Martini s'élance depuis les stands avec son mulet à cause d'une panne de freins sur son châssis de course.
Départ: Patrese anticipe légèrement le départ et décélère à l'instant du feu vert. Mansell démarre donc mieux que son équipier. Il lui fait l'extérieur au premier virage et s'empare de la première position. Derrière les Williams, Senna emmène Prost, Berger, Moreno, Alesi et Piquet. Pirro se frotte avec de Cesaris.
1er tour: Alesi double successivement Moreno et Berger. Mansell mène devant Patrese, Senna, Prost, Alesi, Berger, Moreno, Piquet, Modena et Capelli. Pirro s'arrête à son stand, pensant avoir crevé. En fait, son fond plat est abîmé, mais il reprend tout de même la route.
2e: Alesi met la pression sur Prost. Moreno et Piquet passent devant Berger dont le moteur a des ratés. Puis Piquet double son équipier sur la ligne de chronométrage. Les deux Jordan passent devant Capelli.
3e: Mansell creuse aisément l'écart sur Patrese et Senna. Les deux Footwork regagnent les stands avec le même problème: un accélérateur bloqué par des filtres à air. Si Alboreto met pied à terre, Johansson repartira après de longues réparations.
4e: Mansell compte quatre secondes d'avance sur son équipier. Berger entre au stand McLaren. Sa centrale de gestion électronique est mal connectée. Les mécaniciens de McLaren tentent une réparation puis l'Autrichien repart. Suzuki s'arrête en catastrophe dans la pelouse, au niveau de la grande épingle. Sa Lola brûle suite à une rupture de canalisation d'huile. Le Japonais saisit un extincteur et aide les commissaires à éteindre l'incendie.
5e: Mansell mène devant Patrese (4.5s.), Senna (5.7s.), Prost (6s.), Alesi (8s.), Piquet (13s.), Moreno (14s.), Modena (16s.), de Cesaris (18s.) et Gachot (19s.). Un écran de fumée barre la route après l'épingle, séquelle de l'embrasement de la Lola de Suzuki.
6e: Les deux Ferrari pourchassent Senna dont le moteur Honda toussote.
7e: Piquet recolle au groupe emmené par Senna. Berger met pied à terre après un tour à faible allure.
8e: Mansell précède Patrese (4.3s.), Senna (6.6s.), Prost (7s.), Alesi (8.2s.), Piquet (10.6s.) et Moreno (16s.). De Cesaris prend la huitième place à Modena.
10e: Moreno escalade le vibreur en prenant la dernière chicane et part en tête-à-queue en pleine piste. Il repart cependant. Long arrêt de Brundle qui peine à sélectionner ses rapports.
11e: Prost rate son freinage à l'épingle en voulant doubler Senna. Il doit laisser filer Alesi et Piquet. Modena reprend le dessus sur de Cesaris. Nakajima part au large après la première petite chicane et frotte le muret. Il regagne les stands en fin de tour pour un changement de pneus. C'est fini pour Moreno qui a cassé sa direction dans son embardée.
12e: Cinq secondes séparent Mansell et Patrese. Senna est désormais isolé tandis que Piquet poursuit Alesi.
14e: Gachot part en toupie en sortant du dernier virage. Par bonheur, la Jordan en perdition est évitée par tous les poursuivants. Gachot ne touche rien et se relance en treizième position.
15e: Mansell devance Patrese (6s.), Senna (11s.), Alesi (13.5s.), Piquet (15s.), Prost (19s.), Modena (36s.), de Cesaris (38s.) et Capelli (40s.). Dixième, Boutsen est poursuivi par Morbidelli et Lehto.
16e: Gachot fait halte chez Jordan pour faire nettoyer ses radiateurs et remplacer ses pneus encrassés. Il tombe au dix-neuvième rang.
18e: L'intervalle est stable entre les Williams. Senna, Alesi et Piquet forment le groupe de chasse mais tombent sur des attardés.
20e: Mansell mène devant Patrese (6.5s.), Senna (13.6s.), Alesi (15.5s.), Piquet (17s.) et Prost (21.7s.).
21e: Capelli dépasse de Cesaris. Morbidelli dérape après le Pont de la Concorde, touche le muret de béton et plie sa suspension. Il abandonne sa Minardi en pleine piste.
23e: De Cesaris fait changer ses pneus. Häkkinen tente de prendre un tour à Johansson avant l'ultime chicane mais manque son freinage. La Lotus traverse le bac à sable à toute allure avant de revenir en piste à contre-sens, heureusement hors trajectoire. Le Finlandais court vite se mettre à l'abri. Abandon également pour Brundle, moteur serré.
25e: Mansell porte son avantage sur Patrese à huit secondes. Prost frôle la collision en doublant Gugelmin à la première chicane. Mais il recolle néanmoins au groupe Senna.
