Il y a moins d'engagés que les années précédentes au Grand Prix de Grande-Bretagne à Brands-Hatch. Le Royal Automobile a en effet limité les entrées. Keke Rosberg qui devait faire son retour au volant d'une Wolf pour le compte de Theodore n'est pas autorisé à prendre le départ, de même que René Arnoux et sa Martini. Tico Martini obtient pourtant le soutien de Jean-Marie Balestre, président de la FFSA, mais ce dernier ne parvient pas à fléchir les officiels. Finalement Rosberg s'engage de nouveau au volant de la seconde ATS, ce baquet ayant été refusé par... Arnoux.
Theodore et Martini pensent que ce camouflet est destiné à favoriser deux nouveaux entrants britanniques. Ensign engage en effet une deuxième voiture confiée au jeune espoir anglais Geoff Lees tandis que Tony Trimmer se présente pour sa part sur une McLaren M23 du Melchester Racing. Enfin Bruno Giacomelli est toujours au volant d'une troisième McLaren officielle.
Goodyear apporte officiellement pour cette course des pneus à carcasse radiale, suivant ainsi tardivement l'exemple de Michelin. Patrick Tambay et Didier Pironi les testent durant le week-end, et seul le pilote McLaren les utilisera durant la course. De son côté Michelin apporte de nouveaux pneus aux enveloppes plus larges réservés à la Ferrari de Carlos Reutemann.
Tambay pilote au cours des essais libres aussi une nouvelle McLaren M27, une « voiture aile » destinée à créer de l'effet de sol. Elle est si peu performante que Teddy Mayer décide finalement de la ranger au placard.
Chez Copersucar, Emerson Fittipaldi bénéficie d'une F5A améliorée, plus légère. Ses performances s'en ressentent presque immédiatement et la voiture brésilienne réalise de bons chronos, il est vrai favorisés par le traitement préférentiel dont elle bénéficie de la part de Goodyear.
Depuis le début de la saison Cosworth met à la disposition de quatre équipes seulement (Lotus, McLaren, Tyrrell et Wolf) ses moteurs les plus performants et les plus robustes. A compter de Brands-Hatch Williams bénéficie aussi de cette faveur, preuve de sa montée en puissance. Si Alan Jones n'a inscrit de cinq points lors de la première partie de saison, il a aussi beaucoup joué de malchance et sa FW04 s'avère être une des bonnes machines du plateau. Ce traitement de faveur ne fait évidemment pas que des heureux, d'autant plus que les petites équipes subissent aussi la discrimination de Goodyear qui fournit en priorité les meilleures équipes.
On aperçoit Gunnar Nilsson dans le stand Lotus. Éloigné du circuit pour soigner son cancer, le Suédois est méconnaissable. Il a perdu tous ses cheveux à cause de la chimiothérapie. Néanmoins il affirme que sa maladie est en voie de rémission.
Les qualifications
Les essais qualificatifs voient une nette domination des Lotus. Toutefois, il y a une petite surprise puisque Peterson chipe la pole position à son leader Andretti pour deux dixièmes de seconde. A vrai dire le Suédois a largement dominé son équipier, en proie à quelques problèmes avec sa boîte de vitesses. Derrière les 79 brillent les outsiders: Scheckter obtient la troisième place devant Lauda. En troisième ligne on retrouve l'Arrows de Patrese et la Williams de Jones qui monte décidément en puissance. Laffite est septième et devance Reutemann. Watson et Depailler sont en cinquième ligne. Il faut attendre la septième ligne pour voir apparaître Villeneuve et Hunt, le chouchou du public anglais. Les performances des McLaren sont proprement désastreuses mais Giacomelli, seizième, parvient à faire mieux que Tambay, seulement vingtième. Daly parvient pour la première fois à se qualifier au volant de l'Ensign, qui plus est à une assez belle quinzième place.
Stommelen n'est pas qualifié tandis que son équipier Patrese joue les premiers rôles... Lees, Keegan et Trimmer sont les autres éliminés du samedi après-midi.
On l'a vu commentateur, journaliste, publicitaire, chaperon de souverains en visite, le voici pilote d'essais. Jackie Stewart conduit une Tyrrell 008, toujours pour les besoins de la télévision. Il a aussi testé les principales voitures de la saison 1978 : la Lotus, la McLaren, la Renault etc. Stewart est si omniprésent que certains se demandant s'il ne va pas bientôt revenir pour de bon en Formule 1...
Le Grand Prix
Le départ de la course de Formule 3 disputée en marge du Grand Prix a donné lieu à un incroyable carambolage impliquant treize voitures. L'épreuve a été remportée par le Brésilien Chico Serra devant l'Anglais Derek Warwick et l'Italien Andrea de Cesaris.
