Renault courtise Williams
En ce printemps 1988, Bernard Dudot achève à Viry-Châtillon la conception d'un V10 Renault atmosphérique destiné à la Formule 1. Le retour de la firme au Losange se dessine peu à peu, mais nécessite encore les feux verts de son PDG Raymond Lévy et de Michel Pecqueur, le patron d'Elf. Car Renault compte fermement associer à ce projet son allié historique. L'inévitable François Guiter surveille l'affaire de très près.
En outre, la Régie ne reviendra en F1 qu'avec un grand partenaire, ce qui exclut donc une écurie française... Larrousse et AGS sont de trop petites structures, tandis que l'irascible Guy Ligier compte de nombreux ennemis Quai du Point du Jour. Patrick Faure, le président de Renault Sport, entame des pourparlers avec Williams et Lotus. Ceux-ci se dénouent assez rapidement. Abandonné par Honda fin 1987, Frank Williams rêve de s'allier à un autre géant de l'automobile et son équipe, riche et expérimentée, offre toutes les garanties de réussite possibles. Ce n'est pas le cas de Lotus qui, malgré l'appui de Camel, n'est désormais plus qu'une officine de taille moyenne, incapable de rivaliser financièrement avec les géantes que sont McLaren, Williams ou Ferrari. Peter Warr est embarrassé. Les maigres résultats de Lotus ne justifient plus son alliance avec Honda. Comment pourrait-il alors séduire Renault ? En cette fin mai, Patrick Faure et son bras-droit Bernard Casin multiplient les rencontres avec Frank Williams et Patrick Head...
Ferrari et Lotus dans la tourmente
« Nous avons cent chevaux moins que le moteur Honda » affirme Michele Alboreto après la prestation désastreuse des Ferrari à Imola. Cette déclaration fracassante agite la presse italienne et irrite Enzo Ferrari, qui appelle ses hommes à se remobiliser. Jean-Jacques His et son staff de motoristes cherchent toujours la configuration électronique qui permettrait au V6 italien de tourner à plein régime. Mais leurs efforts sont limités par la conception parallèle du futur V12 atmosphérique qui propulsera les voitures rouges en 1989. Toujours est-il que les moteurs turbo reçoivent un nouveau collecteur d'admission, avec un nouvel ancrage de la pop-off valve et des cartographies inédites, destinées à accroître la pression de suralimentation. Cette configuration fonctionne au banc d'essais. Elle doit confirmer sur la piste, car ces mauvais résultats alertent Fiat. Gianni Agnelli a ainsi prévu de rendre visite à Marco Piccinini à Monte-Carlo...
Gérard Ducarouge apporte de nombreuses modifications à sa Lotus 100T (échappements, soubassement, épures de suspensions etc.) Mais l'ingénieur français est bien contraint d'admettre que les données récoltées en soufflerie durant l'intersaison sont erronées. Tout l'aérodynamisme est à revoir. Hélas, la firme d'Hethel n'a pas le budget pour construire une nouvelle voiture en 1988. Par ailleurs, Ducarouge a beaucoup de mal à travailler avec Nelson Piquet. D'emblée, le Carioca a joué les divas en lui demandant de décrocher toutes les photos d'Ayrton Senna qui ornaient les murs des ateliers ! Décontenancé par le faible niveau de sa machine, Piquet se désintéresse de sa mise au point et laisse Ducarouge et ses mécaniciens se débrouiller. L'ambiance s'alourdit au sein du Team Lotus. Ducarouge fait savoir à Peter Warr qu'il ne compte pas renouveler son contrat à la fin de la saison. Dans le même temps, Osamu Goto avoue que seule McLaren disposera en 1989 du V10 Honda atmosphérique. Et pour cause: les Japonais ne travaillent à son développement qu'avec l'équipe de Ron Dennis. Pourquoi n'ont-ils pas aussi demandé à Lotus de construire un châssis destiné à l'accueillir ? « Parce que cette écurie ne peut financièrement pas se permettre un tel travail... » lâche Goto tout benoîtement. L'avenir de la relation Lotus-Honda s'inscrit donc en pointillé...
