Transferts: le plateau de 1989 se met en place
Les différentes pièces du puzzle des transferts s'assemblent peu à peu. BMS-Dallara alignera ainsi l'an prochain un duo composé du prometteur Alex Caffi et d'Andrea de Cesaris, qui apporte naturellement avec lui les dollars de Philip Morris. Enzo Osella reconduit Nicola Larini pour un an, mais tout le monde se demande où va-t-il trouver l'argent pour aligner un deuxième bolide... Enzo Coloni annonce pour sa part l'engagement du Brésilien Roberto Moreno, le nouveau champion d'Europe de Formule 3000, probablement « pistonné » par Ferrari. Gabriele Tarquini est quant à lui approché par Lamberto Leoni qui prépare l'entrée en F1 de son équipe de F3000, First Racing. Le châssis de cette énième « petite scuderia » est préparé par l'ingénieur brésilien Ricardo Divila, l'ancien concepteur des Copersucar-Fittipaldi. Enfin, l'influent journaliste belge Pierre Van Vliet assure que son protégé Bertrand Gachot, âgé de 26 ans, vice-champion d'Angleterre de F3 derrière Herbert l'an passé, remplacera de Cesaris chez Rial l'an prochain.
Benetton n'a toujours pas de deuxième pilote pour 1989. Cette décision est liée à l'état de santé de Johnny Herbert, grièvement blessé à Brands-Hatch. Peter Collins attend le verdict des médecins pour lever ou non l'option qui lie son équipe au jeune Anglais. Herbert doit être au moins rétabli pour la mi-décembre afin qu'il puisse tester la future B189. Si ce n'est pas le cas, Benetton jettera alors son dévolu sur Eddie Cheever que Collins a convié à une séance d'essais à Jerez de la Frontera.
En cette fin d'été, Walter Brun discute avec Hazel Chapman et Fred Bushell afin d'intégrer le capital du Team Lotus. Hélas, les pourparlers achoppent très vite car Bushell demande à Brun de payer une partie de l'énorme salaire de six millions de dollars de Nelson Piquet, jusqu'ici intégralement assuré par Camel. Brun reporte alors ses espoirs sur l'écurie Brabham qu'Alfa Romeo désire revendre, et entre donc en négociations avec son gérant Herbie Blash.
La difficile survie d'AGS
Malgré le départ de Bouygues, AGS achève bon an mal an cette saison 1988 grâce au soutien financier d'Elf et d'IDSO, un groupe marketing chargé de débaucher des sponsors. Mais les ardoises se multiplient et les créanciers se font de plus en plus pressants. Parmi eux, l'homme d'affaires Cyril de Rouvre envisage de racheter la petite écurie à Henri Julien, lequel se demande bien comment il pourra aligner deux monoplaces l'an prochain comme le stipule le futur règlement. Pour l'heure, il prolonge le contrat du solide Philippe Streiff, excellent agent auprès d'éventuels investisseurs.
Grâce à l'éventuel appui de de Rouvre, Julien compte aussi recruter dix employés supplémentaires et poursuivre la rénovation de ses ateliers et de sa piste de Luc. Côté technique, l'équipe varoise utilisera toujours l'an prochain un V8 Ford-Cosworth mais souhaite aussi tester le très original moteur « W12 » à distribution rotative conçu par Guy Nègre.
Présentation de l'épreuve
Après le match nul de Monza, la course au titre se poursuit entre Ayrton Senna et Alain Prost. La tâche de ce dernier est néanmoins toujours aussi ardue puisqu'il doit absolument remporter les quatre derniers Grands Prix pour être titré. Senna n'est pour sa part plus qu'à une première place de la couronne mondiale.
Ferrari continue de tester sa future F1.89 qui sera munie d'une boîte de vitesses semi-automatique ! Néanmoins un long travail de fiabilisation reste à accomplir puisque Roberto Moreno n'aurait jusqu'ici réussi à accomplir que neuf petits tours à Fiorano avec ce dispositif avant qu'il ne casse... La McLaren-Honda 3,5l connaît des débuts tout aussi chaotiques puisqu'Ayrton Senna l'a de nouveau accidentée sur la petite piste de Pembrey. Heureusement, Emmanuele Pirro a pu rouler sans trop de soucis à Silverstone et à Suzuka.