C'est devant une foule record de 80 000 spectateurs que se déroule ce Grand Prix de Grande-Bretagne.
Ronnie Peterson est vraiment un lieutenant très serviable puisqu'il a laissé Mario Andretti choisir son emplacement sur la première ligne. En toute logique l'Italo-Américain s'installe à la corde afin de négocier le virage de Paddock Hill en tête. Certains, dont évidemment Colin Chapman, louent la docilité du Suédois, d'autres se demandent comment un pilote de son talent peut supporter d'être astreint au rôle de porteur d'eau.
Départ: Peterson et Andretti franchissent les premiers mètres roues dans roues. Mais comme prévu Andretti s'impose à Paddock Hill tandis que Peterson le protège de Scheckter qui s'est bien infiltré à l'extérieur. Jones est quatrième.
1er tour: Scheckter attaque Peterson à Druids, sans succès. Sortie de piste et tête-à-queue de Stuck dans le virage Surtees. Il parvient à repartir en queue de peloton. Brambilla part en tête-à-queue en ligne droite quelques mètres plus loin mais il évite tout contact. Il se retrouve dernier derrière Stuck.
Andretti mène devant Peterson, Scheckter, Jones, Lauda, Patrese, Reutemann, Depailler, Watson, Hunt et Laffite.
2e: Les Lotus s'échappent. Laffite se fait passer par Fittipaldi et Daly.
4e: Andretti et Peterson s'envolent en tête au rythme d'une seconde par tour tandis que Scheckter retient Jones. Lauda et Patrese observent la situation derrière l'Australien.
5e: Andretti mène devant Peterson (0.5s.), Scheckter (5s.), Jones (5.5s.), Lauda (6.5s.), Patrese (8s.), Reutemann (9s.), Depailler (10s.), Watson (11s.) et Hunt (13s.).
6e : Jones est particulièrement menaçant derrière Scheckter. Lauda se rapproche de ces deux pilotes.
7e: Peterson est au ralenti. A cause d'une fuite d'essence, son moteur ne fonctionne plus et le Suédois doit s'arrêter au niveau du virage Surtees. Watson dépasse Depailler.
8e: Hunt part en tête-à-queue à Surtees et heurte une barrière. Le pilote anglais ne peut pas repartir et abandonne, au grand désespoir de ses fans. Jabouille est au stand Renault pour changer de pneus.
10e: Andretti mène avec onze secondes d'avance sur Scheckter et Jones. Le peloton, assez compact, est aussi constitué de Lauda, Patrese, Reutemann, Watson et Depailler. Fittipaldi et Daly sont respectivement neuvième et dixième.
11e: Tandis qu'il évoluait en quinzième position, Villeneuve s'arrête pour changer ses pneus. Il repartira dernier.
12e : Merzario passe par les stands pour réparer sa pompe à essence.
14e: L'avance d'Andretti sur le peloton n'augmente plus. Jones continue à attaquer Scheckter pour la deuxième place. Lauda, Patrese, Reutemann, Watson et Depailler suivent à quelques dixièmes de seconde. Fittipaldi a quatre secondes de retard sur ce groupe.
16e: Après avoir cassé sa boîte de vitesses, Rebaque revient à son stand pour abandonner.
19e: Laffite s'arrête à son stand pour changer de pneus et repart en dix-neuvième position.
20e: L'écart entre Andretti et le « groupe Scheckter » est tombé à sept secondes. Villeneuve casse un arbre de roue et s'arrête le long de l'allée des stands.
21e: Scheckter, Jones, Lauda, Patrese et Reutemann sont roues dans roues, suivis de près par Watson et Depailler. Fittipaldi a ceux-ci en point de mire.
22e: Andretti continue à perdre du terrain.
24e: Andretti entre aux stands. Ses mécaniciens changent sa roue arrière droite, peut-être victime d'une crevaison. L'opération a été très rapide puisqu'elle n'a duré que treize secondes. L'Américain reprend la piste en onzième position derrière Daly et Pironi. Scheckter est le nouveau leader.
25e: Scheckter mène la course avec une demi-seconde d'avance sur Jones. Mais le Sud-Africain a des ennuis avec sa boite de vitesses et il semblerait qu'il ne puisse pas résister très longtemps au pilote Williams. Cela va mieux en revanche pour Andretti qui a déjà doublé Pironi. Regazzoni s'arrête chez Shadow pour changer un pneu.
26e: Jones se montre dans les rétroviseurs de Scheckter. Lauda, Patrese et Reutemann suivent les deux leaders de près. Laffite passe pour la seconde fois par les stands, de nouveau pour chausser un nouveau train de pneus.