Présentation de l'épreuve
Après deux Grands Prix archi-dominés par McLaren, la seule question valable est de savoir qui d'Alain Prost ou d'Ayrton Senna triomphera à Monte-Carlo. Installé en Principauté depuis deux ans et vainqueur l'an passé, le Brésilien paraît favori mais, comme à son habitude, se garde bien d'afficher tout optimisme.
Honda apporte une version inédite de son V6 baptisée XE3, destinée aux monoplaces de Prost et de Piquet. Ce bloc se caractérise par un nouvel emplacement de la soupape FISA, la présence d'un seul papillon de régulation d'admission d'air par rangée de cylindres, au lieu d'un par cylindre, et par une nouvelle cartographie électronique. Ce XE3, testé par Piquet sur le circuit de Nogaro, est censé mieux convenir aux tracés tortueux comme Monaco que le XE2 utilisé par Senna et Nakajima. Mais ce ne sera pas le cas à cause d'une trop grande brutalité de réaction. Prost reprendra l'XE2 dès vendredi soir. Cette évolution est en tout cas la troisième apportée par Honda en autant d'épreuves. Sachant qu'en parallèle, la firme nippone développe son futur bloc atmosphérique, testé par Emmanuele Pirro, le pilote d'essais de McLaren, on peut mesurer l'ampleur de son investissement humain et matériel en Formule 1.
Disqualifiée à Imola, l'Osella de Nicola Larini a été mise aux normes par Antonio Tomaini et est donc admise au départ. Les Tyrrell présentent de nombreuses retouches au niveau des suspensions. Celle de Palmer dispose d'un empattement réduit, utile en Principauté. La Rial reçoit de nouveaux radiateurs d'huile, cette fois correctement fixés.
Essais et qualifications: la démonstration de Magic
La séance de pré-qualification du vendredi matin, disputée sur une piste humide, tourne au jeu de massacre. Les pilotes de fond de grille se démènent pour se débarrasser la « patate chaude », à savoir la 31ème et dernière place éliminatoire. Or, sur un circuit aussi piégeux que Monaco, les rails rappellent très vite à l'ordre les impétrants. Tarquini et Caffi y laissent leurs suspensions tandis que de Cesaris percute de plein fouet la Ferrari de Berger, stoppée sous le tunnel en panne de moteur ! Par bonheur, le Romain se tire indemne de cet effrayant accident. Le plus cocasse est que ces malheureux « sans-grade » s'échinent pour rien, puisqu'ils apprennent bientôt que Stefano Modena et son Eurobrun sont exclus du week-end pour ne pas s'être présentés à un contrôle de pesée. Circonstance aggravante, le jeune Italien n'a pas assisté au briefing des pilotes. Pour sa défense, il affirme qu'il n'a été averti qu'au dernier moment de la tenue d'une séance de pré-qualification !
Senna survole les débats et se montre inattaquable à chaque séance. Il réalise la pole position (1'23''998''') avec une seconde et demie d'avance sur Prost (1'25''425'''). Pour ce faire, le jeune Brésilien prend tous les risques. Vif comme l'éclair, il escalade les vibreurs, frôle les rails d'un ou deux centimètres, se faufile à travers le trafic avec une virtuosité époustouflante. Un spectacle exceptionnel qui contraste avec la retenue de Prost. « Ayrton assume les risques qu'il veut. Moi, je n'y tiens pas... » maugrée le Français. Il n'empêche. Certains commencent à se demander si « Magic » n'est pas en train de mettre le « Professeur » sous l'éteignoir...
