Prost, Piquet, Arnoux, trois hommes pour une couronne
Le Grand Prix d'Afrique du Sud conclut ce championnat 1983. Il avait été reporté en début de saison afin de laisser un délai aux équipes pour adapter leurs monoplaces à la nouvelle réglementation. Trois pilotes peuvent prétendre encore à la couronne mondiale: Alain Prost (Renault, 57 points), Nelson Piquet (Brabham-BMW, 55 points) et René Arnoux (Ferrari, 49 points).
Bien qu'il ne soit pas aux commandes de la compétition, Nelson Piquet apparaît comme le favori. Sa Brabham-BMW est en effet la voiture la plus rapide en cette fin de saison. Le Brésilien a réalisé une saison exemplaire, ne commettant pas une seule erreur. Sa seule crainte réside dans la fiabilité souvent déficiente de son quatre cylindres BMW. Malgré tout, en grand professionnel maître de son image, il apparaît souriant, serein, confiant. Comme en 1981 avant la dernière manche à Las Vegas, il est en position de challenger et cela n'est pas pour lui déplaire.
Alain Prost semble au contraire très tendu. Depuis la fin du mois d'août, le jeune Français accumule les déboires, et les tiraillements avec son écurie n'ont pas cessé. Il doute ouvertement de la compétitivité du moteur turbo Renault sur ce tracé de Kyalami. Il tente assez maladroitement de dissimuler son appréhension en affirmant que « s'[il] perd le championnat, ce sera beaucoup plus grave pour Renault que pour [lui]. » Prost tente d'évacuer le stress en passant du bon temps en compagnie de ses amis Jacques Laffite, Didier Pironi et... Nelson Piquet. Celui-ci a soudain une réflexion qui fait mouche : « Alain, si tu ne te sens pas bien chez Renault, tu n'as qu'à aller ailleurs... »
René Arnoux admet volontiers que ses chances de sacre sont minimes. Il doit absolument gagner la course tout en espérant que Prost n'inscrive pas de point et que Piquet ne fasse pas mieux que quatrième. Fataliste, le petit Isérois compte sur sa hargne et son habileté au volant pour partir en tête, prier que la mécanique tienne et... qui sait ?
Le championnat des constructeurs reste aussi à attribuer. Avec 89 points, Ferrari possède un net avantage sur Renault (78 points). Pour l'emporter, la marque française a besoin d'une victoire de Prost couplée à une bonne position de Cheever, tout en espérant bien entendu que les voitures italiennes cassent toutes les deux.
Affaire de l'essence, deuxième épisode
Depuis plusieurs semaines, il se répète chez Renault et chez Ferrari que Brabham-BMW utiliserait de l'essence illégale depuis Hockenheim. Le subterfuge aurait été découvert par la FISA qui tenterait d'étouffer l'affaire. Voilà de quoi entacher l'éventuelle victoire mondiale de Nelson Piquet. Mais c'est une autre affaire de carburant qui ébranle le paddock quelques jours avant cet ultime événement.
En effet le gouvernement sud-africain a interdit au mois de juillet les importations d'hydrocarbures sur son territoire, obligeant ainsi les équipes à utiliser du mauvais carburant local (à 93 d'indice d'octane). De quoi faire exploser quantité de moteurs ! Pour éviter cette catastrophe, les constructeurs obtiennent de la FISA une dérogation leur permettant d'user de l'Av-gas, une essence d'aviation dont l'indice d'octane atteint 104, soit plus que le maximum autorisé. Mais deux jours avant les premiers essais, coup de théâtre : Bernie Ecclestone apprend que Pretoria autorise à nouveau les importations d'hydrocarbures ! Il en profite pour faire venir à Kyalami 1500 litres de carburant « spécial » conçu par IG Farben, sans en souffler mot à ses collègues de la FOCA. Puis, il se présente devant les commissaires sportifs et leur explique benoîtement que la dérogation officielle n'est plus nécessaire ! Ecclestone veut contraindre tous ses concurrents à rouler avec de l'essence de « 93 » ! Cependant Renault et Ferrari ripostent et commandent leurs propres essences auprès d'Elf et d'Agip ! En outre, Jean Sage et Marco Piccinini obtiennent de la FISA le rétablissement de la dérogation pour permettre aux autres concurrents de bénéficier d'Av-gas.
Ecclestone ne l'entend pas de cette oreille, mais cette fois son complice Jean-Marie Balestre refuse de lui céder : si chacun ne peut utiliser le carburant de son choix, le Grand Prix d'Afrique du Sud ne comptera pas pour le championnat du monde. Et Nelson Piquet ne pourra ainsi décrocher la couronne. Ecclestone s'incline.
