Mario Andretti, le héros des deux Mondes.
Le Grand Prix d'Italie à Monza pourrait constituer le dénouement du championnat du monde 1978. Avec 13 points d'avance sur son équipier Ronnie Peterson, Mario Andretti est très bien placé pour remporter son premier titre mondial. Pour être assuré du sacre en quittant l'Italie, il doit cependant inscrire cinq points de plus que Peterson, ce qui ne sera pas possible si les Lotus effectuent leur parade habituelle aux deux premiers rangs. La coupe des constructeurs est en revanche déjà attribuée à Lotus depuis le Grand Prix des Pays-Bas.
Pour Mario Andretti, triompher dans son pays natal serait évidemment une joie immense. En 1954, il avait assisté avec son frère Aldo à la course de Monza et au duel opposant Juan Manuel Fangio à Alberto Ascari. Enthousiasmés, les jeunes adolescents avaient décidé de devenir pilotes. Un an plus tard ils émigraient aux États-Unis. Si Aldo n'a pu persévérer à cause d'un grave accident, Mario a accumulé les succès outre-Atlantique. Et il entend bien orner sa déjà longue carrière par un titre de champion du monde de Formule 1. Une consécration méritée, quoiqu'en dise les mauvaises langues. Certes si Peterson avait eu la bride sur le cou, il n'aurait pas eu la partie si facile. Mais si Andretti est moins spectaculaire que son équipier, il n'en demeure pas moins un coureur très solide, commettant fort peu d'erreurs, et surtout comprenant parfaitement le comportement d'une voiture. Chapman affirme qu'il est le meilleur pilote qu'il ait eu depuis Jim Clark.
Présentation de l'épreuve
Le départ de Ronnie Peterson chez McLaren, encore non officialisé mais qui est un secret de polichinelle, a lancé le grand jeu des transferts. Carlos Reutemann a signé son contrat avec Lotus pour 1979. Il a annoncé son départ à Enzo Ferrari qui est assez déçu car il aurait aimé l'associer à Jody Scheckter. Mais ceci sauve le baquet de Gilles Villeneuve qui n'a pourtant inscrit que huit points cette saison, mais dont la pointe de vitesse et la maestria sont impressionnantes. Se retrouvant sans volant avec l'arrivée de Peterson chez McLaren, James Hunt a pris contact avec Walter Wolf pour remplacer Jody Scheckter.
Guy Ligier a obtenu de la Seita une considérable augmentation du budget Gitanes octroyé pour 1979. Celui-ci passe de cinq à neuf millions francs. Cela permet à Ligier d'engager enfin une deuxième voiture. Elle sera confiée à Patrick Depailler. Le pilote auvergnat a été très enthousiasmé par la future JS 11 qu'il a vue lors d'une visite dans les ateliers d'Abrest, près de Vichy. Depailler quitte donc Tyrrell après cinq années de collaboration. Ken Tyrrell n'est pas au bout de ses peines puisque François Guiter lui annonce à Monza que le soutien financier d'Elf à son équipe va être réduit à presque rien.
Renault Sport compte comme Ligier engager un second pilote français l'année suivante. Deux candidats sont en présence : Didier Pironi, qui a réalisé une bonne première saison en F1 avec Tyrrell et surtout a remporté les 24 heures du Mans pour la marque au Losange, et René Arnoux dont les débuts ont également enthousiasmé.
Après le Grand Prix des Pays-Bas, les finances de l'équipe de Tico Martini sont vides. Le petit constructeur nivernais a donc prononcé la liquidation de son équipe de Formule 1. L'aventure a tourné court mais elle aura au moins permis de faire découvrir René Arnoux au grand public.
John Surtees a renvoyé Rupert Keegan, remplacé par l'Italien Carlo Franchi, modeste pilote de Formule 3 et de voitures de sport courant sous le pseudonyme de « Gimax »... et doté d'un bon sponsor, évidemment.