Enfin remis de sa varicelle (!), Nigel Mansell fait son retour au volant de la Williams-Judd. Il arbore à nouveau sa fameuse moustache qu'il avait rasée en début d'année.
Mike Kranefuss, le directeur de la compétition de Ford, annonce le départ à la retraite de Keith Duckworth qui reste néanmoins dans les parages en tant que conseiller. La présidence de Cosworth revient à son ancien associé Mike Costin. Kranefuss explique que le nouveau V8 Ford-Cosworth atmosphérique a été dessiné par Geoff Goddard qui était déjà le père du V6 turbo abandonné l'an passé.
Après la FOCA, la FOPA et l'IRPA, voici la FOCUPS, l'association des fumeurs de pipe et de cigares du paddock ! On y retrouve notamment les journalistes Gérard Crombac et Roger Benoît, le professeur Sid Watkins et l'ingénieur Lee Gaug de Goodyear.
Estoril est un tracé très technique, conçu au gré d'un relief aride, qui épuise les pilotes année après année. On voit ainsi de solides gaillards comme Ivan Capelli ou Derek Warwick achever leurs sorties trempés de sueur. Ce circuit pose le problème de la dureté des suspensions et des appuis aérodynamiques. Des suspensions dures offrent une assiette basse et constante, utile dans les nombreux virages, mais très piégeuse sur les nombreuses bosses. Quant aux appuis, si certains privilégient la stabilité et les gros ailerons, comme Williams et Lotus, les autres préfèrent de petites ailes pour améliorer la vitesse de pointe dans les deux portions rapides. Car Estoril, contrairement aux apparences, n'est pas un tracé lent. Les poles s'y négocient à plus de 200 km/h de moyenne.
Prost reçoit un nouveau châssis MP4/4. Après la débâcle de Monza, Honda retouche son V6T XE2 et lui pose de nouvelles bougies NGK, moins sensibles à la détonation. La puissance est diminuée et le mélange accru, de sorte que le moteur délivre un peu moins de chevaux mais est aussi plus fiable. La carrosserie de « type Rial » inaugurée par Ligier en Italie est remaniée pour améliorer son rendement thermique, d'où l'installation de plusieurs échappements greffés sur un nouvel extracteur arrière. La Benetton reçoit de nouveaux amortisseurs et des retouches au niveau des ancrages des triangles supérieurs, ceci afin de préparer la prochaine saison. Enfin, Modena bénéficie d'une Eurobrun à empattement rallongé, première évolution de la monoplace italienne depuis longtemps...
Essais et qualifications
Un fort vent souffle sur la côte Atlantique durant les deux journées d'essais, ce qui rend le pilotage encore plus difficile qu'à l'accoutumée. De nouveau, Larrauri et son Eurobrun sont éliminés lors de la pré-qualification du vendredi matin.
Senna est le plus rapide de la session officielle du vendredi. Prost déplore des ratés sur son moteur, un problème récurrent depuis maintenant plusieurs courses. « Je veux simplement que les ingénieurs de Honda me donnent des explications sur cette situation afin de l'éclaircir au plus vite », explique-t-il. « Aucune polémique dans mes propos... »
Le lendemain, le Français bénéficie d'un moteur parfait et arrache la pole position en 1'17''411''' contre 1'17''869''' pour Senna. Le Brésilien n'a pu améliorer son temps après une interruption de séance pour permettre l'évacuation de la Coloni de Tarquini, en panne de transmission. Le héros du samedi se nomme Capelli. Le jeune Italien place sa March-Judd au troisième rang et consacre ainsi les efforts de l'équipe de Ian Phillips et d'Adrian Newey. Du reste, son collègue Gugelmin occupe une flatteuse cinquième place. Les petites machines de couleur cyan sont dorénavant considérées comme des adversaires redoutables.