Patrick Tambay: de Ferrari à Renault
Le départ de Patrick Tambay agite quelque peu la Scuderia Ferrari. Certes l'arrivée de Michele Alboreto titille la fibre patriotique des Transalpins. « Je veux voir un pilote italien dans une Ferrari avant de mourir... » a avoué le Commendatore. Le patriarche de 85 ans évoque pour la première fois sa disparition. Il n'empêche, un noyau tambayiste existe à Maranello. Le professionnalisme et le talent de metteur au point du Cannois étaient très appréciés des ingénieurs. On le regrette aussi ouvertement chez Goodyear. En Afrique du Sud, Tambay est moralement atteint mais ne parle que de partir en beauté : « Je suis un pilote loyal. Je ne négligerai rien ni pour vaincre ni pour aider Ferrari à conquérir le titre mondial des constructeurs. » Cependant, ira-t-il jusqu'à abandonner la victoire à René Arnoux pour lui offrir la couronne mondiale ? « Loyal, mais pas c**... » réplique Tambay...
Abandonné par Ferrari, Tambay pouvait craindre de se retrouver sans volant en 1984. Heureusement, son avenir se dégage petit à petit. Le 3 octobre il a rencontré Gérard Larrousse qui rêve d'un duo Prost - Tambay. Patrick a déjà piloté pour la Régie en Formule 2 et en Endurance entre 1976 et 1978. En outre, ses liens anciens avec Elf facilitent la tractation. Il accepte l'idée d'une collaboration avec Prost, mais pas à n'importe quel prix. Larrousse l'assure que tous deux seront traités sur un pied d'égalité durant la première moitié de la future saison. Ensuite, il avisera. Ces conditions satisfont Tambay qui donne un accord de principe au directeur général de Renault Sport.
Présentation de l'épreuve
Theodore n'a plus d'argent dans ses caisses et n'a donc pas fait le déplacement en Afrique du Sud. L'équipe de Teddy Yip vit ses dernières heures en Formule 1 et se concentrera désormais sur l'IndyCar. John Wickham a aussi décidé de faire l'impasse pour préparer l'avenir de son écurie Spirit. Il n'est en effet pas sûr de conserver le soutien de Honda pour 1984.
Toleman réalise une belle fin de saison puisque Derek Warwick a inscrit des points lors des trois dernières courses. Pourtant, Ted Toleman et Alex Hawkridge hésitent à poursuivre leur collaboration avec Brian Hart et aimeraient bénéficier d'un meilleur turbo. L'atelier du motoriste britannique ne peut en effet fournir ni injection électronique ni pulvérisateur d'eau pour le moment. Toutefois une souscription nationale regroupant plusieurs sous-traitants anglais offre à Hart une enveloppe qui devrait lui permettre de développer son turbo en 1984. Voici peut-être le moyen de conserver la clientèle de Toleman, en attendant peut-être de fournir des équipes qui n'ont toujours pas de turbo comme Tyrrell ou RAM.
Carlos Reutemann loge au Kyalami Ranch et apparaît très détendu. L'Argentin envisage sérieusement de revenir en Grand Prix en 1984 et devrait tester prochainement une Ligier. Son futur équipier pourrait être Jean-Pierre Jabouille, lui aussi convié à une séance d'essais chez les Bleus. On peut néanmoins se demander si Guy Ligier ne s'illusionne pas quelque peu en voulant recruter deux quadragénaires qui n'ont pas touché un volant depuis deux ans. Il souhaite en tout cas attirer un pilote d'expérience pour développer le turbo Renault.
Brabham s'est bien préparée pour cette finale du championnat. BMW apporte un dispositif coupant l'asservissement électronique de l'injection mécanique en cas de panne. Il s'enclenche via une manette disposée dans le cockpit. Les Bavarois ont aussi installé une nouvelle rampe de pulvérisateurs destinés à refroidir l'échangeur situé dans le flanc gauche de la voiture. Renault amène de son côté pour la première fois des « moteurs de qualifications » censés posséder plus de couple. Seuls BMW et Ferrari en disposaient jusqu'à présent. Le dessin des gros ailerons arrière a été également revu. Les Alfa Romeo arborent un nouvel aileron arrière et de nouveaux radiateurs d'eau conçus par IPRA. Les McLaren-TAG-Porsche présentent un nouveau système d'échangeurs de température.