Le troisième sur la grille est Berger, pourtant victime d'un accident à Sainte-Dévote. L'Autrichien rend deux secondes et demie à Senna ! Il précède de six dixièmes son collègue Alboreto, gêné par le trafic. Les modifications apportées au V6 Ferrari n'ont semble-t-il servi à rien. Chez Williams-Judd, Mansell arrache « avec les tripes » la cinquième place malgré un embrayage défectueux et un moteur poussif. Patrese (8ème) rencontre des soucis d'injection. Nannini hisse sa Benetton-Ford au sixième rang, très loin devant Boutsen (16ème), fort mécontent de la tenue de route de sa voiture. Les Arrows de Warwick (7ème) et de Cheever (9ème) démontrent l'efficacité du châssis conçu par Ross Brawn. Palmer réalise une superbe prouesse en plaçant sa modeste Tyrrell en dixième position. Le jeune Bailey, son malheureux collègue, vit en revanche un véritable cauchemar. Trop inexpérimenté, il heurte plusieurs fois les glissières et échoue à se qualifier...
Chez Lotus, le désastre est complet. Piquet (11ème), qui déteste ce circuit, peste contre un châssis manquant de rigidité. Le moteur XE3 déçoit certes, mais sa vitesse de pointe est pourtant égale à celle des XE2 utilisés par les McLaren. Quant à Nakajima (27ème), il échoue tout bonnement à se qualifier ! Streiff (12ème) confirme le bon comportement de l'AGS. Alliot (13ème) trouve les bons réglages pour sa Lola, contrairement à Dalmas (21ème). Gugelmin qualifie la première March au 14ème rang, loin devant Capelli (22ème) qui perce un radiateur et se rabat sur le mulet à empattement long, moins efficace que le court. Pérez-Sala (15ème) se met en valeur avec la Minardi, au contraire du pauvre Campos qui échoue à se qualifier... Caffi se classe dix-septième au volant de la Dallara, devant l'unique Eurobrun de Larrauri, en net progrès. Après son accident de vendredi, de Cesaris place sa Rial au dix-neuvième rang. Les Ligier ont un comportement toujours aussi erratique, mais au moins Arnoux (20ème) et Johansson (26ème) parviennent cette fois à se qualifier. La grille est complétée par la Zakspeed de Ghinzani (23ème), la décevante Coloni de Tarquini (24ème) et la nouvelle Osella de Larini (25ème). Pour la troisième fois consécutive, Schneider ne parvient pas à se qualifier.
Le Grand Prix de Monaco de Formule 3 est remporté par l'Italien Enrico Bertaggia sur Dallara devant les Français Érik Comas et Christian Vidal.
Le Grand Prix
Il pleut dimanche matin sur le Rocher, et l'échauffement se déroule sur un bitume mouillé. Senna réalise à nouveau le meilleur chrono devant Prost. « C'est de la routine, cela devient ennuyeux ! » plaisante Ron Dennis, ravi. Williams monte sur ses FW12 un nouveau système de refroidissement destiné à éviter les trop fréquentes surchauffes. Jean-Marie Balestre préside la réunion des pilotes et avertit que ceux qui ne respecteront pas les drapeaux bleus seront disqualifiés sur le champ.
Le soleil apparaît timidement en début d'après-midi. Arnoux rencontre un court-circuit lors de son tour d'installation et saute dans son mulet avec lequel il s'élancera depuis les stands. De Cesaris heurte quant à lui le rail mais ses mécaniciens parviennent à rétablir sa suspension in extremis. Chez AGS, les mécaniciens ont travaillé toute la nuit pour renforcer les triangles inférieurs côté boîte de vitesses qui cèdent sous la charge des gros ailerons spéciaux apportés en Principauté.
Tour de formation: Streiff ne parvient pas à démarrer. La rotule de commande des gaz a cédé sur l'AGS. Le Grenoblois ne prendra pas le départ.