Les pilotes Ferrari (Berger 4ème, Alboreto 7ème) souffrent d'un manque d'adhérence chronique et partent tous deux en tête-à-queue samedi. Les Williams-Judd sont plutôt performantes, mais Mansell (6ème) bute sur du trafic et Patrese (11ème) casse un moteur. Piquet ne peut faire mieux que huitième avec sa Lotus mais domine très nettement Nakajima, seulement seizième. Les Benetton-Ford de Nannini (9ème) et de Boutsen (13ème) sont ici à la traîne, notamment à cause d'un V8 Ford capricieux. Heini Mader a de nouveau retouché la pression du quatre cylindres Megatron... et n'aurait pas dû. Les blocs cassent les uns après les autres, et ces essais sont un calvaire pour Warwick (10ème) et surtout Cheever (18ème). De Cesaris se classe douzième avec la Rial. Les Minardi de Martini (14ème) et de Pérez-Sala (19ème) confirment leurs progrès, même si l'Espagnol s'est distingué vendredi matin en détruisant sa voiture dans la parabolique. Chez Larrousse, Dalmas (15ème) fait beaucoup mieux qu'un Alliot (20ème) de plus en plus transparent. Caffi réalise le 17ème chrono avec son mulet Dallara.
On retrouve en fond de grille l'AGS de Streiff (21ème), la Tyrrell de Palmer (22ème), les deux Ligier (Arnoux 23ème, Johansson 24ème), l'Osella de Larini (25ème) et la Coloni de Tarquini (26ème). Bailey et Modena, tous deux victimes de sorties de route, sont éliminés, tout comme les Zakspeed de Schneider et de Ghinzani, dramatiquement lentes sur les pistes sinueuses.
Ayrton Senna digère très mal son échec en qualifications et se mure dans le silence. Seul son mentor Armando Botelho Teixeira peut l'approcher. Avec ce que Renaud de Laborderie appelle « un certain masochisme maladif », il rumine encore son échec de Monza. « Je n'y étais pour rien. C'était la faute de Schlesser... » lâche-t-il avec rancœur. Il sait pourtant qu'il a tort...
Le Grand Prix
Le soleil et la chaleur sont au rendez-vous de cet ultime dimanche de septembre. Les pilotes McLaren s'inquiètent de leur consommation tandis que les autres concurrents sont peu satisfaits du rendement des pneus Goodyear. Beaucoup se plaignent de sous-virage. Malgré sa pole, Prost n'est pas idéalement placé pour démarrer. Au contraire, il se trouve sur la portion poussiéreuse de la piste. Il s'inquiète au point de demander à Jo Ramirez de passer un coup de balai devant son bolide une fois installé sur la pré-grille... En outre, se plaignant d'une tenue de route imparfaite, il choisit de monter un nouvel aileron avant que Senna repousse pour sa part.
Grille de départ: Roland Bruynseraede allume les feux rouges, mais n'enclenche pas le vert car de Cesaris agite les bras. Sa Rial est victime d'un court-circuit. Le départ est retardé de cinq minutes tandis que les mécaniciens de l'écurie allemande parviennent rapidement à remettre le contact sur la voiture de de Cesaris.
Départ: Prost prend un bon envol mais Senna, situé sur le côté propre de la piste, se porte à sa hauteur au premier virage et prend la tête. Tout cela pour rien car l'arrière ne suit pas. En effet, Warwick cale et est percuté par de Cesaris qui détruit son demi-train avant-gauche. Puis, Pérez-Sala heurte les roues arrière de l'Arrows, décolle et retombe lourdement sur l'aileron arrière de Nakajima. La ligne droite principale est obstruée par les voitures de de Cesaris et de Pérez-Sala. La direction de course brandit le drapeau rouge.
Le Grand Prix est relancé vingt-cinq minutes plus tard pour la distance originelle de 70 tours. Pérez-Sala et de Cesaris grimpent dans leurs bolides de réserve tandis que les monoplaces de Warwick et de Nakajima sont réparées. Patrese monte lui aussi dans son mulet car sa voiture de course a refusé de démarrer au premier départ.
Second départ: Prost met les gaz et braque à gauche pour intimider Senna qui doit rouler contre l'herbe. Les deux McLaren dévalent la ligne droite côte à côte. Prost semble devoir garder l'avantage jusqu'à ce que Senna, depuis l'extérieur, plonge hardiment à la corde, sous le museau de son équipier ! Suivent Capelli, Berger, Mansell et Gugelmin.
