La fin du duel Lauda-Hunt
Avant la dernière manche du championnat du monde au Japon, Niki Lauda totalise au classement général 68 points contre 65 à James Hunt. Malgré ses trois points d'avance, Lauda n'apparait pas véritablement comme le favori. Toujours diminué par ses blessures, il ne dispose pas en plus d'une Ferrari capable de jouer la victoire à la régulière. Toutefois sa science de la course doit lui permettre d'assurer au moins une place d'honneur et de saisir une opportunité au moindre souci rencontré par son rival.
Hunt est pour sa part en confiance, sachant que sa McLaren M23 est très compétitive. De plus, il a son destin entre ses mains: en cas de succès, il sera champion du monde même si Lauda termine deuxième. En effet, grâce à son plus grand nombre de victoires (six contre cinq), il gagnerait le titre s'il finissait ex æquo avec l'Autrichien. Dans tous les autres cas de figure, Hunt doit inscrire au minimum trois points de plus que Lauda, ce qui est déjà moins aisé. La victoire est donc son objectif prioritaire.
Au classement des constructeurs, si Ferrari est déjà sacrée, Tyrrell peut encore prendre la deuxième place à McLaren, mais pour cela doit inscrire sept points de plus que cette dernière. Enfin, Ligier, Lotus et Penske sont à égalité à la quatrième place, avec 20 points, et aimeraient donc se départager.
Présentation de l'épreuve
Le climat politique est très tendu avant cette course. Tout le monde sait que Patrick Duffeler, mandaté par la CSI, est en train de mettre en place une nouvelle structure chargée de présider à l'organisation des Grands Prix de la saison 1977, ce qui est une véritable déclaration de guerre envers l'association des constructeurs dirigée par Bernie Ecclestone. Tout le gratin du sport automobile mondial a fait le déplacement, dont le prince de Metternich et Pierre Ugeux, présidents respectifs de la FIA et de la CSI.
Pour la première fois de son histoire, la Formule 1 fait escale en Asie pour le Grand Prix du Japon. Le tracé se trouve au pied du Mont Fuji, à une centaine de kilomètres de Tokyo. Ouvert en 1965, il a été plusieurs fois modifié depuis lors. Il est très court mais intéressant, surtout composé de grandes courbes.
Plusieurs équipes n'ont pas fait le déplacement pour cette dernière épreuve. La fédération autrichienne a renoncé à engager Otto Stuppacher. L'équipe Norev et Henri Pescarolo sont demeurés en Europe. Privée de pilote depuis la blessure de Jacky Ickx à Watkins-Glen, l'écurie Ensign a déclaré forfait.
Cette course est surtout l'occasion pour les équipes et pilotes japonais de faire leur première apparition en Formule 1. Maki, qui a déjà tenté vainement de prendre plusieurs départs en 1974 et 1975, est présente avec une F102A pilotée par Tony Trimmer. Autre équipe japonaise, celle de Matsuhisa Kojima, structure phare du championnat japonais de Formule 2. La Kojima KE007 est une kit-car à moteur Ford-Cosworth et à pneus Dunlop, construite par Masao Ono, l'ancien concepteur de Maki. Le célèbre pilote local Masahiro Hasemi, qui connait par cœur le tracé du Mont Fuji, est à son volant. Heros Racing aligne une vieille Tyrrell 007 équipée de pneus Bridgestone pour Kazuyoshi Hoshino, champion 1975 de Formule 2 japonaise. Deux autres pilotes nippons sont engagés dans des équipes européennes. John Surtees a libéré le baquet de Brett Lunger pour faire place à Noritake Takahara, récent champion de Formule 2. Enfin Frank Williams donne sa deuxième FW05 à Masami Kuwashima, pilote plus modeste mais qui a déjà couru en Europe, et qui avait déjà été contacté par le RAM Racing grâce à ses généreux sponsors.
La saison des transferts bat son plein. Jody Scheckter a signé un contrat avec Wolf-Williams, ce qui surprend tout le monde car le Sud-Africain quitte ainsi Tyrrell pour une équipe de fond de grille. Certains se demandent s'il n'a pas été surtout attiré par le coquet salaire que lui a proposé le milliardaire Walter Wolf, en passe de racheter complétement l'équipe.