C'est la course nationale de « Tutur » Merzario et le petit Italien décide d'engager son mulet. Il le confie à Alberto Colombo qui a déjà échoué deux fois à qualifier l'ATS à Zolder et à Jarama.
Jochen Mass s'est blessé au genou lors d'essais préliminaires sur cette piste et ne peut pas se présenter au départ. Le vendredi soir Günther Schmidt propose son volant à Harald Ertl qui a été éliminé en pré-qualifications au volant de son Ensign. Mais le barbu autrichien sera de nouveau vaincu par le chronomètre...
Les qualifications
Andretti signe sans surprise sa septième pole position de la saison, sous les applaudissements des Italiens qui le considèrent à juste titre comme un des leurs. Ils sont d'autant plus ravis que Villeneuve hisse sa Ferrari en première ligne. Les longues lignes droites de Monza révèlent la puissance du moteur turbocompressé puisque Jabouille qualifie sa Renault au troisième rang. Lauda complète la deuxième ligne. Peterson a été accablé par ses freins et ne se place qu'au cinquième rang. Jones est un excellent sixième avec la Williams. Suivent Watson, Laffite, Scheckter et Hunt. Reutemann aurait-il déjà la tête ailleurs ? Il ne se qualifie qu'en onzième position. Selon les mauvaises langues, depuis l'annonce de son départ, les mécaniciens de Ferrari sont moins soigneux pour sa machine... Derrière lui se trouvent Patrese, Fittipaldi et Pironi. Regazzoni et Depailler sont en huitième ligne.
Merzario, Brambilla et Piquet sont les derniers qualifiés. Ertl, Rebaque, Bleekemolen et Gimax ne sont pas qualifiés. Rosberg, Stommelen et Colombo ont été sortis en pré-qualifications.
Le Grand Prix
Le drame
Lors du warm-up, Peterson est victime d'un accident à la seconde chicane, de nouveau à cause d'une défaillance de ses freins. Sa 79 est détruite. Son agent Staffan Svenby demande à Colin Chapman si son client peut utiliser le mulet dévolu à Mario Andretti. Chapman refuse et aurait déclaré que si Ronnie veut une 79 de rechange, il n'a qu'à signer un nouveau contrat avec Lotus... Il n'a en effet guère digéré le départ du Suédois chez McLaren. Bien que légèrement blessé aux pieds, Peterson décide de prendre le départ et Chapman lui confie une vieille 78.
Grille de départ : Après un tour de chauffe, les voitures arrivent dans la grande ligne droite pour se placer sur la grille. Or le starter Giovanni Restelli donne le coup d'envoi alors que seuls Andretti et Villeneuve, en première ligne, sont arrêtés à leur emplacement.
Départ : La confusion est totale car les voitures de queue qui ne se sont pas arrêtées sont plus rapides que celles de devant. Villeneuve prend le commandement devant Andretti, Lauda et Jabouille. Peterson est mal parti et se retrouve « enfermé » dans le peloton qui arrive en rangs serrés au « goulot d'étranglement » qui précède la chicane. Plusieurs voitures mordent sur la portion menant à l'ancien ovale. C'est le cas de Patrese qui ramène finalement son Arrows sur la piste. Il se retrouve entre les voitures de Scheckter et de Hunt. Surpris par l'Italien à sa droite, Hunt se rabat vers la gauche et heurte Peterson. La Lotus se soulève, percute le rail de gauche puis rebondit vers le rail de droite où elle se pulvérise par l'avant. Elle revient en flammes en plein milieu de la piste. C'est alors l'engrenage. Harponné par Hunt, Reutemann part dans une impressionnante embardée dans l'herbe. Depailler, Pironi, Daly, Lunger et Regazzoni entrent en contact. Brambilla heurte de plein fouet la Lotus, broyée à l'avant et transformée en boule de feu. Une épaisse fumée noire envahit la piste. Stuck en émerge, s'arrête et bondit de son bolide pour se réfugier derrière le rail.