1er tour: Nannini tente de doubler Patrese, mais il part en tête-à-queue et heurte le rail à faible allure. Prost se colle à l'arrière de la McLaren de son équipier et médite sa revanche à l'issue de ce premier tour. Derrière les McLaren se trouvent Capelli, Berger, Mansell, Gugelmin, Piquet, Alboreto, Patrese et Boutsen. Nannini s'est relancé et regagne son stand pour faire réparer sa calandre.
2e: Prost prend l'aspiration derrière Senna en sortant de la parabolique. Il se déporte à l'intérieur au niveau de la ligne de chronométrage. Senna le tasse méchamment vers le muret des stands. Les roues se frôlent mais Prost, la tête dans le volant, ne lâche rien. Le souffle des deux bolides lancés à 300 km/h secoue les panneaux des mécaniciens... Mieux placé à la corde, Prost s'impose finalement au premier freinage. Senna s'est déporté à gauche juste à temps pour éviter la catastrophe.
3e: Prost a deux secondes d'avance sur Senna qui est menacé par Capelli.
4e: Senna souffre de surconsommation et doit laisser filer Prost. Par ailleurs, son train avant vibre et suscite un sérieux survirage. Berger, Mansell et Gugelmin luttent pour la quatrième place.
5e: Capelli est collé derrière Senna. Il tente de le doubler au premier virage mais il lui manque encore quelques chevaux. Johansson s'arrête dans un bac à sable, moteur cassé.
6e: Prost précède Senna (3.8s.), Capelli (4.1s.), Berger (6.1s.), Mansell (7.9s.), Gugelmin (9.1s.), Piquet (13s.), Alboreto (14s.), Patrese (14.6s.) et Boutsen (15.9s.).
8e: Prost s'échappe au commandement. Berger rattrape Senna et Capelli. Abandon d'Alliot, moteur serré.
9e: Capelli se montre dans les rétroviseurs de Senna qui lui barre la route.
10e: Capelli peine toujours à déborder un Senna inflexible. Prost devance Senna (6.4s.), Capelli (6.6.s.), Berger (7.3s.), Mansell (10s.), Gugelmin (12.5s.), Piquet (16s.), Alboreto (17s.), Patrese (17.7s.), Boutsen (18s.), Warwick (20s.), de Cesaris (21s.), Martini (23s.) et Caffi (24s.).
11e: Cheever s'arrête sur le bas-côté après avoir cassé un turbo. De Cesaris renonce aussi à cause d'un bris de demi-arbre de roue.
13e: Senna, Capelli et Berger roulent ensemble, à six secondes de Prost. Mansell et Gugelmin sont isolés, tandis que plus loin le quatuor Piquet - Alboreto - Patrese - Boutsen se tient dans un mouchoir.
14e: Nannini effectue une belle remontée, bien que son châssis soit agité de vibrations. Il a doublé Palmer, Larini et Arnoux.
15e: Prost devance Senna (7.3s.), Capelli (7.7s.), Berger (8.9s.), Mansell (10.7s.) et Gugelmin (13.7s.).
16e: Sous la pression d'Alboreto, Piquet glisse à la Parabolica Interior et rattrape in extremis un début de dérapage. Il reste devant l'Italien.
17e: Mansell se rapproche du groupe Senna. Nakajima part en tête-à-queue et se plante dans les graviers. Le Japonais renonce. Il occupait la dix-septième place.
18e: Prost compte sept secondes d'avance sur Senna. Capelli attaque le Pauliste dans la deuxième courbe, en vain.
19e: Prost améliore le record du tour (1'23''438'''). Mansell effectue la jonction avec Berger.
20e: Prost est devant Senna (9.7s.), Capelli (9.8s.), Berger (10.7s.), Mansell (11.6s.), Gugelmin (15.8s.), Piquet (25s.), Alboreto (26s.), Patrese (26.7s.) et Boutsen (27.3s.). Nannini est quinzième. Larini stoppe chez Osella car son châssis est victime de fortes turbulences. Dalmas quitte la course après avoir cassé sa courroie d'alternateur.
21e: Capelli prend l'aspiration derrière Senna dans la longue pleine charge et se déporte à droite pour lui faire l'intérieur. Mais le pilote McLaren lui ferme la porte au freinage.