Les qualifications
Auteur de huit poles positions cette saison, Hunt est le grand favori des qualifications. Il est pourtant surpris par Andretti qui lui souffle le meilleur temps pour trois centièmes de seconde. C'est la deuxième pole de l'Américain, la première d'une JPS Lotus depuis celle de Peterson au GP d'Argentine 1974. Hunt se contente de la deuxième place. Lauda est troisième, ce qui est sa meilleure place sur la grille depuis son retour à la compétition. Il précède Watson, Scheckter et Pace. Regazzoni est septième devant les March de Brambilla et Peterson. Grand connaisseur du circuit, Hasemi hisse sa Kojima au dixième rang. Laffite et Mass se partagent la sixième ligne. Il faut attendre le treizième rang pour trouver trace de Depailler. Bien moins en verve que son coéquipier, Nilsson est seulement seizième.
Parmi les Japonais, Hoshino est vingt-et-unième et Takahara vingt-quatrième. Ayant perdu le soutien de ses commanditaires le vendredi soir, Kuwashima a dû abandonner sa Williams à l'Autrichien Hans Binder, qui passait par là. Celui-ci se qualifie au dernier rang, tandis que Trimmer échoue à qualifier la Maki.
Débats autour d'une météo catastrophique
Le dimanche 23 octobre 1976, une pluie diluvienne s'abat sur le Mont Fuji. La piste est complétement détrempée, une brume épaisse recouvre le circuit et le départ est évidemment reporté. Cependant l'averse ne faiblit pas, et le temps passe. Regroupés dans une petite caravane, les pilotes discutent de la situation. La plupart d'entre eux, emmenés par Emerson Fittipaldi et Niki Lauda, refusent de courir dans ces conditions. Seuls Clay Regazzoni et Vittorio Brambilla souhaitent prendre la piste, mais ceux-ci étant des casse-cous notoires, leur avis ne compte guère.
L'ambiance est plus animée du côté de la direction de course. Les organisateurs japonais craignent l'annulation de l'épreuve, ce qui serait une catastrophe car elle doit être retransmise à la télévision. Bernie Ecclestone est timoré car pris entre deux feux. D'un côté, en tant que promoteur de la course, il a tout intérêt à ce que celle-ci se déroule. Les recettes télévisuelles s'annoncent très importantes. Mais en tant que chef de la F1CA, il doit tenir compte de l'avis des écuries. Or celles-ci sont divisées sur la conduite à tenir. Seules March, Surtees et Shadow désirent prendre le départ. Ecclestone tergiverse. Il propose de laisser partir ceux qui le souhaitent et de placer le Grand Prix hors-championnat. Il prétend avoir l'aval de Ferrari et même (mais cela semble douteux) de McLaren. Face à lui, le prince de Metternich et Pierre Ugeux se montrent inflexibles: le Grand Prix doit avoir lieu. Les deux présidents ne songent pas seulement à sauver les intérêts économiques des Japonais. Ils ne veulent pas reculer une nouvelle fois devant les exigences d'Ecclestone à l'heure où va s'engager un terrible bras de fer concernant l'organisation de la saison 1977.
Après une heure et demie de palabres, on annonce donc aux pilotes qu'ils doivent se préparer à courir. La plupart d'entre eux montent à contrecœur dans leurs monoplaces.
Le Grand Prix
Les voitures se mettent peu à peu en place sur la grille, évidemment tous chaussées de pneus rainurés. Le tracé est noyé sous les eaux. Heureusement, l'averse cesse au moment même où va être donné le coup d'envoi. Au cours du tour de mise en grille, Laffite fait un tête-à-queue mais peut prendre le départ. Jarier utilise le mulet de Shadow et va se traîner à son volant durant toute l'épreuve.
Départ: Andretti prend un départ moyen et se fait doubler par Hunt. Watson se place à l'extérieur et essaie de doubler la McLaren, sans succès. Très prudent, Lauda s'est laissé enfermer au milieu du paquet. Miraculeusement, aucun accrochage n'est à déplorer.