Peterson est prisonnier dans sa Lotus en flammes. Hunt se précipite à son secours, bientôt secondé par Regazzoni. Un seul commissaire est là avec une lance à incendie pour lutter contre le feu. Hunt tente de dégager Ronnie du brasier, mais son pied est coincé dans son volant. Regazzoni parvient à casser celui-ci et le Suédois est enfin tiré des flammes. Il est allongé au sol, conscient, entouré de ses deux sauveurs ainsi que de Depailler et Merzario qui les ont rejoints. Au même instant les commissaires s'aperçoivent qu'à quelques mètres de là, sur le bas-côté, Brambilla gît dans sa Surtees, inconscient. Il a probablement reçu une roue sur la tête.
La course est arrêtée sur le champ. La police italienne a tôt fait de quadriller les lieux et refoule journalistes, photographes et badauds. Plusieurs commissaires parviennent à maîtriser l'incendie. Peterson et Brambilla ont été extraits de leurs voitures mais aucun médecin n'est présent ! Le docteur Sid Watkins, médecin officiel agréé par la FOCA, est en effet retenu par un barrage de carabineri... La débandade est totale. Le directeur sportif de Surtees Peter Briggs tente d'obtenir des informations concernant l'état de Brambilla : il est assommé par un policier...
Au bout de cinq longues minutes, une ambulance arrive enfin pour évacuer Brambilla dont l'état semble grave. Peterson est toujours à même la piste, entouré par Hunt, Depailler et Pironi. Il est très sérieusement touché : Hunt lui conseille de ne pas regarder ses jambes... Puis finalement, un brancard est amené pour l'évacuer. Il est ainsi transporté sans grande précaution vers une autre ambulance. Pendant ce temps-là, Bernie Ecclestone croit opportun de visiter les lieux du drame. Il croise Clay Regazzoni qui le prend violemment à partie, lui demandant où se trouve le fameux médecin qu'il paie pour soigner les pilotes. Le petit Ecclestone veut lui répliquer et il faut les séparer pour éviter qu'ils en viennent aux mains... De son côté James Hunt court vers les stands mais est arrêté par un policier qui... lui demande un autographe. Après l'avoir rabroué, il trouve enfin le professeur Watkins et le prévient de l'état de la situation.
Rarement un Grand Prix n'aura donné lieu à une telle pagaille. Dix voitures détruites sont à évacuer. Pire, le réservoir de la Lotus a crevé et des dizaines de litres d'essence s'écoulent sur l'asphalte. Il va falloir beaucoup de temps pour dégager la piste. Un cordon de sécurité encercle les lieux du drame où pompiers et commissaires s'affairent. Pendant ce temps, Brambilla et Peterson arrivent au centre médical de l'autodrome envahi par les journalistes. Ce n'est qu'après de longues minutes de tumulte que six médecins, dont le professeur Watkins, vont pouvoir se pencher sur le cas des deux blessés. Pour ne rien arranger s'y ajoute Hans Joachim Stuck, légèrement commotionné après avoir lui aussi été heurté par une roue folle.
Un Grand Prix raccourci
L'évacuation de la piste va s'éterniser pendant plus d'une heure. La direction de course prévoit de lancer un Grand Prix de quarante tours. Les pilotes ne sont pas très enthousiastes, en particulier ceux qui ont vécu le drame aux premières loges. Mais les tifosi étant présents en masse, il est inconcevable d'annuler le Grand Prix sans créer une émeute. Les coureurs doivent donc se préparer à repartir. Outre Brambilla, Peterson et Stuck qui sont au centre médical, Lunger et Pironi ne pourront pas repartir faute de mulets.