22e: Capelli porte l'estocade contre Senna au bout de la ligne droite des boxes. Il se faufile à l'intérieur et cette fois-ci le Brésilien ne peut rien faire. Le bouchon a enfin sauté ! Le jeune Italien s'envole aussitôt et pulvérise le meilleur tour: 1'22''397''' !
23e: Capelli a repris deux secondes à Prost. Senna a un rythme très modéré pour préserver son carburant. Son boîtier électronique est probablement déréglé. Berger le dépasse à la parabolique intérieure. Larini quitte les stands avec des roues neuves et trois boucles de retard.
24e: Senna a dorénavant derrière lui son vieil « ami » Mansell qu'il ne se prive pas de bloquer. Du reste, la faible cavalerie Judd ne peut guère rivaliser avec le V6 turbo Honda.
25e: Les leaders sont dans le trafic. Prost devance Capelli (7.2s.), Berger (9.5s.), Senna (12.2s.), Mansell (12.7s.) et Gugelmin (16.5s.).
26e: Berger prend Capelli en chasse. Mansell se déchaîne pour rester dans le sillage de Senna et manque de peu d'harponner Palmer au troisième virage. Ce sera pour plus tard...
27e: Pressé par Berger, Capelli allonge sa foulée et revient à trois secondes et demie de Prost. Martini rentre à son garage avec un moteur muet.
29e: Patrese rejoint le stand Williams avec une fuite à son radiateur d'eau. C'est terminé pour le Padouan.
30e: Prost précède Capelli (3.3s.), Berger (4.6s.), Senna (14s.), Mansell (15s.), Gugelmin (22s.), Alboreto (31s.), Boutsen (31.5s.), Warwick (33s.), Caffi (35s.), Piquet (41s.) et Nannini (54s.). Piquet arrive au stand Lotus et explique à Bob Dance que sa pédale de gauche colle au plancher. On lui purge son embrayage et il repart deux minutes plus tard.
31e: Berger conclut le meilleur chrono du jour (1'21''961''') et s'approche dangereusement de Capelli. Senna résiste toujours à Mansell.
33e: Berger actionne par erreur son extincteur de bord ! Ses jambes sont bientôt recouvertes de mousse et presque paralysées par le froid. Le courageux Autrichien serre les dents et poursuit sa route.
34e: L'intervalle entre Prost et Capelli tombe à deux secondes. Berger reste en contact avec l'Italien même si son cockpit s'est transformé en congère.
35e: Le pied de Berger glisse sur la pédale de frein à l'abord du virage n°3. La Ferrari pique vers la droite, roues arrière bloquées, escalade le vibreur et échoue dans les graviers. Berger tente en vain de repartir avant d'abandonner son bolide ensablé.
36e: Prost n'a que deux secondes de marge sur Capelli. Comme son compagnon d'écurie, mais à un degré moindre, le Français subit en effet une surconsommation. Piquet rentre pour de bon à son garage. Son embrayage ne répond plus.
38e: Prost accroît sa pression de suralimentation. L'effet est immédiat: son avance sur Capelli se chiffre désormais à quatre secondes. A vingt-cinq longueurs de là, Senna résiste toujours à un Mansell de plus en plus impatient.
40e: A l'abord de la Parabolica Centrale, Mansell prend l'intérieur et freine tard pour surprendre Senna, mais celui-ci lui coupe sèchement la trajectoire. Mansell s'énerve. Ses freinages sont de moins en moins orthodoxes...
41e: Prost est leader devant Capelli (3.4s.), Senna (28.1s.), Mansell (28.6s.), Gugelmin (39.8s.), Alboreto (47.5s.), Boutsen (49s.), Warwick (52s.), Caffi (1m.) et Nannini (1m. 03s.).
42e: Mansell se déporte à droite avant le premier freinage, mais il lui manque un mètre ou deux pour doubler un Senna impassible. Nannini prend la neuvième place à Caffi malgré une Benetton très instable.
43e: Prost conduit à sa main, sachant que Capelli n'a pas les moyens de le menacer. Il porte son avance à cinq secondes. Mansell se montre dans les rétroviseurs de Senna à presque chaque freinage.
