Les acteurs de la Formule 1 ont décidé de bouleverser à compter de 2021 le déroulement traditionnel des Grands Prix au moyen de « courses sprint », un concept mis au point par Ross Brawn qui doit être éprouvé à trois reprises cette saison, à Montréal, Monza et São Paulo. Avec ce nouveau format, la séance qualificative du samedi sera avancée au vendredi pour établir la grille d'une « course sprint » de cent kilomètres qui se disputera le samedi après-midi. Le résultat de celle-ci déterminera l'ordre de départ pour le Grand Prix du dimanche. Les puristes s'arrachent les cheveux devant ce qu'ils considèrent comme une « dénaturation » des Grands Prix de Formule 1, lesquels n'ont toujours comporté qu'une seule et même course. Pour eux, il s'agit d'une atteinte au prestige de la discipline reine dont le format s'inspirerait désormais de ceux des formules de promotion: F2, F3 etc.
Tel n'est pas le principal souci des constructeurs, surtout préoccupés par l'impact de cette course supplémentaire sur leurs ressources financières. En effet, les trois « top teams », Mercedes, Red Bull et Ferrari produisent d'énormes efforts pour ne pas dépasser le plafond budgétaire de 145 millions de dollars imposé depuis cette année par la FIA. Ils sont contraints de tailler dans le vif des dépenses, parfois de façon douloureuse, c'est-à-dire en licenciant du personnel. « Nous avons dû nous redimensionner au cours de l'hiver », confie ainsi Christian Horner. « Cela n'a pas été facile de dire au revoir aux gars, dont certains étaient là depuis l'époque Stewart GP, il y a 25 ans. » Mercedes a aussi réduit ses effectifs, tout comme Ferrari qui a cependant pu éviter de recourir aux licenciements: un certain nombre d'ingénieurs ont été redirigés vers le programme Le Mans Hypercar qui doit aboutir en 2023, tandis que d'autres ont rejoint l'antenne que l'écurie Haas entretient à Maranello.
Dans ce contexte, les quelques dizaines de milliers de livres sterling de dépenses supplémentaires engendrées par cette épreuve qualificative incommodent les team managers. Ils soulèvent ce problème lors d'une réunion à Bahreïn, le 27 mars 2021. « Nous avons vraiment du mal à passer juste en dessous du plafond budgétaire », explique Toto Wolff. « Nous aimerions vraiment soutenir Stefano Domenicali et Ross Brawn car leur idée mérite d'être essayée, mais nous n'avons tout simplement pas la marge financière nécessaire. Que va-t-il se passer si nous découvrons à l'usage qu'il y a un demi-million de livres de frais supplémentaires et que nous ne rentrons plus dans le plafond ? » « Faire fonctionner ces voitures coûte extrêmement cher et les budgets capés ont un impact significatif sur notre fonctionnement », renchérit Christian Horner. « À l'heure actuelle, chaque Grand Prix nous coûte environ six millions de dollars, et la couverture des frais proposée pour cette course sprint ne correspond pas aux dividendes que nous pourrions percevoir. Ajouter une course, même raccourcie, a un coût que nous allons naturellement engager, mais nous avons besoin d'une allocation raisonnable qui en tienne compte. Nous cherchons actuellement à économiser 10, 20, 30 000 livres ici et là pour répondre au plafonnement avec ces nouvelles dépenses. Nous tenons à soutenir le projet, mais il doit y avoir un accommodement. » En d'autres termes, les patrons de Red Bull et de Mercedes réclament un aménagement du seuil budgétaire ou la garantie de nouveaux revenus dégagés par ces courses sprint... Flotte aussi l'idée d'une « police d'assurance » qui pourrait couvrir les réparations et les frais d'entretien supplémentaires. Les dirigeants de la F1 sont prêts à négocier mais ne veulent certainement pas relever le plafond. « Nous traitons un problème spécifique et nous ne mettrons pas en place une règle qui crée une opportunité d'accroissement des budgets », prévient Ross Brawn.
Par ailleurs, l'instauration d'une « course sprint » inquiète certains acteurs qui y voient le risque d'une dépréciation du « vrai » Grand Prix du dimanche, l'acmé de la compétition. Du reste, devra-t-on désormais considérer qu'il y a deux vainqueurs par week-end ? « Des séries ont organisé une deuxième course le samedi, mais elles n'avaient ni l'importance ni la tradition de la Formule 1 » découvre Toto Wolff. « Nous devons être très prudents face à l'évolution du format des Grands Prix car nous avons la responsabilité de défendre la F1. » Christian Horner ne dit pas autre chose: « Nous devons protéger l'ADN du sport, de l'histoire du sport. Il n'y aura qu'un seul vainqueur, et il sera désigné le dimanche. Gagner une course de qualification ne fera pas un vainqueur de Grand Prix. » Ces considérations ont poussé la F1 à baptiser cette mini-épreuve « qualifications sprint » pour ne pas entretenir de confusion avec la course du dimanche. Mais il s'agit bel et bien de « courses sprint », et celles-ci auront lieu, pour peu que le Formula One Group et les grands constructeurs négocient un accord financier. Ce dernier n'est pas à l'ordre du jour car les deux parties quittent Sakhir bredouilles. Rien ne presse néanmoins puisque la première expérimentation est prévue pour le Grand Prix du Canada, le samedi 12 juin 2021.
Sources:
- Jean Michel Desnoues, Course qualificative, qui doit payer ? Auto Hebdo n°1305, 31 mars 2021.
Tony