1er tour: L'asphalte est une vraie patinoire et les voitures soulèvent d'immenses gerbes d'eau. Hunt, Watson, Andretti et Scheckter sont déjà loin devant leurs concurrents. Peterson attaque Regazzoni à l'épingle avant de ralentir. Des problèmes électriques le contraignent à stopper.
Hunt mène devant Watson, Andretti, Scheckter, Brambilla, Regazzoni, Depailler, l'incroyable Hoshino surgi de nulle part, Stuck et Lauda. Perkins regagne le stand Brabham et décide mettre pied à terre, refusant de courir dans ces conditions.
2e: Hunt a quatre secondes d'avance sur Watson. Il contrôle magistralement une glissade dans le premier virage. Watson commet une erreur, sort de la piste et laisse passer sept voitures. Hoshino double Depailler puis Regazzoni et pointe au cinquième rang.
Lauda regagne les stands à la fin de ce tour.
3e: Brambilla déborde Scheckter dans le premier virage, puis va dépasser Andretti. Mais le plus important survient au stand Ferrari: Lauda discute avec Mauro Forghieri, puis sort de sa voiture pour s'entretenir avec Daniele Audetto. L'Autrichien est à bout de nerfs: traumatisé par son accident du Nürburgring, il refuse de piloter sur une piste si glissante. Le jeu, estime-t-il, n'en vaut pas la chandelle. Il abandonne ainsi volontairement ses chances de défendre son titre mondial. Forghieri lui propose de prétexter une panne quelconque, mais Lauda décide de donner à la presse les vraies raisons de son abandon.
4e: Largement en tête de l'épreuve, Hunt n'a plus qu'à suivre sa route pour être champion du monde. Il a cinq secondes d'avance sur Brambilla qui s'échappe devant Andretti et Scheckter.
5e: Hunt a cinq secondes d'avance sur Brambilla et une dizaine de secondes d'avance sur Andretti et Scheckter, toujours en bagarre. Hoshino est cinquième devant Regazzoni, Depailler, Mass, Stuck et Watson.
6e: Brambilla entre aux stands pour faire changer son pneu avant gauche. Il ressort en huitième position, entre Mass et Watson. Stuck s'arrête également aux stands.
8e: Andretti commence à s'échapper devant Scheckter, rattrapé par Hoshino qui mène un début de course splendide. Brambilla prend la septième place à Mass. Jusqu'alors avant-dernier, Pace revient à son stand et renonce: comme Perkins et Lauda, il juge les conditions météorologiques trop dangereuses.
9e: Scheckter est désormais sous la menace de Hoshino. Brambilla et Mass attaquent Depailler et Regazzoni.
10e: Hunt a dix secondes d'avance sur Andretti. Hoshino double Scheckter et pointe à une incroyable troisième place ! Dans cette situation sa connaissance du tracé est évidemment un immense avantage. Brambilla double Depailler, puis Regazzoni. Mass dépasse également le pilote auvergnat. Laffite est au stand Ligier pour changer son pneu avant droit.
Au classement du championnat, Hunt compterait 74 points et Lauda 68.
11e: Brambilla est maintenant à la poursuite de Scheckter. Mass double Regazzoni. Fittipaldi regagne son garage. Il juge lui-aussi les conditions impraticables, et de toute façon sa Copersucar rencontrait des problèmes de pression d'huile.
12e: Brambilla prend la quatrième place à Scheckter.
13e: Watson prend la huitième place à Regazzoni qui est bientôt à la peine, attaqué par Pryce.
14e: Brambilla double Hoshino et est désormais troisième. Scheckter entre aux stands pour faire changer un pneu suite à une crevaison lente. Pryce double Regazzoni.
15e: Si la pluie semble avoir cessé, la piste est toujours affreusement détrempée et un brouillard la recouvre. Andretti subit la menace de Brambilla. Scheckter a repris la piste au dixième rang.
16e: Brambilla dépasse Andretti et retrouve ainsi la deuxième place qu'il avait perdu dix tours auparavant. Mass et Depailler reviennent sur Hoshino.
17e: Brambilla est plus rapide que Hunt et remonte vers la tête de course. Mass double Hoshino.
18e: Hunt mène devant Brambilla (8s.), Andretti (11s.) et Mass (15s.). A Hairpin, Depailler dépasse Hoshino par l'intérieur.