44e: Le moteur de Gugelmin surchauffe. Le Brésilien ralentit son rythme et laisse Alboreto et Boutsen le rattraper.
45e: Prost précède Capelli (5.7s.), Senna (33.3s.), Mansell (34.4s.), Gugelmin (49.2s.), Alboreto (50.2s.) et Boutsen (51s.).
47e: Prost possède maintenant près de sept secondes d'avance sur Capelli. Celui-ci s'aperçoit que sa température d'eau augmente et adopte lui aussi une cadence prudente. Alboreto et Boutsen doublent Gugelmin.
49e: Tarquini s'était hissé au douzième rang mais son moteur se grippe. L'Italien roule dans la poussière, puis doit bientôt laisser passer Streiff et Palmer.
50e: Mansell attaque de nouveau Senna dans la première courbe, sans succès. Prost devance Capelli (8.7s.), Senna (25.3s.), Mansell (36.2s.), Alboreto (51.3s.), Boutsen (52.4s.), Gugelmin (57s.) et Warwick (58s.).
51e: Warwick double Gugelmin. Caffi repasse devant Nannini. Ce dernier est épuisé par les fortes vibrations générées par sa coque endommagée lors de sa touchette du premier tour. Il regagne les stands pour changer de pneus.
53e: Dix secondes entre Prost et Capelli. Nouvel assaut de Mansell au premier virage... et nouvelle résistance opiniâtre de Senna qui verrouille les portes. Nannini revient aux stands à bout de force et choisit de renoncer.
54e: En proie à de fortes vibrations, Palmer perd le contrôle de sa Tyrrell avant la Parabolica et mord sur les bas-côtés. Il revient en piste sous le nez de Senna et de Mansell. Le Brésilien escalade le vibreur pour l'éviter. Mansell tente de saisir cette opportunité inespérée pour le doubler. Il prend l'intérieur et tombe sur un Palmer très lent. Il déboîte vers la partie sale de la piste, glisse et emboutit l'arrière de la McLaren. Mansell finit contre le rail tandis que Senna, après un demi-tête-à-queue, lèche l'acier mais parvient à repartir.
55e: Prost précède Capelli (13.2s.), Senna (44.9s.), Alboreto (49.8s.), Boutsen (52.5s.) et Warwick (1m. 01s.). Palmer a perdu ses moustaches en sortant de la route. Il regagne les stands en fin de tour pour réparer. Mansell quitte son bolide, très agité. Il peste contre Senna et Palmer.
56e: Senna rejoint les stands pour chausser des pneus neufs en huit secondes. Sa suspension arrière est quelque peu faussée mais il choisit de repartir tout de même, en sixième position.
58e: L'avance de Prost sur Capelli culmine à seize secondes. Palmer retrouve la piste après réparations. Mais il est resté si longtemps immobilisé aux stands que son moteur surchauffé le lâche après quelques mètres...
60e: Après avoir franchi la ligne de chronométrage, Gugelmin s'immobilise avec un moteur en feu. Voilà qui incite Capelli à la modération.
61e: Prost devance Capelli (14.9s.), Alboreto (46.2s.), Boutsen (53.9s.), Warwick (1m. 03s.), Senna (1m. 10s.), Caffi (-1t.) et Pérez-Sala (-2t.). Malgré sa McLaren endommagée, Senna signe son meilleur chrono de l'après-midi: 1'22''852'''.
62e: Se fiant aux données de son ordinateur lui indiquant qu'il a assez d'essence pour terminer, Alboreto passe à l'attaque et reprend trois secondes à Capelli dans ce tour.
64e: Alboreto est revenu à vingt-deux secondes de Capelli. Il est bien trop loin pour le rattraper mais continue à cravacher.
66e: A quatre tours du but, Prost est premier devant Capelli (11.8s.), Alboreto (34.1s.), Boutsen (45.4s.), Warwick (1m. 03s.) et Senna (1m. 07s.).
68e: L'intervalle entre Capelli et Alboreto tombe à vingt secondes. Tarquini achève la course au ralenti avec un roulement de moyeu cassé et un moteur hoquetant.