Départ: Senna s'envole parfaitement et franchit Sainte-Dévote en tête. Prost manque le passage de son second rapport et crée un léger ralentissement. Berger en profite pour le doubler tandis qu'Alboreto, gêné par la McLaren, se fait doubler par Mansell. Warwick coupe la trajectoire à Piquet et endommage l'aileron avant de la Lotus. A l'arrière du peloton, Caffi est touché par Capelli et heurte le rail en marche arrière.
1er tour: Senna mène devant Berger, Prost, Mansell, Alboreto, Nannini, Patrese, Warwick, Palmer et Cheever. Les commissaires évacuent la Dallara de Caffi. Piquet regagne la pit-lane où ses mécaniciens s'aperçoivent que les points d'attache de son châssis sont arrachés. Le champion du monde abandonne.
2e: Senna s'échappe au rythme d'une seconde au tour. Prost se glisse derrière Berger.
3e: Capelli revient à son stand pour faire réparer sa suspension arrière, endommagée lors de la collision avec Caffi. Il perd trois tours dans cette opération.
4e: Berger est incapable de suivre le rythme de Senna et retient Prost. Mansell emmène un peloton comprenant Alboreto, Nannini, Patrese et Warwick.
5e: Prost tente en vain de déborder Berger sur la ligne de chronométrage.
6e: Senna mène devant Berger (7.6s.), Prost (8.5s.), Mansell (12s.), Alboreto (13s.), Nannini (14.5s.), Patrese (15.5s.), Warwick (17s.), Palmer (21s.) et Cheever (22s.). Tarquini abandonne suite à un bris de suspension à l'arrière de sa Coloni.
7e: Johansson met pied à terre car son joint de culasse s'est désagrégé.
8e: Senna compte dix secondes d'avance sur Berger et Prost. Cheever regagne le stand Arrows au ralenti. Un court-circuit dans le compte-tour a détraqué son allumage, et il doit renoncer.
10e: Senna précède Berger (13s.), Prost (14s.), Mansell (18s.), Alboreto (20s.), Nannini (23s), Patrese (24s.), Warwick (27s.), Palmer (30s.), Boutsen (44s.), Alliot (47s.), de Cesaris (48s.) et Pérez-Sala (49s.).
11e: Arnoux est dans les stands pour rebrancher un fil de bougie sur sa Ligier. Il repart quelques instants plus tard.
13e: Senna abaisse le record du tour à 1'28''519'''. Prost continue de menacer Berger qui ne bronche pas.
14e: Senna compte dix-sept secondes de marge sur Berger. Coincé derrière l'Autrichien, Prost roule en 1'29'' et concède donc environ une seconde par tour à son équipier.
15e: Larrauri tape le rail au Portier et y perd son museau. Les commissaires évacuent l'Eurobrun accidentée en un rien de temps.
17e: Senna porte son avance sur le duo Berger - Prost à vingt secondes. Mansell commence à poindre dans les rétroviseurs du pilote français.
18e: Jusqu'alors onzième, Alliot cède deux places à de Cesaris et Pérez-Sala.
20e: Senna devance Berger (21s.), Prost (22s.), Mansell (26s.), Alboreto (30s.), Nannini (33s.), Patrese (36s.), Warwick (42s.), Palmer (50s.) et Boutsen (1m. 05s.).
21e: Mansell s'aperçoit que son moteur Judd surchauffe et laisse filer Berger et Prost. Alboreto se lance à ses trousses
23e: Senna compte vingt-cinq secondes d'avance sur Berger. Alboreto est revenu dans le sillage de Mansell. Arnoux met pied à terre après une chute de pression d'huile.
25e: Senna précède Berger (26.6s.), Prost (27.5s.), Mansell (30s.), Alboreto (32.4s.), Nannini (37s.) et Patrese (39s.).
27e: Alboreto n'est qu'à deux secondes de Mansell. Un peu plus loin, Nannini essaie de garder Patrese à distance.
29e: Prost demeure collé à l'arrière de la Ferrari de Berger, sans parvenir à trouver la moindre ouverture, même lors des dépassements d'attardés.