20e: Brambilla remonte comme un boulet de canon sur Hunt et n'est plus qu'à deux secondes derrière lui. Merzario est au stand Williams à cause de soucis de boîte de vitesses. Hoshino regagne bientôt son stand pour changer son pneu avant gauche. Il repart en seizième position, derrière son compatriote Hasemi.
21e: Une seconde sépare désormais Hunt et Brambilla. Toujours excellent sur piste humide, le Gorille de Monza convoite une deuxième victoire en Formule 1. Mass prend la troisième place à Andretti.
22e: A Hairpin, Brambilla plonge à l'intérieur pour doubler Hunt. Mais il a un peu trop retardé son freinage et l'Anglais lui repasse devant. Essayant de se replacer dans son sillage, Brambilla part en aquaplanage et se retrouve en tête-à-queue. Il se relance en quelques secondes mais entretemps Mass l'a doublé. Depailler a pris la quatrième place à Andretti.
23e: La situation est idéale pour McLaren puisque Hunt mène avec deux secondes d'avance sur Mass.
24e: Hunt et Mass roulent ensemble mais perdent du temps dans le trafic. Depuis son tête-à-queue Brambilla est en difficulté et se fait doubler par Depailler. Hasemi s'arrête à son stand pour mettre des pneus intermédiaires.
25e: Hunt a une seconde d'avance sur Mass. Depailler est troisième à cinq secondes et précède Brambilla, Andretti, Watson et Pryce. Regazzoni est huitième et ne reçoit aucune instruction du stand Ferrari. En fait, Lauda a quitté le circuit et ni Forghieri ni Audetto ne semble se préoccuper de ce qui se passe encore en piste. Derrière le Suisse se trouvent Jones et Stuck qui ont doublé Scheckter.
Hasemi réalise officiellement le meilleur tour en course en 1'18''23'''. Mais dans ce même tour il s'est fait doubler par Hoshino, Laffite et Jarier. Le chronomètre des officiels a dû faire erreur...
27e: Stuck prend la neuvième place à Jones. Merzario abandonne suite à ses problèmes de boîte de vitesses.
28e: Hunt et Mass sont en tête avec six secondes d'avance sur Depailler. Hoshino regagne son stand: ses pneus Bridgestone sont détruits et son équipe n'en a plus en stock. L'héroïque champion japonais doit donc abandonner.
30e: La piste commence à s'assécher et la visibilité s'améliore quelque peu. Hunt a une demi-seconde d'avance sur Mass qui le suit tel un garde du corps. Andretti, Watson et Pryce sont en bagarre pour la cinquième place.
32e: Pryce est le pilote le plus rapide du moment et prend la sixième place à Watson. Suite à une surchauffe, le tuyau de trop-plein du moteur de Scheckter éclate. Le pilote sud-africain regagne son stand et ses mécaniciens démontent le capot de la P34 pour tenter une réparation.
33e: Pryce double Andretti. Il revient ensuite assez rapidement sur Brambilla. Sa Kojima ne fonctionnant décidément pas bien, Hasemi tente le pari de chausser des pneus slicks.
34e: Le moteur de Watson cesse de fonctionner. Le Nord-Irlandais doit renoncer.
36e: Les McLaren sont en passe de prendre un tour à Nilsson, lorsque dans l'immense courbe ramenant vers les stands, Mass perd le contrôle de sa voiture et heurte le rail intérieur. Sa roue avant droite est cassée et il s'arrête sur le côté extérieur de la piste. Mass avait jusqu'ici parfaitement rempli son rôle de lieutenant. Un peu plus loin, Pryce double Brambilla
37e: Stuck rencontre des problèmes d'allumage. Il revient au garage March et abandonne.
38e: Hunt mène désormais avec une dizaine de secondes d'avance sur Depailler, menacé par Pryce. Le Gallois vole sur la piste. Brambilla est quatrième et précède Andretti, Regazzoni, Jones, Nilsson et Ertl. Chez McLaren, on songe à changer les pneus de Hunt dont on redoute l'usure excessive.
39e: Juste après Stuck, c'est au tour de Brambilla d'abandonner, allumage cassé.
40e: Pryce déborde Depailler et s'empare ainsi de la deuxième place. Peut-il désormais revenir sur Hunt ? Scheckter a repris la piste au dernier rang.