Au bout d'une heure et quart, les pilotes reprennent la piste pour se placer sur la grille. Et voici de nouveau un grave contretemps : inexplicablement, Scheckter perd le contrôle de sa Wolf dans le second Lesmo et la fracasse contre le rail avant de rebondir sur la piste. Pas de bobo pour le Sud-Africain mais la barrière ARMCO a souffert du choc et est complètement tordue. Un nouvel accident à cet endroit et ce serait le drame assuré. Une fois mis au courant, les pilotes se concertent et refusent de prendre le départ tant que la barrière n'aura pas été réparée. Les autorités sont bien forcées de s'exécuter tandis que les spectateurs s'impatientent. Les sifflets et les huées fusent de toutes parts lorsqu'à nouveau les coureurs sortent de leurs bolides. Il faut attendre plus d'une demi-heure pour que des ouvriers arrivent à Lesmo pour remettre le rail d'aplomb.
Finalement c'est à 18h15, soit plus de deux heures après le carambolage que le deuxième départ va être donné. Hunt, Depailler, Regazzoni, Reutemann, Daly et Scheckter sont montés dans leurs voitures de réserve.
Départ : Encore une fois le starter donne le signal tandis que les derniers bolides ne sont pas arrêtés. Par réflexe, ne voulant pas se faire surprendre comme lors du premier envol, Villeneuve et Andretti partent deux secondes trop tôt. Le Québécois arrive nettement en tête à la chicane devant l'Américain. Plus loin suivent Jabouille, Lauda et Reutemann. Fittipaldi a grillé son embrayage et se retrouve dernier.
1er tour : Villeneuve mène devant Andretti, Jabouille, Lauda, Reutemann, Jones, Patrese, Daly, Laffite et Watson. A la sortie de la Parabolica Andretti déborde Villeneuve par l'extérieur.
2e : Villeneuve et Andretti passent devant les stands côte à côte mais le pilote Ferrari est le mieux placé pour aborder la chicane et reste premier. Scheckter prend la dixième place à Watson.
3e : Andretti et Jabouille sont dans le sillage de Villeneuve. Scheckter se fait doubler par Watson et par Tambay.
4e : Villeneuve, Andretti, Jabouille, Lauda, Reutemann et Jones forment le groupe de tête. Daly emmène un peloton de distancés. Watson passe Laffite. Regazzoni entre aux stands pour faire réparer une tubulure de freins.
5e : Villeneuve mène devant Andretti (0.5s.), Jabouille (2.3s.), Lauda (4s.), Reutemann (5s.) et Jones (6.5s.). Watson, Laffite et Tambay se débarrassent de Daly.
6e : Jabouille est au ralenti à cause d'un problème de soupape sur son moteur turbo. Il regagne son stand et abandonne. En fin de tour Villeneuve et Andretti ont cinq secondes et demie d'avance sur Lauda.
8e : Villeneuve et Andretti sont proches l'un de l'autre et s'échappent maintenant très nettement. Lauda et Reutemann ont six secondes de retard, Jones huit secondes. Une seconde plus loin viennent Patrese et Watson en bagarre pour la septième place.
9e : Villeneuve est désormais le plus rapide et a pris une seconde d'avance sur Andretti. Watson double Patrese puis quelques instants plus tard il déborde Jones à la Parabolica.
10e : Villeneuve mène devant Andretti (1.), Lauda (8.1s.), Reutemann (10s.), Watson (19s.), Jones (20s.), Patrese (21s.), Laffite (22s.), Tambay (24s.), Daly (27s.), Piquet (30s.), Scheckter (32s.), Hunt (36s.) et Giacomelli (37s.). Suivent Depailler, Fittipaldi, Merzario et Regazzoni.
12e : Pas de changement au commandement : Villeneuve garde Andretti à une seconde. Mais les deux hommes se livrent une rude bagarre et battent le meilleur chrono presque à chaque boucle. Lauda a maintenant douze secondes de retard.
14e : Watson se détache du groupe Jones - Patrese - Laffite et commence à remonter sur Lauda et Reutemann. Merzario s'arrête en panne de moteur peu avant la Variante Ascari.
15e : Villeneuve a maintenant 2.8s. d'avance sur Andretti qui ménage sa Lotus. Suivent Lauda (13.1s.), Reutemann (14s.), Watson (22s.), Jones (26.1s.), Patrese (27s.) et Laffite (28s.).