Patrick Head lève le voile sur la Williams-Honda FW09, présente en deux exemplaires pour Keke Rosberg et Jacques Laffite. C'est une monoplace de facture tout à fait classique, malgré une allure pataude due à la hauteur du capot avant. La coque est en majorité composée d'aluminium : seule la partie enveloppant le réservoir est en fibre de carbone. L'aérodynamisme est signé Frank Dernie. L'aileron arrière, de très petite taille, témoigne de la bonne déportance générée par la carrosserie. Cette FW09 est cependant encore trop lourde, à cause V6 Honda qui pèse environ quinze kilos de plus que ses concurrents.
Les qualifications
Tambay entend quitter Ferrari en beauté. Il domine outrageusement les essais et réalise ainsi sa quatrième pole position en 1983, faisant ainsi aussi bien qu'Arnoux, expert en la matière. Le Grenoblois est quatrième sur la grille mais a bien failli déclarer forfait. Le jeudi après-midi, tandis qu'il venait de tomber en panne d'allumage, de maladroits commissaires évacuèrent sa voiture en lui roulant sur le pied droit ! Rien de cassé heureusement. Arnoux en est quitte pour une enflure gênante mais sans gravité.
Piquet a tout essayé pour déloger Tambay de la pole mais doit se contenter de la deuxième place. Il précède Patrese de deux dixièmes. Le week-end avait mal commencé pour les compères de Brabham qui cassèrent deux moteurs. Malgré son turbo « spécial qualifications », malgré une pression poussée au maximum, Prost se trouve relégué au cinquième rang. C'est encore pire pour Cheever, seulement quatorzième à cause d'une tenue de route calamiteuse. Les Williams-Honda effectuent d'excellents débuts : Rosberg se classe sixième et Laffite dixième. Une vraie renaissance pour l'écurie de Didcot. Les Lotus-Renault (Mansell 7ème, de Angelis 11ème) ne sont ici que des outsiders. Pour une fois épargné par les pannes, Winkelhock place son ATS-BMW en huitième position. Les Alfa Romeo (de Cesaris 9ème, Baldi 17ème) sont plutôt en retrait. Les McLaren-TAG-Porsche (Lauda 12ème, Watson 15ème) réalisent des chronos plutôt médiocres. Déception aussi pour les Toleman-Hart (Warwick 13ème et Giacomelli 16ème).
Les Tyrrell (Alboreto 18ème, Sullivan 19ème) n'ont désormais guère de peine à dominer la catégorie des moteurs atmosphériques. Elles précèdent les Arrows (Boutsen 20ème, Surer 22ème) et les Ligier (Jarier 21ème, Boesel 23ème). Acheson parvient enfin à qualifier sa RAM-March en 24ème position.
Les Osella-Alfa Romeo de Fabi et de Ghinzani sont si lentes que les organisateurs ont de prime abord décidé de leur interdire l'accès à la grille, au nom de la règle excluant les concurrents dont les chronos excèdent 110 % de celui du poleman. Enzo Osella fait toutefois circuler une pétition pour permettre à ses voitures de prendre le départ. Tous les chefs d'équipes, compatissants, l'ayant signée, il obtient gain de cause.
Après les essais, Tambay adresse un pied-de-nez à Marco Piccinini en partageant sa prime de pole position entre ses mécaniciens. Une façon élégante de remercier ceux qui l'ont toujours soutenu et ne lui ont jamais menti...
Le Grand Prix
La course se déroule sous un ciel bleu et un chaud soleil, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les pilotes Ferrari car les pneus Goodyear fonctionnent mal dans ces conditions. Surprise lors du warm-up avec le meilleur chrono réalisé par Lauda. La McLaren-TAG-Porsche semble « en avoir dans le ventre ». Si un grand calme règne chez Brabham, chez Renault Prost fait la moue. Il trouve son moteur poussif mais consent à la conserver pour la course. Chez Williams, on change in extremis le V6 Honda de Rosberg. Ce Grand Prix est le dernier où l'on verra des ravitaillements en essence puisque ces opérations seront interdites à compter de 1984.
En fin de matinée, des policiers armés envahissent l'allée des stands. Les organisateurs les ont chargés de « nettoyer » le paddock des indésirables, c'est-à-dire des journalistes et des photographes, mais aussi des invités des sponsors et des familles des participants. Pistolets et matraques en avant, cette milice de butors évacue manu militari toute cette faune, n'hésitant pas à bousculer des femmes et des enfants. Dans la mêlée, Bernie Ecclestone lui-même reçoit un coup de poing dans la figure !
En ce qui concerne les pneus, Prost et Piquet choisissent la même configuration : pneus tendres (05) à droite, durs (10) à gauche. Lauda part lui avec quatre Michelin 05. Tandis que les moteurs s'apprêtent à démarrer, Piquet s'introduit dans le stand Renault et, facétieux, appose sur la Renault de Prost un autocollant du « Nelson Piquet Fan Club ». Le Français s'en aperçoit, décolle le sticker et l'accroche malicieusement à sa propre combinaison, pour le grand plaisir des photographes.