30e: Senna est premier devant Berger (25s.), Prost (25.7s.), Mansell (32s.), Alboreto (32.4s.), Nannini (40s.), Patrese (42s.), Warwick (57s.), Palmer (1m. 15s.) et Boutsen (1m. 22s.). De Cesaris abandonne avec une pression d'huile à zéro.
32e: Alboreto bute contre Mansell, Nannini revient sur ces deux pilotes, bien qu'il roule sans embrayage depuis quelques tours.
33e: Au deuxième S de la Piscine, Alboreto porte une attaque très présomptueuse par l'intérieur sur Mansell. Celui-ci garde sa ligne comme si de rien n'était. L'Italien heurte la Williams avec sa roue avant-gauche. Mansell est envoyé en tête-à-queue et tape le rail par l'arrière. C'est fini pour lui. Alboreto peut quant à lui poursuivre sa route, sa voiture n'étant pas endommagée.
35e: Senna mène devant Berger (36.7s.), Prost (37.6s.), Alboreto (43.7s.), Nannini (56s.), Patrese (58s.) et Warwick (1m. 09s.).
36e: Patrese menace de plus en plus Nannini dont la boîte de vitesses se bloque.
38e: Berger et Prost sont dans le trafic, mais cela ne permet toujours pas au Français de doubler l'Autrichien. Au contraire, il est même un temps gêné par Alliot. Pérez-Sala stoppe devant les stands après la rupture de ses demi-arbres de transmission.
39e: Bloqué en sixième, Nannini tire tout droit vers l'échappatoire de Sainte-Dévote. Trop sollicitée faute d'embrayage, sa boîte de vitesses a rendu l'âme. Warwick entre dans la zone des points.
40e: Senna est premier devant Berger (40.7s.), Prost (41.6s.), Alboreto (49s.), Patrese (1m.), Warwick (1m. 15s.), Palmer (-1t.), Boutsen (-1t.), Dalmas (-1t.) et Alliot (-1t.).
42e: Prost piaffe d'impatience derrière Berger. Il essaie de déboîter la Ferrari sur la ligne de chronométrage, sans succès. Dalmas s'arrête chez Larrousse pour remplacer un pneu crevé. Il chute du neuvième au onzième rang.
43e: Senna roule dorénavant deux secondes au tour plus vite que Berger et Prost. A ce rythme, le Brésilien va prendre un tour à tout le monde avant le drapeau à damiers !
44e: Dans la descente vers Mirabeau, dans le souci d'aider Prost, un commissaire facétieux brandit un drapeau bleu à Berger... qui ne se laisse pas avoir et ne dévie pas d'un pouce.
45e: Senna devance Berger (48.2s.), Prost (49s.), Alboreto (56s.), Patrese (1m. 10s.), Warwick (1m. 21s.), Palmer (-1t.), Boutsen (-1t.), Alliot (-1t.) et Gugelmin (-1t.). Ghinzani abandonne après avoir perdu l'usage de son deuxième rapport.
47e: Prost se porte presque à la hauteur de Berger avant Saine-Dévote, mais n'a pas l'espace pour doubler. Gugelmin s'arrête dans la montée vers le Casino. Sa pompe à essence électrique est hors d'usage.
48e: Prost se morfond derrière Berger mais ne relâche pas ses efforts. Le jeune Autrichien résiste superbement depuis plus d'une heure à la pression du double champion du monde.
50e: Senna se promène devant Berger (51.9s.), Prost (52.8s.), Alboreto (1m. 01s.), Patrese (1m. 16s.), Warwick (1m. 30s.), Palmer (-1t.), Boutsen (-1t.), Alliot (-1t.) et Dalmas (-1t.).