27e: Jones ralentit soudainement et s'arrête sur le bas-côté avant Hawthorn. Un arbre de transmission a lâché sur sa Williams qui pouvait légitimement prétendre à une première victoire.
28e: Scheckter est toujours en tête mais il a du mal à sélectionner ses vitesses. Il est menacé par Lauda, lui-même subissant la pression de Patrese et de Reutemann. Watson et Depailler ont trois secondes de retard sur le leader.
29e: Revenu en huitième position, Andretti n'ira pas plus loin car il est trahi par son moteur. Pour la première fois de l'année aucune Lotus ne sera à l'arrivée.
30e: Scheckter mène devant Lauda (0.3s.), Patrese (0.8s.), Reutemann (1.2s.), Depailler (3.1s.), Watson (3.8s.) et Fittipaldi (6s.). Dans la courbe Hawthorn Lauda attaque Scheckter qui lui ferme la porte. Alors huitième, Daly voit une de ses roues se détacher à Paddock Hill. Son Ensign part en tête-à-queue et heurte une barrière. L'Irlandais a fait une belle impression pour sa première course car il pouvait espérer obtenir au moins un point.
32e: Lauda attaque Scheckter à Druids, sans succès. Victime d'un problème de pression d'huile, Fittipaldi est au ralenti. Il entre aux stands pour renoncer.
33e: Scheckter, Lauda, Patrese, Reutemann, Watson et Depailler forment toujours un groupe compact. Abandon de Merzario à cause d'un souci récurrent de pompe à essence.
34e: Lauda attaque Scheckter à Hawthorn, mais le Sud-Africain se rabat devant lui. Sous la pression d'un Patrese très pressant, Lauda tente de nouveau sa chance à Westfield, s'infiltre à l'intérieur et prend la tête. Patrese essaie d'en profiter pour doubler aussi la Wolf, mais Scheckter tient bon.
35e: Lauda creuse l'écart sur Scheckter qui est très menacé par Patrese. Reutemann, Watson et Depailler sont juste derrière l'Arrows.
36e: Scheckter ralentit soudainement après Druids: sa boîte de vitesses ne fonctionne plus. Il se fait passer par le peloton et regagne son garage. Depailler profite de la confusion pour doubler Watson.
37e: Lauda mène désormais devant Patrese (3s.) et Reutemann (4.2s.). Watson repasse devant Depailler à Paddock Hill. Pironi est sixième devant les étonnantes ATS de Rosberg et de Mass.
38e : Depailler s'arrête chez Tyrrell pour chausser un nouveau train de pneus. Il repart intercalé entre les deux ATS.
40e: Patrese est au ralenti à cause d'une crevaison à l'arrière gauche. Le pneu explose et les débris de gomme vibrent contre l'aileron arrière. Le jeune Italien rentre à son stand à très faible vitesse. Au même moment Pironi revient lui aussi aux stands pour abandonner : sa boîte de vitesses s'est détachée du châssis !
41e: Lauda mène avec cinq secondes d'avance sur Reutemann. Watson est troisième à dix secondes. Parti 22ème, Rosberg est un incroyable quatrième. Il devance Depailler, Mass, Tambay, Lunger, Stuck et Giacomelli. Patrese doit abandonner car son pneu déchapé a endommagé une jante ainsi que son aileron arrière.
42e: Lunger sort de la piste à Druids et cède ainsi deux places à Stuck et à Giacomelli.
43e: L'écart entre Lauda et Reutemann se réduit car les pneus Michelin de la Ferrari sont en meilleur état que les Goodyear de la Brabham.
44e : Stuck prend la septième place à Tambay.
45e : Lauda mène devant Reutemann (3s.) et Watson (10s.). Rosberg est quatrième à une minute.
47e: Le moteur Renault de Jabouille prend feu, contraignant le pilote français à regagner les stands. A peine est-il sorti de sa voiture que le turbo explose, mais heureusement l'extincteur embarqué se met aussitôt en marche et l'incendie est maîtrisé..
49e: Reutemann n'a plus que deux secondes et demie de retard sur Lauda. Depailler prend la quatrième place à Rosberg.
50e: Mass entre aux stands à cause de soucis de suspension à l'arrière. Il ne repartira qu'en neuvième position, derrière Giacomelli. Stuck entre dans la zone des points.
51e: Abandon de Regazzoni suite à une panne de sa boite de vitesses.
53e: Reutemann est de plus en plus rapide et n'est plus qu'à une seconde et huit dixièmes de Lauda. Mass est de nouveau arrêté dans les stands. Il sort de sa voiture.