42e: Une douzaine de secondes sépare Hunt et Pryce. Depailler est troisième, dans le sillage du Gallois. Andretti tient solidement la quatrième place et précède Regazzoni, Jones, Nilsson, Ertl, Takahara et Laffite.
45e: La piste commence à s'assécher et les pneus souffrent. Statu quo en tête de l'épreuve: Hunt maintient son avance sur Pryce. Si tout va bien pour lui, il roule vers le titre mondial.
47e: Pryce est lâché par son moteur alors qu'il tenait une splendide deuxième place. Il s'arrête dans le gazon, très déçu. Depailler récupère sa position. Laffite s'arrête au stand Ligier pou chausser des slicks. Alors neuvième à un tour de Hunt, le Français n'a plus rien à perdre.
48e: Hunt demeure derrière Jones et ne parvient pas à lui prendre un tour. Depailler est plus rapide que le leader.
50e: Hunt n'a plus que neuf secondes d'avance sur Depailler. Andretti est troisième à une vingtaine de secondes.
52e: Binder s'arrête à l'extérieur du premier virage avec une Williams fumante. Les commissaires éteignent l'incendie avant d'évacuer la voiture. Il n'y a plus que douze voitures en piste.
54e: Depailler se rapproche de Hunt: l'écart entre les deux hommes n'est plus que de sept secondes.
55e: Le soleil fait son apparition mais il est aussi sur le point de se coucher... La piste est toujours très humide même si la trajectoire est globalement sèche.
57e: Depailler rattrape Hunt, mais il n'est pas le seul: Andretti effectue aussi une belle remontée et est nettement plus rapide que le leader.
58e: Cinq secondes séparent Hunt et Depailler. Andretti est à dix secondes environ.
59e: Depailler n'est plus qu'à trois secondes de Hunt. Ce dernier rencontre de plus en plus de problèmes avec ses pneumatiques.
60e: Deux secondes entre Hunt et Depailler. Grâce à ses pneus slicks, Laffite est le plus pilote le plus rapide de cette fin de course. Il remonte sur Takahara et sur Ertl.
61e: Depailler est maintenant juste derrière Hunt. Andretti est à trois secondes. Pour Hunt, la résistance semble inutile car une deuxième voire une troisième place lui suffit pour être sacré.
62e: Dans le premier virage, Depailler plonge à l'intérieur et s'empare du commandement. Hunt n'a absolument pas résisté. Plus loin, Andretti le dépasse à son tour à l'abord de la ligne droite principale.
Au championnat, la situation serait la suivante: Hunt 69 pts, Lauda 68 pts.
63e: A dix tours du but, Depailler se dirige vers la première victoire de sa carrière.
64e: Tandis que Hunt semble véritablement peu à l'aise, Andretti rattrape Depailler. A Hairpin, il déborde la Tyrrell par l'extérieur et prend la première place. Hunt est déjà à plus de cinq secondes de ce duo. Regazzoni est quatrième à une quarantaine de secondes et précède Jones et Nilsson.
65e: Andretti s'envole en tête. Depailler ne peut le suivre car il est victime d'une crevaison à l'arrière gauche. Hunt reprend la deuxième place au malheureux Français et semble sécuriser sa victoire au championnat. Scheckter renonce à cause d'une surchauffe de son moteur Cosworth et s'arrête dans l'herbe.
Au championnat: Hunt 71 pts, Lauda 68 pts.
66e: Depailler regagne le stand Tyrrell à faible allure. Ses mécaniciens changent sa roue arrière gauche et il repart en cinquième position.
67e: Andretti mène avec vingt secondes d'avance sur Hunt. Regazzoni est troisième à quarante secondes et précède Jones, Depailler, Nilsson, Ertl, Laffite, Takahara, Jarier et Hasemi.
69e: Coup de théâtre: Hunt regagne son stand avec le pneu avant gauche dégonflé. Ses mécaniciens se précipitent pour changer ses quatre roues. Hunt repart après trente secondes d'immobilisation, en cinquième position, à un tour d'Andretti ! Si la situation demeure ainsi, Lauda sera sacré champion du monde ! Regazzoni récupère la deuxième place, mais Jones et Depailler sont sur ses talons.