52e: Patrese est pris en sandwich entre Alliot et Capelli. Dans la descente vers Mirabeau, Alliot change brutalement de trajectoire devant la Williams qui le percute par l'arrière. La Lola percute le muret intérieur contre lequel elle glisse avant de s'écraser dans la barrière de vieux pneus en bout de pente. Alliot en sort indemne. Patrese revient à son stand avec un aileron avant cassé.
53e: Senna commence à ménager sa monture. L'intervalle avec Berger tombe à cinquante secondes. Après un arrêt pour réparer le nez de sa voiture et changer de pneus, Patrese reprend la piste en septième position.
54e: Prost attaque Berger là où il ne l'attend pas: sur le boulevard Albert Ier. Il fait l'extérieur à la Ferrari en passant devant les stands puis se rabat avec autorité. Beau joueur, Berger n'insiste pas.
55e: Prost s'échappe immédiatement devant Berger mais il compte quarante-huit secondes de retard sur Senna...
56e: Boutsen s'arrête chez Benetton pour remplacer un pneu crevé. Il reprend la piste derrière Patrese et Dalmas.
57e: Prost réalise son meilleur tour de la course: 1'26''714'''. Beaucoup plus loin, Dalmas remonte sur Patrese dont la visière est embuée.
59e: Senna réplique à Prost en signant le meilleur chrono du jour: 1'26''321'''. Dalmas prend la septième place à Patrese.
60e: Senna devance Prost (52s.), Berger (1m. 01s.), Alboreto (1m. 15s.), Warwick (-1t.), Palmer (-1t.), Patrese (-2t.), Dalmas (-2t.), Boutsen (-2t.), Larini (-3t.) et Capelli (-5t.).
62e: Senna ne paraît pas disposé à rendre quelques longueurs à Prost. Il porte l'intervalle à cinquante-cinq secondes.
64e: Par radio, Ron Dennis demande à Senna de baisser son rythme afin de soulager la mécanique.
65e: Senna conserve une allure relativement élevée pour une fin de course et roule en 1'29''. Les deux McLaren-Honda sont séparées par 54 secondes. Berger est repoussé à plus d'une minute dix.
67e: En abordant le virage du Portier, Senna touche une glissière avec sa roue avant-droite. Il est rejeté contre le rail externe et y plie sa suspension avant-gauche... C'est terminé pour Ayrton ! Stupeur dans le stand McLaren ! Prost récupère la première place.
68e: Prost est le nouveau leader, une dizaine de secondes devant Berger. L'œil sombre, Senna regarde les commissaires évacuer sa McLaren blessée à mort.
70e: Prost est premier devant Berger (14s.), Alboreto (28s.), Warwick (1m. 18s.), Palmer (-1t.), Dalmas (-1t.), Patrese (-1t.) et Boutsen (-2t.)
72e: Prost creuse l'écart sur les pilotes Ferrari qui lèvent le pied pour préserver du carburant. Patrese est parvenu à nettoyer sa visière et revient dans la roue de Dalmas.
74e: Prost possède dix-sept secondes d'avance sur Berger. Alboreto roule à trente-cinq secondes avec une suspension faussée depuis sa collision avec Mansell.
75e: Warwick termine la course très prudemment car il n'a presque plus de freins et son moteur bafouille. Il concède un tour à Prost. Patrese est sur les talons de Dalmas qui a perdu sa barre anti-roulis.
77e: A l'épingle du Loews, Patrese se jette brutalement à l'intérieur et contraint Dalmas à faire un écart pour éviter l'accrochage. L'Italien récupère ainsi la sixième place de manière un peu douteuse...
78ème et dernier tour: Alain Prost remporte son quatrième Grand Prix de Monaco et sa trentième victoire en F1. Berger termine deuxième, suivi par son équipier Alboreto. Warwick se classe quatrième au volant de son Arrows-Megatron. Palmer finit cinquième après une très belle course et inscrit les premiers points de la saison pour Tyrrell. Sixième, Patrese ouvre également le compteur de Williams-Judd. Dalmas, Boutsen, Larini et Capelli sont les autres pilotes à recevoir le drapeau à damiers.