70ème et dernier tour: Alboreto a eu tort de croire son compteur électronique: il tombe en panne sèche dans la grande parabolique ! Il termine en roue libre et se fait doubler par Boutsen et par Warwick.
Alain Prost remporte la trente-troisième victoire de sa carrière. Capelli décroche une splendide deuxième place pour le compte de March-Judd. Boutsen recueille la troisième position. Warwick finit quatrième tandis qu'Alboreto sauve de justesse la cinquième place. Senna se contente d'inscrire un point. Caffi, Pérez-Sala, Streiff, Arnoux, Tarquini et Larini rallient également l'arrivée.
Senna décide de boucler son tour d'honneur bien que son ordinateur de bord lui indique qu'il n'a plus un seul litre de carburant dans son réservoir. A sa grande surprise, il parvient sans problème à regagner les stands ! Le computer se trompait depuis le début !
Après la course: nuages autour de la relation Prost - Senna
L'ambiance relativement saine qui régnait entre Alain Prost et Ayrton Senna chez McLaren prend un petit coup de frais après leur passe d'armes de la fin du premier tour. Le Brésilien n'a pas apprécié d'avoir été poussé au départ hors de sa trajectoire par son équipier, d'où sa réaction plus que musclée quelques kilomètres plus loin. Les commissaires de course le convoquent en tout cas dimanche soir et lui infligent un avertissement pour « mauvaise manœuvre et mauvais jugement ». Bien sûr, l'intéressé se défend vigoureusement. « Les deux manœuvres ont été dures mais correctes, » plaide-t-il. « Nous avons tous deux cherché à préserver nos positions. Je ne reproche rien à Prost, et je n'ai pas voulu le bloquer contre le mur lorsqu'il m'a dépassé. Si nous nous sommes retrouvés si proches, c'est que je ne l'ai pas vu arriver. »
Ces propos ne convainquent pas du tout le pilote français: « J'ai vraiment eu très peur, dit-il, car dans ce cas-là on ne peut rien faire. A fond dans la ligne droite, coincé entre une voiture et un mur... Si j'avais ralenti, je lui aurais pris une roue. C'était l'accident effroyable ! Je ne comprends vraiment pas pourquoi il a fait ça. Inutile de polémiquer. Je verrai ça directement avec lui, en tête à tête... » Et de fait, Senna et Prost s'entretiennent longuement dans la soirée, sous l'œil sourcilleux de Ron Dennis...
En ce qui concerne la course proprement dite, Prost avoue avoir craint un retour de Capelli. « Je savais que ce serait un client sérieux, car nous étions limités en essence. Pour cela, j'ai couvert mon début de course avec la pression minimale, avec tout juste assez de puissance pour contenir Capelli. Puis, lorsqu'il s'est réellement approché, j'ai attaqué. » Senna est lui persuadé que son ordinateur de bord s'est trompé d'un bout à l'autre et déplore une mauvaise tenue de route. Peut-être aurait-il dû choisir l'aileron adopté par son collègue avant le démarrage.
Ivan Capelli a mené le Grand Prix de sa vie et aurait sans doute pu prétendre aux lauriers sans ces maudites McLaren-Honda. « Cette victoire dans la catégorie atmosphérique me satisfait pleinement », déclare l'Italien. « Mais si le Professeur avait voulu, j'aurais pu gagner mon premier Grand Prix. On essaiera de faire mieux à Jerez ! » Cette performance rassérène en tour cas une équipe Leyton House-March aux moyens plutôt limités, mais qui jouit d'une excellente voiture conçue par le jeune ingénieur Adrian Newey, un grand talent en devenir.
Prost reprend sur le papier la tête du championnat du monde avec 81 points contre 76 pour Senna, mais en réalité le Brésilien n'est toujours qu'une victoire de la consécration. En effet, à chacun de ses prochains succès, le Français n'inscrira que trois unités: les neufs de la victoire auxquels il faudra retrancher les six des secondes places exclues par le barème. Chez les constructeurs, le trio de tête McLaren-Honda - Ferrari - Benetton-Ford ne bougera plus. En revanche, la bagarre fait rage pour la quatrième place entre Arrows-Megatron (20 pts), March-Judd (19 pts) et Lotus-Honda (17 pts).
Tony