56e: Lauda mène devant Reutemann (1.2s.), Watson (15s.), Depailler (1m. 05s.), Rosberg (1m. 10s.) et Stuck (1.12s.). Suivent Tambay, Giacomelli, Lunger et Brambilla.
58e : Il n'y a plus qu'une seconde entre Lauda et Reutemann.
60e: Lauda et Reutemann arrivent sur les McLaren de Giacomelli et Tambay. Quelques mètres devant celles-ci, Rosberg et Stuck luttent pour la cinquième place. Mass est reparti en dernière position.
61e: Les leaders doublent Rosberg, au ralenti à cause d'un bris de suspension à l'arrière. Reutemann est sur les talons de Lauda. Celui-ci tente de prendre un tour à Giacomelli à Clark Curve et se déporte à l'extérieur. Mais le jeune Italien ne le voit pas et le tasse. Lauda donne un coup de volant pour l'éviter et zigzague. Voyant cela, Reutemann garde sa ligne, plonge à l'intérieur et lorsque Lauda se rabat à l'entame de la ligne droite, il est trop tard. Reutemann est passé.
62e: Reutemann et Lauda doublent Giacomelli. L'Autrichien tente de revenir sur la Ferrari. Rosberg met pied à terre. ATS pouvait placer ses deux voitures dans les points mais la fiabilité en a décidé autrement.
64e: Reutemann prend un tour à Tambay. Lauda ne semble pas avoir les moyens de le suivre.
65e : Reutemann double Stuck et bat le record du tour. Seuls quatre pilotes sont désormais dans le même tour. Deux secondes séparent Reutemann et Lauda. Watson a une trentaine de secondes de retard. Depailler est relégué à plus d'une minute.
67e : Lauda ne parvient pas à se débarrasser de Stuck. Il semble perdre ainsi ses derniers espoirs de l'emporter.
69e : Stuck laisse passer Lauda mais celui-ci a maintenant quatre secondes de retard sur Reutemann.
71e : Lauda n'a pas dit son dernier mot : il a repris une seconde et demie à Reutemann. La course n'est pas jouée.
72e: Lauda réalise le meilleur tour en course: 1'18''60'''. Il n'a plus que deux secondes de retard sur le leader.
74e : Lauda est à une seconde et demie de Reutemann.
75e: En fin de tour, Reutemann a une seconde et soixante-six centièmes d'avance sur Lauda qui est donc trop loin pour l'attaquer.
76ème et dernier tour: Carlos Reutemann remporte le Grand Prix de Grande-Bretagne, ce qui est sa huitième victoire en F1. Lauda termine deuxième et Watson troisième. C'est la première fois que Brabham parvient à placer ses deux voitures sur le podium depuis la saison 1974. Depailler termine quatrième. Ce sont ses premiers points depuis son succès monégasque. Avant-dernier à l'issue du premier tour, Stuck est un brillant cinquième et inscrit ainsi les premiers points de sa saison. Tambay obtient le dernier point. Giacomelli finit septième et devance Lunger, Brambilla, Laffite qui a vécu une course catastrophique, et Mass qui finit non classé.
A souligner que pour la première depuis deux ans et demi (Grand Prix d'Espagne 1976), aucune voiture équipée du V8 Ford-Cosworth ne figure parmi les trois premiers.
Après la course
Le podium n'est pas très joyeux puisque malgré leur superbe duel, Carlos Reutemann et Niki Lauda font comme si ils ne se connaissaient pas. C'est le duc de Kent qui remet les lauriers de la victoire à l'Argentin. Ce dernier devise avec Pierre Dupasquier, soulagé du regain de forme de Michelin. Les nouveaux pneus apportés en Angleterre ont fait merveille. Reutemann fait preuve d'une grande gentillesse en dédiant sa victoire à son épouse Mimicha alors malade.
Lauda est quant à lui furieux envers Bruno Giacomelli qui selon lui l'a privé de la victoire en le gênant au 61ème tour. Voilà qui n'améliore pas ses préventions envers les pilotes italiens... Quelques jours après, lors d'une opération promotionnelle organisée par Marlboro, il fait scandale en critiquant les pilotes transalpins qu'ils avaient autrefois définis comme étant « à peine capable de faire crisser les pneus de leur Fiat sur la place de l'église »...
Il n'y a pas de grand changement aux classements généraux. Troisièmes ex æquo, Reutemann et Lauda reviennent à quatorze points d'Andretti. Chez les constructeurs Ferrari prend la troisième place à Tyrrell.
Certes les deux Lotus ont abandonné, mais personne n'est dupe de cette péripétie. Les 79 sont si supérieures à la concurrence qu'il est illusoire d'espérer leur contester les couronnes mondiales.
Tony