Après la course: Prost ramasse la mise
Mortifié par son accident, Ayrton Senna évite les journalistes et se réfugie dans son appartement de la Résidence Houston. Quelques heures plus tard, il accorde un très court entretien à la chaîne de télévision brésilienne TV Globo: « J'ai ralenti dès que Ron Dennis me l'a demandé. Mon attention s'est relâchée, je me suis déconcentré... » Puis il multiplie les déclarations contradictoires, affirmant à l'un qu'un de ses pneus arrière perdait de la pression, à l'autre qu'il a commis une faute de conduite... Quoiqu'il en soit, Senna perd bêtement une victoire splendide, après avoir offert à des spectateurs enthousiastes une démonstration flamboyante.
Alain Prost est accueilli sur les marches du palais princier par Rainier III et Jean-Marie Balestre. Très heureux, le Français commente ce succès inattendu: « Succès chanceux ? [...] La chance, les victoires préméditées, les calculs, ça n'existe pas sur ce terrain trop difficile pour les machines et les hommes. L'incident de Senna ? Cela peut arriver lorsque l'on conduit aussi vite. Je pensais même qu'il irait à la faute aux essais. Monaco n'est pas un circuit comme un autre. A mon avis, il a tapé le rail à droite, j'ai vu les marques. En tout cas, je ne comprends pas. Avec cinquante secondes d'avance, les places étaient assurées... S'il a commis une faute, il ne l'oubliera pas et ne la répétera pas. C'est l'expérience. La mienne est solide et me permet de piloter avec sérénité, sans en rajouter. Mon équipier parviendra un jour à ce même stade. Il prendra moins de risques inutiles. Senna est très, très motivé. Il conduit comme jamais. Il a tout à prouver, moi, plus rien. Je dois donc me battre avec mes propres armes et ne pas entrer dans son jeu. C'est ce qu'a fait Niki Lauda en 1984. » Une leçon du « Professeur » que Senna encaisse certainement très mal...
Selon la mode monégasque, les réceptions se succèdent dimanche soir aux quatre coins du Rocher. Ron Dennis organise une superbe « party » sur le yacht Sea Goddess. Prost dédie sa victoire à Aleardo G. Buzzi, le président de Philip Morris Europe, qui fête son anniversaire. Puis il se rend au dîner de gala du Grand Prix, au Sporting Club d'Été. A cette occasion, le Français apprend qu'il a été élu « champion des champions » par le club des anciens pilotes. En récompense, Toulo de Graffenried lui remet une réplique en ébène d'un off-shore, ultime hommage à Didier Pironi disparu neuf mois plus tôt.
Loin de ces réjouissances, Philippe Alliot se félicite d'être ressorti sain et sauf de sa collision avec Riccardo Patrese et remercie chaleureusement le président Balestre d'avoir fait reculer le pédalier derrière l'axe de roues, sans quoi il se serait probablement fait mal en heurtant les protections à Mirabeau. « J'ai vu Patrese revenir sur moi, raconte-t-il. Je lui ai laissé le passage après le casino, sur la droite. Il ne m'a pas compris. Il m'a heurté et j'ai tapé le rail de face. Le temps de voir venir les glissières, j'analyse tout, je rentre mes jambes, je me replie sur moi-même... et il ne se passe rien de grave. » La version de Patrese diffère: il accuse Alliot de lui avoir tout bonnement coupé la route...
Au championnat, Prost compte désormais 24 points contre 14 à Berger et 9 à Senna. Le Français possède donc une belle avance mais ne s'illusionne pas. Pour la seconde fois consécutive après Imola, Senna l'a dominé durant tout le week-end et ne commettra pas de telles fautes à chaque course. Chez les constructeurs, McLaren-Honda totalise 33 points, soit treize de mieux que Ferrari.
Tony