Tour de formation : A cause d'une panne de moteur, Watson monte dans son mulet mais celui-ci ne démarre que très tardivement. Lorsque l'Irlandais met les gaz, la boucle d'échauffement est déjà entamée. Arrivant en vue de la grille, il commet la même erreur que Winkelhock à Zandvoort : il se faufile entre les concurrents pour rejoindre son emplacement plutôt que de s'arrêter en queue de peloton.
Départ : Les Ferrari démarrent lentement et se font doubler par les Brabham. Piquet prend le commandement devant Patrese et Tambay. De Cesaris prend la quatrième place à Prost avant Crowthorne. Suivent Rosberg, Arnoux et de Angelis.
1er tour : De Cesaris attaque en vain Tambay. Piquet mène devant Patrese, Tambay, de Cesaris, Prost, Rosberg, Arnoux, de Angelis, Winkelhock et Lauda.
2e : De Cesaris fait l'intérieur à Tambay en passant devant les stands. Prost se place dans le sillage de l'Alfa Romeo et double son compatriote à Crowthorne. Quelques instants plus tard, au même endroit, Cheever double Laffite en le tassant sur le bas-côté extérieur. Laffite freine dans la terre, part en toupie et atterrit dans les grillages de protection. Winkelhock renonce avec un moteur expirant.
3e : Piquet s'échappe avec trois secondes d'avance sur Patrese. Lauda et Cheever doublent de Angelis tandis que le drapeau jaune est brandi à Crowthorne pour permettre l'évacuation de la Williams accidentée de Laffite. Ghinzani roule à très faible allure, son moteur Alfa ne répondant plus. Il s'arrête finalement juste à l'entrée des stands.
4e : Piquet est premier devant Patrese (4.2s.), de Cesaris (5.8s.), Prost (6.6s.), Tambay (9.6s.), Rosberg (11s.) et Arnoux (12s.). Suivent Lauda, Cheever, de Angelis, Warwick, Baldi et Mansell. Si les choses en restaient là, le classement du championnat serait le suivant : Piquet 64 pts ; Prost 60 pts ; Arnoux 49 pts.
5e : Prost bute derrière de Cesaris. Lauda est très rapide et dépasse Arnoux. Baldi et Warwick doublent de Angelis qui est aux prises avec un moteur cafouillant.
6e : Piquet est parti avec peu d'essence pour ravitailler très tôt. Il réalise le meilleur chrono de l'épreuve : 1'09''948'''. Il possède six secondes de marge sur Patrese. Lauda efface Rosberg. Baldi est arrêté par une fuite d'eau sur son moteur.
7e : De Angelis s'arrête chez Lotus pour faire examiner son moteur.
8e : Prost s'inquiète d'une hésitation de son moteur à l'accélération qui l'empêche de doubler de Cesaris. Lauda rattrape facilement Tambay dont les pneus ne sont pas vaillants et qui en plus souffre d'un défaut de pression de suralimentation.
9e : Prost parvient à faire l'extérieur à de Cesaris avant Crowthorne. Lauda prend l'avantage sur Tambay. Arnoux ralentit : son moteur pétarade après avoir perdu toute son eau. De plus son pneu avant-gauche est dégonflé depuis le départ. Le Grenoblois abandonne et n'est donc plus en lice pour la couronne mondiale.
10e : Tout va bien pour Piquet qui possède onze secondes d'avance sur Patrese. Prost concède quinze secondes à son rival.
11e : Jarier s'arrête chez Ligier pour changer son pneu avant gauche cloqué.
12e : Lauda dépasse de Cesaris dans la ligne droite principale. L'Autrichien pourrait bien être le trouble-fête de cette finale.
13e : Piquet précède Patrese (13.1s.), Prost (16.7s.), Lauda (19.6s.), de Cesaris (21.3s.), Tambay (23.8s.) et Rosberg (26s.). Suivent Cheever, Warwick, Giacomelli, Watson et Alboreto. Mansell arrive à son stand pour faire réparer sa tringlerie de boîte. Au classement général, le résultat ressemblerait à ceci : Piquet 64 pts ; Prost 61 pts.
15e : Quinze secondes séparent les deux Brabham. Warwick prend la septième place à Cheever dont le moteur est aussi poussif que celui de son équipier.
16e : Cela va mal pour Prost qui voit Lauda grossir dans ses rétroviseurs.