16e : La foule applaudit au passage de Villeneuve qui semble en train de semer Andretti. Plus loin, la lutte fait rage entre Jones, Patrese et Laffite.
17e : Andretti concède désormais quatre secondes et demie à Villeneuve.
18e : Coup de théâtre : la direction de course inflige une minute de pénalité à Villeneuve et à Andretti pour avoir anticipé le départ. Cette pénalité sera comptabilisée sur leurs temps finaux. Lauda est donc le leader virtuel de la course devant Reutemann. Jones se fait doubler par Patrese et par Laffite. Sans s'en douter il subit une crevaison lente.
19e : Watson rattrape Reutemann qui rencontre des soucis avec ses pneus et ses freins. Hunt arrive à son stand et abandonne à cause d'une panne de distributeur.
20e : Sur la piste Villeneuve est toujours premier avec trois secondes d'avance sur Andretti. Au classement officiel ils n'occupent que les quinzième et seizième rangs.
21e : Lauda mène officiellement devant Reutemann (1.1s.), Watson (4.2s.), Patrese (16.3s.), Laffite (18s.), Jones (19s.), Tambay (20s.), Daly (30.8s.), Piquet (35s.), Fittipaldi (37s.), Giacomelli (41s.) et Depailler (42s.).
23e : Six secondes séparent Villeneuve et Andretti qui remontent peu à peu dans le classement officiel. De son côté Lauda a maintenant trois secondes de marge sur Reutemann, menacé par Watson. La voiture de l'Argentin survire beaucoup.
25e : Premier et deuxième sur la piste, Villeneuve et Andretti sont 11ème et 12ème au vrai classement. Lauda s'échappe devant Reutemann et Watson.
27e : Tambay double Jones et Fittipaldi double Daly.
28e : Lauda est premier devant Reutemann (2.9s.), Watson (3.2s.), Patrese (16s.) et Laffite (20s.).
30e : L'écart entre Villeneuve et Andretti se réduit car le Québécois rencontre du sous-virage. Le moteur de Patrese explose et l'Italien doit s'arrêter dans l'herbe avant la deuxième chicane. Laffite récupère la quatrième place. Il précède Tambay et Jones.
31e : Watson déborde Reutemann par l'intérieur à la première chicane. Les deux Brabham-Alfa Romeo mènent l'épreuve. Jones s'arrête au stand Williams pour changer son pneu dégonflé. Fittipaldi entre dans les points... et ce bien qu'il roule sans embrayage depuis le départ !
32e : Lauda mène devant Watson (4s.), Reutemann (5s.), Laffite (25s.), Tambay (28s.) et Fittipaldi (42s.). Viennent ensuite Piquet, Daly et Giacomelli.
33e : Trois secondes séparent Villeneuve et Andretti qui peuvent encore espérer inscrire des points. Ils sont septième et huitième. Le Québécois a douze secondes d'avance en piste sur Lauda. Andretti réalise le meilleur tour de l'épreuve : 1'38''23''', qui est aussi le nouveau record du tracé.
34e : Andretti est revenu à une seconde et demie de Villeneuve. Watson a semé Reutemann.
35e : Andretti attaque Villeneuve à la Parabolica et le double. Le voici premier en piste, septième au classement officiel. Giacomelli touche un rail puis regagne son stand à vitesse réduite.
37e : En continuant sur leur lancée, Andretti et Villeneuve ont « doublé » Fittipaldi au classement général. Andretti inscrira donc le dernier point. Giacomelli reprend la piste mais finit la course avec des freins défectueux.
38e : Lauda se dirige tranquillement vers la victoire avec une seconde et demie d'avance sur son équipier. Reutemann a considérablement décroché et concède désormais une quinzaine de secondes à Watson.