26e: Senna décélère subitement après le Pont de la Concorde. Il lève le bras pour prévenir ses poursuivants mais Alesi, surpris, monte sur ses freins. Piquet n'a pas ses scrupules: il rattrape l'Avignonnais et le déborde dans la courte ligne droite. Puis Prost surprend son équipier avant la grande épingle. Senna se range pour sa part sur le bas-côté: son alternateur a rendu l'âme.
27e: Piquet passe par les stands pour s'équiper en Pirelli neufs. Prost tombe en panne de boîte de vitesses en passant devant les stands. Le Français s'immobilise dans une échappatoire.
28e: Mansell devance Patrese (11.3s.), Alesi (31.1s.), Piquet (44.1s.), Modena (49s.), Capelli (1m. 03s.), Lehto (1m. 05s.) et Martini (1m. 10s.). Boutsen renonce après la rupture de son V12 Lamborghini.
30e: Mansell compte treize secondes de marge sur son coéquipier Patrese. Alesi stoppe chez Ferrari pour chausser des pneus neufs et repart en quatrième position, assez loin de Piquet.
31e: Bernard est arrêté dans la pelouse, boîte en rideau. Il occupait la neuvième place.
33e: Quatorze secondes entre Mansell et Patrese. Gachot remonte et prend la dixième place à Comas.
35e: Le moteur d'Alesi explose. Le jeune Français n'a plus qu'à se garer dans la pelouse. Encore une course à oublier pour Ferrari...
36e: Mansell mène la course devant Patrese (15.7s.), Piquet (47s.), Modena (1m.), Capelli (1m. 14s.), Lehto (1m. 15s.), Martini (1m. 27s.), de Cesaris (1m. 29s.) et Gachot (-1t.).
38e: Lehto poursuit Capelli pour le gain de la cinquième place. De Cesaris dépasse Martini.
40e: Les Williams-Renault continuent leur parade. Mansell compte seize secondes d'avance sur Patrese et rattrape le duo Capelli - Lehto.
41e: Patrese subit une crevaison à l'arrière-droit. Il doit parcourir la moitié d'un tour au ralenti avant de regagne son stand. L'Italien ne retrouve le circuit qu'en sixième position, avec une boucle de retard.
42e: Mansell mène maintenant devant Piquet. Un gouffre de cinquante secondes les sépare. Capelli et Lehto se battent pour la quatrième place.
43e: Le moteur Ilmor de Capelli expire dans un panache de fumée. Lehto grimpe d'un rang.
44e: Mansell précède Piquet (55.4s.), Modena (1m. 15s.), Lehto (-1t.), Patrese (-1t.), de Cesaris (-1t.), Martini (-1t.), Gachot (-1t.), Comas (-1t.) et Pirro (-2t.).
45e: Modena réduit peu à peu son retard sur Piquet. Patrese est le plus rapide en piste et remonte facilement sur la Dallara-Judd de Lehto. Gachot poursuit Martini.
46e: Curieusement, au lieu de gérer sa confortable avance, Mansell roule très vite et bat régulièrement le record du tour.
47e: Patrese déborde Lehto à l'épingle du Casino.
48e: Patrese roule en 1'22''672'''. Modena fait halte chez Tyrrell pour remplacer ses pneus et faire retirer un morceau de plastique qui obstrue une de ses entrées de radiateur. Il redémarre en cinquième position. Gachot dépasse Martini.
50e: Mansell est leader devant Piquet (58s.), Patrese (-1t.), Lehto (-1t.), Modena (-1t.), de Cesaris (-1t.), Gachot (-1t.) et Martini (-1t.).
52e: Mansell réduit enfin son rythme. Patrese le rejoint et semble capable de se dédoubler. Lehto tire tout droit dans l'échappatoire de l'avant-dernière chicane et abandonne en panne de moteur.
54e: Patrese est revenu derrière Mansell. Cependant, toujours très fier, l'Anglais refuse de laisser passer son équipier qui aurait pourtant besoin de se prémunir d'un éventuel retour de Modena...
55e: Mansell précède Piquet (53.7s.), Patrese (-1t.), Modena (-1t.), de Cesaris (-1t.), Gachot (-1t.), Martini (-1t.) et Comas (-2t.).
56e: Mansell ouvre finalement la voie à Patrese, mais s'est fait prier... Johansson rentre à son garage clopin-clopant. Il a perdu l'usage de tous ses rapports puis son V12 Porsche s'est tu.
58e: Mansell est dans la roue de Patrese qui commence à rencontrer des problèmes de boîte de vitesses.
60e: Mansell domine devant Piquet (47.6s.), Patrese (1m. 22s.), Modena (-1t.), de Cesaris (-1t.), Gachot (-1t.), Martini (-2t.) et Comas (-2t.).
62e: Mansell compte quarante-huit secondes de marge sur Piquet qui a été bouchonné par l'inévitable de Cesaris.
64e: Patrese perd progressivement l'usage de ses rapports. Mansell est collé à sa boîte et Modena le rattrape. Gugelmin renonce à cause d'un moteur surchauffé. Il était de toute façon bon dernier.