18e : Piquet a déjà pris un tour à toutes les voitures équipées d'un Cosworth... Lauda dépasse Prost à Crowthorne. Le moteur Renault est incapable de résister au TAG-Porsche. Voilà qui n'échappe pas à Prost, nonobstant son désarroi...
19e : Piquet tourne en 1'10'' tandis que Prost ne fait jamais mieux qu'1'11''... A moins d'un souci technique frappant le Brésilien, la messe est dite. Tambay se rapproche de de Cesaris qui a « fusillé » ses pneus en tentant de résister à Prost.
20e : Piquet devance Patrese (21.7s.), Lauda (24.4s.), Prost (26.8s.), de Cesaris (35.1s.), Tambay (36.4s.) et Rosberg (42s.). Watson reçoit le drapeau noir pour sa manœuvre durant le tour de formation. Il doit regagner son garage.
22e : Lauda est revenu à une seconde de Patrese. Boesel est au garage Ligier pour faire réparer sa guillotine de gaz. Il y reste une dizaine de minutes.
23e : Piquet a vingt-quatre secondes de marge sur Patrese, menacé par Lauda. L'Italien et l'Autrichien naviguent dans le trafic. Prost concède trente secondes à Piquet. Au championnat : Piquet 64 pts ; Prost 60 pts.
24e : Patrese maintient Lauda derrière lui grâce à la puissance de son turbo BMW dans la longue ligne droite.
25e : Piquet précède Patrese (26.2s.), Lauda (26.6s.), Prost (31.8s.), de Cesaris (40.9s.) et Tambay (42.1). Suivent Rosberg, Warwick, Cheever et Giacomelli. De Angelis renonce avec un allumage hors d'usage.
27e : Les mécaniciens de Brabham se préparent pour le ravitaillement de Piquet qui totalise vingt-huit secondes d'avance sur son équipier.
28e : Piquet est aux stands pour observer son ravitaillement et chausser des pneus durs. L'arrêt ne dure qu'onze secondes. Piquet reprend la piste quatre secondes devant Patrese et Lauda. Il n'a désormais plus qu'à conserver sa position pour devenir champion du monde.
30e : Piquet ignore qu'il n'a pas perdu la première place et ne baisse pas son rythme. Avec le plein d'essence et des pneus durs, il roule plus vite que Patrese, Lauda et Prost ! Fabi se retire suite à une panne de moteur.
32e : Warwick ravitaille et ne perd qu'une position au profit de Cheever.
33e : Piquet devance Patrese (5.9s.), Lauda (6.3s.), Prost (11.5s.), de Cesaris (26.7s.) et Tambay (26.9s.).
34e : Lauda entre aux stands pour ravitailler. Ses mécaniciens peinent à fixer la roue arrière-droite et l'Autrichien ne repart qu'au bout de vingt-trois secondes, en septième position. Rosberg observe aussi un ravitaillement un peu longuet. Il chausse des pneus tendres et se retrouve derrière les Toleman.
36e : Lauda dépasse Cheever. Prost arrive chez Renault comme prévu pour son ravitaillement. Mais tandis que ses mécaniciens s'affairent, il discute avec Jean Sage puis déboucle son harnais et rejoint le garage : une turbine s'est cassée sur le V6 français. Le championnat du monde bascule définitivement en faveur de Piquet. Le classement virtuel est désormais le suivant : Piquet 64 pts ; Prost 57 pts.
37e : Tranquillement installé en tête et averti de l'abandon de Prost, Piquet peut désormais se contenter d'une quatrième place pour devenir champion du monde. Mansell est chez Lotus pour un changement de pneus.
38e : Arrêt de Cheever en douze secondes. L'Américain reprend sa route derrière Giacomelli.
39e : De Cesaris et Tambay sont en bagarre pour la troisième place. Giacomelli concède un tour à Piquet, peu avant de se faire doubler par Cheever.
40e : Piquet est premier devant Patrese (8s.), de Cesaris (29.5s.), Tambay (30s.), Lauda (44.6s.), Warwick (1m. 06s.), Rosberg (-1t.), Cheever (-1t.), Giacomelli (-1t.) et Alboreto (-1t.).
41e : Ravitaillement de de Cesaris (11.2s.). Le jeune Italien redémarre en cinquième position.
43e : Sept secondes séparent Piquet et Patrese qui doit ravitailler sous peu.
44e : Giacomelli passe par les stands pour ravitailler. Il se retrouve derrière les Tyrrell et les Arrows.
46e : Tambay arrive aux stands pour un ravitaillement de douze secondes. Il en sort lorsque déboule de Cesaris. Celui-ci prend l'intérieur et déborde la Ferrari à Crowthorne.