40ème et dernier tour : Mario Andretti franchit le premier la ligne d'arrivée, suivi par Villeneuve, mais tous deux ont reçu une pénalité d'une minute. C'est donc Niki Lauda, troisième en piste, qui remporte le Grand Prix d'Italie devant son coéquipier Watson. C'est le premier doublé de Brabham depuis 1974. Il y a toutefois confusion car c'est bel et bien Andretti qui a reçu le drapeau à damiers. Reutemann se classe troisième, Laffite quatrième. Tambay marque deux nouveaux points tandis qu'Andretti est donc classé sixième devant Villeneuve. Suivent Fittipaldi, Piquet, Daly, Depailler, Scheckter (qui s'est traîné avec un mulet mal réglé), Jones et Giacomelli.
Après la course
Lotus et Ferrari déposent une réclamation contre la pénalité d'une minute infligée à Andretti et à Villeneuve. Logiquement celle-ci est rejetée, mais qu'un pilote Ferrari soit sanctionné pour un départ anticipé en Italie est un petit évènement...
Lauda conserve donc le bénéfice de sa victoire et Andretti n'inscrit qu'un seul point qui ne lui suffit pas pour devenir officiellement champion du monde. Mais le grave accident de son équipier, qui pour tout le monde sera forfait pour les deux dernières manches en Amérique, lui permet de se considérer comme titré de facto.
Brambilla et Peterson à l'hôpital de Milan
Vittorio Brambilla et Ronnie Peterson ont été héliportés jusqu'à l'hôpital Niguarda de Milan pour y être pris en charge. Brambilla est toujours inconscient. Peterson de son côté souffre de quelques brûlures, mais surtout des jambes et du pied droit. Il est parfaitement conscient et s'exprime clairement. Sid Watkins et Rafael Grajales Roblès, le médecin personnel d'Emerson Fittipaldi, l'entourent jusqu'à son transport. Il leur déclare qu'il espère pouvoir être en piste à Watkins-Glen. De son côté Colin Chapman a prévenu Barbro, l'épouse de Ronnie qui se trouve à Monaco, mais celle-ci ne pourra pas se rendre en Italie avant le lendemain.
Arrivé à Milan, Brambilla est aussitôt placé dans un coma artificiel. Il souffre d'une sévère commotion cérébrale et ses jours sont en danger, même si son état est stable. Peterson est immédiatement radiographié : vingt-sept fractures sont décelées, dont huit à la jambe droite et quatre au pied droit qui est presque écrasé. Mais la principale préoccupation concerne la circulation sanguine dans les jambes. Le pilote suédois risque l'amputation. Pourtant, une opération immédiate ne s'impose pas avec évidence, et Ronnie pourrait être transporté en Suède ou en Suisse, pays disposant d'éminents chirurgiens dans ce domaine. Mais les médecins milanais décident d'opérer dans la soirée. Staffan Svenby, le manager du pilote, donne son accord. Ronnie Peterson s'assoupit paisiblement. Il est entouré de Colin Chapman, de Mario Andretti et de son ami Reine Wisell. L'intervention commence vers 21 heures et le professeur Sid Watkins y assiste. Elle dure deux heures et demie et se déroule sans accroc. Les signes vitaux sont corrects et le patient est transfusé. Il est ensuite transféré en soins intensifs où il retrouve Vittorio Brambilla.
A 23 heures les médecins tiennent une conférence de presse. S'ils refusent de se prononcer sur l'état de Brambilla, ils affirment que la vie de Peterson n'est pas en danger et même qu'il pourra remarcher « d'ici deux à trois mois ».
Décès de Ronnie Peterson
Hélas, d'après de nombreux spécialistes, les chirurgiens italiens ont opéré dans la précipitation. Une intervention si précoce crée des risques d'embolie. Celle-ci survient au cours de la nuit tandis que Ronnie, sous sédatifs, ne s'est pas réveillé. Une embolie graisseuse le terrasse. Ses poumons et ses reins sont atteints. Il est placé sous respiration artificielle. Les médecins luttent désormais pour maintenir son taux d'oxygène dans le sang. Mais ils découvrent assez vite des lésions cérébrales irréversibles. Son état est désespéré. Informé le premier de la gravité de la situation, Emerson Fittipaldi prévient Chapman et Andretti que leur ami agonise. A 9h11, le décès de Bengt Ronald Peterson est officiellement prononcé. Le monde qui s'était endormi rassuré quant à sa situation est frappé de stupeur.