65e: Patrese doit laisser Mansell le repasser. Le Britannique démontre qu'il en a encore sous le pied et boucle le meilleur tour de la course (1'22''385''').
66e: A trois tours du but, Mansell précède Piquet (53.4s.), Patrese (-1t.), Modena (-1t.), de Cesaris (-1t.) et Gachot (-1t.).
67e: Modena prend la troisième place à Patrese qui va terminer la course à petite allure pour ménager sa boîte électronique.
68e: Un tour avant le drapeau à damiers, Mansell possède cinquante-cinq secondes de marge sur Piquet.
69ème et dernier tour: Mansell achève tranquillement son ultime boucle. Il arrive à l'épingle et commence à rétrograder lorsque soudain le moteur Renault se tait. L'Anglais actionne les palettes situées derrière le volant, se met au point mort, tente de redémarrer... Rien n'y fait. Il frappe de rage le volant de sa Williams qui vient mourir sur le bas-côté, à 500 mètres de la ligne d'arrivée ! Incrédule, Piquet passe devant son adversaire et roule vers la victoire.
Nelson Piquet remporte le Grand Prix du Canada à la stupéfaction générale. Modena finit second au volant de la Tyrrell-Honda. Patrese décroche finalement la troisième place. De Cesaris et Gachot terminent respectivement quatrième et cinquième et offrent ses premiers points à l'écurie Jordan. Mansell sera classé sixième. Martini, Comas, Pirro et Nakajima terminent aussi l'épreuve.
Cette victoire de Benetton est la première de Pirelli depuis son retour en Grand Prix en 1989, et elle est d'autant plus belle que le manufacturier italien décroche aussi la seconde place avec la Tyrrell de Modena.
Après la course: Mansell éploré, Piquet hilare
Le regard vide, profondément accablé, Nigel Mansell regagne les stands sous les applaudissements... et les quolibets. En voyant la Williams s'immobiliser si près du but, et compte tenu de son rythme beaucoup trop élevé pour un confortable leader, beaucoup de journalistes anglais ont hurlé: « What a stupid boy ! » Frank Williams vient prendre sa défense: « Nigel ne manquait pas d'essence. C'est la boîte de vitesses qui l'a laissé en plan. Il ne méritait pas ça, surtout après sa course. » « J'arrivais dans l'épingle, je passais de 5e en 4e et tout s'est arrêté, comme s'il y avait une panne électrique », raconte l'intéressé, dépité. Il n'est pas au bout de ses peines. Quelques reporters affirment l'avoir vu saluer la foule en arrivant sur cette fameuse épingle. Il aurait donc tout simplement manqué un changement de rapport, ce que la boîte électronique n'aurait pas supporté ! Rien ne prouve ces allégations. Mais Mansell, dévasté, refuse de répondre et s'enfuit en Floride, dans sa propriété, pour oublier cette terrible déconvenue.
Nelson Piquet retrouve sur le podium Stefano Modena et Riccardo Patrese, ainsi que Flavio Briatore et Juan Manuel Fangio, chargé de lui remettre son trophée. Le Carioca exulte de ce succès tout à fait inattendu, d'autant plus qu'il est obtenu au détriment de son vieil ennemi Mansell. Comme souvent, fait le pitre en conférence de presse: « Quand j'ai vu Mansell arrêté sur le bord de la piste, j'ai éjaculé de bonheur ! [...] Vous allez me voir en F1 pendant encore dix ans ! Je suis bien sûr ravi pour moi, pour l'équipe, et pour ce vieux branleur de Patrese ! » Le Padouan, qui fut son équipier il y a longtemps chez Brabham, sourit à ces plaisanteries. Il a beaucoup souffert de son cou et sa boîte a failli l'abandonner, mais lui au moins a fini. Stefano Modena est également très satisfait. Cette seconde place compense son échec de Monte-Carlo et permet à Tyrrell de consolider sa cinquième place au classement des constructeurs.
Ayrton Senna n'est pas déçu de son abandon. Pour lui, c'est la preuve qu'il avait raison de ne pas s'enthousiasmer pour ses quatre victoires de rang. « La compétition existe pour de bon ! » assure-t-il. Ron Dennis adopte lui l'ironie: « Williams nous a fait un beau cadeau. Leur manque de fiabilité compense notre échec. » Et de fait, Senna et McLaren-Honda jouissent toujours d'une avance abyssale sur leurs poursuivants au championnat.
Faut-il parler de Ferrari ? Ce double abandon n'affecte même plus Alain Prost qui reporte ses espoirs sur la 643 que Steve Nichols et Jean-Claude Migeot préparent en vue du Grand Prix de France. Et puis, il n'a toujours pas retrouvé sa voix. Les journalistes le laissent tranquille...
A eux deux, Ayrton Senna et Nelson Piquet poursuivent une étonnante série de succès brésiliens: sept d'affilée depuis le GP du Japon 1990. Hasard: tous deux se croisent le soir même à la pizzeria L'Altro de Montréal. Comme d'habitude, ils n'échangent ni un mot, ni un regard...
Tony