47e : Arrêt de Patrese (10.3s.). L'Italien repart sans avoir perdu sa seconde place, loin devant Lauda.
48e : Piquet est premier devant Patrese (26.2s.), Lauda (33.6s.), de Cesaris (48.1s.), Tambay (49.9s.) et Warwick (1m. 04s.). Rosberg est septième avec un tour de retard, mais il se dédouble de temps en temps d'un Piquet très prudent avec la mécanique.
50e : Gêné par le trafic, Tambay perd le contact avec de Cesaris. En outre, le turbo du Français ne tourne plus très rond.
52e : Piquet a baissé la pression de suralimentation de son turbo et concède environ deux secondes par tour à Patrese. De son côté, Rosberg a accumulé de la gomme dans ses radiateurs et lève le pied pour éviter la surchauffe à son V6.
54e : Piquet devance Patrese (14.7s.), Lauda (21.2s.), de Cesaris (34.2s.), Tambay (40s.) et Warwick (57.6s.). Cheever chipe la septième place à Rosberg, mais au tour suivant le Finlandais récupère cette position à Crowthorne.
56e : Patrese est revenu à dix secondes de Piquet. Dans The Kink Tambay ralentit, trahi par son turbo. Il effectue cependant presque une boucle supplémentaire au petit trot avant de s'arrêter. Il conclut ainsi tristement sa carrière chez Ferrari.
58e : Patrese n'est plus qu'à quatre secondes de Piquet. Lauda revient sur les deux Brabham.
59e : Le turbo Hart de Giacomelli prend feu. Le pilote italien s'arrête en catastrophe au sommet de The Kink tandis que les commissaires se précipitent avec leurs extincteurs. L'incendie est rapidement maîtrisé. Mais une épaisse fumée aveugle les pilotes et les contraint à la plus grande prudence.
60e : Piquet laisse passer Patrese au bout de la longue ligne droite. Il préfère abandonner la victoire à son équipier tout en ménageant sa voiture. Si les choses en restaient ainsi, le championnat du monde s'achèverait par ce classement : Piquet 61 pts ; Prost 57 pts.
61e : Patrese est désormais premier devant Piquet (1s.), Lauda (5.4s.), de Cesaris (16.7s.), Warwick (51.1s.), Rosberg (1m. 01s.) et Cheever (1m. 03s.). Alboreto renonce suite à une avarie de son moteur.
62e : Piquet surveille désormais le retour de Lauda. Mais il peut se permettre de perdre encore deux positions.
63e : Patrese fonce vers la victoire tandis que Lauda est déjà dans les roues de Piquet.
64e : Rosberg gêne Patrese durant un long moment avant de lever considérablement le pied car son moteur est au bord de la surchauffe. Il permet ainsi à Cheever de le rattraper.
65e : Patrese est en tête devant Piquet (2.6s.), Lauda (3.1s.), de Cesaris (15.1s.), Warwick (55.1s.), Rosberg (-1t.), Cheever (1t.), Sullivan (-2t.), Surer (-2t.), Boutsen (-2t.) et Jarier (-3t.).
67e : Piquet maintient un intervalle d'une seconde avec Lauda. De Cesaris rattrape peu à peu ce duo. Cheever prend la sixième place à Rosberg.
69e : Lauda prend l'aspiration derrière Piquet dans The Kink et le déborde par l'intérieur dans la descente vers Crowthorne. Au championnat : Piquet 59 pts ; Prost 57 pts.
70e : Lauda se lance aux trousses de Patrese mais est bloqué quelques instants par Jarier. Piquet doit maintenant prendre en compte le retour de de Cesaris. Rosberg a bien laissé respirer son moteur et peut repartir à la bataille contre Cheever.
71e : Sullivan entre aux stands pour remettre de l'essence dans son réservoir. L'équipe Tyrrell effectue cette opération pour la première fois... et la dernière puisque les ravitaillements seront bannis au soir de cette course !
72e : Lauda est victime d'un court-circuit sur sa batterie et doit stopper dans le sable. Ainsi s'achève la superbe course de l'Autrichien. Mais il a démontré qu'il faudra compter à l'avenir avec la McLaren-TAG-Porsche.
73e : Grâce à l'abandon de Lauda, Piquet récupère la seconde place mais de Cesaris le rattrape rapidement.
74e : Patrese a pris un tour à Warwick et se dirige vers la victoire. Piquet n'a plus que quatre secondes de marge sur de Cesaris et n'a aucun intérêt à lui résister. Cheever et Rosberg se battent pour la cinquième place.
75e : De Cesaris double Piquet qui ne lui a opposé aucune résistance. Rosberg reprend l'avantage sur Cheever.