70e: Depailler dépasse Jones, puis Regazzoni et récupère ainsi la deuxième place. Hunt n'est qu'à quelques secondes de ce groupe. Il est reparti furieux, persuadé d'avoir perdu tout espoir de remporter le titre.
Au championnat: Lauda 68 pts, Hunt 67 pts.
71e: La situation en piste est extrêmement confuse et personne ne sait quel est le classement exact. Seule la première place d'Andretti est assurée. Laffite réalise le vrai meilleur tour de la course: 1'19''97'''. Après avoir double Takahara, il menace Ertl.
72e: Regazzoni se retrouve derrière Jones. Le Suisse est bientôt doublé par Hunt, qui avec cette quatrième place se retrouve de nouveau virtuellement champion du monde. Puis il double Jones à Hairpin, récupérant la troisième place. Tous sont à un tour d'Andretti.
Au championnat: Hunt 69 pts, Lauda 68 pts.
73ème et dernier tour: Depailler et Hunt reviennent sur Andretti, mais ils sont un tour derrière l'Italo-Américain.
Mario Andretti remporte sa deuxième victoire en Formule 1, la première de l'équipe Lotus depuis plus de deux ans. Toujours malchanceux, Depailler termine second pour la cinquième fois de la saison. James Hunt franchit la ligne d'arrivée en troisième position et devient ainsi, pour un seul point, champion du monde de F1. Mais il l'ignore, les positions en course n'étant pas claires. Jones finit à une superbe quatrième place pour Surtees. L'Australien a été une des révélations de la saison. Regazzoni conclut sa dernière course pour Ferrari au cinquième rang. Nilsson prend le dernier point. Laffite, Ertl, Takahara, Jarier et Hasemi sont aussi à l'arrivée.
Après la course
La nuit tombe sur le Mont Fuji tandis que les voitures regagnent les stands. C'est déjà la fête dans le stand McLaren. Lorsque Hunt arrive dans l'allée des stands, il pense avoir perdu le titre. Ainsi, quand Teddy Mayer se précipite sur lui pour le féliciter, il manque de lui envoyer son poing dans la figure ! Une fois informé, Hunt est évidemment très joyeux et rejoint le podium où l'attendent Andretti et Depailler. Aux journalistes lui demandant comment il va fêter sa victoire, il répond qu'il va se saouler « à la bière et non au champagne, afin de ne pas avoir la gueule de bois le lendemain matin. »
Au classement des constructeurs, Tyrrell se contente de la deuxième place derrière McLaren, tandis que la victoire d'Andretti permet à Lotus de prendre la quatrième place. Colin Chapman peut être heureux: après trois années difficiles, son équipe semble enfin retrouver le chemin du succès. D'autant plus qu'il prépare une voiture révolutionnaire...
Beaucoup pensent que la victoire finale de James Hunt est chanceuse. Certes, sans l'accident de Lauda au Nürburgring, il n'aurait sans doute pas été champion du monde. Mais l'équipe McLaren, et en particulier Gordon Coppuck, ont su hisser la vieille M23 au rang de la Ferrari, jusqu'à en faire en fin de saison la voiture de référence. De plus, considéré jusqu'alors comme un pilote certes très rapide mais aussi brouillon et peu consciencieux, Hunt a su devenir un vrai leader d'équipe, sérieux et constant, en digne successeur d'Emerson Fittipaldi.
Niki Lauda et Enzo Ferrari: vers la rupture
Niki Lauda apprend son échec alors qu'il s'apprête à prendre l'avion pour l'Europe en compagnie de son épouse. De son aveu, cela ne lui fait ni chaud ni froid. Mais déjà à Maranello, on commente diversement sa décision de renoncer volontairement à combattre. Si la presse se montre en général compréhensive envers les craintes d'un homme qui a frôlé la mort trois mois plus tôt, et qui est revenu à la compétition trente jours après avoir reçu l'extrême onction, l'état-major de Ferrari est beaucoup plus critique à son égard.