La dépouille mortelle est placée dans la chapelle ardente de l'hôpital. Barbro Peterson arrive à l'instant à Milan. Svenby et Fittipaldi lui annoncent la terrible nouvelle. Elle n'a pas eu le temps de dire au revoir à son époux. Colin Chapman ordonne à son écurie de quitter sur le champ l'Italie. Il craint la saisie de ses monoplaces, voire l'inculpation pour homicide involontaire. Les fantômes du passé ressurgissent, huit ans après la mort de Jochen Rindt à Monza. Même si ses relations avec Ronnie Peterson étaient houleuses, Chapman avait une très grande estime pour lui. Sa mort le bouleverse. Malheureusement, elle va aussi révéler les côtés sombres du grand homme. Il est en effet persuadé que si Ronnie s'était mieux qualifié avec la 79, le drame ne serait pas arrivé. Contre toute raison, il va poursuivre de sa vindicte les pauvres mécaniciens du Suédois, coupables selon lui d'avoir mal préparé sa voiture, et certains seront même renvoyés.
Sans qu'on le remarque véritablement, la mort de Peterson fait de Mario Andretti le champion du monde de Formule 1 1978. Mais l'Italo-Américain est effondré par le décès de son équipier et ne peut se réjouir dans ces circonstances. Et pourtant quel succès pour ce pauvre immigré devenu un champion des deux côtés de l'Atlantique !
Comme on va le voir, la Formule 1 va chercher un responsable au drame de Monza. Au-delà des polémiques stériles, deux causes sont certaines. Tout d'abord le départ a été donné par le starter en dépit du bon sens tandis que seuls Andretti et Villeneuve, en première ligne, étaient arrêtés à leur emplacement. Les voitures parties depuis le milieu et le fond de la grille sont ainsi arrivées lancées vers le goulot d'étranglement, seconde cause indiscutable. A cet endroit du circuit se termine la portion menant à l'ancien ovale. La largeur de la piste se réduit de moitié, si bien que les pilotes ayant emprunté l'ancienne piste se déportent assez brutalement vers la gauche... ce qu'aurait fait Riccardo Patrese.
Mais au-delà du carambolage en lui-même, il semble bien que la responsabilité des médecins milanais soit directement engagée. Beaucoup de spécialistes estiment que l'opération qu'ils ont pratiquée était prématurée. Dans d'autres circonstances, confié à de meilleures mains, Ronnie Peterson aurait sûrement survécu.
Le mercredi 13 septembre 1978 Ronnie Peterson est inhumé dans sa ville natale d'Örebro. Ce pilote flamboyant, peut-être le plus doué de son époque, suscitait un respect unanime bien qu'il n'ait jamais réussi à obtenir le titre mondial. Cinq mille personnes assistent aux obsèques. A la sortie de l'église ses collègues et amis Niki Lauda, Jody Scheckter, Emerson Fittipaldi et James Hunt portent son cercueil, suivis de près par Gunnar Nilsson, très affaibli par son cancer qui atteint sa phase terminale. Sont aussi venus lui rendre un dernier hommage Colin Chapman, Bernie Ecclestone, Ken Tyrrell, Alan Rees, Frank Williams, Teddy Mayer, Jochen Neeparsch, Walter Wolf, Reine Wisell et John Watson.
Après quelques jours d'angoisse, Vittorio Brambilla va quant à lui finir par se réveiller. Il parvient à reconnaître ses proches et les médecins sont rassurés : il ne conservera aucune séquelle de son traumatisme crânien. Au moins la tragédie n'est pas complète...
Tony