77ème et dernier tour : Riccardo Patrese remporte sa seconde victoire en Formule 1. C'est un doublé italien puisque de Cesaris termine second pour la deuxième fois en 1983. Piquet termine troisième et inscrit ainsi quatre points qui lui permettent de devenir champion du monde. Warwick est quatrième et apporte trois points supplémentaires à Toleman qui a réalisé une très belle fin de saison. Rosberg donne deux points à la Williams-Honda dès sa première sortie. Cheever finit sixième. Sullivan est premier de la catégorie atmosphérique et précède Surer, Boutsen, Jarier et le méritant Acheson. Mansell et Boesel sont trop attardés pour être classés.
Après la course: la deuxième couronne de Nelson Piquet
A peine sorti de sa voiture, Piquet est assailli et congratulé par Bernie Ecclestone, Gordon Murray, Herbie Blash et tous les mécaniciens de Brabham. Le Carioca rayonne de bonheur. Quel contraste avec sa consécration à Las Vegas deux ans plus tôt, où il avait été au-delà de ses limites physiques, finissant l'épreuve à moitié évanoui. Cette fois-ci, il n'a jamais été inquiété et a mené une course tranquille, appliquant méticuleusement une stratégie parfaite : « Ma tactique était de creuser le trou rapidement et de ravitailler également très tôt. [...] Patrese a joué parfaitement le jeu et mon avance s'est effectivement très creusée. Puis, lorsque mon stand m'a passé le panneau « Prost out », j'ai respiré un grand coup. Cet abandon me facilitait une tâche déjà pas trop difficile. Il ne me restait plus qu'à baisser la pression du turbo. [...] Une fois encore, je gagne le titre mondial grâce à la dernière course. Une habitude qui ne me donne vraiment aucun complexe ! » Ce Brésilien au profil d'aigle, fort en gueule, blagueur et séducteur invétéré cache aussi un champion de classe internationale, sérieux, solide, très impliqué dans le développement technique de ses voitures. Émule de Niki Lauda, c'est un combattant redoutable, un froid calculateur et un grand opportuniste, dans le bon sens du terme.
Ce succès de Piquet marque l'avènement définitif du moteur turbo en Formule 1. Le Brésilien est en effet le premier pilote à devenir champion du monde au volant d'une voiture utilisant le principe de la suralimentation.
Ce titre mondial est le second de Michelin après celui obtenu avec Jody Scheckter et Ferrari 1979. Si Goodyear remporte la coupe des constructeurs grâce à l'équipe italienne, Michelin devance nettement les Américains sur l'ensemble de la saison avec un score de neuf victoires à six.
Alain Prost est désabusé mais une certaine aigreur ressort de ses propos : « Je ne pouvais vraiment rien espérer durant cette course. Dès les premiers tours, j'ai senti le moteur affaibli, mou en sortie de virage, ratatouillant. Un turbo a fini par lâcher brutalement. Mais je ne me faisais guère d'illusions. Au fond de moi-même, j'espérais seulement compter sur la fiabilité de ma mécanique. Mais c'est moi qui a cassé et Piquet qui a gagné. De toute façon, lui et moi ne partions pas à égalité de chances. Le Brabham était supérieure à la Renault dans de nombreux points... » Prost laisse transparaître sa déception à l'égard du travail fourni par Renault.
Quant à René Arnoux, il ne s'attendait évidemment pas à devenir champion, mais est déçu de ne pas avoir pu défendre ses chances. « Ce n'était pas mon année ... » grommelle-t-il en enlevant sa combinaison. Il exagère. Il a remporté trois Grands Prix et a été plus épargné que Tambay par les avaries. Jamais Arnoux n'a été à pareille fête qu'en 1983.
Malgré ce double abandon, Ferrari obtient son deuxième titre mondial des constructeurs consécutif grâce à la contre-performance des Renault. Brabham-BMW termine troisième, à sept points seulement de l'équipe française. Williams est quatrième devant McLaren. La deuxième place de de Cesaris permet à Alfa Romeo de devancer in extremis Tyrrell. Lotus-Renault finit l'année au huitième rang avec seulement onze points. A noter que Ligier termine pour la première fois l'année avec un zéro pointé.
La rupture Prost - Renault
Avant de quitter Kyalami, Alain Prost rencontre sur le tarmac de l'héliport John Hogan, le directeur du Marlboro World Championship Team. Celui-ci lui confirme que McLaren cherche toujours un remplaçant à John Watson qui ne sera pas conservé à la fin de l'année. Prost note l'information.