Lauda va très vite apprendre les nombreux griefs que nourrit Enzo Ferrari à son égard. Pour celui-ci, l'Autrichien n'aurait pas dû revenir en course après son accident. James Hunt aurait été facilement titré certes, mais personne n'aurait accordé de la valeur à une couronne glanée dans ces conditions. L'honneur de la Scuderia aurait été sauf. Plus grave, beaucoup chez Ferrari pensent que la défaillance de Lauda au Japon prouve que ce dernier est perdu pour la compétition. Comment un homme qui a failli mourir, qui a mis ses forces et ses nerfs à très rude épreuve au cours d'un retour précipité, pour enfin craquer face à la peur lors de l'ultime épreuve, pourrait redevenir un grand champion ? Sans compter ce visage défiguré...
A vrai dire, chez Ferrari certains cherchent un bouc émissaire pour sauver leurs têtes. Car la saison 1976 est un échec pour l'équipe italienne, malgré sa coupe des constructeurs. Ultra-dominatrices en début d'année, les 312 T2 étaient très difficiles à conduire à partir de la mi-saison. La gestion sportive a été un désastre: au Japon, personne n'a donné d'instructions à Clay Regazzoni pour essayer d'enrayer la marche triomphale de Hunt. Daniele Audetto se sait déjà condamné. Mais cela ne suffit pas à certains. A son arrivée en Europe, Lauda est convoqué à Maranello. A son grand étonnement, le Commendatore lui propose le poste de directeur sportif. La manœuvre est claire: Ferrari veut le neutraliser en tant que pilote tout en évitant qu'il s'échappe chez la concurrence. Lauda ne s'en laisse pas conter et déclare que, puisque c'est ainsi, il part chez McLaren, avec laquelle il aurait un contrat. C'est un mensonge mais Ferrari, ébranlé, revient sur sa décision. Le contrat pour 1977 signé avec le pilote Niki Lauda est respecté. Mais Carlos Reutemann sera désormais le pilote n°1. Lauda s'en moque, l'Argentin ne lui fait pas peur. Mais dans son esprit, les liens avec Ferrari sont désormais quasi rompus. La saison 1977 sera pour lui moins une lutte contre ses rivaux qu'une revanche à prendre contre un vieil homme ingrat et ses venimeux conseillers.
La guerre F1.C.A. - W.C.R.: la saison 1977 en danger
Quelques jours après le Grand Prix du Japon, Patrick Duffeler officialise la création du World Championship Racing, nouvelle instance chargée de défendre les intérêts des organisateurs de Grands Prix face à la F1CA. Les constructeurs se retrouvent exclus des négociations qui désormais ne concernent que le pouvoir sportif et les autorités nationales, qui ensuite leur feront part de leurs propositions. Bernie Ecclestone réplique en mettant en avant, à juste titre, les contrats déjà signés pour 1977 entre la F1CA et les Grands Prix.
En novembre, le conflit atteint son paroxysme. Ecclestone tente de rallier à sa cause les organisateurs qui n'ont pas encore payé la caution de cent mille dollars due à la CSI. On atteint une situation ubuesque: huit circuits signent avec Duffeler, huit autres avec Ecclestone. Les Belges ont quant à eux des contrats avec les deux parties ! La menace de la création d'un championnat parallèle par la F1CA est bien réelle. Mais Duffeler inscrit un point décisif lorsqu'il obtient le soutien de l'Automobile Club d'Argentine, organisateur du premier Grand Prix de la saison 1977. L'Américain met donc le marché dans les mains d'Ecclestone: si le premier Grand Prix ne se déroule pas selon les conditions du WCR, il sera annulé. Le patron de Brabham, furieux, ne s'en laisse pas conter: c'est lui qui après avoir annulé l'épreuve de 1976 a permis la résurrection du Grand Prix d'Argentine. Il déchire son contrat avec l'ACA et déclare que les équipes britanniques vont boycotter l'épreuve. Duffeler ne cède pas à ce chantage, se sachant pour une fois soutenu par le pouvoir sportif. Car derrière les faibles Metternich et Ugeux, les « barons » de la FIA, Michel Boeri, Jean-Marie Balestre et Fritz Huschke von Hanstein l'encouragent à la résistance, bien décidés à faire plier les « garagistes » britanniques.
Début décembre 1976, à un mois du début du championnat du monde 1977, la Formule 1 semble au bord de la scission.
Tony