Le surlendemain, 17 octobre 1983, le pilote français a un rendez-vous quai du Point-du-Jour à Boulogne-Billancourt avec le PDG de Renault Bernard Hanon, Max Mangenot, le président de Renault Sport, et Gérard Larrousse. L'entretien tourne à la foire d'empoigne. Toute la rancœur accumulée de part et d'autre depuis des mois éclate au grand jour. Prost accuse l'équipe technique de ne pas avoir fourni suffisamment d'efforts pour l'amener au titre mondial. Balivernes, soutiennent Larrousse et Mangenot, qui reprochent à leur pilote d'avoir tenté de rejoindre Ferrari en catimini. A la fin de la journée, la rupture est consommée. Cette défaite de Renault, la troisième consécutive au championnat des conducteurs, nécessite une victime expiatoire. Ce sera Prost. Larrousse déchire leur contrat pour 1984. Côté technique, Bernard Dudot étant intouchable, c'est son associé Jean-Pierre Boudy qui prendra la porte quelques jours plus tard.
Gérard Larrousse justifie le départ de Prost en affirmant qu'il n'est pas souhaitable de faire confiance à un pilote qui ne partage pleinement les objectifs de Renault. Dans les jours qui suivent, il hâte la signature de Patrick Tambay ainsi que l'engagement de Derek Warwick, depuis longtemps convoité par la marque française.
Prost file chez McLaren
Alain Prost ne s'attarde pas dans les Hauts-de-Seine. Dès le lendemain, il reprend contact avec John Hogan, lequel informe Ron Dennis de cette démarche. Le directeur de McLaren est enthousiaste à l'idée d'associer Prost à Lauda, les deux meilleurs pilotes du monde selon lui. Certes, Prost et McLaren se sont quittés en mauvais termes fin 1980. Mais l'équipe a changé. Dennis a remplacé Teddy Mayer à la direction. John Barnard a prouvé qu'il était un excellent ingénieur et le V6 turbo TAG-Porsche offre de belles perspectives.
Le mercredi 19 octobre, Prost se rend à Lausanne où il retrouve Hogan, Dennis, l'agent Julian Jakobi, envoyé par Mark McCormack, et un avocat. Il sait qu'il n'est pas en position de force et qu'il ne pourra réclamer un salaire à la hauteur de celui qu'il percevait chez Renault. Dennis et Hogan s'engagent à ne pas en profiter. Après une longue nuit de négociations, les trois parties, McLaren, Marlboro et Prost trouvent un terrain d'entente. Deux jours plus tard, la nouvelle tombe : Alain Prost et Niki Lauda seront les pilotes du team McLaren International en 1984. John Watson se retrouve sans volant.
Brabham-BMW, ou le triomphe de la malhonnêteté
Malgré un épilogue spectaculaire, cette saison 1983 restera flanquée du sceau de la tricherie. En effet depuis Hockenheim la FISA sait que Brabham-BMW utilise de l'essence au taux d'octane surpassant le seuil toléré. Elle n'a rien fait pour sanctionner cette transgression. Le scandale éclate en décembre 1983 lorsqu'est rendue publique une lettre adressée par Bernie Ecclestone à Renault et Ferrari. Le directeur de Brabham y reconnaît que « l'octane de notre carburant dépassait la tolérance légale de 0,29 avec 102,90 alors que le seuil de 102,51 n'aurait pas dû être franchi. » Il présente ses excuses à ses rivaux et affirme avec aplomb que cette erreur « de bonne foi n'était pas en mesure d'influer sur le fonctionnement du moteur de façon considérable. » Ecclestone ment très certainement mais est assuré de l'appui de Jean-Marie Balestre. La FISA explique ainsi qu'elle a fermé les yeux lors des tests effectués à l'occasion du GP d'Italie car l'Institut français du pétrole aurait déclaré que le taux d'octane découvert dans le réservoir de Nelson Piquet était conforme à la fourchette de tolérance admise par une convention internationale. Trois mois plus tard, il est trop tard pour réagir... Ainsi, la tricherie demeure impunie.
Renault aurait pourtant pu porter l'affaire devant la justice, la lettre d'Ecclestone constituant un aveu manifeste. François Guiter pousse en ce sens. BMW se récrie en jurant avoir commis une simple erreur. Paul Rosche affirme être prêt à fournir à la Régie toute les données imaginables pour témoigner de son honnêteté. Mais finalement, en janvier 1984, Renault décide de ne pas engager de poursuites. La raison de ce repli demeure mystérieuse, mais il est probable que Bernard Hanon n'a pas souhaité voir sa marque impliquée dans un scandale sportif ou remporter le championnat sur tapis vert. Le sport ne sort en tout cas pas grandi de ce lamentable épisode.
Tony